Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

II. Zivilabteilung 5P.498/2002
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5P.498/2002 /frs

Arrêt du 1er avril 2003
IIe Cour civile

Mmes et M. les Juges Nordmann, Juge présidant,
Hohl et Marazzi.
Greffière: Mme Mairot.

Z. ________,
recourante, représentée par Me Mauro Poggia, avocat,
rue de Beaumont 11, 1206 Genève,

contre

X.________,
intimée, représentée par Me Gilles Crettol, avocat, case postale 3199, 1211
Genève 3,
Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève, place du
Bourg-de-Four 1, case postale 3108, 1211 Genève 3.

Art. 9 et 10 al. 2 Cst., art. 6 § 1 CEDH (expertise),

recours de droit public contre l'arrêt de la Chambre civile de la Cour de
justice du canton de Genève du 15 novembre 2002.

Faits:

A.
Z. ________, née le 5 octobre 1938, a été victime d'un accident de la
circulation routière le 20 juin 1992.

Dans le cadre des procédures intentées par celle-ci contre A.________
Assurances et B.________ Compagnie d'assurances, devenues X.________
Assurances générales SA, le Tribunal de première instance du canton de Genève
a décidé de mettre en oeuvre une expertise médicale. Considérant que
l'instruction de la cause était complète, Z.________ s'est opposée à cette
mesure.

Par ordonnance du 30 novembre 1998, le tribunal a confié l'expertise à un
collège composé de trois médecins. Le 21 mai 1999, la Cour de justice du
canton de Genève a déclaré irrecevable l'appel interjeté par l'intéressée
contre cette décision. Statuant le 22 juillet suivant sur le recours de droit
public formé par l'appelante, le Tribunal fédéral a également déclaré
celui-ci irrecevable, décision qui a été confirmée le 25 novembre 1999 sur
demande de révision.

Z. ________ a alors sollicité la récusation des experts désignés. Le Tribunal
de première instance n'est pas entré en matière sur cette requête.

A la suite d'une demande de l'intéressée, cette autorité a, par ordonnance du
23 octobre 2000, enjoint les experts de procéder en présence des conseils des
parties, si celles-ci le souhaitaient.

En désaccord avec cette modalité d'exécution, les médecins concernés ont, le
30 janvier 2001, refusé la mission qui leur avait été confiée.

Le tribunal ayant décidé de la soumettre à un examen préalable visant à
déterminer si son état de santé lui permettait de se présenter seule à
l'expertise, Z.________ a renoncé à être assistée durant celle-ci par son
avocat, à condition qu'un médecin de son choix fût désigné comme expert.

B.
Par ordonnance du 25 mars 2002, le Tribunal de première instance a,
notamment, rapporté ses décisions préparatoires des 30 novembre 1998 et 23
octobre 2000, puis désigné cinq experts, dont deux respectivement choisis par
chacune des parties, et défini leur mission. Le tribunal a par ailleurs fixé
l'avance de frais à 25'000 fr. - à savoir 5'000 fr. par expert - et invité
les parties à verser chacune 9'000 fr., 7'000 fr. ayant d'ores et déjà été
provisionnés.

C.
Contre cette décision, Z.________ a déposé à la fois un appel à la Cour de
justice et un recours de droit public au Tribunal fédéral.

Par ordonnance du 3 mai 2002, le président de la cour de céans a suspendu la
procédure de recours de droit public jusqu'à droit connu sur l'appel
cantonal. Statuant le 15 novembre 2002, la Cour de justice a déclaré celui-ci
irrecevable.

D.
Agissant derechef par la voie du recours de droit public pour violation des
art. 9 et 10 al. 2 Cst., ainsi que 6 § 1 CEDH, Z.________ demande au Tribunal
fédéral d'annuler l'arrêt de la Cour de justice du 15 novembre 2002.

Préalablement, elle a demandé que ce recours soit joint à celui déposé contre
l'ordonnance du Tribunal de première instance du 25 mars 2002. Cette requête
a été rejetée le 30 décembre 2002, les deux recours de droit public étant
dirigés contre des décisions émanant d'autorités judiciaires différentes.

Des observations n'ont pas été requises.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le recours de droit public formé contre la décision d'irrecevabilité doit
être traité en premier lieu. En cas d'admission de ce recours, l'ordonnance
du Tribunal de première instance devrait en effet être à nouveau soumise à la
Cour de justice pour qu'elle l'examine, ce qui rendrait le recours de droit
public dirigé contre ladite ordonnance irrecevable, celle-ci n'ayant pas été
prise en dernière instance cantonale (art. 86 al. 1 OJ). Pendant ce temps, ce
dernier recours reste suspendu.

2.
2.1 Formé en temps utile pour violation de droits constitutionnels des
citoyens, contre une décision prise en dernière instance cantonale qui ne
peut être attaquée par un autre moyen de droit, le présent recours est
recevable sous l'angle des art. 84 al. 1 let. a, 84 al. 2, 86 et 89 al. 1 OJ.

2.2 Selon l'art. 87 al. 2 OJ, le recours de droit public est recevable contre
les décisions préjudicielles et incidentes - autres que celles sur la
compétence et sur les demandes de récusation - prises séparément s'il peut en
résulter un préjudice irréparable. La décision d'irrecevabilité attaquée, qui
a trait à l'administration des preuves dans le cadre d'un procès civil (arrêt
4P.117/1998 du 26 octobre 1998, in SJ 1999 I p. 186 ss), est incidente (sur
cette notion, cf. ATF 128 I 215 consid. 2 p. 215/216 et les arrêts cités).
Elle ne peut donc faire l'objet d'un recours de droit public que si elle
cause à la recourante un dommage irréparable au sens de la disposition
précitée, par quoi on entend exclusivement le préjudice juridique qui ne peut
être réparé ultérieurement, notamment par le jugement final. Un dommage de
pur fait, tel que la prolongation de la procédure ou un accroissement des
frais de celle-ci, n'est pas considéré comme irréparable (ATF 129 III 107
consid. 1.2.1 p. 110; 127 I 92 consid. 1c p. 94; 126 I 97 consid. 1b p. 100
et les arrêts cités).
Les décisions relatives à l'administration des preuves ne sont, en principe,
pas de nature à causer aux intéressés un dommage irréparable, tel qu'il vient
d'être défini. En effet, la partie qui conteste la constitutionnalité d'une
décision rendue en ce domaine dans un procès qui la concerne pourra attaquer,
le cas échéant, cette décision incidente en même temps que la décision finale
(ATF 99 Ia 437 consid. 1 p. 438 et les références citées). La règle comporte
toutefois des exceptions. Il en va ainsi, notamment, lorsque l'existence d'un
moyen de preuve est mise en péril ou quand la sauvegarde de secrets est en
jeu (Ludwig, Endentscheid, Zwischenentscheid und Letztinstanzlichkeit im
staatsrechtlichen Beschwerdeverfahren, in RJB 110/1974 p. 161 ss, 183 n. 4.6
et les citations; Kälin, Das Verfahren der staatsrechtlichen Beschwerde, 2e
éd., p. 343 n. 135).
En l'occurrence, cette question souffre de rester indécise car le présent
recours doit de toute façon être écarté pour d'autres motifs. Comme la Cour
de justice a déclaré l'appel irrecevable, la recourante peut toutefois
uniquement soutenir, dans le recours de droit public, que ce refus d'entrer
en matière serait arbitraire ou contreviendrait de quelqu'autre manière aux
droits constitutionnels. Il n'y a en revanche pas lieu d'examiner le
bien-fondé de l'ordonnance d'expertise.

2.3 Aux termes de l'art. 90 al. 1 let. b OJ, l'acte de recours doit - sous
peine d'irrecevabilité (ATF 123 II 552 consid. 4d p. 558) - contenir un
exposé succinct des droits constitutionnels ou des principes juridiques
violés, précisant en quoi consiste la violation. Saisi d'un recours de droit
public, le Tribunal fédéral n'examine que les griefs soulevés de manière
claire et détaillée, le principe jura novit curia étant inapplicable (ATF 125
I 71 consid. 1c p. 76; 122 I 70 consid. 1c p. 73). Le justiciable qui se
plaint d'arbitraire ne peut critiquer la décision comme il le ferait en
instance d'appel, où l'autorité de recours dispose d'une libre cognition (ATF
117 Ia 10 consid. 4b p. 11/12), mais il doit démontrer, par une argumentation
précise, que cette décision repose sur une application de la loi ou une
appréciation des preuves manifestement insoutenables (ATF 125 I 492 consid.
1b p. 495 et les arrêts cités).

3.
Invoquant l'art. 9 Cst., la recourante prétend que l'autorité cantonale a
arbitrairement appliqué l'art. 295 al. 2 LPC/GE, en considérant que
l'ordonnance préparatoire rendue en première instance ne peut pas faire
l'objet d'un appel immédiat visant à contester le nombre des experts et le
montant de l'avance de frais qui en résulte. Elle se plaint en outre à cet
égard d'une violation de son droit à un procès équitable, garanti par l'art.
6 § 1 CEDH: tel qu'il est formulé, ce moyen se confond avec le précédent.

3.1 Une décision est arbitraire lorsqu'elle viole gravement une norme ou un
principe juridique clair et indiscuté, ou lorsqu'elle contredit d'une manière
choquante le sentiment de la justice et de l'équité (ATF 128 I 177 consid.
2.1 p. 182 et les arrêts cités). Le Tribunal fédéral n'a pas à examiner
quelle est l'interprétation correcte que l'autorité cantonale aurait dû
donner des dispositions applicables; il doit uniquement dire si
l'interprétation litigieuse est défendable. Il n'y a pas arbitraire du seul
fait qu'une autre solution pourrait aussi se concevoir et même sembler
préférable (ATF 124 I 247 consid. 5 p. 250/251; 120 Ia 369 consid. 3a p. 373
et les références).

3.2 La Cour de justice expose que les ordonnances préparatoires ne peuvent
pas faire l'objet d'un appel immédiat, à moins qu'elles n'admettent une
espèce de preuve ou d'instruction interdite par la loi (art. 295 al. 2
LPC/GE; SJ 1996 p. 277). La question du coût de l'expertise étant un
accessoire de l'expertise proprement dite, son sort doit par conséquent
suivre celui du principal. L'avance des frais d'expertise fait certes l'objet
d'une norme spécifique, l'art. 268 al. 3, 2e phrase, LPC/GE. Force est
toutefois de constater que cette disposition ne se rapporte qu'à l'accessoire
d'un probatoire et qu'elle ne vise que les cas où le coût provisoire de
l'expertise a été mis à la charge d'une seule des parties, hypothèse qui
n'est pas réalisée en l'espèce. Pour l'autorité cantonale, la décision
relative à la fixation de l'avance des frais d'expertise ne peut donc faire
l'objet d'un appel immédiat, le paiement effectif de ces frais n'emportant du
reste pas l'adhésion de la partie condamnée à les payer: son opposition au
principe et à l'opportunité de la mesure probatoire ressort des écritures
produites.

3.3 La recourante ne démontre nullement en quoi cette opinion serait
arbitraire, mais oppose ses propres arguments à ceux de la cour cantonale:
manifestement appellatoire, le grief est, par conséquent,  irrecevable (cf.
supra, consid. 2.3). Elle se contente en effet de soutenir, en se référant à
la doctrine (Bertossa/Gaillard/Guyet, Commentaire de la loi de procédure
civile genevoise, n. 5 ad art. 295), que l'interprétation faite par la Cour
de justice de l'art. 295 al. 2 LPC/GE est insoutenable, sans toutefois
réfuter l'affirmation de l'autorité cantonale selon laquelle la jurisprudence
mentionnée par ces auteurs n'a plus lieu d'être maintenue. Elle expose en
outre qu'en application de l'art. 268 al. 3 LPC/GE, la partie qui ne se
soumet pas à l'expertise ou n'en verse pas préalablement les frais risque de
voir ses conclusions rejetées, faute pour elle d'avoir établi les faits qui
auraient dû l'être par ce moyen. De telles considérations sont à l'évidence
impropres à démontrer, conformément aux exigences déduites de l'art. 90 al. 1
let. b OJ, que la solution adoptée par l'autorité cantonale serait arbitraire
(sur cette notion, cf. supra, consid. 3.1). Par ailleurs, dans la mesure où
la recourante affirme qu'un seul expert-psychiatre serait en l'occurrence
suffisant pour répondre aux questions du Tribunal de première instance, son
moyen ne relève pas du présent recours. Celui-ci ne peut en effet avoir pour
objet que le refus de la Cour de justice d'entrer en matière sur l'appel
interjeté devant elle (cf. supra, consid. 2.2 in fine). Le grief doit ainsi
être écarté.

4.
La recourante reproche en outre à l'autorité cantonale d'avoir déclaré son
appel irrecevable s'agissant de la suppression de l'autorisation, qui lui
avait été accordée le 23 octobre 2000, de se faire assister par une personne
de confiance lors de l'expertise. Elle y voit une violation des art. 295 al.
2 LPC/GE et 10 al. 2 Cst.

4.1 La Cour de justice a considéré que l'appelante ne faisait que prétendre,
pour les besoins de la cause, que sa santé serait mise en danger si elle
devait se présenter seule à l'expertise, ce qui constituerait une atteinte à
sa personnalité. A cet égard, l'autorité intimée a souligné que les experts
désignés étaient tous médecins et, par conséquent, aptes à décider, après
avoir pris connaissance des dossiers médicaux, si un examen de l'intéressée
était nécessaire et quelles étaient les précautions à prendre. Il n'y avait
donc pas lieu de retenir que le mode d'exécution de l'expertise puisse porter
atteinte à la santé ou à la personne de l'appelante. Selon les juges
cantonaux, si  celle-ci refuse de comparaître seule, il appartiendra aux
experts de déterminer s'ils peuvent ou non exécuter leur tâche avec la même
fiabilité de résultat. Dans la négative, ils devront alors constater qu'il
leur est impossible de répondre aux questions qui leur sont posées, ce qui
mettra fin à leur mission.

4.2 La recourante n'établit pas en quoi les modalités de la procédure
probatoire choisies par le Tribunal de première instance seraient illicites,
de sorte qu'elles justifieraient, exceptionnellement, un appel immédiat
contre l'ordonnance préparatoire (art. 295 al. 2 LPC/GE). Se fondant sur
l'avis de ses médecins traitants, elle se borne à soutenir que le fait d'être
examinée par un expert en qui elle n'a pas une entière confiance
représenterait pour elle une telle agression et lui causerait une telle
angoisse que sa santé, voire sa vie, seraient mises en danger; or, si elle
refuse de se présenter devant les experts, ceux-ci seront dans
l'impossibilité de rendre un rapport, ce qui entraînera pour elle des
conséquences extrêmement graves sur le plan procédural. De nature entièrement
appellatoire (ATF 117 Ia 10 consid. 4b p. 11/12), cette argumentation ne peut
être prise en considération.

5.
En conclusion, le recours se révèle entièrement irrecevable. Les frais judiciaires seront dès lors supportés par la recourante, qui succombe (art.
156 al. 1 OJ). Il n'y a pas lieu d'allouer des dépens, l'intimée n'ayant pas
été invitée à répondre.

Par ces motifs, vu l'art. 36a OJ, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est irrecevable.

2.
Un émolument judiciaire de 1'500 fr. est mis à la charge de la recourante.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la
Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève.

Lausanne, le 1er avril 2003

Au nom de la IIe Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

La juge présidant:  La greffière: