Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

II. Zivilabteilung 5P.82/2002
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5P.82/2002

                 IIe  C O U R   C I V I L E
                 **************************

                        11 avril 2002

Composition de la Cour: M. Bianchi, président, Mme Nordmann
et Mme Hohl, juges. Greffier: M. Abrecht.

                          _________

           Statuant sur le recours de droit public
                          formé par

M.________, représenté par Me Basile Schwab, avocat à La
Chaux-de-Fonds,

                           contre

l'arrêt rendu le 17 janvier 2002 par la Cour de cassation
civile du Tribunal cantonal du canton de Neuchâtel dans la
cause qui oppose le recourant à dame M.________, intimée,
représentée par Me Françoise Desaules, avocate à Neuchâtel;

            (art. 9 Cst.; mainlevée d'opposition)

          Vu les pièces du dossier d'où ressortent
                   les f a i t s suivants:

   A.- Les époux M.________ sont en instance de divorce
depuis le 18 décembre 1998, date à laquelle l'épouse a déposé
une demande de divorce ainsi qu'une requête de mesures provi-
soires.

   Par ordonnance de mesures provisoires du 27 juillet
1999, le président du Tribunal civil du district de Boudry a
notamment fixé à 3'071 fr. par mois la contribution du mari à
l'entretien de son épouse, dès le 1er janvier 1999.

   Par arrêt du 15 février 2000, la Cour de cassation
civile du Tribunal cantonal du canton de Neuchâtel, saisie
d'un recours de l'épouse, a partiellement cassé cette ordon-
nance en ce sens qu'elle a fixé à 5'000 fr. par mois la con-
tribution du mari à l'entretien de son épouse, dès le 1er
janvier 1999.

   Le 12 avril 2000, le mari a déposé une requête en
modification de mesures provisoires, tendant à réduire le
montant de la contribution d'entretien de 5'000 fr. à 1'500
fr. par mois, dès le 1er janvier 2000.

   B.- Le 26 juin 2001, l'Office des poursuites du
Littoral et du Val-de-Travers a notifié à M.________, sur
réquisition de dame M.________, un commandement de payer la
somme de 54'625 fr. 15 avec intérêt à 5% l'an dès le 20 juin
2001 (poursuite n° XXXXXXXX). Cet acte, auquel le poursuivi a
fait opposition totale, indiquait comme titre de la créance
"Montant dû selon arrêt de la Cour de cassation civile. Pen-
sions arriérées d'avril 2000 à mai 2001".

   La poursuivante ayant requis la mainlevée définitive
de l'opposition, le poursuivi a déposé à l'audience du 30

août 2001 du juge de la mainlevée une copie d'une ordonnance
de modification de mesures provisoires du 14 août 2001. Cette
ordonnance fixait la contribution d'entretien due par
M.________ à son épouse à 3'380 fr. par mois, avec effet ré-
troactif au 1er janvier 2000.

   Par décision du 4 septembre 2001, la Présidente du
Tribunal civil du district de Neuchâtel, considérant que
l'ordonnance déposée par le poursuivi n'était pas définitive
et exécutoire au jour de l'audience puisqu'elle était encore
susceptible de recours, a prononcé la mainlevée définitive de
l'opposition, avec suite de frais et dépens.

   C.- Statuant par arrêt du 17 janvier 2002, la Cour
de cassation civile du Tribunal cantonal du canton de Neuchâ-
tel a rejeté le recours interjeté par le poursuivi contre
cette décision.

   D.- Agissant par la voie du recours de droit public
au Tribunal fédéral, M.________ conclut avec suite de frais
et dépens à l'annulation de cet arrêt. Il a en outre requis
l'octroi de l'effet suspensif, requête que le Président de la
Cour de céans a admise par ordonnance du 13 mars 2002 après
avoir recueilli les déterminations de l'intimée. Il n'a pas
été ordonné d'échange d'écritures sur le fond.

           C o n s i d é r a n t  e n  d r o i t :

   1.- La décision prononçant ou refusant en dernière
instance cantonale (art. 86 al. 1 OJ) la mainlevée - provi-
soire ou définitive - de l'opposition est une décision finale
qui peut faire l'objet d'un recours de droit public (ATF 120
Ia 256 consid. 1a; 111 III 8 consid. 1; 98 Ia 348 consid. 1,
527 consid. 1 et les arrêts cités; 94 I 365 consid. 3). Le
recours est par conséquent recevable de ce chef. Interjeté en

temps utile, il est également recevable au regard de l'art.
89 al. 1 OJ.

   2.- a) L'autorité cantonale a considéré que l'ordon-
nance de mesures provisoires du 27 juillet 1999, modifiée par
l'arrêt du 15 février 2000, était définitive et exécutoire et
représentait ainsi un titre de mainlevée définitive au sens
de l'art. 80 LP. Comme les décisions concernant le paiement à
futur de contributions d'entretien étaient conditionnellement
exécutoires, le poursuivi aurait pu se libérer en apportant
la preuve que la décision formellement exécutoire invoquée
par la poursuivante avait cessé d'être exécutable. En l'oc-
currence, toutefois, le poursuivi n'avait pas amené la preuve
par titre de sa libération (art. 81 al. 1 LP), car l'ordon-
nance de modification du 14 août 2001 qu'il avait produite
n'était pas encore définitive et exécutoire, étant encore
susceptible de recours tant à la date de l'audience devant le
juge de la mainlevée qu'au jour du prononcé de mainlevée.
Aussi le premier juge ne pouvait-il que constater que le seul
titre de mainlevée valable était l'ordonnance du 27 juillet
1999, complétée et modifiée par l'arrêt de cassation du 15
février 2000, expressément invoqué par la poursuivante. Le
poursuivi ne saurait reprocher au juge de la mainlevée de
n'avoir pas suspendu la procédure jusqu'à ce que l'ordonnance
de modification de mesures provisoires du 14 août 2001 soit
devenue définitive et exécutoire; en effet, le poursuivi
n'avait à aucun moment sollicité une telle suspension, de
sorte que ce moyen, invoqué pour la première fois en procédu-
re de cassation, était irrecevable parce que tardif.

   b) S'agissant du montant de la créance en poursuite,
les juges cantonaux ont constaté que celle-ci était en iden-
tité avec la créance allouée par le jugement dans la mesure
où le commandement de payer indiquait bien comme titre de la
créance "Montant dû selon arrêt de la Cour de cassation civi-
le. Pensions arriérées d'avril 2000 à mai 2001". Certes, le

dossier ne permettait pas de saisir pourquoi la poursuivante
avait opéré une déduction de 15'374 fr. 85 sur le montant de
la créance en poursuite, qui selon le titre de mainlevée
définitive était de 70'000 fr. pour la période d'avril 2000 à
mai 2001. Toutefois, on voyait mal quel était l'intérêt du
poursuivi à critiquer le montant de la créance en poursuite
puisque celui-ci était inférieur au montant déterminable,
d'autant qu'il n'avait pas établi par titre, en procédure de
mainlevée, avoir payé la différence de 15'374 fr. 85 qui lui
était ainsi favorable.

   3.- a) Le recourant, qui invoque la prohibition de
l'arbitraire (art. 9 Cst.), fait valoir que selon le Code de
procédure civile neuchâtelois, le jugement sur mesures provi-
soires, soumis aux règles de la procédure sommaire, doit être
rendu dans les trente jours (art. 125 et 382 CPC/NE). Ainsi,
l'arrêt attaqué reviendrait à faire supporter au recourant le
retard mis par le Président du Tribunal du district de Boudry
pour statuer, par ordonnance du 14 août 2001, sur une requête
en modification de mesures provisoires déposée le 12 avril
2000. En effet, si cette ordonnance avait été rendue dans un
délai raisonnable, l'intimée n'aurait pas obtenu, ni même
sollicité, la mainlevée pour le montant qu'elle a finalement
dû mentionner, dans l'attente de la décision judiciaire sur-
venue ultérieurement. Au surplus, l'ordonnance du 14 août
2001 existait déjà lorsqu'a été rendue la décision de mainle-
vée du 4 septembre 2001, et à plus forte raison lorsqu'a été
rendu l'arrêt entrepris du 17 janvier 2002. Or cette ordon-
nance modifiait complètement le calcul à effectuer et rendait
caduque la somme mentionnée dans sa réquisition de poursuite
par la créancière elle-même. La décision de mainlevée con-
traindrait ainsi le recourant à s'acquitter d'une somme clai-
rement supérieure à celle due en réalité, avec toutes les
conséquences négatives que cela entraînerait pour lui-même et
pour ses créanciers. Le raisonnement de l'autorité cantonale
(cf. consid. 2a supra), fondé exclusivement sur des critères

formels, serait dénué non seulement de bon sens, mais aussi
et surtout d'équité. La situation étant peu claire lorsque le
premier juge avait rendu sa décision sur la requête de main-
levée, il aurait dû soit rejeter purement et simplement cette
requête, soit à tout le moins suspendre la procédure de main-
levée en attendant que l'ordonnance du 14 août 2001 devienne
définitive et exécutoire.

   b) Le créancier qui est au bénéfice d'un jugement
exécutoire peut requérir du juge la mainlevée définitive de
l'opposition (art. 80 al. 1 LP). Lorsque la poursuite est
fondée sur un jugement exécutoire rendu par une autorité de
la Confédération ou du canton dans lequel la poursuite a
lieu, le juge ordonne la mainlevée définitive de l'opposi-
tion, à moins que l'opposant ne prouve par titre que la dette
a été éteinte ou qu'il a obtenu un sursis, postérieurement au
jugement, ou qu'il ne se prévale de la prescription (art. 81
al. 1 LP).

   La reconnaissance judiciaire concernant le paiement
de contributions d'entretien peut être conditionnellement
exécutoire (Gilliéron, Commentaire de la loi fédérale sur la
poursuite pour dettes et la faillite, vol. I, 1999, n. 34 ad
art. 81 LP; Panchaud/Caprez, La mainlevée d'opposition, 1980,
§ 110 II p. 268), en ce sens que son effet cesse lorsque
disparaissent les conditions factuelles et juridiques en
vertu desquelles elle a été prononcée, par exemple, en cas de
mesures provisoires dans une procédure en divorce, lorsque
cette procédure est close ou que les époux ont repris la vie
commune (condition résolutoire; ATF 41 I 119 consid. 4; cf.
ATF 55 II 161; Panchaud/Caprez, op. cit., § 110 II p.
268/269), ou encore en cas de remariage ou de rente de durée
déterminée (également condition résolutoire; Staehelin, Kom-
mentar zum Bundesgesetz über Schuldbetreibung und Konkurs,
1998, n. 47 ad art. 80 LP); le jugement peut aussi prévoir
une condition suspensive, telle que l'indexation d'une rente

(Staehelin, op. cit., n. 46 ad art. 80 LP; Panchaud/Caprez,
op. cit., § 110 II p. 269/270; Gessler, Scheidungsurteile als
definitive Rechtsöffnungstitel, SJZ 1987 p. 249 ss, 250).

   Par ailleurs, parmi les moyens libératoires qui
remettent en cause l'existence ou l'exigibilité de la créance
déduite en poursuite (art. 81 al. 1 LP) figure la modifica-
tion du jugement sur lequel le poursuivant se fonde pour
requérir la mainlevée définitive de l'opposition (ATF 55 II
161; Gilliéron, op. cit., n. 51 ad art. 81 LP; cf. Staehelin,
op. cit., n. 47 ad art. 80 LP). Toutefois, tant selon la
doctrine que selon la jurisprudence cantonale, un jugement
portant condamnation à verser une contribution d'entretien
constitue un titre de mainlevée définitive tant qu'il n'a pas
été modifié par un nouveau jugement entré en force de chose
jugée (Staehelin, op. cit., n. 47 ad art. 80 LP et les arrêts
cantonaux cités; Bühler/Spühler, Berner Kommentar, Band II/1/
1/2, 1980, n. 190 ad art. 157 CC; SJZ 1966 p. 192 n° 114).

   c) En l'espèce, le recourant ne conteste pas que
l'ordonnance de modification du 14 août 2001 - qui a fait
l'objet d'un recours de l'intimée, selon les déterminations
de cette dernière sur la requête d'effet suspensif - n'avait
pas acquis force de chose jugée lorsque le premier juge a
prononcé la mainlevée en se fondant sur l'ordonnance du 27
juillet 1999 telle que modifiée par l'arrêt de cassation du
15 février 2000. L'opinion des juges cantonaux, selon les-
quels l'ordonnance invoquée par la poursuivante constituait
le seul titre de mainlevée valable, se révèle ainsi conforme
à la jurisprudence et à la doctrine (cf. consid. 3b supra),
et les arguments soulevés par le recourant ne font pas appa-
raître cette opinion comme arbitraire. Quant à l'argument
selon lequel le premier juge aurait dû suspendre la procédure
de mainlevée en attendant que l'ordonnance du 14 août 2001
devienne définitive et exécutoire, il n'y a pas lieu de le
prendre en considération dès lors que l'autorité cantonale

l'a déclaré irrecevable en vertu de règles cantonales de
procédure dont le recourant ne soutient pas qu'il aurait été
fait une application arbitraire.

   4.- a) S'agissant du montant de la créance déduite
en poursuite, le recourant fait valoir que le prononcé de la
mainlevée nécessiterait évidemment que ce montant soit clai-
rement déterminable, et compréhensible pour chacune des par-
ties et pour le juge. Or en l'espèce, ce montant n'était
expliqué par la poursuivante ni dans le commandement de
payer, ni dans les explications fournies à l'audience du juge
de la mainlevée, ni dans ses observations sur le recours en
cassation (cf. consid. 2b supra), de sorte que la mainlevée
sollicitée aurait dû être refusée.

   Cet argument tombe à faux. En effet, l'identité de
la créance déduite en poursuite ("Montant dû selon arrêt de
la Cour de cassation civile. Pensions arriérées d'avril 2000
à mai 2001") et de la créance reconnue dans le titre de main-
levée n'est pas contestée. Or dans la procédure de mainlevée,
le recourant n'a pas prouvé par titre sa libération à concur-
rence de quelque montant que ce soit. On ne voit pas comment
il pourrait y avoir arbitraire à accorder la mainlevée à
concurrence du montant réclamé en poursuite, soit 54'625 fr.
15, du moment que ce montant est inférieur au montant déter-
miné selon le titre de mainlevée, soit 70'000 fr., et que
rien n'oblige le créancier à poursuivre son débiteur pour
l'entier de sa créance.

   5.- En définitive, le recours, mal fondé en tant
qu'il est recevable, doit être rejeté dans cette même mesure.
Le recourant, qui succombe, supportera les frais judiciaires
(art. 156 al. 1 OJ) et indemnisera l'intimée pour ses obser-
vations sur la requête d'effet suspensif (art. 159 al. 1 OJ).

                       Par ces motifs,

            l e  T r i b u n a l  f é d é r a l :

   1. Rejette le recours dans la mesure où il est
recevable.

   2. Met à la charge du recourant:
   a) un émolument judiciaire de 2'500 fr.;
   b) une indemnité de 500 fr. à verser à l'intimée à
titre de dépens.

   3. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la Cour de cassation civile du Tribu-
nal cantonal du canton de Neuchâtel.

                         __________

Lausanne, le 11 avril 2002
ABR/frs

                Au nom de la IIe Cour civile
                du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE :
                        Le Président,

                        Le Greffier,