Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

II. Zivilabteilung 5P.39/2002
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5P.39/2002

                 IIe  C O U R   C I V I L E
                 **************************

                         5 avril 2002

Composition de la Cour: M. Bianchi, président, Mme Nordmann
et Mme Escher, juges. Greffier: M. Abrecht.

                          _________

           Statuant sur le recours de droit public
                          formé par

A.________, représentée par Me Bruno Mégevand, avocat à
Genève,

                           contre

l'arrêt rendu le 13 décembre 2001 par la première Section de
la Cour de justice du canton de Genève dans la cause qui op-
pose la recourante à la Banque B.________, par sa succursale
de Genève, intimée, représentée par Me Carlo Lombardini, avo-
cat à Genève, et à C.________, intervenant et intimé, repré-
senté par Me Bernard Lachenal, avocat à Genève;

             (art. 9 Cst.; reddition de comptes)

          Vu les pièces du dossier d'où ressortent
                   les f a i t s suivants:

   A.- Dame C.________ est décédée en son domicile
parisien le 15 février 2001, laissant un conjoint survivant,
C.________, avec lequel elle était mariée sous l'ancien régi-
me légal français de la communauté de biens meubles et
acquêts, et un descendant, A.________ née C.________, qu'elle
avait instituée légataire universelle.

   Les époux C.________ avaient ouvert trois comptes
auprès de la Banque X.________, actuellement Banque
B.________ (ci-après: la Banque): un compte individuel dont
D.________ était titulaire, sous rubrique "Tombelle"; un
compte individuel dont C.________ était titulaire, sous
rubrique "Napoule"; et un compte-joint, dont les époux
étaient titulaires, sous rubrique "Barbille".

   B.- Après avoir vainement tenté de retirer la tota-
lité des avoirs du compte "Tombelle", A.________, par requête
déposée au greffe du Tribunal de première instance de Genève
le 11 juillet 2001, a assigné la Banque en reddition de comp-
tes. Elle demandait d'une part la production de tous les
relevés de comptes et de tous les documents attestant de
l'ensemble des mouvements relatifs aux comptes "Tombelle" et
"Barbille" sur une période de dix ans précédant le décès de
sa mère le 15 février 2001. D'autre part, elle demandait tous
les renseignements et pièces utiles relatifs aux comptes dont
son père était titulaire, ainsi que tous les documents attes-
tant de l'ensemble des mouvements ayant affecté ces comptes
depuis le 15 février 1991.

   C.- Par demande déposée le 1er août 2001, C.________
a sollicité du Tribunal de Grande Instance de Paris la liqui-
dation-partage de la communauté de biens meubles et acquêts
ayant existé durant son mariage avec feue dame C.________.

   D.- Par ordonnance du 10 septembre 2001, le Tribunal
de première instance de Genève a ordonné à la Banque de re-
mettre à A.________ l'ensemble de la documentation bancaire
relative aux comptes "Tombelle" et "Barbille", ce pour la
période de dix ans précédant le 15 février 2001; il a en re-
vanche rejeté la demande concernant les comptes de
C.________.

   Par arrêt du 13 décembre 2001, la première Section
de la Cour de justice du canton de Genève a déclaré recevable
le recours interjeté par A.________ contre cette ordonnance,
admis l'intervention de C.________ à la procédure de recours
et confirmé l'ordonnance attaquée.

   Examinant si A.________ pouvait obtenir la reddition
des comptes de la part de la Banque à propos de la relation
liée par son père, la cour cantonale a d'abord rappelé que la
reddition de comptes ne pouvait être obtenue par la voie des
mesures provisionnelles selon l'art. 324 al. 2 let. b LPC/GE
que si le droit du requérant était évident - à savoir s'il
sautait aux yeux ou s'imposait à l'esprit par un caractère de
certitude facile à saisir - ou s'il était reconnu; en l'ab-
sence de l'une de ces conditions alternatives, le requérant
ne pouvait agir par la voie des mesures provisionnelles, mais
uniquement par la procédure ordinaire.

   En l'espèce, les juges cantonaux ont considéré que
l'instance en liquidation-partage du régime matrimonial pen-
dante devant les tribunaux français ne donnait pas à
A.________ le droit d'obtenir la reddition de comptes sur les
avoirs de son père auprès de la Banque. En effet, A.________
n'avait pas même rendu vraisemblable que son père était rede-
vable d'une récompense à prendre sur ses biens propres pour
les créditer sur les biens de l'épouse décédée. Au surplus,
selon la documentation fournie par A.________ (Jurisclasseur
"Banque et Crédit", fascicule 140, 2.1994, n. 88), la loi

française interdisait au banquier la communication entre
époux de renseignements concernant leurs comptes individuels
de leur vivant, sauf à contrevenir au principe de l'autonomie
bancaire voulue par le législateur. Enfin, dans le cadre de
la liquidation-partage, un juge français avait été saisi, de
sorte qu'il était douteux qu'A.________ puisse encore dis-
poser des avoirs composant la masse des biens matrimoniaux à
partager, ce qui ne militait pas pour un droit évident aux
renseignements sur les comptes de son père.

   E.- Agissant par la voie du recours de droit public
au Tribunal fédéral, A.________ conclut avec suite de frais
et dépens à l'annulation de l'arrêt de la Cour de justice.

   La Banque et C.________ concluent chacun de leur
côté à l'irrecevabilité du recours, subsidiairement à son
rejet, avec suite de frais et dépens.

           C o n s i d é r a n t  e n  d r o i t :

   1.- Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, le
prononcé statuant sur une demande en reddition de comptes en
application de l'art. 324 al. 2 let. b LPC/GE tranche une
contestation civile portant sur un droit de nature pécuniai-
re, au sens de l'art. 46 OJ, dans la mesure où les renseigne-
ments demandés sont susceptibles de fournir le fondement
d'une contestation civile de nature pécuniaire; il constitue
en outre une décision finale au sens de l'art. 48 al. 1 OJ,
de sorte que les griefs d'application arbitraire du droit
fédéral sont irrecevables dans le cadre du recours de droit
public en raison de la subsidiarité absolue conférée à ce
moyen de droit par l'art. 84 al. 2 OJ (ATF 126 III 445). En
revanche, si, dans une telle contestation, le recourant en-
tend se plaindre d'une application erronée du droit étranger,
il ne peut le faire ni par la voie du recours en réforme

(art. 43a al. 2 OJ a contrario), ni par celle du recours en
nullité (ATF 124 III 134 consid. 2b/dd p. 144). Dès lors que
la recourante se plaint en l'espèce d'une application gros-
sièrement erronée et donc arbitraire du droit français, son
recours de droit public est recevable au regard de l'art. 84
al. 1 let. a et al. 2 OJ. Dirigé contre une décision finale
et déposé en temps utile, il est également recevable sous
l'angle des art. 87 et 89 al. 1 OJ.

   2.- a) Selon la recourante, l'autorité cantonale
serait tombée dans l'arbitraire en voulant appliquer une
règle (de droit français) prescrivant que, de leur vivant,
les époux ne peuvent obtenir de la banque la communication de
renseignements concernant les comptes individuels de leur
conjoint. En effet, la cause sur laquelle la recourante fonde
son droit aux renseignements étant sa qualité d'héritière, il
convenait au contraire d'appliquer les principes exposés dans
le Jurisclasseur "Banque et Crédit" auquel s'est référée la
cour cantonale, à savoir: «Les établissements de crédit sont
tenus de communiquer au notaire chargé de régler la succes-
sion et aux héritiers les renseignements que ceux-ci deman-
dent sur les comptes du conjoint survivant marié sous un
régime de communauté réduite aux acquêts, de communauté de
meubles et acquêts, de communauté universelle ou de partici-
pation aux acquêts. En effet, l'indépendance bancaire des
époux cesse ses effets au décès de l'un des époux, et les
valeurs communes figurant au compte se retrouvent indivises
entre le conjoint survivant et les héritiers».

   b) Les intimés observent que s'il ressort bien de la
documentation citée qu'un droit aux renseignements sur les
comptes du conjoint survivant existerait en faveur de l'héri-
tier au décès, ce droit ne peut porter que sur les valeurs au
décès, puisque c'est à ce moment seulement que les valeurs
figurant au compte se retrouvent indivises entre le conjoint
survivant et les héritiers. Or la recourante a obtenu commu-

nication par son père, le 10 octobre 2001, de la situation
patrimoniale du compte "Napoule" aux dates des 8 mars 2001 et
5 octobre 2001, ainsi que la liste des mouvements ayant af-
fecté ce compte entre le 31 décembre 2000 et le 26 avril 2001
(Pièce 12 produite par la recourante à l'audience du 1er
novembre 2001 devant la Cour de justice); elle est ainsi déjà
en possession des documents établissant la situation patrimo-
niale du compte à propos duquel elle demande des renseigne-
ments, ce au moment du décès de dame C.________. En tout
état, la documentation produite ne permet pas de conclure que
la recourante a établi un droit aux renseignements sur les
comptes du conjoint survivant pour la période de dix ans
précédant le décès du conjoint prédécédé; en particulier, la
recourante n'a établi ni les faits ni le fondement juridique
qui, en droit français, permettraient - à l'instar de ce que
prévoit l'art. 208 CC pour le régime ordinaire suisse de la
participation aux acquêts - de réunir à la masse d'un époux
les actifs dont celui-ci aurait disposé dans les années anté-
rieures à la dissolution du régime.

   3.- a) L'art. 324 al. 2 let. b LPC/GE autorise le
juge à ordonner la reddition de comptes par la voie des mesu-
res provisionnelles lorsque le droit du requérant est évident
ou reconnu, ce qui exclut la simple vraisemblance et implique
au contraire que le droit du requérant doit être certain (ATF
126 III 445 consid. 3b et les références citées). Comme la
mesure est prise dans une procédure sommaire soumise aux
exigences de rapidité et de simplicité, le droit invoqué doit
être d'emblée manifeste sur la base des pièces produites avec
la requête et des explications des parties, ce d'autant plus
que la mesure ordonnée en application de l'art. 324 al. 2
let. b LPC/GE n'appelle pas de validation et est définitive
(arrêt non publié 5P.272/1992 du 20 novembre 1992, consid. 2,
résumé par Renate Pfister-Liechti, Mesures provisionnelles et
droit des successions, in Journée 1995 de droit bancaire et
financier, p. 113 ss, spéc. p. 117 s.). Le requérant doit

fournir au juge tous les éléments, y compris de droit étran-
ger, lui permettant de trancher (Pfister-Liechti, op. cit.,
p. 119).

   b) En l'occurrence, la recourante, instituée léga-
taire universelle par feue dame C.________, a certes établi
que ses parents étaient mariés sous l'ancien régime légal
français de la communauté de biens meubles et acquêts; elle a
également établi que selon le droit français, au décès de
l'un des époux, les valeurs communes figurant au compte se
retrouvent indivises entre le conjoint survivant et les héri-
tiers, de sorte que, l'indépendance bancaire des époux ces-
sant ses effets, les établissements de crédit sont tenus de
communiquer aux héritiers les renseignements que ceux-ci
demandent sur les comptes du conjoint survivant. Toutefois,
il est constant que la recourante est d'ores et déjà rensei-
gnée sur la situation patrimoniale, au moment du décès de sa
mère, du compte "Napoule" dont son père est titulaire auprès
de la Banque. Or si la recourante avait le droit d'obtenir
ces renseignements, dès lors que les valeurs figurant au
compte au moment du décès se retrouvaient indivises entre son
père en tant que conjoint survivant et elle-même en tant que
légataire universelle de sa mère, elle ne prétend pas avoir
établi un quelconque fondement juridique à sa demande d'être
renseignée sur l'ensemble des mouvements ayant affecté depuis
le 15 février 1991 les comptes dont son père est titulaire,
comme les intimés le relèvent à raison (cf. consid. 2b su-
pra). La recourante échoue ainsi à démontrer que l'arrêt
attaqué soit arbitraire dans son résultat (cf. ATF 126 I 168
consid. 3a et la jurisprudence citée).

   4.- En définitive, le recours, mal fondé, doit être
rejeté et la recourante, qui succombe, condamnée à payer les
frais judiciaires (art. 156 al. 1 OJ) ainsi que les frais
encourus par les intimés - qui ont à l'évidence collaboré
étroitement dans la rédaction de leurs observations, ce dont

il y a lieu de tenir compte dans la fixation de l'indemnité
de dépens - dans la procédure fédérale (art. 159 al. 1 OJ).

                       Par ces motifs,

            l e  T r i b u n a l  f é d é r a l :

   1. Rejette le recours.

   2. Met à la charge de la recourante:
   a) un émolument judiciaire de 2'000 fr.;
   b) une indemnité de 1'000 fr. à verser à la
Banque B.________ à titre de dépens;
   c) une indemnité de 1'000 fr. à verser à C.________
à titre de dépens.

   3. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la première Section de la Cour de
justice du canton de Genève.

                         __________

Lausanne, le 5 avril 2002
ABR/frs
                Au nom de la IIe Cour civile
                du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE :
                        Le Président,

                        Le Greffier,