Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

II. Zivilabteilung 5P.155/2002
Zurück zum Index II. Zivilabteilung 2002
Retour à l'indice II. Zivilabteilung 2002


5P.155/2002

                  IIe  C O U R  C I V I L E
                  *************************

                         23 mai 2002

Composition de la Cour: M. Bianchi, président, Mmes Nordmann
et Hohl, juges. Greffier: M. Ponti.

           Statuant sur le recours de droit public
                          formé par

A.________, représenté par Me Mauro Poggia, avocat à Genève,

                           contre

l'arrêt rendu le 21 février 2002 par la Cour de justice du
canton de Genève dans la cause qui oppose le recourant à
R.________, représenté par Me François Micheli, avocat à
Genève;

            (art. 9 Cst.; mainlevée d'opposition)

          Vu les pièces du dossier d'où ressortent
                  les  f a i t s  suivants:

  A.- Par contrat du 28 juillet 1993, R.________ a
vendu à A.________ le fonds de commerce du magasin de tabac
nommé "X.________". Aux termes d'un document intitulé "Ave-
nant/quittance", signé le même jour, les parties ont fixé un
prix total de 290'000 fr., payable à raison de 150'000 fr. à
la signature du contrat et de 140'000 fr. le 1er novembre
1993, date de prise de possession des locaux par l'acheteur.

  B.- Le 8 novembre 2000, estimant que l'acheteur ne
s'était pas acquitté du solde du prix convenu, R.________ a
fait notifier à A.________ un commandement de payer pour la
somme de 140'000 fr., plus intérêts à 5% l'an dès le 2 novem-
bre 1993. Le poursuivi a formé opposition totale.

   Par jugement du 2 novembre 2001, le Tribunal de pre-
mière instance de Genève a prononcé la mainlevée provisoire
de l'opposition au commandement de payer. Statuant le 21 fé-
vrier 2002 sur l'appel formé par le poursuivi, la Cour de
justice a confirmé le jugement de première instance. En sub-
stance, la cour cantonale a retenu que le document intitulé
"Avenant/quittance" du 28 juillet 1993 constitue une recon-
naissance de dette au sens de l'art. 82 LP pour le montant
poursuivi, qui était dû à l'échéance du 1er novembre 1993.

  C.- Agissant par la voie du recours de droit public
au Tribunal fédéral pour violation de l'art. 9 Cst.,
A.________ conclut à l'annulation de cet arrêt.

  L'intimé n'a pas été invité à déposer une réponse.

           C o n s i d é r a n t  e n  d r o i t :

  1.- a)  Interjeté en temps utile contre une décision
qui accorde en dernière instance cantonale la mainlevée pro-
visoire de l'opposition (ATF 120 Ia 256 consid. 1a, 116 III
70 consid. 1 et les arrêts cités), le recours est recevable
au regard des art. 86 al. 1 et 89 al. 1 OJ.

  b) Saisi d'un recours de droit public pour arbitrai-
re, le Tribunal fédéral ne procède pas à un libre examen de
toutes les circonstances de la cause et ne rend pas un arrêt
au fond, qui se substituerait à la décision attaquée. Il se
borne à contrôler si l'autorité cantonale a observé les prin-
cipes que la jurisprudence a déduits de l'art. 9 Cst. (art. 4
aCst.). Son examen ne porte d'ailleurs que sur les moyens in-
voqués par le recourant et motivés conformément aux exigences
de l'art. 90 al. 1 let. b OJ (ATF 125 I 71 consid. 1c p. 76,
492 consid. 1b p. 495; 122 I 70 consid. 1c p. 73; 119 Ia 197
consid. 1d p. 201 et les arrêts cités).

  2.-  Le recourant invoque l'interdiction de l'arbi-
traire; à son avis, la Cour cantonale a méconnu le texte
clair de la quittance produite; elle aurait de plus arbitrai-
rement écarté les éléments objectifs apportés par le poursui-
vi permettant de conclure à la vraisemblance du moyen libéra-
teur invoqué.

  a) Selon la jurisprudence, l'arbitraire - prohibé par
l'art. 9 Cst. - ne résulte pas du seul fait qu'une autre so-
lution pourrait entrer en considération ou même qu'elle se-
rait préférable; le Tribunal fédéral ne s'écarte de la déci-
sion attaquée que lorsque celle-ci est manifestement insoute-
nable, qu'elle se trouve en contradiction claire avec la si-

tuation de fait, qu'elle viole gravement une norme ou un
principe juridique indiscuté, ou encore lorsqu'elle heurte de
manière choquante le sentiment de la justice et de l'équité;
pour qu'une décision soit annulée pour cause d'arbitraire, il
ne suffit pas que la motivation formulée soit insoutenable,
il faut encore que la décision apparaisse arbitraire dans son
résultat (ATF 126 I 168 consid. 3a; 125 I 166 consid. 2a; 124
I 247 consid. 5 p. 250; 124 V 137 consid. 2b).

  b) Aux termes de l'art. 82 al. 1 LP, le créancier
dont la poursuite se fonde sur une reconnaissance de dette
constatée par acte authentique ou sous seing privé peut
requérir la mainlevée provisoire. Constitue une reconnaissan-
ce de dette, au sens de cette disposition, l'acte authentique
ou sous seing privé signé par le poursuivi d'où ressort sa
volonté de payer au poursuivant, sans réserve ni condition,
une somme d'argent déterminée, ou aisément déterminable, et
échue; cette volonté peut découler du rapprochement de plu-
sieurs pièces, autant que les éléments nécessaires en résul-
tent (ATF 122 III 125 consid. 2 in limine et les références
citées). Le contrat de vente ordinaire constitue une recon-
naissance de dette pour le prix de vente échu pour autant que
le vendeur ait livré la chose vendue ou l'ait consignée lors-
que le prix était payable d'avance ou au comptant (Gilliéron,
Commentaire de la loi fédérale sur la poursuite pour dettes
et la faillite, Lausanne 1999, n. 46 ad art. 82 LP; Panchaud/
Caprez, La mainlevée d'opposition, 2ème éd., Zurich 1980,
§ 71).

  Selon l'art. 82 al. 2 LP, le juge, en présence d'une
reconnaissance de dette au sens de l'al. 1 de cette disposi-
tion, prononce la mainlevée provisoire si le débiteur ne rend
pas immédiatement vraisemblable sa libération. Le poursuivi
peut notamment rendre vraisemblable l'inexistence de la dette

en soulevant toutes les exceptions qui peuvent être fondées
sur le rapport juridique à la base de la reconnaissance
(Daniel Staehelin, Kommentar zum Bundesgesetz über Schuldbe-
treibung und Konkurs, SchKG I, Bâle 1998, n. 90 ad art. 82 LP
et la jurisprudence citée). La simple vraisemblance du moyen
libératoire suffit à mettre en échec la requête de mainlevée
provisoire; il suffit que, sur la base d'éléments objectifs,
le juge de la mainlevée acquière l'impression d'une certaine
vraisemblance de l'existence des faits pertinents, sans pour
autant qu'il doive exclure la possibilité qu'il puisse en
être autrement (Gilliéron, op. cit., n. 82 ad art. 82 LP,
p. 1282 et références citées).

  3.- L'arrêt attaqué considère que, nonobstant le do-
cument intitulé "Avenant/quittance", le recourant n'a pas
rendu vraisemblable le paiement de sa dette, en observant
qu'il n'a produit aucun justificatif à ce sujet (par ex. des
instructions bancaires ou un avis de débit), ni n'a fourni
d'autres éléments objectifs permettant de conclure à la vrai-
semblance du paiement (cf. p. 6 en haut de l'arrêt attaqué);
les juges cantonaux ont donc prononcé la mainlevée provisoire
de l'opposition pour la totalité du montant réclamé, à savoir
140'000 fr.

    a) Cette conclusion n'apparaît pas insoutenable ni
arbitraire. Dans le cas d'espèce, force est de constater que,
malgré les mots utilisés par les parties pour qualifier le
document signé le 28 juillet 1993 ("Avenant/quittance"), ce
document contient l'engagement de la part de l'acheteur de
payer au vendeur une somme d'argent déterminée, sans réserve
ni conditions, à une date déterminée (le 1er novembre 1993),
qui est échue depuis longtemps. Quant aux moyens libératoires
invoqués, c'est en vain que le recourant soutient avoir pro-
duit devant le juge de la mainlevée les pièces justificatives

rendant vraisemblable l'acquittement de sa dette. En réalité,
dans toute la procédure, il n'a produit aucune pièce démon-
trant, par exemple, que son compte bancaire aurait été débité
du montant correspondant ou simplement qu'il aurait donné un
ordre de paiement à sa banque (cf. SJ 1995, p. 326, n. 38).

  Le recourant prétend cependant avoir prouvé devant la
juridiction pénale - par des témoignages - qu'il aurait payé
à l'intimé la somme faisant l'objet de la présente poursuite.
Cet argument est toutefois vain, l'audition de témoins étant
exclue dans la procédure sommaire de la mainlevée d'opposi-
tion (art. 353 LPC/GE et art. 20 litt. b LALP). Au demeurant,
même l'enquête pénale n'a pas pu établir des faits pertinents
rendant vraisemblable la libération du débiteur aux termes de
l'art. 82 al. 2 LP : certes, la Chambre d'accusation n'a pas
taxé de faux le témoignage de M. D.________, qui avait affir-
mé avoir vu le paiement de la somme de 140'000 fr., mais elle
a aussi retenu dans son jugement que "en ce qui concerne la
vente du commerce de tabac X.________ de R._______ à
A.________, ni l'un ni l'autre n'a été capable de produire
des quittances attestant le paiement du prix de vente par
A.________ en deux fois le 28 juillet 1993 et le premier
novembre 1993" (cf. p. 9, litt. a) de l'ordonnance du 30 mai
1997 de la Chambre d'accusation genevoise). Il s'ensuit que,
dans ces circonstances, la solution retenue par la Cour de
justice dans l'arrêt attaqué ne peut pas être considérée
comme arbitraire, à savoir comme manifestement insoutenable
ou en contradiction flagrante avec le dossier.

  3.- En conclusion, le recours doit être rejeté, et
les frais judiciaires mis à la charge du recourant (art. 156
al. 1 OJ). Il n'y a en revanche pas lieu d'allouer des dépens
à l'intimé, qui n'a pas été invité à se déterminer sur le
recours.

                       Par ces motifs,

            l e  T r i b u n a l  f é d é r a l :

  1. Rejette le recours.

  2. Met à la charge du recourant un émolument judi-
ciaire de 4000 fr.

  3. Communique le présent arrêt en copie aux mandatai-
res des parties et à la Cour de justice du canton de Genève.

Lausanne, le 23 mai 2002
PIT/frs

                Au nom de la IIe Cour civile
                du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE :
                        Le Président,

                        Le Greffier,