Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

II. Zivilabteilung 5P.125/2002
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5P.125/2002

                  IIe  C O U R  C I V I L E
                 ***************************

                        11 juin 2002

Composition de la Cour: M. Bianchi, président, Mmes Nordmann
et Hohl, juges. Greffière: Mme Mairot.

                         __________

           Statuant sur le recours de droit public
                          formé par

F.________, représentée par Me Karin Grobet Thorens, avocate
à Genève,

                           contre

l'arrêt rendu le 18 février 2002 par la Chambre civile de la
Cour de justice du canton de Genève dans la cause qui oppose
la recourante à O.________, représentée par Me Jean-Pierre
Oberson, avocat à Genève;

       (art. 9 et 29 Cst.; avance de frais, aliments)

          Vu les pièces du dossier d'où ressortent
                  les  f a i t s  suivants:

   A.- Par jugement du 15 novembre 2001, le Tribunal de
première instance de Genève a condamné F.________ à verser à
sa fille O.________, dès le 1er juin 2001, une contribution
d'entretien d'un montant de 1'400 fr. par mois, allocations
non comprises, pendant la durée de ses études.

   Le 21 décembre 2001, F.________ a appelé de ce juge-
ment auprès de la Cour de justice du canton de Genève.

   B.- Par lettre recommandée du 3 janvier 2002, cette
juridiction a demandé à l'appelante de lui faire parvenir,
d'ici au 28 janvier 2002, un émolument de mise au rôle de
1'500 fr., en application des art. 11 et 21 du règlement can-
tonal fixant le tarif des greffes en matière civile du 9
avril 1997 (E 3 05.10; ci-après: le règlement). Ce courrier
mentionnait comme annexe un bulletin de versement et préci-
sait ce qui suit: "Nous attirons votre attention sur le fait
que, faute par vous de procéder comme indiqué ci-dessus et
dans le délai imparti, votre appel sera déclaré irrecevable."

   Constatant que l'appelante n'avait pas justifié du
paiement de cet émolument dans le délai fixé, la Chambre ci-
vile de la Cour de justice du canton de Genève a, par arrêt
du 18 février 2002, déclaré l'appel irrecevable.

   C.- F.________ forme un recours de droit public au
Tribunal fédéral contre cet arrêt. Elle conclut à son annu-
lation et au renvoi de la cause à la Cour de justice pour
nouvelle décision.

   L'intimée propose le rejet tant de la requête d'ef-
fet suspensif que du recours et la confirmation de l'arrêt
attaqué. Elle sollicite en outre l'octroi de l'assistance ju-
diciaire.

   L'autorité cantonale n'a pas formulé d'observations
et s'est référée aux considérants de son arrêt.

   D.- Par ordonnance du 19 avril 2002, le président de
la cour de céans a admis la demande d'effet suspensif en ce
qui concerne la contribution due à l'intimée jusqu'en février
2002; il l'a rejetée pour le surplus.

           C o n s i d é r a n t  e n  d r o i t :

   1.- a) Formé en temps utile contre une décision fi-
nale rendue en dernière instance cantonale, le recours est
recevable au regard des art. 86 al. 1 et 89 al. 1 OJ.

   b) Dans la procédure de recours de droit public, la
partie adverse n'a aucun droit de disposition sur l'objet du
litige (Marti, Die staatsrechtliche Beschwerde, 4e éd., p. 53
n. 70 et p. 144 n. 259); elle ne peut que conclure à l'irre-
cevabilité ou au rejet du recours, et critiquer les points de
l'acte attaqué qui lui sont défavorables (ATF 115 Ia 27 con-
sid. 4a p. 30; 101 Ia 521 consid. 3 p. 525), sans pouvoir
prendre de conclusions propres sur le fond (ATF 109 Ia 169
consid. 3a p. 170; 107 Ia 269 consid. 1 p. 271). Les conclu-
sions de l'intimée sont dès lors irrecevables dans la mesure
où elles visent à la confirmation de la décision attaquée.

   c) Saisi d'un recours de droit public, le Tribunal
fédéral n'examine que les griefs invoqués et suffisamment mo-
tivés dans l'acte de recours (art. 90 al. 1 let. b OJ; ATF
127 I 38 consid. 3c p. 43; 127 III 279 consid. 1c p. 282; 126
III 524 consid. 1c p. 526, 534 consid. 1b p. 536).

   2.- La recourante prétend d'abord que l'arrêt atta-
qué serait arbitraire dans la mesure où il ne reposerait sur
aucune base légale. Elle se plaint en outre à cet égard d'une
violation du principe de la séparation des pouvoirs.

   a) En vertu de l'autonomie dont ils disposent en ma-
tière de procédure (art. 122 al. 2 Cst.), les cantons sont
libres de définir les sanctions attachées aux conséquences
d'un défaut de versement d'une avance de frais (ATF 104 Ia
105 consid. 4 p. 108). En droit genevois, l'art. 121 de la
loi d'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 (LOJ/GE)
dispose que les parties avancent au greffe les émoluments fi-
xés réglementairement. Selon l'art. 2 du règlement édicté par
le Conseil d'Etat conformément à l'art. 120 al. 1 LOJ/GE, les
émoluments sont perçus sous forme d'émoluments de mise au rô-
le, d'émoluments complémentaires, d'émoluments de décision et
d'émoluments de greffe (al. 1). Sauf disposition contraire,
ils sont perçus en première et en deuxième instance (al. 2).
Aux termes de l'art. 3 al. 1 du règlement, l'émolument de mi-
se au rôle et les sûretés destinées à garantir le paiement de
l'émolument complémentaire ou de décision sont perçus auprès
de la partie demanderesse, sous peine d'irrecevabilité de la
demande.

   b) La recourante soutient que cette dernière dispo-
sition ne concerne que les demandes déposées en première ins-
tance. Cet argument apparaît manifestement infondé. L'art. 3
du règlement vise en effet clairement toute partie qui saisit
une autorité judiciaire (arrêt 4P.248/2000 du 26 avril 2001,
consid. 3d), que ce soit en première ou en deuxième instance
(art. 2 al. 2 du règlement). Il est vrai que la disposition
citée mentionne la partie demanderesse, et non pas la partie
appelante. Il n'est cependant pas arbitraire de considérer
comme partie demanderesse, au sens de cette disposition, cel-
le qui demande que la cause soit réexaminée en appel (arrêt
4P.75/2002 du 30 avril 2002, consid. 2c). La recourante pré-

tend en outre qu'au vu de sa gravité, une telle conséquence -
l'irrecevabilité de l'appel - devrait être inscrite dans une
loi cantonale. Elle ne paraît toutefois pas faire valoir que
cette sanction devrait reposer sur une base légale formelle,
et non sur un simple règlement. Même s'il fallait comprendre
que la recourante entend soulever un tel grief, il devrait
être écarté, faute de motivation suffisante (art. 90 al. 1
let. b OJ).

   3.- La recourante reproche aussi à la Cour de justi-
ce d'avoir commis arbitraire en statuant contrairement à sa
propre jurisprudence. Elle soutient que, dans l'affaire citée
par l'autorité cantonale pour justifier sa décision (SJ 1989
p. 155), l'appelant a bénéficié d'un "double délai" d'une du-
rée de plus de 5 mois (recte: un peu moins de 4 mois) pour
effectuer le versement de l'avance de frais alors que, dans
le cas particulier, il ne lui a été imparti qu'un seul délai
de 24 jours.

   Ce moyen est à l'évidence infondé. Il résulte en ef-
fet de l'arrêt cantonal précité qu'en droit genevois, le dé-
faut de versement de l'émolument d'introduction entraîne
l'irrecevabilité de la demande ou de l'appel. Dès lors, la
Cour de justice n'a manifestement pas méconnu sa jurispruden-
ce. Le fait que, dans cette affaire, deux mises en demeure au
lieu d'une aient été adressées à l'appelant et qu'un délai
plus long lui ait été fixé pour effectuer le versement de
l'émolument ne permet pas d'affirmer que l'arrêt attaqué soit
insoutenable.

   4.- Dans un autre moyen, la recourante prétend que
la décision incriminée consacre un formalisme excessif prohi-
bé par l'art. 29 Cst. Elle soutient en particulier qu'un dé-
lai supplémentaire aurait dû lui être accordé pour verser
l'émolument exigé.

   En principe, aucun formalisme contraire à la Consti-
tution n'est commis lorsque, conformément au droit de procé-
dure applicable, la recevabilité d'un recours est subordonnée
au versement d'une avance de frais dans un délai déterminé
(arrêts 1P.96/1999 du 30 avril 1999, consid. 3c; 1P.163/1997
du 17 juin 1997, consid. 2; 1P.144/1993 du 16 avril 1993,
consid. 3). En effet, il s'agit là d'une sanction que l'on
retrouve, avec des nuances, dans la plupart des procédures
cantonales et fédérale (voir notamment l'art. 150 al. 4 OJ)
et qui ne constitue donc pas un formalisme excessif, pour au-
tant que le montant de l'avance, le délai imparti pour son
versement et les conséquences du défaut de paiement soient
communiqués au plaideur de façon appropriée (ATF 104 Ia 105
consid. 5 p. 112; 96 I 521 consid. 4 p. 523; Poudret/Sandoz-
Monod, Commentaire de la loi fédérale d'organisation judi-
ciaire, vol. V, n. 4 ad art. 150, p. 107). En l'espèce, cette
dernière condition a été pleinement satisfaite par la lettre
recommandée du 3 janvier 2002; la recourante ne le conteste
du reste pas. Or lorsque, comme dans la présente affaire, le
plaideur a préalablement reçu un avertissement adéquat, il
n'est pas fondé à exiger un délai supplémentaire (arrêt
1P.49/1996 du 14 mai 1996, consid. 2b et les références),
d'autant qu'il ne s'agit pas ici d'une avance symbolique
destinée uniquement à éviter des recours abusifs (ATF 95 I 1
consid. 2b p. 5; cf. Poudret/Sandoz-Monod, op. cit., loc.
cit.). L'ATF 104 Ia 105, invoqué par la recourante, ne lui
est au demeurant d'aucun secours. Dans cette affaire, le non-
versement de l'avance de frais en première instance avait
pour conséquence que la partie ne pouvait plus présenter de
nouvelle demande. A la différence de cet arrêt, le cas parti-
culier concerne une procédure de recours, de sorte que l'in-
téressée ne se voit pas totalement privée d'une décision sur
le fond (cf. arrêt 4P.201/2000 du 13 novembre 2000, consid.
3).

   5.- Enfin, la recourante se plaint d'une violation
du principe de la bonne foi. Elle expose que le montant de
l'avance de frais devait être automatiquement débité du comp-
te - selon elle régulièrement approvisionné - dont son avocat
dispose auprès du tribunal. Si, à l'expiration du délai fixé,
le greffe de la Cour de justice avait constaté que le compte
ne présentait pas un solde suffisant pour prélever l'émolu-
ment, il aurait dû, conformément à sa pratique, l'en aviser
par le biais de son conseil. En changeant sa façon de procé-
der sans avertissement, l'autorité cantonale aurait agi de
manière imprévisible et, par conséquent, contraire à l'art. 9
Cst.

   Les pièces produites par la recourante montrent que
le compte de son avocat n'était pas suffisamment provisionné
pour permettre le prélèvement d'une somme de 1'500 fr. à la
date fixée, à savoir le 28 janvier 2002. Il n'était dès lors
pas insoutenable de considérer que le versement exigé n'avait
pas été effectué dans le délai imparti. La recourante prétend
que l'administration aurait dû aviser son avocat que le mon-
tant en compte était insuffisant. Elle n'invoque toutefois
aucune disposition du droit cantonal qui le prescrive, et ne
démontre pas davantage avoir reçu des assurances en ce sens.
L'existence d'une pratique de la Cour de justice consistant à
informer l'avocat du déficit de son compte n'est pas non plus
établie. Il n'est toutefois pas nécessaire de trancher cette
question. En effet, la recourante admet expressément que son
conseil a été avisé, par lettre du 3 janvier 2002, reçue le
lendemain, qu'un délai fixé au 28 janvier suivant lui était
imparti pour payer l'émolument, à défaut de quoi l'appel se-
rait déclaré irrecevable. Dans ces conditions, la recourante
ne saurait se prévaloir du principe de la bonne foi. Quand
bien même la pratique antérieure de la Cour de justice aurait
consisté à débiter automatiquement le compte de l'avocat et à
aviser celui-ci en cas de déficit, il résulte du courrier

précité qu'en l'occurrence, le conseil de la recourante a été
clairement informé qu'il devait verser un émolument de mise
au rôle de 1'500 fr. dans un délai déterminé, sous peine
d'irrecevabilité de l'appel. Si l'avocat avait des doutes sur
la nécessité de procéder de la sorte, compte tenu d'un éven-
tuel changement de pratique de l'autorité cantonale, il lui
appartenait de se renseigner sans attendre l'échéance du dé-
lai. Au reste, il n'est pas arbitraire d'imputer à la recou-
rante le comportement de son avocat (cf. ATF 114 Ib 67 con-
sid. 2c p. 70/71). Le grief se révèle ainsi mal fondé.

   6.- Le recours doit donc être rejeté, dans la mesure
de sa recevabilité. La recourante supportera dès lors les
frais judiciaires (art. 156 al. 1 OJ) et versera en outre des
dépens à l'intimée, qui s'est déterminée sur le recours et
sur la requête d'effet suspensif (art. 159 al. 1 OJ). La de-
mande d'assistance judiciaire présentée par celle-ci devient
par conséquent sans objet.

                       Par ces motifs,

            l e  T r i b u n a l  f é d é r a l :

   1. Rejette le recours dans la mesure où il est rece-
vable.

   2. Met à la charge de la recourante:
            a) un émolument judiciaire de 2'000 fr.
            b) une indemnité de 2'500 fr. à payer à l'intimée
               à titre de dépens.

   3. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la Chambre civile de la Cour de jus-
tice du canton de Genève.

                         __________

Lausanne, le 11 juin 2002
MDO/frs

                Au nom de la IIe Cour civile
                du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE :
                        Le Président,

                        La Greffière,