Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

Kassationshof in Strafsachen 6S.23/2002
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6S.23/2002/DXC

     C O U R   D E   C A S S A T I O N   P E N A L E
    *************************************************

                      8 avril 2002

Composition de la Cour: M. Schubarth, Président,
M. Wiprächtiger et M. Kolly, Juges.
Greffière: Mme Angéloz.
                       ___________

           Statuant sur le pourvoi en nullité
                        formé par

Y.________, représenté par Me Grégoire Rey, avocat à
Genève,

                         contre

l'arrêt rendu le 14 décembre 2001 par la Cour de cassa-
tion genevoise dans la cause qui oppose le recourant au
Procureur général du canton de   G e n è v e;

          (escroqueries; fixation de la peine)

        Vu les pièces du dossier, d'où ressortent
               les   f a i t s   suivants:

      A.- En 1980, X.________ a créé à Genève la société
N.________ SA, dont le but était la gestion de fortune.
Y.________ est devenu actionnaire et administrateur de
cette société depuis le 24 janvier 1990. Dès 1987, il
s'était associé avec X.________ et Z.________, consti-
tuant la société G.________ SA, dont ils étaient tous
trois actionnaires et administrateurs et qui a donné man-
dat à N.________ SA de gérer conjointement les avoirs
confiés par les clients.

      X.________, Y.________ et Z.________ recevaient les
avoirs des clients sous forme d'une remise de fonds, via
des garanties bancaires en faveur de N.________ SA et
G.________ SA. Les avoirs n'étaient pas déposés sur des
comptes individualisés, mais confondus dans les comptes
ouverts par les deux sociétés auprès de banques, dont la
banque M.________ à Zürich. La gestion des comptes était
censée s'effectuer grâce à un programme informatique
traitant d'opérations spéculatives sur devises.

      Dès 1989, N.________ SA et G.________ SA ont essuyé
des pertes de change importantes. A la fin 1990, les so-
ciétés se trouvaient en état de grave surendettement. Les
opérations de change étaient généralement fictives et
systématiquement déficitaires.

      Y.________ et ses associés ont caché cette situa-
tion  à leurs clients, qui reçurent dès lors des relevés
falsifiés dans le but d'éviter qu'ils ne découvrent le
désastre et ne réclament le remboursement de leurs

avoirs. Les clients ont ainsi été induits à renouveler
leurs placements en main de N.________ SA et G.________
SA.

      Pour éviter de prendre les mesures qui s'imposaient
et masquer les pertes des deux sociétés, les associés ont
en outre comptabilisé les débits consécutifs à ces pertes
dans les livres d'une société N.________ Company Ltd,
créée dans les îles vierges britanniques, dont les comp-
tes n'étaient pas remis au contrôleur des comptes des so-
ciétés suisses. Ces dernières comptabilisaient une
créance envers N.________ Company Ltd, en cachant le fait
qu'en réalité cette créance n'avait aucune valeur en rai-
son de la situation financière de cette société, qui n'a
jamais détenu quelque actif que ce soit.

      Y.________ a persisté avec ses deux associés à at-
tirer de nouveaux clients en vantant faussement des per-
formances qui n'existaient pas et en taisant la déconfi-
ture du groupe. Les avoirs ainsi nouvellement confiés par
des clients dans l'erreur ont servi exclusivement à ga-
rantir les dettes des sociétés, à couvrir leurs frais de
fonctionnement, à rembourser les quelques clients qui en
ont fait la demande et à alimenter les dépenses largement
somptuaires de X.________.

      En 1993, la banque M.________ a mis le groupe en
demeure de rembourser les encours. Les administrateurs
ont alors sollicité et obtenu un prêt de la banque
A.________, aux Bahamas. Ce prêt n'étant consenti que
contre remise en garantie par N.________ SA et G.________
SA d'un montant correspondant à l'intégralité du prêt,
X.________ a établi 21 fausses déclarations de clients de
N.________ SA et G.________ SA, selon lesquelles ceux-ci

donnaient leur accord pour que les avoirs soient mobili-
sés aux fins de garantie du prêt accordé par la banque
A.________.

      N'ayant pas été intégralement remboursée, la banque
M.________ a fait appel, en décembre 1993, aux garanties
émises par les clients de N.________ SA et G.________ SA,
de sorte que les avoirs de ceux-ci confiés à ces deux so-
ciétés ont été utilisés pour amortir la dette de
N.________ Company Ltd envers la banque M.________.

      La déconfiture des sociétés a été mise à jour en
1994. Il s'est notamment avéré que les déficits attei-
gnaient, au 31 décembre 1993, 84 millions de francs pour
N.________ SA et 70 millions de francs pour G.________ SA
et que X.________ avait prélevé 19 millions de francs sur
les actifs des sociétés pour assurer son propre train de
vie et financer d'autres activités sans rapport avec le
but social. Le dommage résultant de la déconfiture a été
évalué à 120 millions de francs.

      B.- Par arrêt du 16 février 2001, la Cour d'assises
de Genève a notamment condamné Y.________, pour escroque-
ries commises par métier et gestions fautives, à la peine
de 2 ans de réclusion.

      Saisie d'un pourvoi en cassation du condamné, la
Cour de cassation genevoise l'a rejeté par arrêt du
14 décembre 2001. La cour cantonale a notamment écarté le
grief par lequel le recourant contestait s'être rendu
coupable, en qualité de coauteur, d'escroqueries au pré-
judice des clients de N.________ SA ainsi que le grief
par lequel il s'en prenait à la peine qui lui avait été
infligée. S'agissant des escroqueries contestées, la cour

a considéré qu'un comportement par omission pouvait être
reproché au recourant, qui n'avait rien entrepris pour
éviter que les clients ne soient trompés, car il avait,
en tant qu'administrateur, une position de garant et
qu'il avait agi en tant que coauteur, ayant pris part aux
décisions essentielles. En ce qui concerne la peine, elle
a estimé que, par sa quotité, qui était justifiée, elle
excluait le sursis.

      C.- Y.________ se pourvoit en nullité au Tribunal
fédéral. Contestant sa condamnation comme coauteur des
escroqueries commises au détriment des clients de
N.________ SA et se plaignant de la peine prononcée à son
encontre, il conclut à l'annulation de l'arrêt attaqué,
en sollicitant l'assistance judiciaire et l'effet
suspensif.

        C o n s i d é r a n t   e n   d r o i t :

      1.- Saisie d'un pourvoi en nullité, qui ne peut
être formé que pour violation du droit fédéral (art. 269
PPF), la Cour de cassation contrôle l'application de ce
droit sur la base d'un état de fait définitivement arrêté
par l'autorité cantonale (cf. art. 277bis et 273 al. 1
let. b PPF). Le raisonnement juridique doit donc être me-
né sur la base des faits retenus dans la décision atta-
quée, dont le recourant est irrecevable à s'écarter
(ATF 124 IV 53 consid. 1 p. 55, 81 consid. 2a p. 83 et
les arrêts cités).

      2.- Le recourant soutient qu'il ne pouvait être
considéré comme coauteur des escroqueries commises au
préjudice des clients de N.________ SA. Il fait valoir
que, s'agissant des clients de cette société, on ne peut
lui reprocher qu'un comportement passif, soit de n'être
pas intervenu pour empêcher que ceux-ci soient trompés,
et que, comme administrateur, il n'avait pas envers eux
une position de garant.

      a) La tromperie que suppose l'escroquerie peut con-
sister soit à induire la victime en erreur, par des af-
firmations fallacieuses ou par la dissimulation de faits
vrais, soit à conforter la victime dans son erreur (cf.
art. 146 al. 1 CP). Pour qu'il y ait tromperie par affir-
mations fallacieuses, il faut que l'auteur ait affirmé un
fait dont il connaissait la fausseté; l'affirmation peut
résulter de n'importe quel acte concluant; il n'est donc
pas nécessaire que l'auteur ait fait une déclaration; il
suffit qu'il ait adopté un comportement dont on déduit
qu'il affirme un fait. La tromperie par dissimulation de
faits vrais est réalisée lorsque l'auteur s'emploie, par
ses propos ou par ses actes, à cacher la réalité; s'il se
borne à se taire, à ne pas révéler un fait, une tromperie
ne peut lui être reprochée que s'il se trouvait dans une
position de garant, à savoir s'il avait, en vertu de la
loi, d'un contrat ou d'un rapport de confiance spécial,
une obligation de parler. Quant au troisième comportement
prévu par la loi, consistant à conforter la victime dans
son erreur, il ne suffit pas que l'auteur, en restant pu-
rement passif, bénéficie de l'erreur d'autrui; il faut
que, par un comportement actif, c'est-à-dire par ses pa-
roles ou par ses actes, il ait confirmé la dupe dans son
erreur; cette hypothèse se distingue des deux précédentes

en ce sens que l'erreur est préexistante (cf. Corboz, Les
principales infractions, vol. I, Berne 1997, p. 140 ss,
n° 1 ss et les références citées).

      Le coauteur est celui qui collabore, intentionnel-
lement et de manière déterminante, avec d'autres person-
nes à la décision de commettre une infraction, à son or-
ganisation ou à son exécution, au point d'apparaître
comme l'un des participants principaux; il faut que,
d'après les circonstances du cas concret et le plan d'ac-
tion, la contribution du coauteur apparaisse essentielle
à l'exécution de l'infraction; la seule volonté quant à
l'acte ne suffit pas; il n'est toutefois pas nécessaire
que le coauteur ait effectivement participé à l'exécution
de l'acte ou ait pu l'influencer. La coactivité suppose
une décision commune, mais qui ne doit pas nécessairement
être expresse; elle peut aussi résulter d'actes con-
cluants et le dol éventuel quant au résultat suffit. Il
n'est pas nécessaire que le coauteur participe à la con-
ception du projet; il peut y adhérer ultérieurement. Il
n'est pas non plus nécessaire que l'acte soit prémédité;
le coauteur peut s'y associer en cours d'exécution. Ce
qui est déterminant c'est que l'auteur se soit associé à
la décision dont est issue l'infraction ou à la réalisa-
tion de cette dernière, dans des conditions ou dans une
mesure qui le font apparaître comme un participant non
pas secondaire, mais principal (ATF 125 IV 134 consid. 3a
p. 136 et les arrêts cités).

      b) En l'espèce, la tromperie a consisté à cacher
aux clients de N.________ SA, comme de G.________ SA, la
situation désastreuse de la société, en particulier les
pertes qu'elle subissait, et l'utilisation réelle qui
était faite de leurs fonds, à savoir qu'ils étaient en-
gloutis dans les dépenses de la société, dans le train de

vie de X.________ et dans le remboursement des dettes
contractées auprès des banques.

      Des faits retenus, il résulte que les clients n'ont
pas seulement été tenus dans l'ignorance de la situation
réelle de la société et de l'utilisation effective qui
était faite de leurs fonds, mais qu'ils ont notamment re-
çu des relevés falsifiés. Dans cette mesure, on ne se
trouverait pas en présence d'une dissimulation de faits
vrais commise par pure omission, mais aussi par commis-
sion, les associés n'ayant pas seulement gardé le si-
lence, mais s'étant aussi employés par leurs actes à ca-
cher la réalité. S'agissant du recourant, c'est toutefois
essentiellement, voire exclusivement, une omission qui
lui a été reprochée, soit de n'avoir rien entrepris pour
éviter que les clients ne soient trompés et que leurs
avoirs soient détournés. Il y a dès lors lieu de se de-
mander s'il avait une position de garant par rapport aux
clients, notamment une obligation de les renseigner (cf.
supra, let. a).

      c) Il résulte de l'arrêt attaqué que N.________ SA,
dont le but social était d'ailleurs la gestion de for-
tune, avait reçu mandat de gérer les avoirs des clients.
Elle était donc tenue de respecter les règles du mandat
(art. 394 ss CO), qui sont applicables au contrat de ges-
tion de fortune, en tout cas en ce qui concerne les de-
voirs et la responsabilité du gérant (arrêt 4C.97/1997 du
29 octobre 1997 consid. 3a, publié in SJ 1998 p. 198 et
les arrêts cités). Elle devait en particulier respecter
le devoir de fidèle exécution du mandat (art. 398 al. 2
CO), qui implique notamment celui de renseigner le man-
dant, lequel s'étend à tout ce qui est d'importance pour
ce dernier (ATF 115 II 62 consid. 3a p. 64/65). En tant
qu'administrateur de N.________ SA, le recourant devait

veiller au respect de ces règles; cela faisait partie de
son obligation de faire preuve de toute la diligence né-
cessaire à la gestion des affaires sociales (art. 717
al. 1 CO; art. 722 al. 1 aCO), laquelle est étroitement
liée aux règles sur la responsabilité figurant à l'art.
754 CO. Il avait donc bien une position de garant envers
les clients de la société.

      d) Contrairement à ce que laisse entendre le recou-
rant, sa participation aux escroqueries ne s'est pas li-
mitée à celles commises au préjudice des clients de
G.________ SA ni à un rôle purement passif. Selon les
constatations de fait cantonales, qui lient la Cour de
céans et ne sauraient donc être remises en cause (cf.
supra, consid. 1), le recourant, comme ses associés,
était au courant de tout ce qui se déroulait dans les
sociétés, donc aussi bien dans N.________ SA que dans
G.________ SA; il était en particulier au courant des
pertes de N.________ SA, des raisons de ces pertes, des
prélèvements de X.________, des attributions fictives de
gain et du fait que les opérations mentionnées dans la
comptabilité ne correspondaient à rien ainsi que de
l'utilisation qui était faite des fonds des clients. Or,
il a été constaté que le recourant a pris, en commun avec
X.________, les décisions essentielles et qu'il a notam-
ment décidé avec celui-ci des opérations financières à
effectuer. Le recourant a donc, en toute connaissance de
cause, pris part aux décisions dont sont issues les in-
fractions en cause, dans des conditions ou dans une me-
sure qui le font apparaître comme un participant non pas
secondaire, mais principal. Par la suite, alors qu'il
avait une position de garant envers les clients de la so-
ciété (cf. supra, let. c), il s'est abstenu d'intervenir
pour éviter que ceux-ci ne soient trompés, omettant no-
tamment de les renseigner sur les pertes subies et sur ce

qu'il advenait de leurs fonds. Il n'était dès lors pas
contraire au droit fédéral d'admettre que le recourant a
participé, en tant que coauteur, aux escroqueries commi-
ses au préjudice des clients de N.________ SA.

      3.- Le recourant se plaint de la peine qui lui a
été infligée, plus précisément de ce qu'il n'ait pas été
tenu compte dans la fixation de la peine de la limite de
18 mois au-delà de laquelle le sursis ne peut pas être
accordé.

      Selon la jurisprudence, la prise en considération
de l'élément invoqué suppose, outre la réalisation des
conditions permettant l'octroi du sursis, que la peine
privative de liberté que le juge envisage de prononcer ne
soit pas d'une durée nettement supérieure à 18 mois, ce
qui n'est le cas que si elle n'excède pas 21 mois
(ATF 127 IV 97 consid. 3 p. 100 s.). Comme, en l'espèce,
l'autorité cantonale envisageait de prononcer une peine
privative de liberté de 2 ans, le refus de tenir compte
de l'élément invoqué ne viole pas le droit fédéral.

      Pour le surplus, la peine infligée n'est pas con-
testée. On ne voit du reste pas qu'elle aurait été arrê-
tée sur la base de critères étrangers à l'art. 63 CP ou
en omettant de tenir compte d'éléments importants à pren-
dre en considération et on ne saurait dire qu'elle serait
excessive au point de constituer un abus du pouvoir d'ap-
préciation (ATF 123 IV 49 consid. 2a p. 51 et les arrêts
cités).

      4.- Le pourvoi doit ainsi être rejeté.

      Comme il était d'emblée dénué de chances de succès,
l'assistance judiciaire ne peut être accordée (art. 152
al. 1 OJ) et les frais seront mis à la charge du recou-
rant, qui succombe (art. 278 al. 1 PPF).

      La cause étant jugée, la requête d'effet suspensif
n'a plus d'objet.

                     Par ces motifs,

         l e   T r i b u n a l   f é d é r a l :

      1. Rejette le pourvoi.

      2. Rejette la requête d'assistance judiciaire.

      3. Met à la charge du recourant un émolument judi-
ciaire de 800 francs.

      4. Communique le présent arrêt en copie au manda-
taire du recourant, au Procureur général du canton de Ge-
nève et à la Cour de cassation genevoise.
                     _______________

Lausanne, le 8 avril 2002

          Au nom de la Cour de cassation pénale
               du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
          Le Président,           La Greffière,