Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

II. Zivilabteilung 5P.113/2002
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5P.113/2002

                  IIe  C O U R  C I V I L E
                  *************************

                        1er mai 2002

Composition de la Cour : M. Bianchi, Président, Mmes Nordmann
et Hohl, Juges. Greffière: Mme Jordan.

           Statuant sur le recours de droit public
                          formé par

S.________, représenté par Me Soli Pardo, avocat à Genève,

                           contre

l'arrêt rendu le 31 janvier 2002 par la 1ère Section de la
Cour de justice du canton de Genève dans la cause qui oppose
le recourant à l' E t a t  d e  G e n è v e , représenté par
l'Administration fiscale cantonale, Service du contentieux,
26, rue du Stand, à Genève.

      (art. 9 et 49 al. 1 Cst.; mainlevée définitive de
                        l'opposition)

          Vu les pièces du dossier d'où ressortent
                  les  f a i t s  suivants:

   A.- Le 8 août 2001, le Tribunal de première instance
de Genève a refusé de prononcer la mainlevée de l'opposition
formée par S.________ au commandement de payer (poursuite
no XXXXX) les sommes de 1'166 fr.75, avec intérêts à 3,25%
dès le 18 octobre 2000, et de 261 fr.50, correspondant res-
pectivement à des impôts impayés (bordereau no YYYYY de
l'année 1994) et des intérêts moratoires au 18 octobre 2000.

   B.- Statuant le 31 janvier 2002 sur l'appel de
l'Etat de Genève, représenté par l'Administration fiscale
cantonale, la 1ère Section de la Cour de justice a annulé ce
prononcé et levé définitivement l'opposition.

   C.- S.________ forme un recours de droit public au
Tribunal fédéral, concluant à l'annulation de cet arrêt, sous
suite de frais et dépens.

   L'intimé n'a pas été invité à répondre.

           C o n s i d é r a n t  e n  d r o i t :

   1.- Interjeté en temps utile contre une décision fi-
nale qui prononce, en dernière instance cantonale, la mainle-
vée définitive de l'opposition (ATF 120 Ia 256 consid. 1a p.
257), le recours est recevable au regard des art. 86 al. 1,
87 (a contrario) et 89 al. 1 OJ.

   2.- La cour cantonale a jugé que le créancier est au
bénéfice d'un titre de mainlevée définitive au sens de l'art.
80 al. 1 LP, la sommation de payer adressée au contribuable

le 28 septembre 1999 étant assimilée par le droit cantonal à
un jugement exécutoire (art. 365 al. 4 de la loi genevoise
sur les contributions publiques (LCP); RS D 3 05). S'agissant
de la prescription de la créance fiscale, elle a laissé ou-
verte la question du droit applicable en l'espèce au vu du
changement législatif intervenu en janvier 1995, l'appel de-
vant être admis "pour un autre motif". Se référant à une
jurisprudence cantonale (SJ 1979 p. 645), elle a en effet
considéré que la sommation - qui est assimilée à un jugement
- a fait courir un nouveau délai de prescription, laquelle
n'était pas encore acquise lors de la notification de cet
acte le 28 septembre 1999 (cf. le bordereau avait été notifié
le 10 octobre 1994). Le nouveau délai de cinq ans prenant fin
le 28 septembre 2004, la créance n'était ainsi pas prescrite.

   a) Le recourant est d'avis qu'en assimilant à un ju-
gement exécutoire selon l'art. 80 al. 1 LP la sommation de
payer adressée au contribuable, l'art. 365 al. 4 LCP viole le
principe de la primauté du droit fédéral consacré à l'art. 49
al. 1 Cst. ainsi que l'art. 46 al. 1 Cst. La sommation de
payer ne serait en effet pas une "décision" au sens de l'art.
80 al. 2 ch. 3 LP, mais un "simple rappel solennel d'une
obligation déjà existante et en force"; elle ne ferait que
"réitérer l'ordre contenu dans l'acte de taxation préalable".
A l'appui de son argumentation, le recourant se réfère notam-
ment à la définition de la décision de l'art. 5 PA et à un
arrêt publié aux ATF 103 Ib 350 (352 ss) cité par "Grisel".

   b) En vertu du principe de la force dérogatoire (ou
de la primauté) du droit fédéral, les cantons ne sont pas au-
torisés à légiférer dans les domaines exhaustivement régle-
mentés par le droit fédéral. Dans les autres domaines, ils
peuvent édicter des règles de droit qui ne violent ni le sens
ni l'esprit du droit fédéral, et qui n'en compromettent pas
la réalisation (ATF 127 I 60 consid. 4a p. 68 et les référen-
ces; 125 I 474 consid. 2a p. 480 et les arrêts cités). Dans

le cadre d'un contrôle concret, le Tribunal fédéral examine
avec un plein pouvoir d'examen si la norme de droit cantonal
critiquée est compatible avec le droit fédéral (ATF 123 I 313
consid. 2b p. 317; 126 I 76 consid. 1 p. 78). Il appartient
toutefois au recourant d'indiquer les normes de droit fédéral
qui seraient, d'après lui, touchées par la disposition canto-
nale contestée (arrêt 4P.79/2000 du 7 septembre 2000 paru à
la Semaine judiciaire 2001 I 81 consid. 3b p. 85/86).

   c) Selon l'art. 80 al. 2 ch. 3 LP, dans les limites
du territoire cantonal, sont assimilées à des jugements les
"décisions" des autorités administratives cantonales relati-
ves aux obligations de droit public (impôts, etc.), en tant
que le droit cantonal prévoit cette assimilation. Dès lors
que cette disposition reprend, sous réserve de quelques modi-
fications rédactionnelles l'art. 80 al. 2 aLP, on peut se ré-
férer sans autre forme à la jurisprudence et à la doctrine
relatives à cette dernière norme. Par décision de l'autorité
administrative, on entend de façon large tout acte adminis-
tratif imposant péremptoirement au contribuable la prestation
d'une somme d'argent à la corporation publique (ATF 47 I 222
consid. 1 p. 225; Jean-Marc Rivier, Droit fiscal suisse, 2e
éd., 1998, p. 162, ch. I; Blaise Knapp/Gérard Hertig, L'exé-
cution forcée des actes cantonaux pécuniaires de droit public
(art. 80 al. 2 LP), in BlSchK 1986, p. 128, ch. 3; Dominique
Rigot, Le recouvrement forcé des créances de droit public
selon le droit de poursuite pour dettes et la faillite, thèse
Lausanne, 1991, p. 30 et p. 136/137, n. 123; cf. aussi RJN
1953 p. 50). Une simple disposition prise par un organe admi-
nistratif, revêtue de l'autorité administrative et donnant
naissance à une créance de droit public suffit (ATF précité;
Marcel Caprez, Mainlevée d'opposition, FJS 187, p. 5). Con-
trairement à ce que semble penser le recourant, il n'est pas
nécessaire qu'un débat ait précédé la décision (ATF précité;
Dominique Rigot, op. cit., p. 137, n. 124). Il importe en
revanche que l'administré puisse voir, sans doute possible,

dans la notification qui lui est faite, une décision entrant
en force, faute d'opposition ou de recours (Marcel Caprez,
ibidem; Daniel Staehelin, Kommentar zum Bundesgesetz über
Schuldbetreibung und Konkurs, n. 120 ad art. 80 LP). A cette
condition, la sommation de payer peut être considérée comme
une décision (Marcel Caprez, ibidem; cf. aussi: André Grisel,
Traité de droit administratif, 1984, vol. II, p. 861, ch.
II.1).

   Tel est le cas en l'espèce. Par la sommation, l'ad-
ministration fiscale ne se borne pas à inviter le recourant,
mais le somme, sous la menace d'une exécution forcée, de
s'acquitter du solde d'impôts impayés, de la surtaxe de
1/20e, des frais et des intérêts légaux dans un délai de
trente jours. L'acte litigieux - qui, du propre aveu de l'in-
téressé, se fonde sur une "obligation déjà existante et en
force" (le bordereau notifié le 10 octobre 1994) - revêt
ainsi le caractère d'une réclamation d'un solde d'impôts avec
surtaxe, intérêts et frais, dont ni l'existence ni la quotité
ne sont au demeurant contestées. Les arguments du recourant
ne lui sont à cet égard d'aucun secours. Nonobstant qu'il se
borne à rapporter des propos attribués - sans de plus amples
références - à "Grisel", l'arrêt qu'il cite dispose au con-
traire que la menace d'un retrait de l'agrément comme ins-
titution de révision est une décision au sens de l'art. 5 PA
(ATF 103 Ib 350 consid. 2 p. 352/353). Dans ces conditions,
le grief pris de la violation d'une condition (existence
d'une décision administrative) posée au nom de la force déro-
gatoire du droit fédéral est mal fondé.

   3.- Le recourant soutient que, de jurisprudence can-
tonale constante (SJ 1981 p. 90; 1995 p. 329), la Cour de
justice ne peut statuer que sur les griefs allégués, lors-
qu'elle est saisie, comme en l'espèce, d'un appel extraordi-
naire (art. 292 de la loi genevoise de procédure civile du 10
avril 1987 (LPC); RS E 3 05). En examinant si la sommation

est un acte interruptif de la prescription - grief qui n'au-
rait pas été soulevé par le créancier - les magistrats inti-
més auraient arbitrairement (art. 9 Cst.) outrepassé leurs
attributions.

   Ce grief tombe à faux. Il ressort en effet de l'ar-
rêt attaqué que le créancier a invoqué dans le cadre de son
recours extraordinaire le grief pris de la non-prescription
de la créance fiscale, lequel était fondé sur deux arguments:
l'existence d'une décision de taxation sur réclamation noti-
fiée le 1er décembre 1997 et le changement législatif inter-
venu en janvier 1995. Après avoir écarté la première argumen-
tation, parce qu'elle se référait à une pièce nouvelle, et
avoir laissé ouverte la question du droit applicable, la cour
cantonale a admis le grief sur la base d'une troisième argu-
mentation. Ce faisant, contrairement à ce que pense le recou-
rant, l'autorité cantonale n'a pas traité un moyen non "arti-
culé", mais s'est bornée à substantifier différemment celui
soulevé par le créancier.

   4.- Vu ce qui précède, le recours doit être rejeté.
Cela étant, le recourant, qui succombe, supportera les frais
de la procédure (art. 156 al. 1 OJ). Il n'y a pas lieu d'al-
louer de dépens à l'intimé (art. 159 al. 1 et 2 OJ).

                       Par ces motifs,

            l e  T r i b u n a l  f é d é r a l :

   1. Rejette le recours.

   2. Met un émolument judiciaire de 500 fr. à la char-
ge du recourant.

   3. Communique le présent arrêt en copie aux parties
et à la 1ère Section de la Cour de justice du canton de Genè-
ve.

Lausanne, le 1er mai 2002
JOR/frs
                Au nom de la IIe Cour civile
                 du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE,
                        Le Président,

                        La Greffière,