Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

II. Zivilabteilung 5P.364/2002
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5P.364/2002 /frs

Arrêt du 16 décembre 2002
IIe Cour civile

Les juges fédéraux Bianchi, président,
Nordmann, Hohl,
greffier Braconi.

X. ________ SA,
recourante, représentée par Me Enrico Scherrer, avocat, boulevard
Jacques-Dalcroze 2, 1204 Genève,

contre

D.________, intimé,
1ère Section de la Cour de justice du canton de Genève,
place du Bourg-de-Four 1, case postale 3108, 1211 Genève 3.

art. 9 Cst. (mainlevée définitive de l'opposition),

recours de droit public contre l'arrêt de la 1ère Section de la
Cour de justice du canton de Genève du 4 septembre 2002.

Faits:

A.
Par jugement du 28 août 2001, entré en force, le Tribunal des prud'hommes du
canton de Genève (Groupe 4) a condamné D.________ à évacuer immédiatement la
villa qu'il occupait et à payer à X.________ SA la somme nette de 108'000 fr.
avec intérêts à 5% dès le 15 février 2001; dans la même décision, il a
condamné X.________ SA à payer à D.________ la somme brute de 212'575 fr.10
avec intérêts à 5% dès le 24 novembre 2000, sous déduction de la somme nette
de 137'863 fr.25.

B.
Se fondant sur ce jugement, X.________ SA a fait notifier le 4 mars 2002 à
D.________ un commandement de payer la somme de 108'000 fr. plus intérêts à
5% dès le 15 février 2001, auquel le poursuivi a formé opposition.

Par jugement du 29 mai 2002, le Tribunal de première instance de Genève a
levé définitivement l'opposition à concurrence de 33'288 fr.15 plus intérêts
à 5% dès le 15 février 2001. Statuant le 4 septembre 2002 sur l'appel
interjeté par la poursuivante, la Cour de justice du canton de Genève a
confirmé cette décision.

C.
Agissant par la voie du recours de droit public au Tribunal fédéral pour
violation de l'art. 9 Cst., X.________ SA conclut, en substance, à
l'annulation de cet arrêt et à l'octroi de la mainlevée définitive pour
l'entier de sa prétention.

L'intimé n'a pas retiré l'invitation à répondre; l'autorité cantonale se
réfère aux considérants de sa décision.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité du recours
dont il est saisi (ATF 128 II 311 consid. 1 p. 315 et les arrêts cités).

1.1 Déposé à temps contre un prononcé de mainlevée définitive de l'opposition
rendu en dernière instance cantonale (ATF 120 Ia 256 consid. 1a p. 257; 98 Ia
527 consid. 1 p. 532), le présent recours est ouvert sous l'angle des art. 86
al. 1, 87 et 89 al. 1 OJ.

1.2 Par exception au principe général (cf. ATF 128 III 50 consid. 1b p. 53),
le Tribunal fédéral ne peut accorder lui-même la mainlevée de l'opposition
que, outre une situation juridique claire, lorsqu'il n'examine pas la
décision attaquée uniquement sous l'angle de l'arbitraire (ATF 120 Ia 256
consid. 1b p. 257/258 et la jurisprudence citée; imprécis: ATF 126 III 534
consid. 1c p. 536). Le chef de conclusions tendant à la mainlevée définitive
est, partant, irrecevable.

2.
Après avoir retenu que le poursuivi était en droit d'objecter la
compensation, la Cour de justice a considéré que la quotité de la «créance
compensatoire» de la poursuivante n'avait pas été démontrée. Celle-ci a,
certes, adressé à sa partie adverse le 27 mars 2002 un décompte indiquant les
charges sociales à déduire de la somme allouée par le Tribunal des
prud'hommes, à savoir 88'468 fr.84, ainsi qu'une fiche individuelle de
salaire pour l'année 2000; mais ces pièces, dont la teneur est contestée par
le poursuivi, ont été établies par la poursuivante elle-même et ne sont
accompagnées d'aucun justificatif concernant le montant du salaire, le taux
de la prévoyance professionnelle et celui de l'impôt à la source. Faute de
revêtir un quelconque caractère officiel, ces documents sont, dès lors,
dénués de force probante quant aux déductions opérées. On ne peut rien tirer
non plus de l'audition de Y.________, comptable auprès d'une fiduciaire, qui
se réfère à des pièces inconnues et évoque essentiellement les prestations
annexes au salaire dont le poursuivi a bénéficié durant les rapports de
travail. La compensation pouvant être valablement opposée à concurrence de
74'711 fr.85 (212'575 fr.10 - 137'863 fr.25), la mainlevée ne peut ainsi être
allouée que pour la somme de 33'288 fr.15 (108'000 fr. - 74'711 fr.85).

2.1 Le créancier au bénéfice d'un jugement exécutoire peut requérir du juge
la mainlevée définitive de l'opposition (art. 80 al. 1 LP). Lorsque la
poursuite est fondée sur une telle décision rendue par une autorité du canton
dans lequel la poursuite a lieu, le juge ordonne la mainlevée définitive de
l'opposition, à moins que l'opposant ne prouve par titre que la dette a été
éteinte ou qu'il a obtenu un sursis, postérieurement au jugement, ou qu'il ne
se prévale de la prescription (art. 81 al. 1 LP).

2.1.1 Par «extinction de la dette», l'art. 81 al. 1 LP ne vise pas uniquement
le paiement, mais également toute autre cause de droit civil (ATF 124 III 501
consid. 3b p. 503), notamment la compensation (Panchaud/Caprez, La mainlevée
d'opposition, 2e éd., § 144; D. Staehelin, in: Kommentar zum SchKG, vol. I,
n. 10 ad art. 81 LP et les références citées). Toutefois, un tel moyen n'est
opérant que si la créance compensante découle elle-même d'un titre exécutoire
ou qu'elle est reconnue sans réserve par le poursuivant (ATF 115 III 97
consid. 4 p. 100 et les citations). Contrairement à ce qui vaut pour la
mainlevée provisoire (art. 82 al. 2 LP), le poursuivi ne peut se borner à
rendre sa libération vraisemblable; il doit, au contraire, en rapporter la
preuve stricte (ATF 125 III 42 consid. 2b p. 44; 124 III 501 consid. 3a p.
503 et les citations).

2.1.2 Un jugement ne justifie la mainlevée définitive que si la somme due est
chiffrée; celle-ci peut, cependant, être établie par le rapprochement de
plusieurs pièces (arrêt 5P.138/1998 du 29 octobre 1998, consid. 3a;
Panchaud/Caprez, op. cit., § 108 n° 3; Staehelin, op. cit., n. 41 ad art. 80
LP). Le fait que le jugement dont se prévaut la poursuivante emporte
condamnation à payer un montant brut, sous déduction des cotisations sociales
- procédé par ailleurs courant (cf. arrêt 4C.319/1995 du 8 avril 1997,
consid. 2b/aa et les références; RJN 1995 p. 71 consid. 3) - ne prive donc
pas cette décision de son aptitude à constituer un titre de mainlevée
définitive.

2.2 Dans ses motifs, l'arrêt attaqué apparaît hautement critiquable. Le
montant du salaire du poursuivi ressort du jugement prud'homal (p. 2, 6 et
19). En outre, comme le souligne avec raison la recourante, le taux des
cotisations sociales et de l'impôt à la source découle de la loi, de sorte
que le poursuivant n'a pas à en rapporter la preuve au moyen d'un document
revêtant un «caractère officiel». Il est exact que, s'agissant de la
prévoyance professionnelle, la recourante n'a pas produit de convention
d'affiliation, ce qui eût permis de calculer la somme prélevée de ce chef
(cf. ATF 114 III 71); celle-ci ressort toutefois de la fiche de salaire
relative à l'année 2000 (642 fr.05) - étant rappelé que les prétentions du
poursuivi devant le Tribunal des prud'hommes portaient sur les mois de mars à
octobre 2000 -, dont la valeur probante n'est pas sérieusement contestée. Il
est, enfin, erroné de compenser deux sommes qui ne sont pas exprimées dans la
même unité de grandeur, l'une nette et l'autre brute.

Pour être annulée, encore faut-il que la décision attaquée soit arbitraire
dans son résultat (ATF 125 II 129 consid. 5b p. 134), ce qui n'est pas le cas
ici. Dans son décompte du 27 mars 2002, la poursuivante a calculé les
retenues sur la base du montant brut alloué par le Tribunal des prud'hommes
(supra, let. A), qui représente la différence entre les «salaires et autres
indemnités» (314'667 fr.80) et les «déductions admises» (102'092 fr.70). La
première somme comprend, en plus du salaire mensuel brut (25'000 fr.),
diverses prestations qui ne sont pas soumises - en tout ou en partie - à des
prélèvements (par exemple: indemnité de logement, frais d'écolage). De fait,
pour les mois en question (mars-octobre 2000), on ne parvient pas à
reconstituer le chiffre arrêté par la recourante - à savoir 88'468 fr.84 - à
partir de la rubrique «total ret.» de la fiche de salaire. Or, tout
particulièrement en matière de mainlevée définitive de l'opposition (ATF 124
III 501 consid. 3a p. 503), il n'appartient pas au juge de se livrer à des
calculs compliqués et aléatoires pour déterminer la somme à concurrence de
laquelle la mainlevée doit être accordée (cf. RJN 1995 p. 72).

3.
En conclusion, le recours doit être rejeté dans la mesure de sa recevabilité,
aux frais de son auteur (art. 156 al. 1 OJ). Il n'y a pas lieu d'allouer de
dépens à l'intimé, qui n'a pas procédé.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.

2.
Un émolument judiciaire de 5'000 fr. est mis à la charge de la recourante.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux parties et à la 1ère Section de
la Cour de justice du canton de Genève.

Lausanne, le 16 décembre 2002

Au nom de la IIe Cour civile
du Tribunal fédéral suisse:

Le président: Le greffier: