Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

II. Zivilabteilung 5C.6/2003
Zurück zum Index II. Zivilabteilung 2003
Retour à l'indice II. Zivilabteilung 2003


5C.6/2003 /frs

Arrêt du 4 avril 2003
IIe Cour civile

MM. et Mme les Juges Raselli, Président,
Hohl et Marazzi.
Greffier: M. Braconi.

Dame C.________ (épouse),
demanderesse et recourante, représentée par Me Pierre Boillat, avocat, rue de
la Justice 1, case postale 2346, 2800 Delémont,

contre

C.________, (époux),
défendeur et intimé, représenté par Me François
Frôté, avocat, place Centrale 51, 2501 Biel/Bienne.

divorce,

recours en réforme contre l'arrêt de la Cour civile du Tribunal cantonal du
canton du Jura du 14 novembre 2002.

Faits:

A.
C. ________, né le 6 février 1965, et dame C.________, née le 19 septembre
1965, se sont mariés le 20 août 1993; une fille, A.________, née le 4 avril
1994, est issue de leur union.

B.
Le 6 septembre 2001, dame C.________ a ouvert action en divorce par requête
unilatérale devant le Juge civil du Tribunal de première instance du canton
du Jura. Le 19 décembre 2001, les parties ont passé une convention réglant
partiellement les effets accessoires du divorce, seuls demeurant litigieux le
montant de la contribution à l'entretien de la femme et de l'enfant, ainsi
que la liquidation du régime matrimonial; en outre, elles ont confirmé leur
volonté de divorcer après l'écoulement du délai légal de réflexion.

Par jugement du 9 juillet 2002, le magistrat de première instance a prononcé
le divorce et, notamment, astreint le défendeur à contribuer à l'entretien de
sa fille, respectivement de la demanderesse, par le versement des pensions
indexées suivantes:
- 1'400 fr. jusqu'à 12 ans, 1'500 fr. jusqu'à 16 ans et 1'600 fr. jusqu'à ce
que l'enfant ait acquis une formation lui permettant d'assumer son entretien
correct dans des délais normaux;
- 900 fr. pendant quatre ans, puis 450 fr. jusqu'à ce que l'enfant ait
atteint l'âge de 16 ans révolus.

Le premier juge a retenu que la femme accusait un déficit de 1'600 fr.,
tandis que le mari avait un bénéfice de 900 fr.; il a dès lors condamné
celui-ci à servir à celle-là pendant quatre ans une pension équivalente au
solde disponible.

Statuant sur l'appel principal de la demanderesse et l'appel joint du
défendeur, la Cour civile du Tribunal cantonal du canton du Jura a, le 14
novembre 2002, confirmé le jugement attaqué.

C.
Agissant par la voie du recours en réforme au Tribunal fédéral, la
demanderesse conclut, à titre principal, à l'annulation de cet arrêt ainsi
qu'au renvoi de la cause à l'autorité cantonale pour nouvelle décision dans
le sens des considérants et, à titre subsidiaire, à la condamnation du
défendeur à verser pour l'entretien de l'enfant, allocations familiales en
sus, une pension de 1'740 fr. par mois jusqu'à ce qu'elle ait acquis une
formation lui permettant d'assumer son entretien et pour son propre entretien
une pension de 1'600 fr. par mois. Elle reproche à la cour cantonale de
n'avoir pas pris en considération les «bonus» octroyés au défendeur dans le
calcul des contributions alimentaires.

Le défendeur propose le rejet du recours et la confirmation de l'arrêt
attaqué.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Aux termes de l'art. 57 al. 5 OJ, il est sursis en règle générale à l'arrêt
sur le recours en réforme jusqu'à droit connu sur le recours de droit public.
Toutefois, la jurisprudence déroge à ce principe notamment lorsque le recours
en réforme doit être accueilli même sur la base des constatations de fait de
l'autorité cantonale, critiquées dans le recours de droit public (ATF 122 I
81 consid. 1 p. 82/83; 117 II 630 consid. 1a p. 631 et les arrêts cités). Tel
est le cas en l'espèce.

2.
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité du recours
qui lui est soumis (ATF 128 II 311 consid. 1 p. 315 et les arrêts cités).

2.1 La décision entreprise tranche une contestation civile portant sur des
droits de nature pécuniaire (cf. ATF 116 II 493 et les arrêts cités), dont la
valeur atteint 8'000 fr. (art. 46 OJ). Interjeté en temps utile contre une
décision finale rendue en dernière instance par le tribunal suprême du
canton, le recours est également recevable sous l'angle des art. 48 al. 1 et
54 al. 1 OJ.

2.2 Dans la mesure où la demanderesse complète l'état de fait de l'arrêt
attaqué sans se prévaloir pour autant de l'une des exceptions légales (art.
63 al. 2 et 64 OJ), son recours est irrecevable (ATF 127 III 248 consid. 2c
p. 252).

2.3 Le présent litige porte sur la quotité de la contribution d'entretien en
faveur de la demanderesse et de sa fille. Devant la juridiction précédente,
celle-là avait conclu au versement pour elle-même d'une contribution
mensuelle de 2'000 fr. jusqu'à ce que l'enfant ait atteint 10 ans, puis de
1'600 fr. jusqu'à ce qu'elle ait atteint 16 ans. En tant qu'elle conclut en
instance de réforme au paiement d'aliments sans limitation de temps, ce chef
de conclusions apparaît irrecevable à un double titre: d'une part -
contrairement à ce qui vaut pour la pension due à l'enfant mineur (cf. ATF 82
II 470) -, il est nouveau, car amplifié (art. 55 al. 1 let. b OJ; Poudret,
COJ II, n. 1.4.3 let. d ad art. 55 OJ); d'autre part, il ne comporte aucune
réfutation des motifs de la décision attaquée (art. 55 al. 1 let. c OJ; ATF
127 III 481 consid. 2c/cc p. 491 et la jurisprudence citée).

De plus, les conclusions subsidiaires de la demanderesse tendent au versement
en sa faveur d'une contribution d'entretien de «Fr.1'600.-» par mois (art. 55
al. 1 let. b OJ), alors qu'elle réclame un montant de «Fr. 1'800.-» dans les
motifs à l'appui de ces conclusions (art. 55 al. 1 let. c OJ). Vu l'issue du
recours, il est superflu d'examiner si - comme l'affirme le défendeur - les
prétentions chiffrées dans les conclusions sont décisives. Il suffit de
relever que celles-ci sont nouvelles, partant irrecevables, dans la mesure où
elles visent la période postérieure au dixième anniversaire de l'enfant (cf.
alinéa précédent).

3.
3.1 L'autorité cantonale a retenu que le défendeur, dont le revenu net s'élève
à environ 9'100 fr. par mois, avait été gratifié d'un «bonus» de 42'747 fr.
pour l'exercice 2000 et de 30'000 fr. pour l'exercice 2001. A la suite du
juge de première instance, elle a néanmoins fait abstraction de ces montants
dans l'évaluation du gain déterminant pour fixer les pensions, en
considérant, sur la base de l'attestation de salaire et des renseignements
obtenus auprès de la direction du personnel, que «le bonus [...] ne constitue
pas un "revenu" touché en espèces, même s'il est imposable fiscalement», mais
qu'il s'agit de «prestations octroyées par l'employeur à ses employés sous la
forme de distribution d'actions de collaborateurs ou d'options à un prix
déterminé pour l'employé»; la remise de ce type d'actions «représente une
prestation appréciable en argent de la part de l'employeur et, du moment
qu'elle est fondée sur les rapports de service, elle constitue un revenu
imposable provenant d'une activité à but lucratif ou acquis en compensation».

3.2 La demanderesse se plaint d'une violation des art. 125 al. 2 ch. 5 et 285
al. 1 CC. Elle fait valoir, en bref, que les «bonus» accordés par l'employeur
devaient être inclus dans le salaire du défendeur, dont ils représentent une
part appréciable, même s'ils ne sont pas versés en espèces, car ces
prestations ont une valeur susceptible d'estimation pécuniaire; une telle
solution s'imposait d'autant plus ici qu'elle aurait permis de combler le
déficit de l'épouse (1'600 fr.). Les revenus du défendeur doivent donc être
arrêtés à 11'600 fr. par mois (= 9'100 + 2'500 [bonus mensualisé]), et les
contributions d'entretien augmentées en conséquence.

3.3 Selon l'art. 125 al. 1 CC, si l'on ne peut raisonnablement attendre d'un
époux qu'il pourvoie lui-même à son entretien convenable, y compris à la
constitution d'une prévoyance vieillesse appropriée, son conjoint lui doit
une contribution équitable (cf. à ce sujet: ATF 129 III 7 consid. 3.1 p. 8;
127 III 136 consid. 2a p. 138/139); pour en fixer le montant et la durée, le
juge doit tenir compte, entre autres éléments, des revenus et de la fortune
des époux (al. 2 ch. 5). Pour la pension de l'enfant, l'art. 285 al. 1 CC
prévoit, quant à lui, que la contribution d'entretien doit correspondre
notamment aux ressources des père et mère (cf. à ce sujet: ATF 116 II 110
consid. 3a p. 112/113).

3.3.1 A moins qu'il ne donne naissance qu'à une expectative (cf. von Planta,
Les plans d'intéressement - Aspects du droit commercial, in Les plans
d'intéressement - Stock Option Plans, Publication CEDIDAC n° 45, Lausanne
2001, p. 41 ss, 47), le «bonus» octroyé sous forme d'actions fait partie du
salaire (cf. sur cette question: Wyler, Droit du travail, Berne 2002, p. 116
in fine et 615/616; Vögeli Galli/Hehli Hidber, Bonuszahlungen: Möglichkeiten
und Risiken, in RSJ 2001 p. 445 ss); il est imposable fiscalement (cf. arrêt
2A.360/2001 du 25 janvier 2002, in StR 2002 p. 317 ss et les références
citées), et soumis à cotisations sociales (art. 7 let. c RAVS [RS 831.101];
cf. ATF 102 V 152 consid. 2 p. 154/155). Que l'employeur ne s'en acquitte pas
en espèces n'est pas décisif, la participation au résultat de l'exploitation
(art. 322a CO; Tercier, Les contrats spéciaux, 3e éd., Zurich 2003, n. 3132)
ou la gratification (art. 322d CO; Delbrück, Die Gratifikation im
schweizerischen Einzelarbeitsvertrag, Zurich 1981, p. 4) pouvant être
stipulée en nature, en l'occurrence par la remise d'actions (d'une part:
Wyler, op. cit., p. 116 in fine; d'autre part: Vögeli Galli/Hehli Hidber, op.
cit., p. 446); or, une telle prestation tombe sous le coup des art. 125 al. 2
ch. 5 et 285 al. 1 CC, l'application de ces dispositions n'étant pas limitée
à la rétribution en numéraire (cf. Bräm, Zürcher Kommentar, n. 73 ad art. 163
CC, Hausheer/Spycher, in Handbuch des Unterhaltsrechts, Berne 1997, n°
01.30).

3.3.2 La capacité contributive du débiteur d'aliments dépend, au premier
chef, des ressources dont il dispose effectivement (Schwenzer, in
Praxiskommentar Scheidungsrecht, n. 14 ad art. 125 CC). Dans le cas présent,
les constatations de l'autorité cantonale sont insuffisantes pour résoudre ce
point.
L'arrêt entrepris semble, de prime abord, contradictoire en tant qu'il
chiffre en numéraire les «bonus» alloués au défendeur (42'747 fr. pour
l'exercice 2000 et 30'000 fr. pour l'exercice 2001), tout en constatant que
ces avantages n'ont pas été «touchés en espèces»; toutefois, on ignore si, à
défaut de constituer le produit de la réalisation des actions, ces montants
correspondent à leur valeur vénale ou à leur valeur nominale. La décision
attaquée apparaît également imprécise quant aux prérogatives que les «bonus»
confèrent au défendeur; on ne peut déterminer si l'intéressé ne s'est vu
accorder qu'une simple faculté d'acquérir ou de vendre des actions à
concurrence de la valeur des «bonus» (cf. Wyler, op. cit., p. 620; Helbling,
Mitarbeiteraktien und Mitarbeiteroptionen in der Schweiz, thèse Zurich 1998,
p. 112 ss), ou s'il est au contraire devenu immédiatement propriétaire des
titres, avec la possibilité d'en disposer librement, ou seulement après
l'expiration d'un délai de blocage (cf. Helbling, op. cit., p. 162 ss). Il
appartiendra encore à la cour cantonale de rechercher les raisons -
éventuellement conjoncturelles - pour lesquelles le défendeur n'aurait pas
exercé l'option ou réalisé les actions (cf. Hausheer/Spycher, op. cit., n°
01.74 et la jurisprudence citée; pour le gain hypothétique: ATF 128 III 4).
Enfin, elle devra examiner si l'allocation de «bonus» sous forme d'actions ou
d'options constitue une modalité de rémunération (partielle) régulière du
défendeur et, si tel n'est pas le cas, dans quelle mesure cette prestation
pourrait être prise en compte dans la fortune de son bénéficiaire et mise à
contribution pour payer les aliments (cf. à ce sujet: ATF 129 III 7;
Schwenzer, op. cit., n. 22 ad art. 125 CC; Hegnauer, Berner Kommentar, n. 54
ad art. 285 CC; Geiser, Neuere Tendenzen in der Rechtsprechung zu den
familienrechtlichen Unterhaltspflichten, in AJP 1993 p. 903 ss, 904 ch. 2.5
et les références citées par ces auteurs).

4.
Bien qu'il n'ait pas formé de recours joint (art. 59 al. 2 OJ), mais conclu
simplement au rejet du recours, le défendeur conteste sur plusieurs points
l'arrêt entrepris; un tel procédé est admissible (ATF 123 III 261 consid. 2
p. 263; 122 I 253 consid. 6c p. 255 [pour le recours de droit public]). Ces
griefs ne peuvent, toutefois, se fonder que sur les faits constatés
souverainement par l'autorité cantonale (art. 55 al. 1 let. c et 63 al. 2
OJ), même lorsque la maxime d'office est applicable (ATF 120 II 229 consid.
1c p. 231/232 et les références), ce qui est le cas pour la fixation de la
contribution à l'entretien de l'enfant mineur (ATF 128 III 411 consid. 3.1 p.
412 et les références)

Le défendeur ne respecte pas cette exigence lorsqu'il veut démontrer le
faible «impact du bonus» en se référant à des pièces nouvelles, par surcroît
postérieures à la décision entreprise (i.e. certificat de salaire pour la
déclaration d'impôt du 7 février 2003 et attestation bancaire du 5 février
2003), ou qu'il affirme subvenir «fréquemment» en nature aux besoins de
l'enfant lors de l'exercice du droit de visite («vêtements ou autres éléments
liés aux soins et à l'éducation de sa fille»). En outre, ses critiques sont
irrecevables dans la mesure où elles portent sur la quotité du gain
hypothétique imputé à la demanderesse (ATF 126 III 10 consid. 2b p. 12).
Elles le sont également, faute de motivation suffisante (art. 55 al. 1 let. c
OJ; cf. ATF 128 III 4 consid. 4c/aa p. 7 [pour le recours de droit public]),
en tant qu'elles concernent l'amortissement de la dette à l'égard de son père
et les frais de voiture, les motifs de la cour cantonale n'étant nullement
réfutés (ATF 127 III 481 consid. 2c/cc p. 491). Quant à l'argumentation
relative à sa capacité contributive (en particulier le «taux excessif» [15%]
retenu par les autorités cantonales et l'application des «tables
zurichoises»), elle n'aurait une quelconque pertinence que si ses facultés
avaient été correctement appréciées; or, cet aspect mérite précisément des
éclaircissements (supra, 3.3.2).

Néanmoins, le défendeur a raison de reprocher à l'autorité cantonale d'avoir
calculé dans les charges de la demanderesse l'intégralité du loyer. Selon la
jurisprudence, la part du loyer comprise dans l'entretien représente, par
enfant, environ 20% de la contribution globale (arrêt 5C.119/1991 du 3 mars
1992, in SJ 1992 p. 381 consid. 3b; critique: Perrin, La méthode du minimum
vital, in SJ 1993 p. 425 ss, 435). Vu la modicité du loyer (760 fr. par
mois), une correction tenant compte de la part personnelle de l'intéressée à
la charge locative n'entraînerait pas de changement notable et, de toute
évidence, ne comblerait pas son déficit.

5.
Vu l'issue de la procédure, les frais et dépens doivent être supportés par le
défendeur, qui succombe (art. 156 al. 1 et 159 al. 1 OJ; ATF 119 Ia 1 consid.
6b p. 3).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est admis dans la mesure où il est recevable, l'arrêt attaqué est
annulé et la cause est renvoyée à l'autorité cantonale pour nouvelle décision
dans le sens des considérants.

2.
Un émolument judiciaire de 2'000 fr. est mis à la charge du défendeur.

3.
Le défendeur versera à la demanderesse une indemnité de 2'000 fr. à titre de
dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la
Cour civile du Tribunal cantonal du canton du Jura.

Lausanne, le 4 avril 2003

Au nom de la IIe Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le Président:  Le Greffier: