Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

II. Zivilabteilung 5C.140/2003
Zurück zum Index II. Zivilabteilung 2003
Retour à l'indice II. Zivilabteilung 2003


5C.140/2003 /fzc

Arrêt du 23 février 2004
IIe Cour civile

MM. et Mme les Juges Raselli, Président,
Escher et Gardaz, Juge suppléant.
Greffier: M. Braconi.

Banque X.________,
défenderesse et recourante, représentée par Me Philippe Loretan, avocat,

contre

1. A.________,
Hoirie de A.________, soit: B.________ et C.________,

2. D.________,
demanderesses et intimées, représentées par
Me Marcel-Henri Gard, avocat,

acte de défaut de biens après faillite, compensation,

recours en réforme contre le jugement de la IIe Cour civile du Tribunal
cantonal du canton du Valais du
3 juin 2003.

Faits:

A.
Le 25 avril 1995, le Juge I du district de Sierre a prononcé la faillite de
E.________. Le 18 mai 2000, l'administration de la faillite a délivré à la
Banque X.________ deux actes de défaut de biens de 289'697 fr. 10 et de
599'244 fr. 90, lesquels mentionnent que le failli a reconnu ces dettes en
totalité.

E.  ________ était titulaire d'un «compte privé» n° xxx auprès de la Banque
X.________, qui présentait un solde créditeur de 26'596 fr. 80 au 31 décembre
2000 et de 25'096 fr. 80 au 16 janvier 2001. Le 19 janvier 2001, la Banque
X.________, invoquant son «droit de compensation sur cet avoir», a soldé ce
compte et réduit d'autant le montant dû en vertu des actes de défaut de
biens. E.________ a contesté la compensation puis, par mémoire-demande du 12
avril 2001, ouvert action contre la banque en paiement de la somme de 26'596
fr. 80, plus intérêts à 5% l'an dès le 1er janvier 2001.

B.
Le 26 novembre suivant, le Juge suppléant III du district de Sierre a ouvert
à nouveau la faillite du demandeur. L'assemblée des créanciers ayant renoncé
à faire valoir la prétention dirigée à l'encontre de la Banque X.________,
A.________ (mère du failli) et D.________, créancières du failli dont les
productions ont été admises, ont obtenu la cession du droit de poursuivre le
procès.

Par jugement du 3 juin 2003, la IIe Cour civile du Tribunal cantonal du
canton du Valais a condamné la défenderesse à payer aux cessionnaires,
créancières communes, la somme de 25'096 fr. 80, avec intérêts à 5% l'an dès
le 28 janvier 2001.

C.
La défenderesse exerce un recours en réforme au Tribunal fédéral contre cette
décision, concluant à son annulation et au rejet de l'action.

Des observations n'ont pas été requises.

D.
Par arrêt de ce jour, la cour de céans a rejeté, dans la mesure de sa
recevabilité, le recours de droit public de la défenderesse (5P.225/2003).

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des recours
qui lui sont soumis (ATF 130 II 65 consid. 1 p. 67 et les arrêts cités).

1.1  Déposé en temps utile contre une décision finale prise en dernière
instance cantonale dans une contestation civile de nature pécuniaire dont la
valeur litigieuse atteint 8'000 fr., le présent recours est ouvert sous
l'angle des art. 46 al. 1, 48 al. 1 et 54 al. 1 OJ.

1.2  En instance de réforme, le Tribunal fédéral fonde son arrêt sur les
faits
tels qu'ils ont été constatés par la dernière autorité cantonale, à moins que
des dispositions fédérales en matière de preuve n'aient été violées, qu'il
n'y ait lieu de rectifier des constatations reposant sur une inadvertance
manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou qu'il ne faille compléter les constatations
de l'autorité cantonale parce qu'elle n'a pas tenu compte de faits
pertinents, régulièrement allégués et prouvés (art. 64 al. 1 OJ); en dehors
de ces exceptions, il ne peut être présenté de griefs contre les
constatations de fait, ni de faits ou de moyens de preuve nouveaux (art. 55
al. 1 let. c OJ).

La recourante dénonce une double inadvertance manifeste: d'une part,
l'autorité inférieure a omis de constater que la seconde faillite fait suite
à une requête de faillite volontaire; d'autre part, elle n'a pas précisé que
la créance invoquée par le failli à l'encontre de la banque avait été
inventoriée dans cette faillite. Ce moyen est infondé. Il n'existe aucune
contradiction entre les faits retenus par les magistrats cantonaux et une ou
plusieurs pièces du dossier (cf. sur cette notion: ATF 109 II 159 consid. 2b
p. 162 et la jurisprudence citée). En réalité, sous le couvert
d'inadvertances manifestes, la recourante procède à un complètement
inadmissible de l'état de fait du jugement entrepris. Au demeurant, ces
prétendus vices eussent été dénués d'incidence sur l'issue du recours (cf.
ATF 95 II 503 consid. 2a p. 506/507; 61 II 114 consid. 2 p. 117).

2.
L'intimée A.________ est décédée au cours de l'instance fédérale. Par
déclaration du 4 février 2004 - faite en relation avec l'invitation à
répondre au recours de droit public -, ses héritiers légaux ont déclaré
vouloir continuer la procédure en lieu et place de la défunte. Le présent
litige n'ayant pas pour objet des droits strictement personnels, cette
substitution (partielle) de parties ne soulève pas de difficultés; elle ne
nécessite pas le consentement de la recourante (cf. sur tous ces points:
Messmer/Imboden, Die eidgenössischen Rechtsmittel in Zivilsachen, Zurich
1992, n° 41 et les citations).

3.
La juridiction précédente a considéré, en substance, que la recourante ne
pouvait, en vertu de l'art. 125 ch. 1 et 2 CO, compenser sa créance résultant
des actes de défaut de biens après faillite avec le solde actif du «compte
privé» du débiteur; en outre, ce dernier s'est opposé à la compensation en
excipant valablement de son non-retour à meilleure fortune, de sorte que la
créance compensante n'était pas exigible. La situation s'est modifiée à la
suite de la seconde faillite; le défaut de retour à meilleure fortune n'était
alors plus opposable à l'exercice de la compensation, car le but de l'art.
265 LP (i.e. permettre au failli de se relever financièrement) ne pouvait
plus être atteint. Il n'en reste pas moins que, en objectant derechef la
compensation, alors même qu'une première déclaration de compensation faisait
l'objet d'une procédure judiciaire, la recourante a commis un abus de droit.

3.1  Il n'y a pas lieu de rechercher, en l'occurrence, si la recourante s'en
prend bien à tous les motifs de la décision attaquée (cf. ATF 122 III 43
consid. 3 p. 45, 488 consid. 2 p. 489; 117 II 630 consid. 1b p. 631), car le
recours apparaît, de toute façon, voué à l'échec.

3.2  D'après l'autorité cantonale, la compensation se heurte à l'art. 125 ch.
2 CO - interprété largement -, car l'argent déposé sur le compte bancaire
avait pour origine quasi-exclusive le salaire du failli, et il était destiné
à son entretien.

De jurisprudence constante, le cessionnaire des droits de la masse au sens de
l'art. 260 LP ne devient pas titulaire de la prétention cédée; il n'acquiert
que le droit de la faire valoir à la place de la masse en son propre nom, et
à ses risques et périls (voir notamment: ATF 122 III 176 consid. 5f p. 189,
488 consid. 3b p. 490; 121 III 488 consid. 2b p. 492; 113 III 135 consid. 3a
p. 137); de son côté, le tiers défendeur peut lui opposer toutes les
exceptions et objections (ici la compensation) qu'il eût pu invoquer contre
le failli, à l'exclusion des moyens qu'il possède vis-à-vis du cessionnaire
personnellement (Berti, in: Kommentar zum SchKG, vol. III, n. 62 ad art. 260
LP). La recourante conteste toutefois que, à l'inverse, le cessionnaire
puisse se prévaloir de droits attachés à la personne du titulaire de la
créance compensée (mutatis mutandis, pour le droit de porter atteinte au
minimum vital [art. 93 LP]: ATF 116 III 10 consid. 2 p. 12/13; pour le droit
de participer à une saisie sans poursuite préalable [art. 111 LP]: Spirig,
Zürcher Kommentar, 3e éd., n. 68 ad art. 170 CO). Certes, l'exclusion de la
compensation prévue par l'art. 125 ch. 2 CO répond essentiellement à des
considérations sociales et vise à protéger la partie économiquement faible
(Jeandin, Code des obligations I, n. 6 ad art. 125 CO). Cependant, les
intimées ne font pas valoir une prétention qui leur appartiendrait désormais
en propre, mais celle du demandeur primitif, tombé en faillite (Schlaepfer,
Abtretung streitiger Rechtsansprüche im Konkurs, thèse Zurich 1990, p. 49).
En effet, la cession des droits de la masse ne représente qu'un exemple de
«Prozessstandschaft» (ATF 121 III 488 consid. 2b p. 492), à savoir la faculté
de poursuivre en justice, en son propre nom, le droit d'autrui (ATF 129 III
55 consid. 3.1.3 p. 58 et les citations). Le moyen ne cesse donc pas d'être
«personnel» parce qu'il est invoqué par une autre personne que le véritable
titulaire du droit.

3.3  L'autorité cantonale a considéré que les parties au contrat de base
étaient liées par un contrat de dépôt au sens de l'art. 481 CO, en sorte que
la banque n'était pas en droit, conformément à l'art. 125 ch. 1 CO, de
compenser contre la volonté du failli la créance résultant des actes de
défaut de biens avec le solde du compte bancaire.

Ces motifs se révèlent complets et convaincants. La relation bancaire en
question ressortit bien au contrat de dépôt irrégulier (cf. ATF 100 II 153),
et la faillite du créancier n'a pas d'incidence sur l'interdiction de
compenser (Aepli, Zürcher Kommentar, 3e éd., n. 94, 96/97 ad art. 123 et n.
24 ad art. 125 CO). Partant, la déclaration de compensation faite par la
recourante pour éteindre la créance du failli est restée inefficace; cette
créance, inchangée dans sa quotité, est par conséquent tombée dans la masse
(art. 197 al. 1 LP), et elle a pu être valablement cédée aux intimées, qui
sont en droit de poursuivre l'action introduite par le failli. Et cette
action est fondée, car il est constant que le compte privé affichait un solde
créditeur de 25'096 fr. 80 le 16 janvier 2001.

Autant qu'elles sont suffisamment motivées au regard des exigences de l'art.
55 al. 1 let. c OJ (cf. ATF 116 II 745 consid. 3 p. 748/749 et la
jurisprudence citée), les critiques de la recourante ne démontrent aucune
violation du droit fédéral:
3.3.1Se référant à un arrêt du 31 mars 2003 (7B.29/2003, consid. 1), la
recourante soutient que, l'exception de non-retour à meilleure fortune
touchant à la composition de la masse active, le failli aurait dû porter
plainte aux autorités de surveillance (art. 17 LP) contre l'inclusion dans
l'inventaire de la faillite de sa créance à l'égard de la banque; faute de
l'avoir fait, ce moyen ne peut plus être soulevé par voie d'action.
Dans l'arrêt précité, la Chambre des poursuites et des faillites a retenu que
la question de savoir si les rentes de l'assurance-invalidité et les
allocations familiales, en qualité de revenus du débiteur, rentraient ou non
dans la masse active relève de la compétence des organes de la poursuite
(commissaire au sursis, office des faillites ou administration de la
faillite), dont la décision peut être ensuite déférée aux autorités de
surveillance. La présente cause porte en revanche sur une créance litigieuse,
dont l'exercice a été cédé aux intimées. Une plainte contre l'inventaire ne
serait d'aucune utilité. Le fait d'inventorier une créance ne préjuge pas de
son existence (ATF 36 I 102 consid. 2 p. 104/105 et la jurisprudence citée;
Jaeger, Commentaire de la LP, vol. II, n. 3 ad art. 221 LP); or, il
n'appartient pas aux autorités de surveillance, mais au juge, de se prononcer
sur le mérite des moyens libératoires - ici la compensation - tirés du droit
civil (ATF 104 III 23 consid. 2 p. 24).

3.3.2  Il est exact que la nouvelle déclaration de compensation a été opérée
postérieurement à l'ouverture de la seconde faillite. Quoi qu'en pense la
recourante, il ne suffit toutefois pas que la compensation soit permise par
l'art. 213 al. 2 LP; encore faut-il qu'elle ne contrevienne pas à l'art. 125
CO (Stäubli/Dubacher, Kommentar zum SchKG, vol. II, n. 7 ad art. 213 LP).

3.3.3  Se ralliant à l'opinion dominante, la cour cantonale a estimé que,
compte tenu du but de l'art. 265 LP - favoriser le rétablissement de la
situation économique du failli -, le débiteur pouvait opposer l'exception de
non-retour à meilleure fortune au détenteur d'un acte de défaut de biens
après faillite qui invoque la compensation (cf. Aepli, op. cit., n. 88 ad
art. 120 CO; Fritzsche/Walder, Schuldbetreibung und Konkurs nach
schweizerischem Recht, 3e éd., vol. II, § 53 ch. 21 et les nombreuses
citations en n. 50/51).

La recourante ne réfute pas cet avis (art. 55 al. 1 let. c OJ; ATF 127 III
481 consid. 2c/cc p. 491), mais objecte qu'une telle solution aboutit à ce
que les banques «ne pourraient jamais compenser leurs créances avec des
comptes créditeurs ouverts chez [elles] lorsqu'un client serait "au bénéfice"
d'un acte de défaut de biens». L'argument est dénué de valeur; la
compensation demeure possible, autant que les conditions de l'art. 125 CO ne
sont pas réunies.

4.
Le jugement entrepris doit être maintenu pour les motifs qui précèdent; il
devient, dès lors, superflu d'examiner si la compensation se heurtait de
surcroît à l'art. 2 al. 2 CC (ATF 104 Ia 381 consid. 6a p. 392).

5.
En conclusion, le présent recours doit être rejeté dans la mesure de sa
recevabilité, aux frais de son auteur (art. 156 al. 1 OJ). Il n'y a pas lieu
d'allouer de dépens aux intimées, qui n'ont pas été invitées à faire part de
leurs observations.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.

2.
Un émolument judiciaire de 2'000 fr. est mis à la charge de la recourante.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la
IIe Cour civile du Tribunal cantonal du canton du Valais.

Lausanne, le 23 février 2004

Au nom de la IIe Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le Président:  Le Greffier: