Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

Kassationshof in Strafsachen 6S.19/2002
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6S.19/2002/ROD

     C O U R   D E   C A S S A T I O N   P E N A L E
    *************************************************

                       13 mai 2002

Composition de la Cour: M. Schubarth, Président,
M. Wiprächtiger et M. Kolly, Juges.
Greffière: Mme Angéloz.
                       ___________

           Statuant sur le pourvoi en nullité
                        formé par

le Procureur général du canton du   J u r a, à
Porrentruy,

                         contre

l'arrêt rendu le 3 décembre 2001 par la Cour pénale du
Tribunal cantonal jurassien dans la cause qui oppose le
recourant à X.________, représenté par Me Sylvaine
Perret-Gentil, avocate à Lausanne, et Me Pierre Christe,
avocat à Delémont;

          (infractions à la LACI; prescription;
                  fixation de la peine)

        Vu les pièces du dossier, d'où ressortent
               les   f a i t s   suivants:

      A.-  Par jugement du 27 novembre 1998, le Tribunal
correctionnel du district de Delémont a condamné
X.________, pour escroqueries, commises de janvier 1992 à
fin décembre 1993, et infractions à la loi fédérale sur
l'assurance-chômage (LACI; RS 837.0), commises de janvier
1994 à janvier 1995, à 15 mois d'emprisonnement, avec
sursis pendant 3 ans, et à une amende de 10.000 francs,
le libérant du chef d'accusation de faux dans les titres.
Il a par ailleurs condamné quatre coaccusés, pour des
infractions similaires.

      Statuant sur appel de X.________, la Cour pénale du
Tribunal cantonal jurassien, par arrêt du 3 décembre
2001, a partiellement réformé ce jugement en ce sens
qu'il n'était pas donné suite aux préventions d'infrac-
tions à la LACI commises par l'accusé durant la période
allant de janvier 1994 au 3 juin 1994, en raison de la
prescription absolue. En conséquence, la Cour pénale a
réduit la peine infligée à l'accusé de 15 à 12 mois
d'emprisonnement, l'amende prononcée en première instance
étant en outre supprimée; le sursis a été maintenu, la
durée du délai d'épreuve étant toutefois ramenée de
3 à 2 ans.

      B.-  Cet arrêt retient, en résumé, ce qui suit.

      a) La société Y.________ SA, notamment active dans
la fabrication de boîtes de montres, est issue de la so-
ciété Z.________ SA. Au début de l'année 1992, la société,
dont X.________ était l'administrateur, a vu sa produc-
tivité chuter et a dû recourir au chômage. Elle a alors

demandé, dès le 16 mars 1992, et obtenu de la Caisse
d'assurance-chômage FTMH de Delémont des indemnités en
cas de réduction de l'horaire de travail (ci-après:
indemnités RHT), cela pour un montant total ascendant,
sur les périodes de décompte de janvier 1992 à janvier
1995, à 3.426.074,30 francs. Par la suite, il s'est avéré
que, jusqu'à concurrence d'un montant total de
3.137.282,70 francs, les indemnités RHT ainsi versées
avaient été perçues pour du chômage fictif, en annonçant
plus d'heures chômées que celles qui l'étaient réel-
lement, donc indûment.

      Il a été retenu que X.________ était parfaitement
au courant de la pratique consistant à demander des
indemnités RHT pour du chômage fictif et de l'illicéité
de cette pratique, qu'il avait voulu poursuivre; sachant
que, selon le système voulu par le législateur, les or-
ganes chargés de l'application de la LACI, en l'absence
d'indices sérieux de fraude, qui faisaient défaut en
l'occurrence, ne procédaient pas à des contrôles au stade
de l'annonce préalable et de l'examen des demandes d'in-
demnités RHT mais se fondaient sur les indications four-
nies par l'entreprise, il avait exploité cette situation
pour obtenir les indemnités litigieuses, ceci afin de
permettre à la société d'atteindre le chiffre d'affaires
nécessaire à sa survie, voire d'éviter de perdre défini-
tivement l'argent qu'il avait investi pour acquérir la
société.

      b) A l'instar des premiers juges, la cour cantonale
a considéré que les faits commis par l'accusé jusqu'à la
fin de l'année 1993 étaient constitutifs d'escroqueries,
précisant toutefois, sans que cela n'ait d'incidence sur
le jugement attaqué, que la date à prendre en compte pour
le début de l'activité délictueuse était, non pas le
début janvier 1992, mais le 16 mars 1992, date de la pre-

mière demande d'indemnités RHT relative à la période de
décompte de janvier 1992.

      S'agissant des faits commis par l'accusé à partir
du 1er janvier 1994, la cour cantonale a estimé que, con-
trairement à ce qu'avaient admis les premiers juges, ils
auraient également dû être considérés comme constitutifs
d'escroqueries, les indices de fraude dont disposaient
les organes d'exécution de la LACI étant insuffisants
pour inciter ces derniers à procéder à des contrôles.
Elle a toutefois maintenu la qualification d'infractions
à la LACI, eu égard à l'interdiction de la reformatio in
pejus. Elle a en revanche admis que les infractions à la
LACI commises par l'accusé durant la période allant de
janvier 1994 au 3 juin 1994 étaient atteintes par la
prescription absolue au moment où elle statuait.

      Fondée sur ces considérations, la cour cantonale a
reconnu l'accusé coupable d'escroqueries (art. 148 aCP)
pour les faits commis jusqu'à la fin décembre 1993 et
d'infractions à la LACI (art. 105 al. 1 LACI) pour les
faits commis du 4 juin 1994 à janvier 1995. Statuant à
nouveau sur la peine, elle l'a atténuée comme indiqué
ci-dessus (cf. supra, let. A) pour tenir compte de la
prescription de certaines infractions à la LACI.

      C.-  Le Ministère public jurassien se pourvoit en
nullité au Tribunal fédéral. Contestant la prescription
des infractions à la LACI commises de janvier 1994 au
3 juin 1994 et, subsidiairement, la peine infligée à
l'accusé, il conclut à l'annulation de l'arrêt attaqué.

        C o n s i d é r a n t   e n   d r o i t :

      1.-  Le recourant relève que les infractions à la
LACI commises par l'intimé ont été considérées à juste
titre comme analogues et lésant le même bien juridique-
ment protégé. Toutefois, contrairement à ce qu'a admis la
cour cantonale, ces infractions procéderaient de la vio-
lation durable des devoirs permanents qui incombaient à
l'intimé, en tant qu'employeur, en matière d'assurance
chômage, en particulier dans le domaine des indemnités
RHT. Elles formeraient donc une entité du point de vue de
la prescription, qui aurait dès lors commencé à courir du
jour du dernier acte délictueux. En conséquence, aucune
de ces infractions n'était prescrite, de sorte que l'ar-
rêt attaqué violerait le droit fédéral en tant qu'il ad-
met que les infractions à la LACI commises par l'intimé
de janvier 1994 au 3 juin 1994 sont atteintes par la
prescription absolue.

      a) Conformément à l'art. 71 al. 2 CP, si le délin-
quant a exercé son activité coupable à plusieurs re-
prises, la prescription court du jour du dernier acte.

      Selon la jurisprudence, plusieurs infractions dis-
tinctes doivent être considérées comme une entité au
regard de l'art. 71 al. 2 CP, c'est-à-dire comme une
activité globale pour laquelle le délai de prescription
commence à courir du jour où le dernier acte a été com-
mis, si elles sont identiques ou analogues, si elles ont
été commises au préjudice du même bien juridiquement
protégé et si elles procèdent d'un comportement durable-
ment contraire à un devoir permanent de l'auteur, sans
que l'on soit toutefois en présence d'un délit continu
au sens de l'art. 71 al. 3 CP. La question de savoir si
cette condition est réalisée ne peut être définie exhaus-

tivement en une formule abstraite; elle doit être tran-
chée en fonction du cas concret, en tenant compte du sens
et du but de la prescription ainsi que des circonstances
de l'état de fait du cas d'espèce; dans tous les cas, il
faut que l'infraction en cause implique, expressément ou
par son but, la violation durable d'un devoir permanent
(ATF 127 IV 49 consid. 1b p. 54 et les arrêts cités).

      L'existence d'une unité du point de vue de la pres-
cription ne doit être admise que restrictivement, pour
éviter de réintroduire sous une autre forme la notion de
délit successif, qui a été abandonnée dans l'ATF 117 IV
408 (ATF 127 IV 49 consid. 1b p. 54; 124 IV 59 consid.
3b/aa p. 61). Le Tribunal fédéral a été amené à se pro-
noncer sur la question au sujet de diverses infractions;
cette jurisprudence a été résumée dans l'ATF 127 IV 49
consid. 1b p. 55, auquel on peut donc se référer.

      b) Il n'est pas douteux que, comme l'a admis la
cour cantonale, les diverses infractions à l'art. 105
al. 1 LACI retenues à l'encontre de l'intimé constituent
des infractions analogues et lèsent le même bien juridi-
quement protégé. Seule demeure donc à élucider la ques-
tion de savoir si, comme le soutient le recourant, l'in-
fraction à l'art. 105 al. 1 LACI implique la violation
durable d'un devoir permanent de l'auteur, ce que la cour
cantonale a nié, sans réellement motiver sa décision sur
ce point.

      c) L'art. 105 al. 1 LACI réprime le comportement de
celui qui, par des indications fausses ou incomplètes ou
de toute autre manière, aura obtenu, pour lui-même ou
pour autrui, des prestations de l'assurance auxquelles il
n'avait pas droit.

      Cette infraction présente une certaine analogie
avec une escroquerie commise au préjudice de l'assurance
sociale, dont elle ne se distingue guère que par l'élé-
ment d'astuce. Dans un arrêt non publié du 16 août 2001
(6S.655/2000), le Tribunal fédéral a en effet admis que,
lorsque la tromperie qu'implique l'art. 105 al. 1 LACI
doit être qualifiée d'astucieuse, la disposition du code
pénal réprimant l'escroquerie est applicable (arrêt
6S.655/2000, consid. 3e). Or, selon la jurisprudence, une
pluralité d'escroqueries, même si l'auteur a agi par mé-
tier, ne constituent pas une unité sous l'angle de la
prescription, car la condition d'un comportement dura-
blement contraire à un devoir permanent de l'auteur fait
défaut en cas d'escroquerie, dont les éléments consti-
tutifs objectifs n'impliquent pas l'existence d'un tel
comportement (ATF 124 IV 59 consid. 3b p. 60 s.). Logi-
quement, ce raisonnement vaut mutatis mutandis pour
l'infraction réprimée par l'art. 105 al. 1 LACI. Con-
trairement à ce qui est le cas pour la gestion déloyale
ou l'abus de confiance et comme pour l'escroquerie,
l'auteur de l'infraction réprimée par l'art. 105 al. 1
LACI n'est pas constamment tenu de veiller aux intérêts
pécuniaires d'autrui, respectivement de réparer le dom-
mage causé par l'acte réprimé; tromper l'assurance pour
en obtenir indûment des prestations constitue un fait
ponctuel, non pas une situation qui se prolonge dans le
temps (cf. ATF 124 IV 59 consid 3a/aa p. 61/62). Les
différents actes constitutifs de l'infraction réprimée
par l'art. 105 al. 1 LACI ne forment donc pas une unité
sous l'angle de la prescription, qui commence dès lors à
courir, pour chacun d'eux, du jour où il a été commis.

      Au vu de ce qui précède, l'arrêt attaqué ne viole
pas le droit fédéral autant qu'il nie que les infractions
à l'art. 105 al. 1 LACI commises par l'intimé forment une
unité du point de vue de la prescription et admet en con-

séquence que celles de ces infractions qui ont été com-
mises entre le 1er janvier et le 3 juin 1994 sont abso-
lument prescrites.

      2.-  Le recourant soutient que, nonobstant la sup-
pression par la cour cantonale, à raison de la prescrip-
tion absolue, des infractions à la LACI commises par
l'intimé durant la période allant de janvier 1994 au
3 juin 1994, une réduction de trois mois de la peine
privative de liberté, déjà très modérée, infligée en
première instance ne se justifiait pas.

      a) Pour fixer la peine, le juge dispose d'un large
pouvoir d'appréciation. Un pourvoi en nullité portant sur
la quotité de la peine ne peut donc être admis que si la
sanction a été fixée en dehors du cadre légal, si elle
est fondée sur des critères étrangers à l'art. 63 CP, si
les éléments d'appréciation prévus par cette disposition
n'ont pas été pris en compte ou enfin si la peine appa-
raît exagérément sévère ou clémente au point que l'on
doive parler d'un abus du pouvoir d'appréciation (ATF 123
IV 49 consid. 2a p. 51 et les arrêts cités).

      b) En première instance, l'intimé avait été condam-
né, pour des escroqueries commises sur une période d'un
peu moins de 2 ans et des infractions à la LACI commises
sur une période d'environ 1 an, ayant causé un dommage
total de plus de 3 millions de francs, à une peine priva-
tive de liberté (avec sursis) de 15 mois d'emprisonne-
ment. En seconde instance, il a été acquitté, à raison de
la prescription intervenue dans l'intervalle, d'infrac-
tions à la LACI commises sur une période d'environ 5 mois
ayant causé un dommage total que l'arrêt attaqué ne per-
met pas de déterminer avec précision mais pouvant être
évalué, selon les faits retenus, à plus de 300.000 francs

au minimum; en conséquence, la durée de la peine priva-
tive de liberté a été réduite de 3 mois.

      Ainsi, en raison de la prescription d'infractions
ayant porté sur une période représentant environ un
septième de la durée totale de l'activité délictueuse et
ayant entraîné un dommage correspondant approximativement
à un dixième du préjudice total causé, la cour cantonale
a opéré une réduction équivalant à un cinquième environ
de la peine infligée en première instance. Une telle
réduction n'est manifestement pas choquante et dispropor-
tionnée au point que la cour cantonale puisse se voir
reprocher un abus de son pouvoir d'appréciation dans la
fixation de la peine. Au reste il n'est pas établi ni
d'ailleurs allégué que la cour cantonale aurait omis de
tenir compte d'éléments à charge qui n'aient déjà été
pris en considération par les premiers juges. Le grief
est par conséquent infondé.

      3.-  Le pourvoi doit ainsi être rejeté.

      Conformément à l'art. 278 al. 2 PPF, il ne sera pas
perçu de frais.

      Il n'y a pas lieu d'allouer une indemnité à l'inti-
mé, qui n'a pas été amené à se déterminer sur le pourvoi
(art. 278 al. 3 PPF).

                     Par ces motifs,

         l e   T r i b u n a l   f é d é r a l ,

      1. Rejette le pourvoi.

      2. Dit qu'il n'est pas perçu de frais ni alloué
d'indemnité.

      3. Communique le présent arrêt en copie au Procu-
reur général du canton du Jura, aux mandataires de l'in-
timé et à la Cour pénale du Tribunal cantonal jurassien.
                      _____________

Lausanne, le 13 mai 2002

          Au nom de la Cour de cassation pénale
               du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
                      Le Président,

                      La Greffière,