Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

II. Zivilabteilung 5C.125/2003
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5C.125/2003 /frs

Arrêt du 31 octobre 2003
IIe Cour civile

MM. et Mmes les Juges Raselli, Président,
Nordmann, Escher, Hohl et Marazzi.
Greffier: M. Abrecht.

K. ________,
demanderesse et recourante, représentée par Me Mauro Poggia, avocat, rue
De-Beaumont 11, 1206 Genève,

contre

X.________ Assurances,
défenderesse et intimée, représentée par Me Benoît Carron, avocat, rue du
Général-Dufour 11, 1204 Genève.

contrat d'assurance,

recours en réforme contre l'arrêt de la Chambre civile de la Cour de justice
du canton de Genève du 11 avril 2003.

Faits:

A.
K. ________, née en 1931, a été victime le 1er août 1990 d'un accident de la
circulation à Genève. Cet accident a entraîné des fractures
épiphiso-métaphysaire proximale du tibia et du péroné gauches, du plateau
tibial interne et des branches ischio-pubiennes.

K. ________ était alors au bénéfice d'une assurance complémentaire en cas de
décès et d'invalidité par suite d'accident auprès de X.________ Assurances.
Supra l'assurait à titre d'assurance de base.
Entre juin et août 1992, X.________ Assurances a versé à K.________ une
indemnité de 450'000 fr. sur la base d'un degré d'invalidité de 75%. Ce
versement a fait l'objet d'une convention de règlement et d'une quittance
valant solde de tout compte.
L'assurance complémentaire collective dont bénéficiait K.________ auprès de
X.________ Assurances a été résiliée avec effet au 31 décembre 1994. Supra a
signé un nouveau contrat collectif avec Generali Assurances, avec effet au
1er janvier 1995.

B.
Le 15 janvier 1998, K.________ a subi une opération destinée à la mise en
place d'une prothèse totale du genou gauche. Cette opération, effectuée par
le Dr Y.________, était une conséquence directe de l'accident du 1er août
1990, qui en était la cause exclusive.
Le 27 janvier 1998, le Dr Z.________, ophtalmologue, a constaté que
K.________ avait subi un accident vasculaire au nerf optique de son oeil
droit. Entendu comme témoin, ce praticien a affirmé qu'il n'y avait pas de
doutes sérieux quant au lien de causalité entre l'opération et l'accident
vasculaire. Également entendu comme témoin, le Dr Y.________ a déclaré que ce
genre d'accident, bien que rare, était tout à fait explicable en chirurgie
orthopédique, laquelle occasionnait souvent des thromboses; la cause de
l'accident était selon lui à rechercher soit dans l'anesthésie, soit dans
l'opération elle-même, voire dans la conjugaison de ces deux éléments. Aucune
prédisposition aux accidents vasculaires n'a été décelée chez K.________;
elle ne souffrait d'aucune affection aux yeux avant l'accident vasculaire.
Le taux d'invalidité consécutif à cet accident vasculaire a fluctué pendant
plus d'une année pour se stabiliser à environ 18% au sens où l'entend la LAA.
Ce taux a été établi sur la base de la table 3 de la SUVA, page 11.5, et
transmis dans un certificat médical du Dr Z.________ du 13 décembre 1999 à la
Mobilière Suisse, assureur LAA au moment de l'accident de la circulation. Cet
assureur a versé 14'688 fr. à K.________ sur la base de ce taux de 18%.

C.
Le 17 janvier 2000, le conseil de K.________ a fait parvenir à X.________
Assurances le certificat précité du Dr Z.________, en la priant de lui
indiquer les éléments qui lui faisaient encore défaut pour prendre position
sur le versement d'une indemnité. Dans l'échange de correspondance qui s'en
est suivi, X.________ Assurances s'est prévalue de la convention de règlement
d'août 1992 et de la prescription, intervenue selon elle le 12 août 1996;
elle a toutefois renoncé à se prévaloir de la prescription jusqu'au 31 août
2001, pour autant que celle-ci ne fût pas déjà acquise.

D.
Le 18 octobre 2000, K.________ a ouvert action contre X.________ Assurances
devant le Tribunal de première instance du canton de Genève. Elle concluait
au paiement d'un montant de 108'000 fr. — conclusions augmentées en cours de
procédure à 135'900 fr. — avec intérêts à 5% l'an dès le 21 mars 2000. La
défenderesse a conclu avec dépens au rejet de la demande.
Par jugement du 5 février 2002, le Tribunal de première instance a rejeté la
demande avec suite de dépens. Tout en admettant que la déficience de l'oeil
était un dommage causal secondaire de l'accident de 1990 et que la quittance
pour solde de tout compte donnée à la défenderesse ne portait que sur les
séquelles sur le plan de l'invalidité motrice, le tribunal a retenu que le
délai de prescription de cinq ans prévu à l'art. 10 let. f CGA empêchait la
demanderesse de faire valoir toute aggravation d'invalidité postérieure au
1er août 1995.

E.
Statuant par arrêt du 11 avril 2003 sur appel de la demanderesse, la Chambre
civile de la Cour de justice du canton de Genève a confirmé le jugement de
première instance. La motivation de cet arrêt est en substance la suivante :
E.aL'accident vasculaire n'est pas en relation de causalité naturelle avec
l'accident de la circulation du 1er août 1990, mais bien avec l'opération
chirurgicale de 1998, dont la défenderesse ne répond pas. En effet, si
l'accident vasculaire est dans une relation de causalité naturelle avec
l'opération chirurgicale de 1998, il n'en demeure pas moins qu'il se trouve
dans un rapport de causalité naturelle dépassée avec l'accident de la
circulation du 1er août 1990 : la causalité naturelle n'existe plus du fait
que l'accident de la circulation aurait pu causer l'accident vasculaire, mais
que ce dernier résulte en réalité d'une autre cause, à savoir l'opération du
genou pratiquée en 1998. Dès lors, il faut parler de causalité dépassée pour
celle qui aurait pu causer l'obligation de réparer (soit l'accident de la
circulation, en tant que chef de responsabilité) et de causalité dépassante
pour celle qui entre finalement en ligne de compte (soit l'opération du
genou, en tant que fait générateur de responsabilité).

E.b L'accident vasculaire de 1998 n'est pas non plus dans un rapport de
causalité adéquate avec l'accident de la circulation de 1990. La demanderesse
a d'ailleurs admis elle-même, tant dans son mémoire d'appel que lors des
plaidoiries, que l'accident vasculaire était imprévisible.

E.c La défenderesse ne doit pas non plus intervenir sur la base d'autres
principes. En particulier, la rédaction de l'art. 88 LCA, aux termes duquel
un capital doit être versé "dès que les conséquences probablement permanentes
de l'accident ont été constatées", démontre que le législateur a admis que
les éventuelles modifications du degré d'invalidité de l'assuré n'entraînent
en principe pas de révision de la situation. L'opération de 1998, prise en
tant que telle, n'a d'ailleurs pas péjoré le degré d'invalidité de la
demanderesse, mais avait au contraire pour objet d'en diminuer les
conséquences. Il faut donc considérer que les parties avaient, en 1992,
correctement et définitivement évalué les conséquences de l'accident sur le
plan de la motricité de la demanderesse. L'accident vasculaire n'étant pas en
relation de causalité avec l'accident de 1990, mais avec l'opération de 1998,
date à laquelle Generali Assurances avait pris le relais de la défenderesse
dans ses rapports avec Supra, la quittance donnée en 1992 est opposable à la
demanderesse.

E.d Compte tenu de ce qui précède, la question de la prescription des droits
dont se prévaut la défenderesse peut rester indécise.

F.
Contre cet arrêt, la demanderesse exerce en parallèle un recours de droit
public et un recours en réforme au Tribunal fédéral. Par le second, elle
conclut, avec suite de dépens, principalement à la réforme de l'arrêt attaqué
dans le sens de l'admission des conclusions de la demande, et subsidiairement
à l'annulation de cet arrêt avec renvoi de la cause à l'autorité cantonale
pour nouvelle décision.
La défenderesse propose de rejeter le recours en réforme dans la mesure où
celui-ci est recevable et de confirmer l'arrêt attaqué.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
1.1 Aux termes de l'art. 57 al. 5 OJ, il est sursis en règle générale à
l'arrêt sur le recours en réforme jusqu'à droit connu sur le recours de droit
public. Cette disposition souffre toutefois des exceptions dans des
situations particulières, qui justifient l'examen préalable du recours en
réforme; il en est ainsi notamment lorsque le recours en réforme paraît
devoir être admis même sur la base des constatations de fait retenues par
l'autorité cantonale et critiquées dans le recours de droit public (ATF 117
II 630 consid. 1a et les arrêts cités). Tel étant précisément le cas en
l'espèce, comme on le verra, il se justifie de déroger au principe posé par
l'art. 57 al. 5 OJ.

1.2 L'arrêt attaqué tranche une contestation civile portant sur des droits de
nature pécuniaire, et les droits contestés dans la dernière instance
cantonale atteignent manifestement une valeur d'au moins 8'000 fr. Formé en
temps utile contre une décision finale prise par un tribunal suprême d'un
canton et qui ne peut pas être l'objet d'un recours ordinaire de droit
cantonal, le recours en réforme est donc recevable au regard des art. 46, 48
al. 1 et 54 al. 1 OJ.

2.
2.1 La demanderesse se plaint de ce que la cour cantonale aurait nié à tort
l'existence tant d'un lien de causalité naturelle que d'un lien de causalité
adéquate entre l'accident vasculaire et l'accident de la circulation du 1er
août 1990. Alors que le grief relatif à la causalité adéquate est soulevé
dans le recours en réforme, celui relatif à la causalité naturelle est
articulé dans le recours de droit public connexe.

2.2 Selon la jurisprudence, le constat de la causalité naturelle est une
question de fait et ne peut donc en principe être critiqué que par la voie du
recours de droit public (ATF 128 III 22 consid. 2d; 123 III 110 consid. 2;
116 II 305 consid. 2c/ee; 115 II 440 consid. 5b; 113 II 52 consid. 2 p. 56).
En revanche, dire s'il y a causalité adéquate est une question de droit, qui
doit être examinée dans le cadre du recours en réforme lorsque celui-ci est
ouvert (ATF 123 III 110 consid. 2; 116 II 519 consid. 4a in fine).
Toutefois, lorsque l'autorité cantonale méconnaît le concept même de
causalité naturelle, on se trouve face à une violation du droit fédéral, qui
doit être examinée par la voie du recours en réforme lorsque celui-ci est
ouvert (arrêts non publiés 4P.41/2002 consid. 5.1 et 4C.46/2001 consid. 2d;
cf. ATF 122 IV 17 consid. 2c/aa; 121 IV 207 consid. 2a p. 212; 117 IV 130
consid. 2a p. 134; 101 IV 149 consid. 2a).

2.3 Lorsqu'il est saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral ne peut
pas aller au-delà des conclusions des parties, mais il n'est pas lié par les
motifs qu'elles invoquent (art. 63 al. 1 OJ), ni par l'argumentation
juridique retenue par la cour cantonale (art. 63 al. 3 OJ); il peut donc
admettre un recours pour d'autres motifs que ceux invoqués par le recourant,
de même qu'il peut rejeter le recours en adoptant une autre argumentation
juridique que celle retenue par la cour cantonale (ATF 127 III 248 consid. 2c
et les références citées). Il s'ensuit que le Tribunal fédéral peut contrôler
d'office, en instance de réforme, si la cour cantonale a méconnu le concept
même de causalité naturelle, lors même que seul le constat de l'existence ou
de l'inexistence de la causalité naturelle est critiqué dans un recours de
droit public connexe.

3.
3.1 Un fait est la cause naturelle d'un résultat s'il en constitue l'une des
conditions sine qua non (ATF 122 IV 17 consid. 2c/aa). Autrement dit, la
causalité naturelle est toujours donnée lorsque l'on ne peut faire
abstraction de l'événement en question sans que le résultat ne tombe aussi
(ATF 95 IV 139 consid. 2a; 119 V 335 consid. 1). Cela signifie que si le fait
a est cause du fait b et b cause du fait c, a est cause de c, étant entendu
que b est aussi cause de c (Deschenaux/Steinauer, La responsabilité civile,
2e éd., 1982, n. 8 p. 54).

3.2 En l'espèce, les juges cantonaux ont retenu que l'accident de la
circulation de 1990 était la cause exclusive de l'opération de 1998 et que
cette opération était la cause de l'accident vasculaire qui fonde les
prétentions de la demanderesse. Ils ont toutefois retenu l'absence de
causalité naturelle entre l'accident de la circulation et l'accident
vasculaire, en se référant aux notions de causalité dépassée et dépassante
(cf. lettre E.a supra). Ce faisant, ils ont méconnu le concept de causalité
naturelle, comme on va le voir.

3.3 En effet, les notions de causalité dépassée et dépassante se réfèrent à
un arrêt de la causalité naturelle, lorsqu'un dommage aurait pu être causé
par un certain fait, mais résulte en réalité d'autres circonstances
(Deschenaux/Steinauer, op. cit., n. 21 s. p. 56). En d'autres termes, elles
visent le cas où un comportement a entraînerait un certain dommage, mais
qu'avant que ce dommage survienne, il est causé par un comportement b (Brehm,
Berner Kommentar, Band VI/1/3/1, 1998, n. 147 ad art. 41 CO).
Or tel n'est précisément pas le cas en l'espèce, car l'accident de la
circulation de 1990 n'aurait pas à lui seul causé l'accident vasculaire;
celui-ci a été causé par l'opération de 1998, elle-même causée par l'accident
de 1990. On ne se trouve ainsi pas en face d'un cas de causalité dépassée,
mais d'un cas de causalité indirecte, où le fait initial (ici l'accident de
1990) n'a pas produit lui-même le dommage, mais a donné naissance à une ou
plusieurs conditions (ici l'opération de 1998) dont le dommage a été le
résultat final (Giovannoni, La causalité dans la responsabilité civile
extra-contractuelle, in RJB 98/1962 p. 249 ss, 265).

3.4 Le lien de causalité naturelle est dès lors indubitablement donné en
l'espèce (cf. aussi Brehm, L'assurance privée contre les accidents, 2001, n.
625), ce que la cour cantonale a nié à tort en procédant non pas à une
appréciation des preuves — puisqu'à cet égard, elle a retenu que l'accident
de la circulation de 1990 était la cause naturelle exclusive de l'opération
de 1998 et que cette opération était à son tour la cause naturelle de
l'accident vasculaire qui fonde les prétentions de la demanderesse —, mais à
une application erronée des principes juridiques qui cernent le concept même
de causalité naturelle.

4.
4.1 Le rapport de causalité est adéquat lorsque le comportement incriminé
était propre, d'après le cours ordinaire des choses et l'expérience générale
de la vie, à entraîner un résultat du genre de celui qui s'est produit (ATF
123 III 110 consid. 3a; 122 IV 17 consid. 2c/bb; 112 II 439 consid. 1d). Pour
savoir si un fait est la cause adéquate d'un préjudice, le juge procède à un
pronostic rétrospectif objectif : se plaçant au terme de la chaîne des
causes, il lui appartient de remonter du dommage dont la réparation est
demandée au chef de responsabilité invoqué et de déterminer si, dans le cours
normal des choses et selon l'expérience générale de la vie humaine, une telle
conséquence demeure dans le champ raisonnable des possibilités objectivement
prévisibles, le cas échéant aux yeux d'un expert; à cet égard, ce n'est pas
la prévisibilité subjective mais la prévisibilité objective du résultat qui
compte (ATF 119 Ib 334 consid. 5b; 112 II 439 consid. 1d; 101 II 69 consid.
3a; Deschenaux/Steinauer, op. cit., n. 33 s. p. 58).

4.2 La jurisprudence a précisé que, pour qu'une cause soit généralement
propre à avoir des effets du genre de ceux qui se sont produits, il n'est pas
nécessaire qu'un tel résultat doive se produire régulièrement ou fréquemment.
L'exigence du caractère adéquat ne doit pas conduire à ne prendre en
considération que les conséquences d'un accident qui sont habituellement à
prévoir d'après le déroulement de l'accident et ses effets sur le corps
humain. Il convient bien plutôt de partir des conséquences effectives et de
décider rétrospectivement si et dans quelle mesure l'accident apparaît encore
comme leur cause essentielle. Si un événement est en soi propre à provoquer
un effet du genre de celui qui s'est produit, même des conséquences
singulières, c'est-à-dire extraordinaires, peuvent constituer des
conséquences adéquates de l'accident (ATF 112 V 30 consid. 4b; 107 V 173
consid. 4b p. 177; 96 II 392 consid. 2 p. 396; 87 II 117 consid. 6c; 80 II
338 consid. 2b).

4.3 L'exigence d'un rapport de causalité adéquate constitue une clause
générale et son existence doit être appréciée de cas en cas par le juge selon
les règles du droit et de l'équité, conformément à l'art. 4 CC; il s'agit de
déterminer si un dommage peut encore être équitablement imputé à l'auteur
d'un acte illicite ou à celui qui en répond en vertu d'un contrat ou de la
loi (ATF 123 III 110 consid. 3a et les références citées). Dans les cas de
causalité indirecte ou de causalité partielle, il y a lieu de se demander non
pas si le fait dont répond le défendeur aurait éventuellement pu causer à lui
seul le résultat, mais si les autres circonstances qui ont concouru à la
réalisation du résultat ne présentent pas, par rapport au fait dont répond le
défendeur, un caractère trop exceptionnel; ce n'est donc que s'il est
hautement improbable, d'après le cours ordinaire des choses et l'expérience
de la vie, que le second événement qui a concouru à la survenance du résultat
se produise par suite du fait dont répond le défendeur et de ses
conséquences, que le rapport de causalité adéquate pourrait être nié
(Giovannoni, op. cit., p. 264; ATF 127 III 496, consid. 2d/bb non publié).

4.4 En l'espèce, la cour cantonale a retenu, suivant le témoignage du Dr
Y.________, que le genre d'accident vasculaire subi par la demanderesse, bien
que rare, était tout à fait explicable en chirurgie orthopédique, les
opérations de chirurgie orthopédique étant souvent la cause de thromboses.
Cela étant, on ne saurait dire que l'accident vasculaire subi par la
demanderesse au nerf optique de son oeil droit présentait un caractère si
exceptionnel qu'il sortait du champ raisonnable des possibilités
objectivement prévisibles : il n'était au contraire pas hautement improbable,
d'après le cours ordinaire des choses et l'expérience de la vie, qu'un tel
accident se produise par suite de l'opération de chirurgie orthopédique qui
était la conséquence directe et objectivement prévisible de l'accident de la
circulation de 1990. L'accident vasculaire apparaît en effet comme la
réalisation d'un risque de thrombose inhérent à l'opération de chirurgie
orthopédique rendue nécessaire par l'accident de la circulation, et non comme
la conséquence par exemple d'une faute du chirurgien.

4.5 Dans ces conditions, le rapport de causalité adéquate ne peut être nié
(cf. arrêt du Tribunal fédéral des assurances du 1er juin 1983, reproduit in
SUVA 1983 7 13; ATF 80 II 348, 353; 41 II 241; Brehm, op. cit., n. 625 s.;
Scartazzini, Les rapports de causalité dans le droit suisse de la sécurité
sociale, thèse Genève 1991, p. 133-135). Contrairement à ce que soutient la
défenderesse, le fait que toute opération de chirurgie orthopédique — même
non liée à l'accident de 1990 — aurait été propre à entraîner un effet du
type de celui qui s'est produit n'infirme nullement le caractère adéquat du
rapport de causalité. C'est en effet bel et bien l'opération de 1998,
laquelle n'aurait pas eu lieu sans l'accident de la circulation de 1990, qui
a causé l'accident vasculaire fondant les prétentions de la demanderesse, et
le pronostic rétrospectif objectif conduit incontestablement à la conclusion
que cet accident vasculaire est une conséquence adéquate de l'accident de la
circulation de 1990.

4.6 Il convient enfin de relever que le fait que l'accident vasculaire n'ait
pas été subjectivement prévisible par les parties ne joue aucun rôle sur le
caractère adéquat du lien de causalité (cf. consid. 4.1 supra). D'ailleurs,
si, comme l'a exposé la cour cantonale (cf. lettre E.b supra), la
demanderesse a insisté dans son mémoire d'appel (p. 11) sur le fait que
"l'accident vasculaire qui est à l'origine de l'invalidité complémentaire de
[la demanderesse] était un événement imprévisible en 1992, lorsqu'une
convention de règlement a été signée entre les parties", elle l'a fait dans
le contexte — tout à fait différent — de la portée de la quittance pour solde
de tout compte donnée en 1992.

5.
L'admission d'un lien de causalité naturelle et adéquate entre  l'accident de
la circulation du 1er août 1990 et l'accident vasculaire qui fonde les
prétentions de la demanderesse ne conduit pas encore à l'admission des
conclusions de cette dernière. En effet, la défenderesse invoque à l'appui de
ses conclusions libératoires la convention de règlement d'août 1992, avec
quittance valant solde de tout compte, ainsi que la prescription. Dès lors
que la cour cantonale s'est prononcée sur la première question sur la base de
la considération erronée que l'accident vasculaire n'était pas en relation de
causalité naturelle et adéquate avec l'accident de 1990 (cf. lettre E.c
supra), et qu'elle a laissé ouverte la question de la prescription (cf.
lettre E.d supra), il convient d'annuler l'arrêt attaqué et de renvoyer la
cause à l'autorité cantonale pour nouvelle décision dans le sens des
considérants.
La défenderesse, qui succombe, supportera les frais judiciaires (art. 156 al.
1 OJ), ainsi que les frais engagés par la demanderesse en instance fédérale
de réforme (art. 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est admis, l'arrêt attaqué est annulé et la cause est renvoyée à
l'autorité cantonale pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

2.
Un émolument judiciaire de 4'000 fr. est mis à la charge de la défenderesse.

3.
La défenderesse versera à la demanderesse une indemnité de 4'000 fr. à titre
de dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la
Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève.

Lausanne, le 31 octobre 2003

Au nom de la IIe Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier: