Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

II. Zivilabteilung 5P.140/2002
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5P.140/2002 /frs

Arrêt du 1er avril 2003
IIe Cour civile

Mmes et M. les Juges Nordmann, Juge présidant,
Hohl et Marazzi.
Greffière: Mme Mairot.

Z. ________,
recourante, représentée par Me Mauro Poggia, avocat,
rue de Beaumont 11, 1206 Genève,

contre

X.________ Assurances SA,
intimée, représentée par Me Gilles Crettol, avocat, case postale 3199, 1211
Genève 3,
Tribunal de première instance du canton de Genève, place du Bourg-de-Four 1,
case postale 3736,
1211 Genève 3.

art. 9 et 10 al. 2 Cst., art. 6 § 1 CEDH (expertise),

recours de droit public contre l'ordonnance du Tribunal de première instance
du canton de Genève du 25 mars 2002.

Faits:

A.
Z. ________, née le 5 octobre 1938, a été victime d'un accident de la
circulation routière le 20 juin 1992.

Dans le cadre des procédures intentées par celle-ci contre A.________
Assurances et B.________ Compagnie d'assurances, devenues X.________
Assurances générales SA, le Tribunal de première instance du canton de Genève
a décidé de mettre en oeuvre une expertise médicale. Considérant que
l'instruction de la cause était complète, Z.________ s'est opposée à cette
mesure.

Par ordonnance du 30 novembre 1998, le tribunal a confié l'expertise à un
collège composé de trois médecins. Le 21 mai 1999, la Cour de justice du
canton de Genève a déclaré irrecevable l'appel interjeté par l'intéressée
contre cette décision. Statuant le 22 juillet suivant sur le recours de droit
public formé par l'appelante, le Tribunal fédéral a également déclaré
celui-ci irrecevable, décision qui a été confirmée le 25 novembre 1999 sur
demande de révision.

Z. ________ a alors sollicité la récusation des experts désignés. Le Tribunal
de première instance n'est pas entré en matière sur cette requête.

A la suite d'une demande de l'intéressée, cette autorité a, par ordonnance du
23 octobre 2000, enjoint les experts de procéder en présence des conseils des
parties, si celles-ci le souhaitaient.

En désaccord avec cette modalité d'exécution, les médecins concernés ont, le
30 janvier 2001, refusé la mission qui leur avait été confiée.

Le tribunal ayant décidé de la soumettre à un examen préalable visant à
déterminer si son état de santé lui permettait de se présenter seule à
l'expertise, Z.________ a renoncé à être assistée durant celle-ci par son
avocat, à condition qu'un médecin de son choix fût désigné comme expert.

B.
Par ordonnance du 25 mars 2002, le Tribunal de première instance a,
notamment, rapporté ses décisions préparatoires des 30 novembre 1998 et 23
octobre 2000, puis désigné cinq experts, dont deux respectivement choisis par
chacune des parties, et défini leur mission. Le tribunal a par ailleurs fixé
l'avance de frais à 25'000 fr. - à savoir 5'000 fr. par expert - et invité
les parties à verser chacune 9'000 fr., 7'000 fr. ayant d'ores et déjà été
provisionnés.

C.
Contre cette décision, Z.________ a déposé à la fois un appel à la Cour de
justice et un recours de droit public au Tribunal fédéral. Dans ce dernier
mémoire, elle conclut à l'annulation de l'ordonnance attaquée. Elle a en
outre sollicité l'octroi de l'effet suspensif et la suspension de la
procédure de recours de droit public jusqu'à droit connu sur l'appel
cantonal.

Invitée à se déterminer sur la requête d'effet suspensif, l'intimée n'a pas
répondu. Le Tribunal de première instance s'en est quant à lui rapporté à la
décision du Tribunal fédéral. Des observations sur le fond n'ont pas été
requises.

D.
Par ordonnance du 3 mai 2002, le président de la cour de céans a considéré
qu'il n'y avait pas lieu d'accorder l'effet suspensif au recours; il a en
revanche suspendu la procédure de recours de droit public jusqu'à droit connu
sur l'appel cantonal. Statuant le 15 novembre 2002, la Cour de justice a
déclaré celui-ci irrecevable. Par arrêt de ce jour, la cour de céans a
également déclaré irrecevable le recours de droit public formé par la
recourante contre l'arrêt de la Cour de justice du 15 novembre 2002.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
1.1 Le recours de droit public n'est en principe recevable qu'à l'encontre
des décisions prises en dernière instance cantonale (art. 86 al. 1 OJ).
L'acte attaqué, relatif à la mise en oeuvre d'une expertise médicale, est une
ordonnance préparatoire au sens de l'art. 295 LPC/GE
(Bertossa/Gaillard/Guyet, Commentaire de la loi de procédure civile
genevoise, n. 9 et 10 ad art. 291). Une telle décision ne peut pas faire
l'objet d'un appel immédiat, à moins qu'elle n'admette une espèce de preuve
ou d'instruction dans un cas où la loi l'a interdite (art. 295 al. 2 LPC/GE).
En l'occurrence, la Cour de justice a déclaré irrecevable l'appel interjeté
contre l'ordonnance du Tribunal de première instance. Le recours de droit
public formé par la recourante contre ce refus d'entrer en matière a
également été déclaré irrecevable par le Tribunal fédéral. L'ordonnance
incriminée constitue par conséquent une décision prise en dernière instance
cantonale. Le présent recours a par ailleurs été déposé en temps utile (art.
89 al. 1 OJ).

1.2 Selon l'art. 87 al. 2 OJ, le recours de droit public est recevable contre
les décisions préjudicielles et incidentes - autres que celles sur la
compétence et sur les demandes de récusation - prises séparément s'il peut en
résulter un préjudice irréparable. La décision attaquée, qui a trait à
l'administration des preuves dans le cadre d'un procès civil (arrêt
4P.117/1998 du 26 octobre 1998, in SJ 1999 I p. 186), est incidente (sur
cette notion, cf. ATF 128 I 215 consid. 2 p. 215/216 et les arrêts cités).
Elle ne peut donc faire l'objet d'un recours de droit public que si elle
cause à la recourante un dommage irréparable au sens de la disposition
précitée, par quoi on entend exclusivement le préjudice juridique qui ne peut
être réparé ultérieurement, notamment par le jugement final. Un dommage de
pur fait, tel que la prolongation de la procédure ou un accroissement des
frais de celle-ci, n'est pas considéré comme irréparable (ATF 129 III 107
consid. 1.2.1 p. 110; 127 I 92 consid. 1c p. 94; 126 I 97 consid. 1b p. 100
et les arrêts cités).
Les décisions relatives à l'administration des preuves ne sont, en principe,
pas de nature à causer aux intéressés un dommage irréparable, tel qu'il vient
d'être défini. En effet, la partie qui conteste la constitutionnalité d'une
décision rendue en ce domaine dans un procès qui la concerne pourra attaquer,
le cas échéant, cette décision incidente en même temps que la décision finale
(ATF 99 Ia 437 consid. 1 p. 438 et les références citées). La règle comporte
toutefois des exceptions. Il en va ainsi, notamment, lorsque l'existence d'un
moyen de preuve est mise en péril ou quand la sauvegarde de secrets est en
jeu (Ludwig, Endentscheid, Zwischenentscheid und Letztinstanzlichkeit im
staatsrechtlichen Beschwerdeverfahren, in RJB 110/1974 p. 161 ss, 183 n. 4.6
et les citations; Kälin, Das Verfahren der staatsrechtlichen Beschwerde, 2e
éd., p. 343 n. 135).
En l'occurrence, cette question souffre de rester indécise car le présent
recours doit de toute façon être rejeté, en tant qu'il est recevable.

1.3 Dans un recours de droit public soumis, comme en l'espèce, à l'exigence
de l'épuisement préalable des instances cantonales, le Tribunal fédéral ne
prend pas en considération les allégations, preuves ou faits nouveaux (ATF
108 II 60 consid. 1 p. 71; Kälin, op. cit., p. 369 s.). Partant, sont
irrecevables les (nombreux) faits allégués par la recourante qui ne
ressortent pas de la décision attaquée, à moins qu'elle ne démontre que ces
constatations sont arbitrairement fausses ou incomplètes (cf. ATF 118 Ia 20
consid. 5a p. 26 et les arrêts cités).

1.4 Aux termes de l'art. 90 al. 1 let. b OJ, l'acte de recours doit - sous
peine d'irrecevabilité (ATF 123 II 552 consid. 4d p. 558) - contenir un
exposé succinct des droits constitutionnels ou des principes juridiques
violés, précisant en quoi consiste la violation. Saisi d'un recours de droit
public, le Tribunal fédéral n'examine que les griefs soulevés de manière
claire et détaillée, le principe jura novit curia étant inapplicable (ATF 125
I 71 consid. 1c p. 76; 122 I 70 consid. 1c p. 73). Le justiciable qui se
plaint d'arbitraire ne peut critiquer la décision comme il le ferait en
instance d'appel, où l'autorité de recours dispose d'une libre cognition (ATF
117 Ia 10 consid. 4b p. 11/12), mais il doit démontrer, par une argumentation
précise, que cette décision repose sur une application de la loi ou une
appréciation des preuves manifestement insoutenables (ATF 125 I 492 consid.
1b p. 495 et les arrêts cités).

2.
La recourante prétend que l'autorité cantonale est tombée dans l'arbitraire
en désignant un collège de cinq experts - à savoir trois psychiatres, un
neurologue et un endocrinologue - au lieu de s'en tenir aux deux médecins
proposés par les parties, ce qui a pour conséquence d'augmenter
considérablement le coût de l'expertise. Elle se plaint en outre à cet égard
d'une violation de son droit à un procès équitable, garanti par l'art. 6 § 1
CEDH: tel qu'il est formulé, ce moyen se confond avec le précédent.

2.1 Une décision est arbitraire lorsqu'elle viole gravement une norme ou un
principe juridique clair et indiscuté, ou lorsqu'elle contredit d'une manière
choquante le sentiment de la justice et de l'équité. Le Tribunal fédéral ne
s'écarte de la solution retenue par l'autorité cantonale que si elle apparaît
insoutenable, en contradiction manifeste avec la situation effective, adoptée
sans motifs objectifs ou en violation d'un droit certain. Pour qu'une
décision soit annulée, il ne suffit pas que sa motivation soit insoutenable;
encore faut-il qu'elle soit arbitraire dans son résultat (ATF 128 I 177
consid. 2.1 p. 182; 127 I 54 consid. 2b p. 56, 60 consid. 5a p. 70 et les
arrêts cités).

2.2 En l'espèce, le Tribunal de première instance a considéré que le collège
de trois médecins initialement désigné comprenait déjà, outre un
expert-psychiatre, un neurologue et un endocrinologue. De l'avis de cette
juridiction, la présence de ces deux derniers spécialistes était justifiée
par la nature des problèmes médicaux rencontrés par l'intéressée, décision
qu'il n'y avait pas lieu de remettre en cause. Or la recourante ne critique
pas cette motivation. Elle ne mentionne pas non plus quelle disposition de
procédure civile genevoise concernant le nombre d'experts admissible aurait
été violée par l'autorité cantonale. Dans une argumentation de nature
appellatoire, elle se contente d'exposer que les médecins nommés en sus de
ceux proposés par les parties ne sont manifestement pas compétents dans le
domaine médical concerné, que la décision de désigner cinq experts ne repose
sur aucun élément du dossier et, enfin, qu'elle est manifestement choquante
en tant qu'elle implique pour elle des dépenses extrêmement lourdes, qui ne
sont aucunement justifiées par les faits de la cause. Elle ne prétend
cependant pas que le montant - certes élevé - de l'avance de frais est sans
relation avec l'objet de l'expertise, ni qu'elle devra renoncer à celle-ci
avec des conséquences négatives pour elle (cf. Sabine Kofmel, Das Recht aus
Beweis im Zivilverfahren, thèse Berne 1992, p. 211 ss). Son moyen est dès
lors insuffisamment motivé au regard des exigences déduites de l'art. 90 al.
1 let. b OJ (cf. supra, consid. 1.4); au demeurant, elle s'est d'emblée
opposée à la mise en oeuvre d'une expertise, considérant que l'instruction de
la cause était complète: elle ne saurait dès lors se plaindre de ce que, le
cas échéant, le tribunal y renonce si elle ne fournit pas l'avance de frais.
Le grief est par conséquent irrecevable, d'autant plus que le seul fait
d'accroître les frais de la procédure ne représente pas un dommage
irréparable (cf. supra, consid. 1.2).

3.
3.1 Dans un autre moyen, la recourante se plaint d'une violation de l'art. 10
al. 2 Cst. Elle reproche au Tribunal de première instance d'avoir annulé
l'ordonnance du 23 octobre 2000 autorisant la présence des avocats des
parties lors de l'expertise, décision qui serait de nature à porter atteinte
à son intégrité psychique. Faisant fi de l'avis de ses médecins traitants,
cette juridiction se serait à tort déchargée de sa responsabilité sur les
experts, leur laissant le soin de tenir compte de son état de santé fragile.
Selon la recourante, ce revirement de l'autorité cantonale, qui ne repose sur
aucun motif compréhensible, doit en outre être qualifié d'arbitraire.

3.2 Il résulte de l'ordonnance attaquée que la recourante s'est déclarée
d'accord de renoncer à l'assistance de son avocat ou d'un tiers durant
l'expertise, à condition que le docteur S.________ - considéré par elle comme
étant seul compétent pour se prononcer sur le syndrome de stress
post-traumatique dont elle affirme souffrir - fût nommé en qualité d'expert.
Or, le médecin précité figure dans le collège désigné par le Tribunal de
première instance. Bien qu'il ne soit pas le seul expert à devoir examiner la
recourante, contrairement à ce que celle-ci demandait, l'autorité cantonale
n'est pas tombée dans  l'arbitraire en estimant que sa présence devait
constituer pour l'intéressée un facteur rassurant, lui permettant de se
présenter seule à l'expertise. Au demeurant, cette juridiction retient qu'il
ne lui a pas été possible de trouver des médecins qui fussent d'accord
d'effectuer leur mission en présence de tiers, constatation dont la
recourante ne démontre pas qu'elle serait insoutenable. Enfin, le tribunal a
pris soin de préciser que les experts ne devraient examiner l'intéressée que
dans la mesure utile et avec les égards requis par son état de santé, décrit
comme fragile. Dans ces conditions, sa décision de rapporter l'ordonnance du
23 octobre 2000 échappe à tout arbitraire. Contrairement à ce que prétend la
recourante, qui ne motive du reste guère ce grief, son droit à l'intégrité
psychique garanti par l'art. 10 al. 2 Cst. n'apparaît pas non plus violé,
compte tenu de ce qui précède.

4.
En conclusion, le recours se révèle mal fondé et doit être rejeté, dans la
faible mesure de sa recevabilité. Les frais judiciaires seront supportés par
la recourante, qui succombe (art. 156 al. 1 OJ). Il n'y a pas lieu d'allouer
des dépens, l'intimée n'ayant pas été invitée à répondre.

Par ces motifs, vu l'art. 36a OJ, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.

2.
Un émolument judiciaire de 1'500 fr. est mis à la charge de la recourante.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et au
Tribunal de première instance du canton de Genève.

Lausanne, le 1er avril 2003

Au nom de la IIe Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

La juge présidant:  La greffière: