Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
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Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

Kassationshof in Strafsachen 6S.462/2002
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6S.462/2002 /rod

Arrêt du 30 janvier 2003
Cour de cassation pénale

Les juges fédéraux Schneider, président,
Schubarth, Kolly,
greffière Angéloz.

Procureur général du canton du Jura, 2900 Porrentruy,
recourant,

contre

X.________, représenté par Me Pierre Vallat, avocat,
ch. de la Gare 27, case postale 1, 2900 Porrentruy 1,
Y.________, représenté par Me Marco Locatelli, avocat,
rue de la Préfecture 4, 2800 Delémont,
intimés.

Infraction à la loi sur l'assurance chômage,

pourvoi en nullité contre l'arrêt de la Cour pénale du Tribunal cantonal du
canton du Jura du 12 septembre 2002.

Faits:

A.
Par jugement du 7 décembre 2001, le Tribunal correctionnel de première
instance jurassien a, notamment, condamné X.________, pour gestion déloyale
des intérêts publics, commise dans trois cas, et gestion déloyale, commise
dans deux cas, à la peine de 15 mois d'emprisonnement avec sursis pendant 2
ans ainsi qu'à une amende de 2000 francs. Il a également condamné Y.________,
pour complicité de gestion déloyale, à la peine de 4 mois d'emprisonnement
avec sursis pendant 2 ans. Le tribunal a par ailleurs statué sur des
conclusions civiles, sur le sort de valeurs patrimoniales saisies ainsi que
sur les frais et dépens.

B.
Outre les parties plaignantes et civiles, les deux condamnés et le Ministère
public ont appelé de ce jugement.

Par arrêt du 12 septembre 2002, la Cour pénale du Tribunal cantonal jurassien
a partiellement admis le recours de X.________; elle a notamment libéré ce
dernier de l'infraction de gestion déloyale dans l'un des deux cas retenus en
première instance et considéré que, dans l'autre cas, les faits étaient
constitutifs de gestion déloyale des intérêts publics au sens de l'art. 314
CP; elle l'a ainsi reconnu coupable, dans quatre cas, de cette dernière
infraction et a réduit la peine privative de liberté à 12 mois
d'emprisonnement, l'octroi du sursis et le prononcé d'une amende de 2000
francs étant maintenus. Par le même arrêt, la cour cantonale a admis le
recours de Y.________, qu'elle a acquitté de l'infraction retenue en première
instance, et écarté le recours du Ministère public.

C.
S'agissant des faits pertinents pour le jugement de la présente cause,
l'arrêt attaqué retient, en résumé, ce qui suit.

C.a Du 1er mai 1979 jusqu'au mois de juin 1997, X.________ a été
l'administrateur de plusieurs caisses d'assurances sociales, notamment de la
caisse d'assurance-chômage de la Communauté sociale interprofessionnelle
(CSI), qui a été reprise en octobre 2000 par l'Union patronale
interprofessionnelle (UPI). Dès 1987, il a eu pour adjoint Y.________, qui
l'a ensuite remplacé comme administrateur ad interim de juin 1997 à la fin
mars 1998, cessant toutefois de travailler pour cause de maladie à la fin
décembre 1997.

A la fin janvier 1998, lors d'un entretien avec le remplaçant de Y.________,
le Secrétariat d'Etat à l'économie (seco) a appris que X.________ et
Y.________ s'étaient octroyés des salaires excessifs découlant de taux
d'occupation irréalistes dans le cadre de la gestion simultanée de plusieurs
institutions. Le seco a alors refusé d'agréer les frais administratifs
figurant dans les comptes 1996 et a mandaté la fiduciaire Atag Ernst & Young
pour qu'elle contrôle de manière approfondie les frais d'administration des
années 1993 à 1997 et évalue le dommage subi par le Fonds de compensation de
l'assurance chômage.

Dans son rapport d'expertise du 9 juin 1998, la fiduciaire Atag est parvenue
à la conclusion que le Fonds de compensation de l'assurance chômage avait
subi un dommage de 373.564 francs, correspondant au montant obtenu par
X.________ et Y.________ en annonçant des taux d'activité excessifs.

C.b Pour ces faits, le tribunal correctionnel a reconnu X.________ coupable
de gestion déloyale et Y.________ de complicité de gestion déloyale.

En appel, tous deux ont contesté leur condamnation sur ce point. De son côté,
le Ministère public a demandé, à titre préjudiciel, que les faits en question
soient également examinés sous l'angle des art. 105 et 106 de la loi fédérale
sur l'assurance-chômage (LACI; RS 837.0), requête à laquelle la cour
cantonale a fait droit en limitant toutefois son examen à l'art. 105 LACI et
à la période s'étendant du 12 mars 1995 à 1997, les faits antérieurs et une
éventuelle contravention à l'art. 106 LACI étant prescrits.

Statuant sur le fond, la cour cantonale a jugé qu'aucune infraction ne
pouvait être retenue à la charge des accusés à raison des faits litigieux.
Elle a considéré, en bref, que ces faits n'étaient pas établis à suffisance
de preuve, dès lors qu'ils reposaient sur le rapport de la fiduciaire Atag,
soit sur une expertise privée, qui n'est pas reconnue comme un moyen de
preuve suffisant par le droit cantonal de procédure; au demeurant, s'agissant
des infractions de gestion déloyale des intérêts publics et de gestion
déloyale, les conditions n'en étaient de toute manière pas réalisées en
l'espèce.

D.
Le Ministère public se pourvoit en nullité au Tribunal fédéral. Soutenant que
l'infraction à l'art. 105 LACI a été écartée en violation du droit fédéral,
il conclut à l'annulation de l'arrêt attaqué dans la mesure où il libère les
intimés de cette infraction.

La cour cantonale se réfère aux considérants de son arrêt, en observant que
les griefs soulevés paraissent relever du recours de droit public.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Saisie d'un pourvoi en nullité, la Cour de cassation n'est pas liée par les
motifs invoqués, mais ne peut aller au-delà des conclusions du recourant
(art. 277bis PPF). Celles-ci doivent être interprétées à la lumière de leur
motivation, qui circonscrit donc les points litigieux (ATF 124 IV 53 consid.
1 p. 55; 123 IV 125 consid. 1 p. 127).

Le recourant ne conteste pas la libération des intimés des infractions de
gestion déloyale des intérêts publics et de gestion déloyale. Il ne conteste
pas non plus, au demeurant avec raison, qu'une éventuelle infraction à l'art.
106 LACI serait absolument prescrite et qu'il en irait de même d'une
infraction à l'art. 105 LACI antérieure au 12 mars 1995. La seule question
litigieuse est donc de savoir si c'est en violation du droit fédéral que les
intimés ont été libérés de l'infraction réprimée par l'art. 105 LACI pour les
faits commis durant la période retenue.

2.
Le recourant soutient que, pour avoir libéré les intimés de l'infraction à
l'art. 105 LACI en tirant argument d'une règle de procédure cantonale, la
cour cantonale a appliqué à tort le droit cantonal en lieu et place du droit
fédéral.

2.1 Le pourvoi en nullité ne peut être formé que pour violation du droit
fédéral (art. 269 PPF). Comme cela ressort également de l'art. 12 PPF ainsi
que du titre de la troisième partie de cette loi, seules peuvent donc faire
l'objet d'un pourvoi en nullité les décisions mentionnées à l'art. 268 PPF
qui sont rendues "en matière pénale fédérale". Tel est le cas d'une décision
qui a pour objet principal l'application positive du droit pénal fédéral ou
d'une décision qui applique à tort le droit cantonal au lieu du droit
fédéral; est également rendue en matière pénale fédérale une décision qui
tranche la question de savoir si, ensuite d'un silence qualifié du droit
fédéral, un comportement déterminé ne doit pas aussi être sanctionné comme
une contravention de droit cantonal; enfin, une décision relève aussi de ce
domaine lorsque la question doit en soi être jugée selon le droit cantonal,
mais que l'application de ce droit implique obligatoirement que soit tranchée
une question préalable de droit pénal fédéral (ATF 120 IV 98 consid. 1c p.
103 et les références citées).

2.2 En l'espèce, aucune de ces hypothèses n'est réalisée. En particulier,
l'arrêt attaqué n'applique pas à tort le droit cantonal au lieu du droit
fédéral. En effet, il écarte l'application d'une disposition du droit pénal
fédéral, en l'occurrence de l'art. 105 LACI, pour le motif que l'état de fait
qu'implique la réalisation de cette infraction n'est pas établi par un moyen
de preuve admissible. Or, la question de savoir si un moyen de preuve est
admissible relève exclusivement du droit cantonal de procédure.

Certes, la procédure cantonale doit être aménagée de manière à permettre
l'application du droit fédéral (ATF 120 IV 107 consid. 2c p. 110; 119 IV 92
consid. 3b p. 101). Ainsi a-t-il été jugé qu'un classement en opportunité
viole le droit fédéral s'il dénote une volonté délibérée de l'autorité
cantonale de ne pas appliquer le droit fédéral ou d'en modifier la portée,
s'il procède d'une interprétation erronée du droit fédéral ou s'il ne repose
sur aucune motivation raisonnable, de sorte qu'on doive l'assimiler à un
refus d'appliquer le droit fédéral (ATF 120 IV 38 consid. 3 p. 42; 119 IV 92
consid. 3b p. 101). Ne pas retenir une infraction pour le motif que sa
réalisation n'est établie que par une expertise privée, ne dénote toutefois
pas un refus de principe d'appliquer une disposition de droit pénal fédéral
ou d'en modifier le contenu, ni ne procède d'une application ou d'une
interprétation erronée du droit fédéral; on ne voit pas non plus que le refus
de retenir une infraction pour un tel motif serait si peu convaincant qu'on
doive l'assimiler à un refus d'appliquer le droit fédéral; il apparaît au
contraire conforme aux principes généraux du droit suisse et, en particulier,
à la garantie d'un procès équitable, consacrée par les art. 29 al. 1 Cst. et
6 ch. 1 CEDH.

2.3 Fondée sur le motif de procédure retenu, la libération des intimés de
l'infraction à l'art. 105 LACI ne viole donc pas le droit fédéral.

3.
Subsidiairement, le recourant fait valoir que dénier la valeur probante de
l'expertise litigieuse et, partant, l'écarter du dossier apparaît fort
discutable, compte tenu des règles de la procédure cantonale relatives à la
libre appréciation des preuves par le juge. Au demeurant, indépendamment de
l'expertise litigieuse, les intimés ne pouvaient être libérés de l'infraction
en cause au vu des autres éléments ou indices résultant de l'administration
des preuves.

La première de ces critiques revient à contester la manière dont la cour
cantonale a interprété et appliqué le droit cantonal; quant à la seconde,
elle équivaut à rediscuter l'appréciation des preuves administrées. De tels
griefs sont toutefois irrecevables dans un pourvoi en nullité, qui n'est pas
ouvert pour invoquer la violation directe du droit cantonal (ATF 123 IV 202
consid. 1 p. 204 s.; 122 IV 71 consid. 2 p. 76; 121 IV 104 consid. 2b p. 106)
ou pour se plaindre de l'appréciation des preuves et des constatations de
fait qui en découlent (ATF 124 IV 81 consid. 2a p. 83; 123 IV 184 consid. 1a
p. 186; 118 IV 309 consid. 2b p. 317). Il n'est donc pas possible d'entrer en
matière.

4.
Le pourvoi doit ainsi être rejeté dans la mesure où il est recevable.

Vu l'issue du pourvoi de l'accusateur public, il ne sera pas perçu de frais
(art. 278 al. 2 PPF). Il n'y a pas lieu d'allouer une indemnité aux intimés,
qui n'ont pas été amenés à intervenir dans la procédure devant le Tribunal
fédéral (art. 278 al. 3 PPF).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le pourvoi est rejeté dans la mesure où il est recevable.

2.
Il n'est pas perçu de frais, ni alloué d'indemnité.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie au Procureur général du canton du
Jura, aux mandataires des intimés et à la Cour pénale du Tribunal cantonal
jurassien.

Lausanne, le 30 janvier 2003

Au nom de la Cour de cassation pénale
du Tribunal fédéral suisse

Le président: La greffière: