Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

II. Zivilabteilung 5P.458/2002
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5P.458/2002 /frs

Arrêt du 4 septembre 2003
IIe Cour civile

MM. et Mmes les Juges Raselli, Président,
Nordmann, Escher, Meyer et Hohl.
Greffier: M. Braconi.

X. ________,
recourant, représenté par Me Olivier Derivaz, avocat, case postale 1472, 1870
Monthey 2,

contre

Canton du Valais, 1950 Sion, représenté par l'Inspection cantonale des
Finances, rue de la Dent-Blanche 8, 1951 Sion,
Tribunal cantonal du canton du Valais, Cour de droit public, Palais de
Justice, 1950 Sion 2.

art. 9 et 26 Cst. (obligation de dissoudre la réserve
de cotisations LPP constituée par l'OPF du district de Y.________),

recours de droit public contre l'arrêt de la Cour de
droit public du Tribunal cantonal du canton du Valais
du 4 octobre 2002.

Faits:

A.
A.a X.________ est préposé de l'Office des poursuites et faillites du
district de Y.________; depuis le 1er janvier 1997, cet office est soumis au
statut de la régie (art. 2 de la décision du Grand Conseil du canton du
Valais, du 15 novembre 1996, concernant le statut des offices des poursuites
et faillites).
Selon décision du Conseil d'Etat du canton du Valais du 1er avril 1987, les
préposés ainsi que leur personnel sont affiliés à une institution de
prévoyance professionnelle (LPP).

A.b Jusqu'au 31 décembre 1996, le préposé a assumé, comme un employeur privé,
au titre des charges d'exploitation de l'office, les cotisations patronales
LPP de ses employés; son revenu était constitué par le rendement net de
l'office, et il n'était pas plafonné.
Depuis le 1er janvier 1997 - date de l'entrée en vigueur de la loi du 20 juin
1996 d'application de la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la
faillite (LALP/VS) et de l'ordonnance du 18 septembre 1996 d'application de
la législation sur la poursuite pour dettes et la faillite (OLALP/VS) -, le
préposé continue d'assumer, comme un employeur privé, les cotisations
patronales LPP de ses employés; son revenu est toujours constitué par le
rendement net de l'office, mais il est désormais limité à un maximum de
150'000 fr. par an (art. 12 al. 1 et 13 al. 1 LALP/VS; art. 14 al. 1
OLALP/VS), l'excédent revenant à l'Etat (art. 14 al. 4 OLALP/VS); l'Etat
garantit au préposé un revenu minimal annuel de 80'000 fr. (art. 13 al. 1
LALP/VS et 14 al. 1 OLALP/VS).

B.
B.aEn 1990, 1991, 1993 et 1994, X.________ a constitué, sur la base de l'art.
331 al. 3 CO, des réserves volontaires de cotisations patronales LPP pour son
personnel; cette opération augmentait les charges d'exploitation de l'office,
ce qui diminuait le bénéfice net et, par voie de conséquence, dans une mesure
identique, son propre revenu. Dans son rapport du 17 septembre 1992,
l'Inspection cantonale des finances a admis, d'entente avec le préposé, la
constitution de telles réserves - en la considérant néanmoins comme
injustifiée - «pour une valeur maximale de 5 ans de cotisations patronales,
dans la mesure où la réserve sera progressivement dissoute dès 1992, par le
paiement des cotisations patronales LPP relatives aux employés de l'OPF». En
1994, l'Inspection cantonale des finances a réitéré cet avis et, en 1997,
elle a émis des directives prescrivant que les «réserves existantes au début
1998 doivent être utilisées pour payer les contributions patronales, ce
jusqu'à leur épuisement», la constitution de nouvelles réserves étant exclue.
A fin 1999, les réserves de cotisations LPP de l'Office de Y.________, qui
étaient placées sur un compte de la fondation de prévoyance professionnelle
Z.________, s'élevaient à 183'336 fr. 70, plus 10'373 fr. d'intérêts; ces
réserves figurent au bilan de l'office.

B.b X.________ ne s'est pas conformé aux directives de l'Inspection cantonale
des finances et n'a pas utilisé les réserves pour payer les cotisations
patronales, sauf partiellement en 1992. A son avis, ces réserves ont été
constituées, sous l'ancien droit, par prélèvement sur le rendement de
l'office et ont, de ce fait, diminué son revenu; elles doivent donc lui
revenir. Pour l'Inspection cantonale des finances, la constitution de ces
réserves avait pour but de présenter un revenu réduit du préposé, qui était
alors devenu beaucoup trop important et politiquement inacceptable, par une
rétrocession volontaire en faveur de l'office.
Un délai au 31 décembre 1999, prolongé jusqu'au 29 décembre 2000, a été
imparti à X.________ pour se conformer aux directives. Puis, lors du contrôle
de la gestion annuelle de l'office pour l'exercice 1999, l'Inspection
cantonale des finances a corrigé les comptes, fixé la dissolution de la
réserve à 82'567 fr. 80 pour 1999 et, en raison d'autres corrections non
litigieuses, demandé au préposé de verser à l'Etat la somme de 69'839 fr. 50.

C.
C.aInvitée à rendre une décision formelle, sujette à recours, l'Inspection
cantonale des finances a prononcé, le 12 juillet 2000, la dissolution de la
réserve de cotisations LPP figurant au passif du bilan de l'office par
prélèvement annuel du montant des cotisations patronales LPP, et ce jusqu'à
épuisement de cette réserve, et corrigé en conséquence les comptes 1999 de
l'office, astreignant ainsi le préposé à rétrocéder à l'Etat la somme de
69'839 fr. 50 dans un délai de 30 jours dès l'entrée en force de la décision.
La réclamation formée par X.________ a été rejetée par l'Inspection cantonale
des finances le 5 septembre 2000. Le recours administratif que l'intéressé a
adressé au Conseil d'Etat a connu le même sort le 25 avril 2001.

C.b Contre cette décision, X.________ a interjeté un recours de droit
administratif à la Cour de droit public du Tribunal cantonal valaisan, qui
l'a déclaré irrecevable le 31 octobre 2001 par le motif que ce recours n'est
pas ouvert contre les décisions relatives à l'exercice de la haute
surveillance sur l'administration cantonale et que la contestation ne porte
pas sur des «droits et obligations de caractère civil» au sens de l'art. 6 §
1 CEDH, le préposé n'ayant aucun droit sur les réserves patronales
constituées pour les employés, même s'il les a alimentées au moyen de son
revenu.
Par arrêt du 8 avril 2002, la IIe Cour civile du Tribunal fédéral a admis le
recours de droit public exercé par X.________ et annulé l'arrêt attaqué
(5P.470/2001). Elle a considéré, en substance, que les réserves volontaires
ont été constituées valablement sous l'empire du droit en vigueur avant le
1er janvier 1997, par prélèvement sur le rendement de l'office, et que le
nouveau droit, s'il prohibe la constitution de pareilles réserves, ne dit
rien de la dissolution de celles qui ont été créées sous l'ancien droit.
Puisque le recourant a, en qualité d'employeur, financé volontairement ces
réserves de ses propres deniers, et que leur constitution a entraîné
directement une diminution correspondante de son revenu, la contestation
relative au sort de ces avoirs porte bien sur un droit de caractère civil du
préposé sur ceux-ci.

C.c Statuant à nouveau le 4 octobre 2002, la Cour de droit public du Tribunal
cantonal valaisan a rejeté le recours.

D.
Agissant par la voie du recours de droit public au Tribunal fédéral,
X.________ conclut à l'annulation de cet arrêt; il se plaint d'arbitraire
(art. 9 Cst.) et de violation de la garantie de la propriété (art. 26 Cst.).
Le canton du Valais propose le rejet du recours dans la mesure où il est
recevable.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Les contestations relatives au mode de traitement des préposés des offices
des poursuites et des faillites, notamment à leurs prétentions à l'égard du
canton, ressortissent au droit public cantonal (art. 3 LP), et non à
l'Ordonnance sur les émoluments perçus en application de la loi fédérale sur
la poursuite pour dettes et la faillite (OELP; RS 281.35); le présent recours
est, dès lors, recevable de ce chef (arrêt 5P.470/2001, consid. 1a).
Déposé à temps contre une décision finale prise en dernière instance
cantonale, il l'est aussi au regard des art. 86 al. 1, 87 (a contrario) et 89
al. 1 OJ.

2.
D'après l'autorité cantonale, la constitution de réserves volontaires de
cotisations patronales LPP pour le personnel de l'office a été tolérée par
l'Inspection cantonale des finances «pour une valeur maximale de cinq ans de
cotisations patronales», dans la mesure où ces réserves devaient être
progressivement dissoutes dès 1992 par le paiement des cotisations patronales
LPP relatives aux employés de l'office, et ce jusqu'à épuisement de ces
réserves. Conformément aux dispositions légales, l'Inspection cantonale des
finances a émis des directives pour la dissolution des réserves existantes au
début 1998; ces directives ne font que concrétiser l'accord intervenu entre
le préposé et l'Inspection cantonale des finances, et règlent les modalités
de la dissolution et de l'utilisation des réserves constituées antérieurement
par le préposé, d'entente avec l'Inspection cantonale des finances, à charge
pour l'intéressé de les affecter au paiement des cotisations patronales LPP.
En outre, le préposé ne soutient pas que la dissolution des réserves ne
serait pas conforme à l'accord passé avec l'Inspection cantonale des
finances, ni que les modalités de cette dissolution contreviendraient à une
quelconque norme légale. Enfin, les critiques du préposé sont de nature
purement appellatoire et contraires aux exigences de motivation du droit de
procédure cantonal.

3.
Le recourant qualifie d'arbitraire (art. 9 Cst.) la manière dont ont été
traitées les réserves de cotisations patronales LPP qu'il a constituées sous
l'ancien droit. Depuis le 1er janvier 1997, son revenu est plafonné à 150'000
fr., et ne correspond plus au rendement net de l'office; la dissolution et la
correction des comptes 1999 décidées par l'Inspection cantonale des finances
auraient donc pour résultat de faire passer son revenu de 150'000 fr. à
67'432 fr. 20 (150'000 fr. - 82'567 fr. 80 [ce dernier montant équivaut à la
dissolution ordonnée pour 1999]), ce qui est choquant et présente un aspect
confiscatoire. En effet, d'une part, l'Etat profite de la dissolution des
réserves constituées par le préposé sur son propre revenu; d'autre part, il
perçoit plus que la différence entre le rendement brut de l'office et les
charges d'exploitation d'un exercice annuel. Un tel résultat apparaît non
seulement contraire à la nouvelle législation, mais ne repose au surplus sur
aucune disposition transitoire.
Il n'y a pas lieu d'examiner le mérite de ce grief, car le recours doit être
admis pour un autre motif (infra, consid. 4).

4.
Le recourant se plaint aussi d'une violation de l'art. 26 Cst. Il soutient
que les réserves litigieuses lui appartiennent, en fait et en droit, même si
elles sont affectées à un but déterminé (le paiement des cotisations
patronales), et sont déposées auprès d'une fondation de prévoyance; par
conséquent, l'Etat intimé ne pouvait, sans base légale expresse et
suffisante, en disposer.

4.1 Il est constant que les réserves de cotisations patronales LPP ont été
constituées sur la base de l'art. 331 al. 3 CO par prélèvement sur le
rendement brut de l'office; nonobstant son statut d'employé de l'Etat du
Valais (arrêt du TFA dans la cause B 6/88 du 14 décembre 1989), le recourant
a, à l'instar d'un employeur privé, financé volontairement ces réserves de
ses propres deniers, leur constitution ayant entraîné une diminution
correspondante de son revenu. Que le but d'une telle opération ait été de
présenter un revenu «politiquement acceptable» est sans pertinence à cet
égard. De même, le fait que l'intéressé ne soit pas «propriétaire» - au sens
juridique - des sommes placées sur le compte de la fondation de prévoyance
professionnelle (cf. Brühwiler, Die betriebliche Personalvorsorge in der
Schweiz, Berne 1989, p. 100 n. 13) ne l'empêche pas de se prévaloir de la
garantie constitutionnelle de la propriété (cf. ATF 120 Ia 120 consid. 1b p.
121 et les références citées).
En instance cantonale, l'Inspection cantonale des finances a fait valoir que,
sous l'empire du nouveau droit, les «cotisations LPP n'incombent ni au
préposé ni à l'Etat, mais sont portées à la charge du compte d'exploitation
de l'OPF». Sur un plan purement comptable, l'affirmation est exacte. Il n'en
demeure pas moins que la dissolution des réserves de cotisations constituées
sous l'ancien droit bénéficie exclusivement à l'Etat depuis le 1er janvier
1997, car l'utilisation des avoirs en question pour payer des charges
sociales qui sont désormais prélevées sur le rendement brut de l'office a
pour effet une augmentation de la part qui revient à l'Etat en vertu de
l'art. 14 al. 4 OLALP/VS; autrement dit, cet excédent s'accroît par économie
de dépenses au moyen des réserves constituées par le recourant (sur cette
forme d'enrichissement sans cause, v. notamment: von Tuhr/Peter, Allg. Teil
des Schweizerischen Obligationenrechts, vol. I, § 52 II 2 et les citations).
Une telle opération s'analyse en une atteinte à la garantie de la propriété.

4.2 La décision de l'Inspection cantonale des finances, entérinée par le
Conseil d'Etat puis le Tribunal cantonal, ne repose sur aucune base légale
(sur cette exigence: Vallender, in: Die schweizerische Bundesverfassung,
Kommentar, n. 38 ss ad art. 26). La nouvelle loi se borne à prohiber «[l]a
constitution de réserves de cotisations d'employeur au sens de l'article 331,
alinéa 3 du code des obligations», mais elle ne prévoit aucune norme
transitoire pour celles qui ont été constituées sous l'ancien droit. La
juridiction précédente le reconnaît implicitement; aussi se réfère-t-elle à
un «accord intervenu antérieurement entre le préposé et l'IF», que les
«directives [émises en novembre 1997] ne faisaient que concrétiser». Mais
force est de constater que l'on ignore tout de cet «accord», dont l'autorité
cantonale n'a pas même examiné la licéité (sur cette problématique: Moor,
Droit administratif, vol. I: Les fondements généraux, 2e éd., ch. 2.3.4 p.
136 ss); en l'état, il n'est dès lors pas possible d'affirmer que cette
convention reste pertinente pour régler le sort des réserves litigieuses - ce
que nie le recourant -, ni qu'elle aurait valablement pallié l'absence de
base légale.

5.
En conclusion, le recours doit être admis et l'arrêt attaqué annulé. Les
dépens sont mis à la charge de la collectivité publique intimée (art. 159 al.
1 OJ; ATF 125 I 389 consid. 5 p. 393), à l'exception de l'émolument de
justice (art. 156 al. 2 OJ; arrêt 5P.470/2001, consid. 3).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est admis et l'arrêt attaqué est annulé.

2.
Il n'est pas perçu de frais de justice.

3.
Le canton du Valais versera au recourant une indemnité de 3'000 fr. à titre
de dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux parties et à la Cour de droit
public du Tribunal cantonal du canton du Valais.

Lausanne, le 4 septembre 2003

Au nom de la IIe Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le Président:  Le Greffier: