Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

II. Zivilabteilung 5P.385/2002
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5P.385/2002 /frs

Arrêt du 18 mars 2003
IIe Cour civile

MM. et Mme les Juges Raselli, Président, Hohl et Gardaz, Juge suppléant.
Greffière: Mme Heegaard-Schroeter.

Y. ________, (époux),
recourant, représenté par Me Daniel Perren, avocat, Carrefour de Rive 1, 1207
Genève,

contre

Dame Y.________, (épouse),
intimée, représentée par Me Stéphane Felder, avocat, boulevard Georges-Favon
13, 1204 Genève,
Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève, case postale 3108,
1211 Genève 3.

art. 9 et 29 Cst. (divorce; liquidation du régime matrimonial),

recours de droit public contre l'arrêt de la Chambre civile de la Cour de
justice du canton de Genève du 13 septembre 2002.

Faits:

A.
Y. ________ et dame Y.________, tous deux de nationalité portugaise, ont
contracté mariage en 1974 au Portugal. Trois enfants, aujourd'hui majeurs,
sont issus de leur union.

Le 23 juin 2000, Y.________ a déposé une demande en divorce.

Par jugement du 11 décembre 2001, le Tribunal de première instance du canton
de Genève a prononcé le divorce des époux et, notamment, leur a donné acte de
leur renonciation à toute contribution d'entretien, a condamné l'époux à
verser à l'épouse la somme de 58'783 fr.60 à titre de liquidation du régime
matrimonial de la participation aux acquêts (ch. 3 du dispositif), ordonné le
partage des prestations de sortie de la prévoyance professionnelle calculées
pour la durée du mariage et attribué à l'épouse la jouissance exclusive de
l'ancien domicile conjugal.

Statuant le 13 septembre 2002 sur appel de l'époux, la Cour de justice du
canton de Genève a constaté l'entrée en force de chose jugée du jugement du
11 décembre 2001, sous réserve du chiffre 3 de son dispositif, qu'elle a
annulé; statuant à nouveau sur ce point, elle a notamment condamné l'époux à
payer à l'épouse la somme de 50'291 fr. au titre de la liquidation du régime
matrimonial.

B.
Contre cet arrêt, Y.________ exerce parallèlement un recours de droit public
et un recours en réforme (5C.228/2002). Dans le premier, il demande
l'annulation de la décision attaquée; il reproche à la Cour de justice
plusieurs applications arbitraires de la loi genevoise de procédure civile
(LPC/GE), la violation de son droit d'être entendu, ainsi qu'un formalisme
excessif.

L'épouse conclut au rejet du recours. Elle requiert également d'être mise au
bénéfice de l'assistance judiciaire.

L'autorité cantonale intimée se réfère aux considérants de son arrêt.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
1.1 En vertu de l'art. 57 al. 5 OJ, il est sursis en règle générale à l'arrêt
sur le recours en réforme jusqu'à droit connu sur le recours de droit public.
Les conditions d'une dérogation à ce principe ne sont en l'espèce pas
remplies (cf. notamment ATF 123 III 213 consid. 1; 122 I 81 consid. 1 p.
82/83).

1.2 Formé en temps utile contre une décision finale prise en dernière
instance cantonale, le recours est recevable du chef des art. 86 al. 1, 87 (a
contrario) et 89 al. 1 OJ.

2.
Par les griefs qu'il soulève, le recourant met en cause la façon dont
l'autorité cantonale a établi ses biens d'acquêts dans le cadre de la
liquidation du régime matrimonial, plus particulièrement le fait d'avoir
retenu à ce titre la moitié de la valeur d'un véhicule Opel.

Dans le cadre de la liquidation du régime de la participation aux acquêts, il
y a lieu de déterminer le bénéfice de chaque époux. A cet effet, les acquêts
et les biens propres de chacun sont disjoints dans leur composition au jour
de la dissolution du régime (art. 207 al. 1 CC), à savoir, en cas de divorce,
au jour de la demande (art. 204 al. 1 CC). Quiconque allègue qu'un bien
appartient à l'un ou l'autre des époux est tenu d'en établir la preuve (art.
200 al. 1 CC).

3.
3.1 Au sujet du compte d'acquêts de l'époux, la Cour de justice constate que
celui-ci circule depuis le 10 janvier 2000 avec une voiture de marque Opel,
dont le permis de circulation est établi au nom de dame X.________, son amie
et associée. Elle retient ensuite que «ce véhicule a été acquis neuf, selon
les allégués non contestés de dame Y.________, avec un emprunt bancaire qui
est remboursé par le débit du compte privé commun no xxxxxx dont Y.________
et dame Y.________ sont titulaires auprès de la banque. [...] Selon les
quelques relevés bancaires versés à la procédure, le compte no xxxxxx est
alimenté par l'un et l'autre partenaire régulièrement chaque mois. On doit en
conséquence admettre que chaque associé est propriétaire de la moitié du
véhicule».

3.2 Le recourant soutient d'abord qu'en se fondant sur l'absence de
contestation des allégations de l'intimée pour admettre l'achat du véhicule
Opel par un emprunt bancaire remboursé par le débit du compte commun n°
xxxxxx, les juges cantonaux auraient appliqué de façon insoutenable l'art.
126 al. 2 et 3 LPC/GE. Il serait arbitraire d'avoir considéré comme
tacitement avoué un fait qu'il n'a pu contester, ce d'autant que l'allégation
de l'intimée n'était assortie d'aucune offre de preuve. En outre, le
raisonnement de l'autorité cantonale serait dépourvu de logique, et donc
arbitraire, dès lors que, durant la procédure, il a affirmé ne pas être le
propriétaire de la voiture Opel.

3.3
3.3.1Selon l'art. 126 LPC/GE, la partie qui se prévaut de faits est tenue de
les articuler avec précision et celle à laquelle ils sont opposés doit
reconnaître ou dénier chacun d'eux catégoriquement (al. 2); le silence et
toute réponse évasive peuvent être pris pour un aveu desdits faits (al. 3).
Cette norme de procédure, qui prévoit l'obligation de contester ou d'admettre
les faits allégués par la partie adverse, fonde implicitement le droit de se
déterminer à leur sujet. Les commentateurs de la loi de procédure civile
genevoise relèvent à ce propos que «seule la partie qui s'exprime en dernier
est en mesure de contester, avec la précision utile, les allégués de son
adversaire» (Bertossa/ Gaillard/Guyet/Schmidt, Commentaire de la loi de
procédure civile genevoise, vol. I, n. 3 ad art. 126).

3.3.2 Une décision est arbitraire lorsqu'elle est manifestement insoutenable,
méconnaît gravement une règle ou un principe juridique clair et incontesté,
ou encore heurte d'une manière choquante le sentiment de la justice et de
l'équité. Il ne suffit pas que ses motifs soient insoutenables; encore
faut-il qu'elle apparaisse arbitraire dans son résultat (ATF 127 I 54 consid.
2b; 125 I 166 consid. 2a).

3.3.3 En l'espèce, c'est dans son écriture en réponse de la procédure
d'appel, plus précisément dans sa détermination sur l'allégation n° 13 du
mémoire d'appel, que l'intimée a avancé que le recourant «verse chaque mois,
sur le compte commun dont il dispose à l'UBS avec sa concubine, la somme de
Fr. 2'000.- pour couvrir les mensualités liées à l'emprunt bancaire ayant
servi à acheter le véhicule OPEL OMEGA». Le recourant n'a pas eu l'occasion
de se prononcer par écrit sur ce point de fait, à savoir l'achat de la
voiture en question au moyen d'un emprunt bancaire remboursé par le débit du
compte privé commun n° xxxxxx. L'autorité cantonale ne pouvait, sans
arbitraire, considérer les faits allégués par l'intimée comme constants. Un
aveu tacite de faits de nature à fonder la propriété du recourant ne pouvait
être retenu, puisque celui-ci avait expressément déclaré n'être propriétaire
d'aucune voiture (allégation n° 11 du mémoire d'appel), en particulier de la
voiture Opel Omega, dont il prétendait qu'elle lui était inexactement
attribuée et appartenait en réalité à son amie et associée (allégation n° 13
du mémoire d'appel). Dans ces circonstances, dès lors que les faits en cause
étaient formellement contestés par l'allégation de faits contraires, il était
insoutenable d'assimiler le «silence» du recourant à un aveu. Qu'en dépit de
la possibilité conférée par l'art. 306 B al. 2 LPC/GE, le recourant ait
renoncé à demander à plaider sur les allégations de l'intimée, comme le
relève celle-ci, n'est donc pas déterminant.

L'application ainsi faite de l'art. 126 al. 3 LPC/GE est également arbitraire
dans son résultat. En effet, en admettant que l'acquisition du véhicule Opel
a été financée par un emprunt bancaire remboursé par le débit du compte
commun n° xxxxxx, la Cour de justice retient des faits dont elle infère que
le recourant est «propriétaire de la moitié du véhicule». Cette déduction,
qui relève du droit, est déterminante pour le sort de la cause, en ce sens
qu'elle influe sur la composition des acquêts du recourant et, par
conséquent, sur la créance au titre de la liquidation du régime matrimonial.

4.
Vu ce qui précède, il n'est pas utile de vérifier le bien-fondé des autres
griefs soulevés par le recourant.

5.
En conclusion, le recours doit être admis et l'arrêt attaqué annulé.

Il y a lieu d'accorder à l'intimée le bénéfice de l'assistance judiciaire
(art. 152 al. 1 OJ). Cela ne la dispense pas pour autant de verser des dépens
à la partie adverse, qui l'emporte (ATF 122 I 322 consid. 2c).

Puisqu'elle succombe, l'intimée supportera les frais judiciaires (art. 156
al. 1 OJ), lesquels seront provisoirement pris en charge par la Caisse du
Tribunal fédéral.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est admis et l'arrêt attaqué est annulé.

2.
La requête d'assistance judiciaire de l'intimée est admise et Me Stéphane
Felder, avocat à Genève, lui est désigné comme avocat d'office.

3.
Un émolument judiciaire de 2'000 fr. est mis à la charge de l'intimée, mais
il est supporté provisoirement par la Caisse du Tribunal fédéral.

4.
L'intimée versera au recourant une indemnité de 2'000 fr. à titre de dépens.

5.
La Caisse du Tribunal fédéral versera au mandataire de l'intimée une
indemnité de 1'500 fr. à titre d'honoraires d'avocat d'office.

6.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la
Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève.

Lausanne, le 18 mars 2003

Au nom de la IIe Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  La greffière: