Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

II. Zivilabteilung 5C.97/2003
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5C.97/2003 /frs

Arrêt du 16 juin 2003
IIe Cour civile

MM. et Mme les Juges Raselli, Président, Hohl et Marazzi.
Greffier: M. Fellay.

X. ________ SA,
défenderesse et recourante,

contre

M.________,
demanderesse et intimée, représentée par Me Philippe Nordmann, avocat, case
postale 3309, 1002 Lausanne.

contrat d'assurance,

recours en réforme contre le jugement du Tribunal des assurances du canton de
Vaud du 19 décembre 2002, rectifié le 14 mars 2003.

Faits:

A.
M.________ (ci-après: la demanderesse ou l'assurée), née en 1953,  a
travaillé comme aide-soignante à l'Hôpital ophtalmique. En tant qu'employée,
elle était assurée auprès de la X.________ SA (ci-après: la défenderesse) par
un contrat d'assurance collective d'indemnités journalières de son employeur.
Son contrat de travail ayant été résilié avec effet au 29 février 2000, elle
a été transférée en assurance individuelle dès le 1er mars 2000 pour des
indemnités journalières en cas de maladie seulement (classe Salaria) de 166
fr. par jour, dès le 61e jour et durant 720 jours.

B.
Depuis 1987, la demanderesse souffre de lombalgies et de cervicalgies. En
1998, ses problèmes s'étant aggravés, elle a demandé à l'AI l'octroi de
mesures d'orientation professionnelle, de reclassement dans une nouvelle
profession et de rééducation dans la même profession.
La défenderesse lui a versé des indemnités journalières depuis le 29
septembre 1999. Elle en a interrompu le versement le 30 avril 2000 à la suite
de l'examen effectué par son médecin-conseil, le Dr L.________, le 17 mars
2000, lequel a constaté que l'assurée avait une capacité résiduelle de
travail qui devait être exploitée et qu'elle pouvait s'inscrire au chômage.
De mai à septembre 2000, la demanderesse a repris son travail, puis de
septembre 2000 au 28 mars 2001, elle a fait des tentatives dans d'autres
activités à 50%. Selon les rapports des Drs A.________ et E.________, sa
capacité de travail est nulle depuis le 29 mars 2001.

C.
La défenderesse estimant que cette capacité de travail était totale dans une
activité adaptée et refusant donc le versement de prestations, l'assurée a
ouvert action devant le Tribunal des assurances du canton de Vaud le 16 mai
2001 en paiement d'indemnités journalières à 100% et à 50% pour trois
périodes précises, courant en tout du 1er mai 2000 au 31 mai 2001, et pour le
futur, en proportion du degré d'incapacité fixé par un médecin. La
défenderesse a conclu au rejet de la demande.
Par jugement du 19 décembre 2002, dont le dispositif a été rectifié le 14
mars 2003 en raison d'une erreur de frappe concernant les seuls dépens, le
Tribunal des assurances a admis la demande et prononcé que la défenderesse
devait verser à la demanderesse les prestations suivantes:
"I. ...
- les indemnités journalières contractuelles à 100 %, soit 166 fr. par jour,
pour la période allant du 1er mai au 31 août 2000, soit 20'418 fr. (123 jours
à 166 francs.);

- les indemnités journalières contractuelles à 50 %, soit 83 fr. par jour,
pour la période allant du 1er septembre 2000 au 28 mars 2001, soit 17'347
francs (209 jours à 83 francs);

- les indemnités journalières contractuelles à 100 %, soit 166 fr. par jour,
pour la période allant du 29 mars au 31 mai 2001, soit 10'624 fr. (64 jours à
166 francs),

soit un total de 48'389 francs avec intérêt à 5 % dès le 1er novembre
2000, échéance moyenne.

II. La défenderesse, X.________, doit également à la demanderesse,
M.________, les indemnités journalières contractuelles à 100 pour-cent, soit
166 francs par jour, du 1er juin 2001 jusqu'à échéance de son droit
contractuel aux indemnités journalières.

... "

D.
Contre ce jugement, la défenderesse a interjeté un recours en réforme au
Tribunal fédéral, concluant principalement au rejet de la demande et
subsidiairement au renvoi de la cause à l'autorité cantonale pour nouvelle
décision. Elle invoque une violation des art. 8 CC, 47 al. 2 de la loi
fédérale sur la surveillance des assurances du 23 juin 1978 (LSA; RS 961.01)
et 61 de la loi fédérale sur le contrat d'assurance du 2 avril 1908 (LCA; RS
221.229.1).
La demanderesse n'a pas été invitée à se déterminer.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le litige relatif à des prétentions fondées sur l'assurance complémentaire à
l'assurance-maladie proposée par une caisse-maladie conformément à l'art. 12
al. 3 de la loi fédérale sur l'assurance-maladie (LAMal; RS 832.10) constitue
une contestation civile portant sur des droits de nature pécuniaire au sens
de l'art. 46 OJ (ATF 124 III 44 consid. 1a/aa, 229 consid. 2b). La valeur
litigieuse minimale prescrite par cette disposition étant atteinte en
l'espèce, le recours en réforme, déposé en temps utile (art. 54 al. 1 OJ),
est recevable.

2.
Selon le jugement attaqué, les prestations d'assurance doivent être versées
en cas d'incapacité de travail, dont la preuve est à la charge de l'assuré
(art. 14 des Conditions spéciales d'indemnité journalière Salaria). En
l'espèce, la demanderesse a été examinée par plusieurs médecins, soit un
généraliste, le Dr E.________, deux rhumatologues, les Drs A.________ et
S.________, et par un psychiatre mandaté par l'Office d'assurance-invalidité
(OAI), le Dr Y.________.
Les Drs E.________ et A.________ ont pris en compte tant l'état physique que
psychologique de la demanderesse. Le Dr A.________ a notamment expliqué que
la capacité de travail de celle-ci était nulle non seulement à cause de ses
affections physiques, qui motivaient pleinement l'incapacité de travail au
début, mais également à cause d'un état dépressif réactionnel; elle aurait dû
suivre un "reconditionnement" dont la durée varie compte tenu des affections
physiques mais aussi psychologiques, ce qui n'a pas été possible.
Le Dr S.________ ne s'est prononcé que sur les problèmes physiques de la
demanderesse et n'a pas tenu compte de ses gonalgies. En prenant en compte
cette affection, il a estimé nulle la capacité de travail de la demanderesse
dans son ancienne profession et diminuée d'au moins 25% dans une activité
adaptée.
Le Dr Y.________ a diagnostiqué un état dépressif réactionnel et a estimé
que, sous l'angle de l'AI, cette affection n'entraînait pas d'incapacité de
travail parce que cette dépression était normale face aux problèmes
rencontrés par l'assurée. Il ne s'est pas prononcé sur l'incapacité de
travail ponctuelle entraînée par une telle affection.
Considérant que les seuls médecins qui avaient tenu compte de l'ensemble des
affections dont était atteinte la demanderesse étaient les Drs E.________ et
A.________, l'autorité cantonale s'est basée sur leurs divers rapports,
complétés par leurs explications à l'audience, qu'elle a jugés motivés et
convaincants. Pour elle, l'avis du médecin-conseil de la défenderesse ne
permettait pas de mettre en doute les rapports de ces deux médecins; les
appréciations des experts non plus. Il n'était notamment pas possible de se
référer au taux d'incapacité de travail retenu par le Dr Y.________, puisque
celui-ci n'avait pas du tout tenu compte de l'aspect somatique. Enfin,
l'autorité a estimé que le projet de décision de l'OAI importait peu car il
ne liait de toute façon pas les caisses-maladie.
Par conséquent, le tribunal a admis, pour la période litigieuse, soit
postérieure au 30 avril 2000, que l'incapacité de la demanderesse était de
100% du 1er mai au 31 août 2000, de 50% du 1er septembre 2000 au 28 mars 2001
et de 100% depuis lors, et elle a condamné la défenderesse à verser à la
demanderesse les indemnités journalières correspondantes.

3.
La défenderesse invoque une violation de l'art. 8 CC, ainsi que des art. 1 et
14 ch. 4 et 5 de ses conditions spéciales Salaria.

3.1 Pour toutes les prétentions fondées sur le droit fédéral (cf. ATF 125 III
78 consid. 3b;123 III 35 consid. 2d), l'art. 8 CC répartit le fardeau de la
preuve - sous réserve des règles particulières (par exemple, art. 55 al. 1
CO, 97 al. 1 CO) ou des présomptions légales (art. 32 al. 2 CC, 190 al. 1 CO)
- et détermine, sur cette base, laquelle des parties doit assumer les
conséquences de l'échec de la preuve (ATF 126 III 189 consid. 2b). On déduit
également de l'art. 8 CC un droit à la preuve et à la contre-preuve (ATF 126
III 315 consid. 4a et les arrêts cités). En revanche, cette disposition ne
permet pas de remettre en question l'appréciation des preuves du juge
cantonal, ni n'exclut l'appréciation anticipée des preuves ou une
administration limitée des preuves lorsque celle-ci emporte la conviction du
juge au point qu'il tient une allégation pour exacte (ATF 114 II 289 consid.
2; 127 III 520 consid. 2a; 126 III 315 consid. 4a; 122 III 219 consid. 3c).
Lorsque le juge, qui est confronté à plusieurs rapports médicaux, fait sien
le résultat de l'un d'eux en motivant son choix, il procède à une
appréciation des preuves, que la juridiction de réforme ne peut revoir.

3.2 D'après l'art. 1 des conditions spéciales Salaria, l'assurance couvre la
perte de gain résultant d'une incapacité de travail. L'art. 14 ch. 4 met à
charge de l'assuré la preuve du montant de la perte de gain entraînée par son
incapacité de travail et l'art. 14 ch. 5 prévoit que l'assurance verse
l'indemnité journalière aussitôt qu'elle est en possession du certificat
médical final, ainsi que de toutes les indications nécessaires à la fixation
du droit aux prestations.
Selon la défenderesse, c'est en violation de l'art. 8 CC que le tribunal
cantonal n'a pas retenu l'évaluation de la capacité de travail effectuée par
le Dr Y.________ dans son rapport du 16 janvier 2002, en se basant sur des
examens de l'assurée des 3 et 10 octobre 2001 ainsi que sur un dossier
comprenant une évaluation sur le plan somatique effectuée par le Dr
S.________: en effet, même si le Dr Y.________ ne l'avait examinée que sur le
plan psychiatrique, il avait connaissance de son évaluation sur le plan
somatique; en outre, c'est à tort et sans motif que l'autorité cantonale a
écarté le projet de décision de l'OAI du 23 septembre 2002, en se contentant
d'indiquer que les caisses-maladie ne sont pas liées par les prononcés des
organes de l'AI.
Ce faisant, la défenderesse s'en prend en réalité à l'appréciation des
preuves, à savoir des rapports médicaux, par le tribunal cantonal. Son grief
de violation de l'art. 8 CC est donc mal fondé. Pour le reste, on ne voit pas
en quoi le tribunal aurait violé les art. 1 (but de l'assurance) et 14 ch. 4
et 5 (preuve du montant de la perte de gain et certificat médical) des
conditions spéciales Salaria.

4.
La défenderesse fait aussi valoir une violation de la maxime inquisitoire
prévue par l'art. 47 al. 2 LSA.

4.1 En vertu de l'art. 47 al. 2 LSA, pour les contestations relatives aux
assurances complémentaires à l'assurance-maladie sociale, les cantons doivent
prévoir une procédure dans laquelle le juge établit d'office les faits. En
introduisant cet allégement de procédure, le législateur s'est inspiré des
dispositions de droit fédéral motivées par des buts de politique sociale en
matière de baux à loyer (art. 274d CO), de baux à ferme (art. 301 CO) et de
contrats de travail (art. 343 CO; ATF 127 III 421 consid. 2 et les
références).
Selon la jurisprudence rendue en matière de contrat de travail et de bail, le
juge doit établir d'office les faits, mais les parties sont tenues de lui
présenter toutes les pièces nécessaires à l'appréciation du litige. Ce
principe n'est pas une maxime officielle absolue, mais une maxime
inquisitoire sociale. Le juge ne doit pas instruire d'office le litige
lorsqu'une partie renonce à expliquer sa position. En revanche, il doit
interroger les parties et les informer de leur devoir de collaboration et de
production des pièces; il est tenu de s'assurer que les allégations et offres
de preuves sont complètes uniquement lorsqu'il a des motifs objectifs
d'éprouver des doutes sur ce point. L'initiative du juge ne va pas au-delà de
l'invitation faite aux parties de mentionner leurs moyens de preuve et de les
présenter. La maxime inquisitoire sociale ne permet pas d'étendre à bien
plaire l'administration des preuves et de recueillir toutes les preuves
possibles (ATF 125 III 231 consid. 4a p. 238).
Par ailleurs, la maxime inquisitoire laisse le juge libre dans sa manière
d'apprécier les preuves et ne lui interdit pas de renoncer à un moyen de
preuve par appréciation anticipée. Ni la maxime inquisitoire, ni d'ailleurs
le droit à la preuve d'une partie ne sont violés lorsque le juge refuse une
mesure probatoire parce qu'il est déjà convaincu qu'une allégation de fait a
été établie ou réfutée (en matière de droit à la preuve, ATF 129 III 18
consid. 2.6 et les arrêts cités). Enfin, la maxime inquisitoire n'impose pas
au juge d'administrer un genre de preuves déterminé, comme une expertise
judiciaire, sous réserve des cas dans lesquels la loi le prévoit
expressément.

4.2 Lorsqu'elle soutient que l'autorité cantonale ne devait pas retenir
l'évaluation du Dr A.________ pour la période du 30 avril 2000 au 13 mars
2001 puisque ce médecin n'avait pas examiné la demanderesse entre juin 1998
et février 2001, la défenderesse s'en prend, comme précédemment, à
l'appréciation des preuves de l'autorité cantonale, ce qui n'est pas
admissible en procédure de recours en réforme au Tribunal fédéral. Il en est
également ainsi lorsqu'elle soutient que l'avis de médecin-traitant dudit
médecin ne devrait pas prévaloir en principe sur l'opinion d'un expert.
De même lorsqu'elle estime que le tribunal ne pouvait pas se prononcer sans
une expertise judiciaire puisque les avis médicaux étaient contradictoires,
le médecin-traitant attestant d'une incapacité totale et son médecin-conseil
d'une aptitude au travail, la défenderesse ne fait que critiquer
l'appréciation des preuves du tribunal qui, en présence de ces différents
avis, s'est prononcé en faveur de ceux qui émanaient des médecins ayant tenu
compte de l'ensemble des affections dont était atteinte la demanderesse.
D'ailleurs, il ne ressort pas du jugement attaqué que la défenderesse aurait
requis l'administration d'une expertise judiciaire; elle ne le soutient pas
non plus dans son recours en réforme.

5.
Enfin, la défenderesse se plaint d'une violation de l'art. 61 LCA.

5.1 Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral fonde son arrêt sur
les faits tels qu'ils ont été constatés dans la décision attaquée, à moins
que des dispositions fédérales en matière de preuve n'aient été violées,
qu'il n'y ait lieu à rectification de constatations reposant sur une
inadvertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou qu'il ne faille renvoyer la
cause à l'autorité cantonale pour compléter les constatations de fait parce
que celle-ci n'a pas tenu compte de faits pertinents, en violation de la
maxime inquisitoire (art. 64 al. 1 OJ; ATF 122 III 404 consid. 3d p. 408 et
la doctrine citée). Mais il ne peut être présenté de griefs contre les
constatations de fait (art. 55 al. 1 let. c OJ) ou l'appréciation des preuves
à laquelle s'est livrée l'autorité cantonale (ATF 122 III 61 consid. 2c/cc p.
66; 120 II 97 consid. 2b p. 99).

5.2 Selon la défenderesse, puisque son médecin-conseil a estimé, à la suite
de son examen du 17 mars 2000, que la demanderesse avait une capacité de
travail résiduelle qui devait être exploitée, l'autorité cantonale a violé
l'art. 61 LCA qui fait obligation à l'assuré de diminuer son dommage par un
changement de profession et l'art. 47 al. 2 LSA en n'examinant pas d'office
cette obligation et en allouant à la demanderesse des indemnités journalières
du 30 avril 2000 jusqu'à épuisement de son droit.
Le tribunal cantonal a retenu, sur la base de son appréciation des preuves,
que l'incapacité de la demanderesse était de 100% depuis le 29 mars 2001.
Cette constatation de fait lie la juridiction de réforme (art. 63 al. 2 OJ).
Dans la mesure où elle se base sur un fait non retenu, la critique de la
défenderesse est irrecevable.

6.
Le recours étant rejeté dans la mesure où il est recevable, les frais de la
procédure doivent être mis à la charge de la défenderesse recourante (art.
156 al. 1 OJ). Il n'y a pas lieu d'allouer de dépens à la demanderesse, qui
n'a pas été invitée à répondre.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.

2.
Un émolument judiciaire de 3'000 fr. est mis à la charge de la défenderesse.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux parties et au Tribunal des
assurances du canton de Vaud.

Lausanne, le 16 juin 2003

Au nom de la IIe Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier: