Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

II. Zivilabteilung 5C.156/2003
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5C.156/2003 /frs

Arrêt du 23 octobre 2003
IIe Cour civile

MM. les Juges Raselli, Président,
Meyer et Marazzi.
Greffier : M. Abrecht.

A. ________,
demandeur et recourant, représenté par Me Didier Bottge, avocat, rue Bellot
1, 1206 Genève,

contre

1. SA du Journal de Genève et de la Gazette de Lausanne, av. Giuseppe-Motta
50, 1202 Genève,
2. Le Temps SA, av. Giuseppe-Motta 50, 1202 Genève,
défenderesses et intimées,
toutes les deux représentées par Me Shelby du Pasquier, avocat, Grand'Rue 25,
1211 Genève 11.

protection de la personnalité; dommages-intérêts,

recours en réforme contre l'arrêt de la Chambre civile de la Cour de justice
du canton de Genève du 16 mai 2003.

Faits :

A.
Né en 1953, A.________ a commis avec F.________ et B.________, durant les
années 1978 et 1979, plusieurs attaques à main armée pour un butin de l'ordre
de 2 millions de francs, dont 1,5 million de francs en argent liquide
provenant d'offices postaux et de banques. Le 6 décembre 1985, le Tribunal
criminel de la Sarine l'a condamné à 12 ans de réclusion, tandis que
F.________ était condamné à 14 ans de réclusion et B.________ à 10 ans de
réclusion. A l'époque, l'affaire avait largement défrayé la chronique, les
trois malfaiteurs étant désignés par la presse comme la "bande à F.________"
ou comme le "trio infernal".

B.
A.________ a réussi à obtenir durant l'exécution de sa peine une formation en
informatique. De 1989 à 1991, il a travaillé, au bénéfice d'un régime de
liberté surveillée, en tant que responsable technique de la société
S.________. De 1991 à 1995, il a travaillé au sein de la société O.________
comme spécialiste en informatique. Après un mariage qui s'est soldé par un
divorce en 1993, A.________ a rencontré C.________, qui est devenue sa
compagne en 1994 et son épouse en 2001. Après son départ de chez O.________,
il a connu une période de deux ans et demi de chômage avant de trouver un
emploi de responsable informatique chez P.________, une société du groupe
américain K.________, grâce à C.________, responsable de formation dans cette
société. Selon le contrat de travail du 24 septembre 1997, le salaire annuel
brut de A.________ était de 110'500 fr.

C.
Le 19 janvier 1998 s'est ouvert devant le Tribunal criminel de Morges le
procès de B.________, qui avait été arrêté dans l'intervalle pour
l'enlèvement manqué d'un industriel vaudois. A cette occasion, le "Journal de
Genève et Gazette de Lausanne" a publié le 20 janvier 1998, sous la plume de
X.________, un article rappelant notamment l'épopée de la "bande à
F.________" et citant nommément A.________.
Le 30 janvier 1998, A.________ a été convoqué dans le bureau du directeur
financier de la société K.________, M.________. Au cours de cet entretien, ce
dernier l'a informé du fait que K.________ avait pris connaissance de
l'article précité et lui a dit : "Malheureusement, votre passé vous a
rattrapé". Bien que K.________ n'ait pas, ni à ce moment ni ultérieurement,
licencié A.________, celui-ci a eu l'impression d'être poussé à la démission;
il a quitté les locaux et n'a plus repris son activité salariée.
Quelques jours après cet entretien, A.________ a été admis en urgence à la
clinique La Métairie à Nyon, souffrant de dépression profonde et manifestant
des troubles de l'adaptation avec des envies d'agressivité, tant à son égard
qu'à l'égard d'autrui. Depuis lors, il souffre d'un trouble dépressif majeur
avec caractéristiques psychotiques non congruentes à l'humeur. En juillet
1999, l'Office AI du canton de Neuchâtel a octroyé à A.________ une rente
entière simple d'invalidité, l'intéressé ayant été considéré comme invalide à
100%.

D.
Le 19 janvier 1999, A.________ a saisi le Tribunal de première instance du
canton de Genève d'une demande tendant à ce que la Société anonyme du Journal
de Genève et de la Gazette de Lausanne (ci-après : la SAJGGL) ainsi que Le
Temps SA soient condamnés, conjointement et solidairement, à lui verser une
réparation économique et morale qu'il chiffrait. Les sociétés assignées ont
conclu au déboutement.
Le Tribunal a ordonné des enquêtes et une expertise psychiatrique, dont il
est résulté notamment ce qui suit :
• Entendue comme témoin, le Dr Y.________, psychiatre de A.________, a
indiqué que l'ampleur de la décompensation psychique présentée par ce dernier
était en lien manifeste avec les efforts qu'il avait dû consentir dans le
passé pour se réinsérer socialement. Elle a exposé que son client était animé
d'un sentiment de persécution, précisant que ce qui l'avait fait basculer
dans cet état dépressif était le fait qu'il avait perdu son emploi dans les
circonstances décrites.
• X.________, le journaliste auteur de l'article litigieux, a affirmé avoir
rédigé cet article sans volonté de nuire, tout en admettant avoir hésité au
moment de la rédaction à mentionner en toutes lettre le nom de A.________. Il
a indiqué avoir soumis son article au comité de rédaction du "Journal de
Genève" avant sa parution, et a précisé n'avoir pas reçu de directives du
"Journal de Genève" sur la façon de citer les personnes impliquées dans des
affaires pénales, ni s'agissant des personnes condamnées par le passé et
mentionnées dans des articles postérieurs à leur condamnation.
• M.________, directeur financier de K.________, a indiqué que la société
n'était pas au courant du passé carcéral de son employé lors de son
engagement, mais que ce dernier lui en avait parlé vers la fin 1997. Ce
n'était toutefois qu'ensuite de la parution de l'article du 20 janvier 1998
qu'il avait mesuré l'importance des activités passées de A.________ ainsi que
son appartenance à la "bande à F.________".
• C.________, responsable de formation chez K.________ et épouse de
A.________, a indiqué que ce dernier n'avait pas été licencié formellement
par son employeur, mais qu'il lui aurait été dit "tirez-en les conclusions
vous-même". Elle a précisé avoir appris entre le 20 et le 30 janvier 1998 que
la direction craignait que l'affaire soit portée à la connaissance du siège
de la direction aux États-Unis, car la procédure d'engagement habituelle
(avec production d'un extrait du casier judiciaire) n'avait pas été
respectée.
• Le Dr Z.________, auquel une expertise psychiatrique de A.________ a été
confiée par le Tribunal, a conclu dans son rapport que l'état de santé de
l'intéressé était clairement en relation de causalité avec la publication de
l'article du "Journal de Genève" et les réactions de son entourage
professionnel. Tant la parution de l'article litigieux que les événements
survenus dans le cadre de son emploi, notamment son entretien avec M.________
le 30 janvier 1998, avaient eu une influence certaine sur l'état de santé de
A.________, qui n'avait pas d'antécédents psychiatriques et avait accepté son
passé carcéral.

E.
Par jugement notifié le 26 juin 2002, le Tribunal de première instance a mis
hors de cause Le Temps SA et a condamné la SAJGGL à verser à A.________ les
sommes de 85'566 fr. 90 avec intérêts à 5% l'an dès le 1er mars 2001 (perte
de salaire du 1er janvier 2000 au 30 juin 2002, après imputation des
différentes rentes perçues), 450'608 fr. 30 avec intérêts à 5% l'an dès le
1er juin 2002 (perte de salaire future après imputation des rentes), 20'000
fr. avec intérêts à 5% l'an dès le 20 janvier 1998 (tort moral) et 21'967 fr.
10 (frais médicaux non remboursés par les assurances). La SAJGGL a en outre
été condamnée au paiement de 60% des dépens de l'instance.

F.
La SAJGGL a fait appel de ce jugement devant la Cour de justice du canton de
Genève, en concluant au rejet de la demande. Dans le délai imparti pour
présenter sa réponse, A.________ a formé appel incident dirigé à la fois
contre la SAJGGL et contre Le Temps SA, en priant la Cour d'augmenter
certaines sommes allouées et de prévoir qu'elles devraient être payées
conjointement et solidairement par la SAJGGL et par Le Temps SA.
Statuant par arrêt du 16 mai 2003, la Chambre civile de la Cour de justice a
annulé le jugement de première instance. Statuant à nouveau, elle a condamné
la SAJGGL et Le Temps SA, solidairement entre elles (en application de l'art.
181 al. 2 CO), à payer à A.________ les sommes de 30'766 fr. 15 avec intérêts
à 5% l'an dès le 1er janvier 2001 (perte de salaire du 1er janvier au 31
décembre 2000, après imputation des rentes perçues cette année-là), 13'176
fr. 10 avec intérêts à 5% l'an dès le 15 juin 1999 (frais médicaux non
remboursés par les assurances jusqu'au 31 décembre 2000) et 40'000 fr. avec
intérêts à 5% l'an dès le 20 janvier 1998 (tort moral), les dépens de
première instance et d'appel étant compensés.

G.
La motivation en droit de cet arrêt, dans ce qu'elle a d'utile à retenir pour
l'examen du recours, est en substance la suivante:
G.aSelon les constatations de fait de l'expert judiciaire, l'état de santé
dépressif de A.________ est en relation de causalité à la fois avec la
publication de l'article du "Journal de Genève" et les réactions subséquentes
de son entourage professionnel. Il s'agit donc de savoir si, juridiquement,
ces faits peuvent fonder la responsabilité des sociétés défenderesses au
regard des art. 41 CO et 28 ss CC.

G.b Sur le plan de l'illicéité de l'atteinte (art. 28 CC), il est manifeste
que l'article publié dans le "Journal de Genève" du 20 janvier 1998,
mentionnant expressément le nom de A.________, porte atteinte à l'honneur et
au droit au maintien de sa sphère privée; l'évocation d'une condamnation à
une longue peine de réclusion remontant à des années est en effet propre à
produire un tel effet (ATF 122 III 449). Cette atteinte n'était pas justifiée
par un intérêt prépondérant, en particulier celui du public à être informé,
puisqu'il se rapportait à l'ouverture du procès de B.________ pour une
tentative d'enlèvement, et qu'il était alors certain que A.________ n'avait
aucun lien avec ce crime.

G.c Il y a en outre lieu de retenir l'existence d'une faute à la charge des
organes responsables de la SAJGGL. En effet, X.________ (et, partant, le
"Journal de Genève" qui a publié l'article) a fait preuve d'une grande
légèreté en ne s'inquiétant pas des conséquences éventuelles de la citation
du nom de A.________, et en ne prenant aucune des précautions élémentaires
qui s'imposaient, comme par exemple vérifier ce que A.________ était devenu
ou encore prendre contact avec lui pour s'assurer de son consentement. Ces
précautions s'imposaient d'autant plus que l'article a été publié en relation
avec le procès de B.________ pour des infractions qui ne concernaient
aucunement A.________, ni la "bande à F.________", et que sa publication est
intervenue plus de 12 ans après la condamnation de A.________, soit au terme
d'un laps de temps qui, selon l'expérience générale de la vie, est suffisant
pour que le public moyen ait oublié les détails des affaires liées à la
"bande à F.________".

G.d S'agissant du lien de causalité naturelle, l'expert judiciaire a estimé
que l'état de santé déficient de A.________ était en relation de causalité à
la fois avec la publication de l'article du "Journal de Genève" et avec les
réactions de son entourage professionnel, soit une conjonction de deux
facteurs. S'il est bien certain que l'attitude de M.________, supérieur
hiérarchique de A.________ qui lui a dit, journal en main, que son passé
l'avait rattrapé, est également causale dans la survenance de l'événement
dommageable, cette circonstance de fait ne rompt pas le lien de causalité
entre une nouvelle révélation du passé par voie de presse et le préjudice
subi. En effet, ce n'est pas l'entourage professionnel de A.________ qui a
violé le droit à l'oubli, mais bien le journaliste qui a révélé au grand
public et à l'entourage professionnel de A.________ d'autres faits passés,
sans relation avec le procès dont il devait faire le compte-rendu, faits
alors inconnus des supérieurs hiérarchiques de A.________.

G.e Il existe par ailleurs un lien de causalité adéquat entre la parution de
l'article litigieux et l'atteinte psychique subie par A.________ au moment de
la parution de cet article.

G.e .aL'expert judiciaire a défini comme suit l'atteinte subie par A.________
:
"Ce moment, lors de l'annonce, a été vécu comme un moment de déréalisation
intense à l'origine d'une profonde angoisse, puis d'un effondrement
dépressif. En d'autres mots, c'est comme si la vie s'arrêtait d'un coup. Ce
type de réaction, que l'on peut pour certains aspects comparer à un état de
stress post-traumatique aigu, peut se produire chez des personnes totalement
normales sur le plan psychique."
S'agissant du stress post-traumatique (qui ne représente qu'un des aspects de
l'atteinte), la jurisprudence du Tribunal fédéral des assurances en matière
d'assurance-accidents rappelle que le principe d'égalité de traitement et
l'exigence de la sécurité du droit nécessitent que l'on recoure à des
critères objectifs pour trancher la question de l'existence d'une relation de
causalité adéquate entre l'accident et l'incapacité de travail (ou de gain)
d'origine psychique. Aussi, suivant la manière dont ils se sont déroulés, les
accidents peuvent-ils être classés en trois catégories : les accidents
insignifiants ou de peu de gravité, les accidents graves et les accidents de
gravité moyenne (ATF 115 V 403 consid. 5). Lorsque l'accident est
insignifiant ou de peu de gravité (par exemple chute banale), l'existence
d'un lien de causalité adéquate entre cet événement et d'éventuels troubles
psychiques peut être d'emblée niée (ATF 115 V 403 consid. 5a). Lorsque
l'assuré est victime d'un accident grave, il y a lieu de considérer comme
établie l'existence d'une relation de causalité adéquate entre cet événement
et l'incapacité de travail (ou de gain) d'origine psychique (ATF 115 V 403
consid. 5b).
En présence d'accidents de gravité moyenne (qui ne peuvent être classés dans
l'une ou l'autre des catégories décrites ci-dessus), il faut prendre en
considération l'ensemble des circonstances qui sont en connexité étroite avec
l'accident ou qui apparaissent comme des effets directs ou indirects de
celui-ci, dans la mesure où, d'après le cours ordinaire des choses et
l'expérience de la vie, elles sont de nature, en liaison avec l'accident, à
entraîner ou à aggraver une incapacité de travail (ou de gain) d'origine
psychique. Les critères les plus importants sont les suivants (ATF 115 V 403
consid. 5c/aa) :
• les circonstances concomitantes particulièrement dramatiques ou le
caractère particulièrement impressionnant de l'accident;
• la gravité ou la nature particulière des lésions physiques, compte tenu
notamment du fait qu'elles sont propres, selon l'expérience, à entraîner des
troubles psychiques;
• la durée anormalement longue du traitement médical;
• les douleurs physiques persistantes;
• les erreurs dans le traitement médical entraînant une aggravation notable
des séquelles de l'accident;
• les difficultés apparues au cours de la guérison et les complications
importantes;
• enfin, le degré et la durée de l'incapacité de travail due aux lésions
physiques.
Le caractère adéquat du lien de causalité suppose par principe que
l'événement accidentel ait eu une importance déterminante dans le
déclenchement des troubles psychiques. Si tel n'est pas le cas, des troubles
psychiques suffisamment importants pour entraîner une incapacité de travail
totale ou partielle durant une période relativement longue n'apparaissent
plus en relation de causalité adéquate avec l'accident (ATF 115 V 403 consid.
6).

G.e .bEn l'espèce, au vu des efforts consentis par A.________ pour se
réinsérer socialement et le succès, obtenu et concrétisé avant tout par son
activité professionnelle salariée au sein de K.________, il était
objectivement prévisible que la publication d'un article rappelant son
appartenance à une bande de malfaiteurs en le nommant expressément ait le
résultat constaté par l'expert. A.________ était regardé avec considération
par son employeur, qui avait toute confiance en lui. Le fait que cet
employeur ait appris son appartenance à la "bande à F.________" était
manifestement propre à ruiner, ou du moins à ébranler sérieusement, le lien
de confiance inhérent à la relation de travail, de sorte que la réaction de
la victime est en relation de causalité adéquate avec les événements.

G.e .cIl reste à savoir si la totalité de l'incapacité de travail alléguée
par A.________ demeure en relation de causalité adéquate avec la parution de
l'article litigieux. Sur ce point, la cour cantonale s'est exprimée comme
suit:
"6.2 S'agissant de la causalité adéquate entre le stress psychique et
l'atteinte à la personnalité résultant de l'événement subi par A.________
dans les bureaux de son employeur, la Cour ne peut pas qualifier de graves
les faits survenus, qui ne sortaient pas de la nature habituelle des
péripéties de la vie professionnelle, sans cependant être anodins.
Des conditions mises par la jurisprudence pour considérer le stress
post-traumatique comme adéquatement causal, seule la longue durée du
traitement médical peut être retenue.
A cet égard, il sera rappelé que l'événement dommageable a eu lieu le 30
janvier 1998 et que quelques jours plus tard, A.________ a été hospitalisé,
souffrant de dépression profonde.

Il a encore été hospitalisé à 3 reprises et prend des antidépresseurs et des
tranquillisants mineurs depuis sa premières hospitalisation.

A l'avis de la Cour, on ne peut plus juridiquement retenir qu'à partir du 31
décembre 2000, cette atteinte psychique soit encore en relation de causalité
adéquate avec la révélation fautive et illicite de son passé criminel (seul
objet du présent litige, puisque la responsabilité de l'employeur fait
l'objet d'un autre procès).

A cet égard, la Cour se réfère à la jurisprudence récente du Tribunal fédéral
des assurances, qui dénie toute causalité adéquate de la très longue
incapacité de travail subie par une personne, alors qu'elle a été victime
d'une attaquée à main armée durant laquelle l'agresseur avait dirigé l'arme
contre elle, doigt sur la détente (ATFA du 19 décembre 2002, cause U 412/99
[entre-temps publié aux ATF 129 V 177])."
G.fEn l'occurrence, il n'est pas contesté que A.________ a perçu la totalité
de son salaire entre le 30 janvier 1998 et le 31 décembre 1999. Compte tenu
du salaire annuel correctement fixé par le premier juge pour l'an 2000
(122'513 fr. 35) et après imputation des rentes perçues cette année-là
(91'747 fr.), A.________ reste encore créancier du solde de 30'766 fr. avec
intérêt à 5% l'an dès le 1er janvier 2001. Les frais de guérison doivent eux
aussi être pris en compte jusqu'au 31 décembre 2000 seulement, soit à
concurrence de 13'176 fr. 10, avec intérêt à 5% l'an dès la date moyenne du
15 juin 1999.
Il convient en outre d'allouer à A.________ une indemnité de 40'000 fr. à
titre de réparation du tort moral en application de l'art. 49 CO. En effet,
la révélation fautive et illicite du passé pénal de A.________ a eu pour
conséquence de mettre à néant ses efforts de resocialisation, portant une
atteinte irréparable à la nouvelle vie qu'il s'était entre-temps aménagée.
Cette révélation a constitué subjectivement une punition supplémentaire
injustifiée, et sa psyché a été profondément atteinte, ce qui a nécessité
plusieurs hospitalisations et un traitement médical spécifique.

H.
Parallèlement à un recours de droit public qui a été rejeté par arrêt séparé
de ce jour, A.________ interjette un recours en réforme au Tribunal fédéral.
Il conclut principalement à la réforme de l'arrêt de la Cour de justice en ce
sens que les intimées soient condamnées, solidairement entre elles, à lui
verser les sommes de 85'566 fr. 90 avec intérêts à 5% l'an dès le 1er mars
2001 (perte de salaire du 1er janvier 2000 au 30 juin 2002, après imputation
des différentes rentes perçues), 450'608 fr. 30 avec intérêts à 5% l'an dès
le 1er juin 2002 (perte de salaire future après imputation des rentes),
40'000 fr. avec intérêts à 5% l'an dès le 20 janvier 1998 (tort moral) et
27'033 fr. (frais médicaux non remboursés par les assurances). A titre
subsidiaire, il conclut à l'annulation de l'arrêt attaqué et au renvoi de la
cause à la cour cantonale pour nouvelle décision dans le sens des
considérants.
Il n'a pas été demandé de réponse au recours en réforme.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
L'arrêt attaqué tranche une contestation civile portant sur des droits de
nature pécuniaire, et les droits contestés dans la dernière instance
cantonale atteignent manifestement une valeur d'au moins 8'000 fr. Formé en
temps utile contre une décision finale prise par un tribunal suprême d'un
canton et qui ne peut pas être l'objet d'un recours ordinaire de droit
cantonal, le recours en réforme est donc recevable au regard des art. 46, 48
al. 1 et 54 al. 1 OJ.

2.
Le recourant reproche aux juges cantonaux d'avoir méconnu la notion de
causalité adéquate en considérant qu'on ne pouvait plus juridiquement retenir
qu'à partir du 31 décembre 2000, l'atteinte psychique subie par le recourant
soit encore en relation de causalité adéquate avec la révélation fautive et
illicite de son passé criminel. La cour cantonale se serait fourvoyée en se
référant aux critères développés par la jurisprudence du Tribunal fédéral des
assurances en relation avec les accidents ayant entraîné une lésion physique
et des suites psychiques secondaires (cf. lettre G.e.a supra). En effet, le
Tribunal fédéral des assurances a jugé qu'en cas d'événement traumatisant
sans atteinte physique, ces critères ne sont pas adaptés, le caractère
adéquat de la causalité devant alors être examiné au regard des critères
généraux du cours ordinaire des choses et de l'expérience générale de la vie
(ATF 129 V 177 consid. 4.2).
Selon le recourant, ce serait par ailleurs à mauvais escient que la cour
cantonale s'est référée, pour admettre la cessation de la causalité adéquate
au 31 décembre 2000, à l'arrêt du Tribunal fédéral des assurances dans la
cause U 412/99, entre-temps publié aux ATF 129 V 177 (cf. lettre G.e.c
supra). En effet, dans l'affaire qui a donné lieu à cet arrêt, l'expert
médical avait conclu que le rapport de causalité avait cessé d'exister à une
date qu'il était possible d'arrêter. Or tel ne serait pas le cas en l'espèce,
où la cour cantonale, tout en admettant que la révélation fautive et illicite
du passé pénal du recourant avait porté une atteinte irréparable à la
nouvelle vie qu'il s'était entre-temps aménagée (cf. lettre G.f supra), a
considéré de manière inexplicable qu'il n'y avait plus de lien de causalité
adéquate dès le 31 décembre 2000, date qui ne trouve aucun fondement dans les
faits de la cause.
Aux yeux du recourant, force serait d'admettre, en appliquant les critères
généraux du cours ordinaire des choses et de l'expérience générale de la vie,
que "lorsqu'un homme voit le fruit obtenu sur des longues années d'efforts
disparaître en un instant, (...) il peut être sérieusement perturbé sur le
plan psychologique et les séquelles peuvent se manifester jusqu'à la fin de
ses jours". Dès lors, l'existence d'un lien de causalité adéquate entre
l'atteinte à l'avenir économique du recourant et la révélation fautive de son
passé criminel serait patente, ce qui devrait conduire à lui allouer l'entier
de ses conclusions.

3.
3.1 Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, le rapport de causalité est
adéquat lorsque l'événement considéré était propre, d'après le cours
ordinaire des choses et l'expérience générale de la vie, à entraîner un
résultat du genre de celui qui s'est produit (ATF 129 II 312 consid. 3.3; 123
III 110 consid. 3a; 122 IV 17 consid. 2c/bb; 112 II 439 consid. 1d; cf. ATF
129 V 177 consid. 3.2). Pour savoir si un fait est la cause adéquate d'un
préjudice, le juge procède à un pronostic rétrospectif objectif : se plaçant
au terme de la chaîne des causes, il doit remonter du dommage dont la
réparation est demandée au chef de responsabilité invoqué et déterminer si,
dans le cours normal des choses et selon l'expérience générale de la vie
humaine, une telle conséquence demeure dans le champ raisonnable des
possibilités objectivement prévisibles; à cet égard, ce n'est pas la
prévisibilité subjective mais la prévisibilité objective du résultat qui
compte (ATF 119 Ib 334 consid. 5b; 112 II 439 consid. 1d; 101 II 69 consid.
3a).
L'exigence d'un rapport de causalité adéquate constitue une clause générale
et son existence doit être appréciée de cas en cas par le juge selon les
règles du droit et de l'équité, conformément à l'art. 4 CC; il s'agit de
déterminer si un dommage peut encore être équitablement imputé à l'auteur
d'un acte illicite ou à celui qui en répond en vertu d'un contrat ou de la
loi (ATF 123 III 110 consid. 3a et les références citées).

3.2 Tandis que la causalité naturelle relève des constatations de fait (ATF
123 III 110 consid. 2; 116 II 305 consid. 2c/ee; 115 II 440 consid. 5b; 113
II 52 consid. 2 p. 56; cf. ATF 129 V 177 consid. 3.1), dire s'il y a
causalité adéquate est une question de droit (ATF 123 III 110 consid. 2; 116
II 519 consid. 4a in fine). L'existence d'un rapport de causalité adéquate
doit être appréciée sous l'angle juridique; elle doit être tranchée par le
juge seul, et non par les experts médicaux (ATF 96 II 392 consid. 2 p. 397;
107 V 173 consid. 4b; Schmid, Natürliche und adäquate Kausalität im
Haftpflicht und Sozialversicherungsrecht, in Haftpflicht und
Versicherungsrechtstagung 1997, p. 183 ss, 191 s.; Murer/Kind/Binder,
Kriterien zur Beurteilung des adäquaten Kausalzusammenhanges bei
erlebnisreaktiven (psychogenen) Störungen nach Unfällen, in RSAS 1993 p. 121
ss et 213 ss, 214).

3.3 En ce qui concerne l'exigence d'un lien de causalité adéquate, l'autorité
cantonale s'est référée à la jurisprudence du Tribunal fédéral en matière
d'assurance sociale contre les accidents. Lorsqu'il s'agit de juger du lien
de causalité adéquate entre un accident (ayant entraîné une lésion physique)
et l'incapacité de travail ou de gain d'origine psychique déclenchée par
l'accident, le Tribunal fédéral des assurances a développé des règles
particulières fondées sur des critères objectifs (ATF 115 V 133 consid. 4-6,
403 consid. 5; cf. ATF 129 V 177 consid. 4.1). Il a toutefois précisé que ces
critères ne sont pas adaptés lorsque, comme en l'espèce, l'intéressé a vécu
un événement traumatisant sans subir d'atteinte physique; en pareil cas, le
caractère adéquat de la causalité doit être examiné au regard des critères
généraux du cours ordinaire des choses et de l'expérience générale de la vie
(ATF 129 V 177 consid. 4.2).
3.4 Le Tribunal fédéral des assurances a jugé qu'une incapacité de gain
d'origine psychique peut ne plus apparaître en relation de causalité adéquate
avec l'événement traumatisant dans la mesure où elle subsiste durant une
période relativement longue : en effet, si, d'après le cours ordinaire des
choses et l'expérience générale de la vie, le traumatisme psychique engendré
par l'événement en question devrait généralement être surmonté après un
certain temps, les troubles psychiques et l'incapacité de gain ne peuvent
plus être considérés comme résultant d'une manière adéquate, et dans une
certaine mesure "caractéristique", de l'événement considéré (ATF 129 V 177
consid. 4.3; cf. ATF 115 V 133 consid. 7, 403 consid. 6; cf. aussi Beretta,
Il problema del nesso causale adeguato nel campo delle turbe psichiche
postraumatiche, in RDAT I-1993 p. 537 ss, 551 s.).
Ainsi, dans le cas d'une gérante quinquagénaire d'un salon de jeux qui avait
été menacée avec une arme de poing lors d'une attaque à main armée, le
Tribunal fédéral des assurance a jugé qu'un tel événement n'était pas apte à
engendrer des troubles psychiques avec incapacité de gain durable; il était
certes propre à déclencher un traumatisme psychique, mais ce dernier devrait
normalement, selon l'expérience générale de la vie, être surmonté au bout de
quelques semaines ou mois. Dès lors, l'assureur-accidents était en tous les
cas fondé à mettre fin à ses prestations six ans après l'événement (ATF 129 V
177 consid. 4.3).

4.
4.1 Dans la présente espèce, la cour cantonale a estimé, en se référant à
l'ATF 129 V 177 précité, qu'un choc émotionnel tel que celui vécu par le
recourant n'était pas propre, sous l'angle de la causalité adéquate, à
entraîner une incapacité de gain permanente. Dans son principe, cette
considération procède d'une juste application de la notion de causalité
adéquate (cf. consid. 3.4 supra), dont aucun motif ne commande sur ce point
une application différenciée en droit de la responsabilité civile et en droit
des assurances sociales (cf. ATF 123 III 110 consid. 3b et 3c; 123 V 98
consid. 3d).

4.2 Concrètement, la cour cantonale a considéré — de manière certes quelque
peu implicite, mais suffisante pour que le recourant puisse attaquer cette
décision en connaissance de cause et que le Tribunal fédéral puisse contrôler
l'application du droit — qu'un choc émotionnel tel que celui vécu par le
recourant était propre à déclencher chez un homme de 45 ans un traumatisme
psychique entraînant une incapacité de gain complète pendant quelque trois
ans; au terme de cette période, l'expérience générale de la vie enseigne, aux
yeux des juges cantonaux, que le traumatisme devrait être surmonté, de sorte
que l'incapacité de gain d'origine psychique affectant le recourant ne peut
plus être considérée comme résultant d'une manière adéquate de la révélation
fautive et illicite de son passé criminel (cf. lettre G.e.c supra).
Dès lors que les intimées n'ont pas recouru au Tribunal fédéral et qu'une
reformatio in peius au détriment du recourant est exclue (art. 63 al. 1 OJ;
Poudret, Commentaire de la loi fédérale d'organisation judiciaire, vol. II,
1990, n. 2.2.4 ad art. 63 OJ), il s'agit uniquement, dans le cadre du présent
recours, d'examiner si la cour cantonale a violé le droit fédéral en niant
l'existence d'un lien de causalité adéquate au delà du 31 décembre 2000.

4.3 La violence du choc émotionnel vécu par le recourant, ensuite de la
révélation fautive et illicite de son passé criminel par le "Journal de
Genève et Gazette de Lausanne", doit sans conteste être mise en rapport avec
les efforts considérables que le recourant a dû accomplir en vue de sa
réinsertion après une longue incarcération. Cela étant, il n'apparaît pas que
l'appréciation faite par les juges cantonaux sur la base de l'expérience
générale de la vie procède d'un abus du pouvoir d'appréciation qui leur est
reconnu dans le cadre de l'art. 4 CC (cf. ATF 126 III 266 consid. 2b et les
arrêts cités). Il est en effet conforme à l'expérience générale de la vie de
dire que la réaction d'un homme de 45 ans qui, confronté à un tel choc
émotionnel, n'a pas surmonté le traumatisme psychique après trois ans —
période sur laquelle il est possible d'accomplir un travail
psychothérapeutique de fond — ne peut plus être considérée comme étant une
conséquence dans une certaine mesure "caractéristique" et donc adéquate de
l'événement déclencheur.
Même en admettant que l'événement vécu par le recourant est plus traumatisant
encore que celui qui a donné lieu à l'ATF 129 V 177 précité — où le Tribunal
fédéral des assurances a jugé que le traumatisme psychique vécu par une
quinquagénaire qui avait été menacée avec une arme de poing lors d'une
attaque à main armée devrait, selon l'expérience générale de la vie, être
surmonté au bout de quelques semaines ou mois (cf. consid. 3.4 supra) —, il
n'apparaît en tout cas pas contraire au droit fédéral de nier la persistance
d'un lien de causalité adéquate au delà d'une période de presque trois ans.
C'est en vain que le recourant cherche à s'appuyer avant tout sur le fait —
incontesté — que son incapacité de travail est toujours en lien de causalité
naturelle avec la révélation fautive de son passé criminel pour en déduire
qu'il faudrait nécessairement retenir aussi un lien de causalité adéquate
jusqu'à la fin de ses jours.

5.
Il résulte de ce qui précède que le recours doit être rejeté, aux frais de
son auteur (art. 156 al. 1 OJ). Il n'y a pas lieu d'allouer de dépens dès
lors que les intimées n'ont pas été invitées à procéder et n'ont en
conséquence pas assumé de frais en relation avec la procédure devant le
Tribunal fédéral (art. 159 al. 1 et 2 OJ; Poudret/Sandoz-Monod, op. cit., n.
2 ad art. 159 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Un émolument judiciaire de 8'000 fr. est mis à la charge du recourant.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la
Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève.

Lausanne, le 23 octobre 2003

Au nom de la IIe Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier: