Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

II. Zivilabteilung 5C.91/2002
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5C.91/2002

                 IIe  C O U R  C I V I L E
                 *************************

                       28 août 2002

Composition de la Cour: M. Bianchi, président,
Mmes Nordmann et Hohl, juges. Greffier: M. Ponti.

               Dans la cause civile pendante
                           entre

A.________, défendeur et recourant, représenté par Me Mauro
Poggia, avocat à Genève;

                            et

R.________, demandeur et intimé, représenté par Me François
Roger Micheli, avocat à Genève,

                      (revendication)

         Vu les pièces du dossier d'où ressortent
                 les  f a i t s  suivants:

  A.- Au début des années 1990, R.________ et
A.________ ont entretenu des relations d'affaires, notam-
ment dans le domaine de l'acquisition d'oeuvres d'art et de
tableaux. Les rapports contractuels entre les parties n'ont
pas pu être clairement établis par les autorités civiles et
pénales cantonales; il ressort toutefois du dossier que
R.________ a procédé à plusieurs reprises (en particulier
en juillet, novembre et décembre 1990) à l'achat d'oeuvres
d'art et de tableaux lors de ventes aux enchères.
A.________ a allégué que ces objets avaient été acquis à
titre fiduciaire pour son compte.

  Par contrat du 28 juillet 1993, R.________ a vendu
à A.________ le fonds de commerce du magasin de tabac nommé
"Tabac X.________". Aux termes d'un document intitulé "Ave-
nant/quittance", signé le même jour, les parties ont fixé
un prix total de 290'000 fr., payable à raison de 150'000
fr. à la signature du contrat et de 140'000 fr. le 1er no-
vembre 1993, date de prise de possession des locaux par
l'acheteur.

  B.- Les relations entre les parties s'étant par la
suite détériorées, R.________ a réclamé à A.________, par
courrier du 12 décembre 1994, la restitution des oeuvres
d'art demeurées en sa possession et le paiement du prix
d'acquisition du commerce de tabac, qui, selon lui, n'avait
pas été versé. A.________ a répondu que le prix de vente du
commerce de tabac avait été entièrement payé et qu'il ne
détenait aucun tableau propriété de R.________, ayant sys-
tématiquement remboursé ce dernier du prix d'achat des
objets d'art.

  C.- Le 15 novembre 1995, R._________ a actionné
A.________ en restitution notamment des oeuvres d'art res-
tées en sa possession et du fonds de commerce du "Tabac
X.________", sous la menace des peines prévues par l'art.
292 CP; il a en outre conclu au paiement d'une indemnité
équitable pour l'exploitation sans droit du commerce en
question. Subsidiairement, il a conclu à ce qu'A.________
soit condamné à lui payer les montants de 150'000 fr. avec
intérêts à 6% dès le 28 juillet 1993 et de 140'000 fr. avec
intérêts à 6% dès le 1er novembre 1993, et à ce que l'oppo-
sition au commandement de payer qu'il lui avait fait noti-
fier le 11 janvier 1995 soit définitivement levée.
A.________ s'est opposé à toutes ces prétentions.

  La cause civile a ensuite été suspendue dans l'at-
tente de l'issue de la procédure pénale ouverte à l'en-
contre d'A.________ sur plainte de R.________. Par jugement
du 16 septembre 1998, le Tribunal de police de Genève a
condamné A.________ à 8 mois d'emprisonnement avec sursis
pour abus de confiance, pour avoir disposé des tableaux
mentionnés sans avoir démontré qu'il en était devenu pro-
priétaire. Il a par ailleurs ordonné la restitution de ces
oeuvres à R.________. Ce jugement a été ensuite confirmé
par la Cour de justice du canton de Genève, et le recours
de droit public formé par A.________ contre l'arrêt de la
Cour de justice a été rejeté par le Tribunal fédéral (cf.
arrêt 1P.318/1999 du 17 novembre 1999).

  D.- Par jugement du 30 juillet 2001, le Tribunal de
première instance de Genève a ordonné la restitution à
R.________ des objets d'art qu'il revendiquait, et a con-
damné A.________ à lui verser la somme de 290'000 fr. avec
intérêts à 5% dès le 12 décembre 1994, correspondant au
prix de vente du commerce de tabac.

  Statuant le 22 février 2002 sur l'appel formé par
A.________, la Cour de justice du canton de Genève a con-
firmé le jugement de première instance. Se ralliant aux
conclusions du Tribunal de police et du Tribunal de premiè-
re instance, elle a considéré que R.________ avait prouvé,
par les pièces produites, son droit de propriété sur les
oeuvres d'art litigieuses et, par là, le bien-fondé de son
action en revendication; elle a par contre jugé
qu'A.________ n'avait pas pu prouver ses allégations, et en
particulier que ces acquisitions avaient été effectuées
seulement à titre fiduciaire. S'agissant du fonds de com-
merce du "Tabac X.________", les juges cantonaux ont retenu
que l'avenant signé le 28 juillet 1993, malgré son libellé,
ne constituait pas une preuve du versement du prix de ven-
te, en l'absence de tout justificatif bancaire ou comptable
de la part de l'acheteur.

  E.- Le 12 avril 2002 A.________ a formé, parallè-
lement, un recours de droit public et un recours en réforme
au Tribunal fédéral contre l'arrêt de la Cour de justice.
Dans le recours en réforme, invoquant une violation des
art. 8 CC, 548 et 549 CO, il conclut à l'annulation de
l'arrêt attaqué et au renvoi de la cause à l'autorité can-
tonale pour qu'elle statue à nouveau. Il sollicite aussi
que le demandeur soit débouté de toutes autres ou contrai-
res conclusions et soit condamné à tous les frais et dépens
de la procédure fédérale.

  Le demandeur n'a pas été invité à déposer une ré-
ponse.

         C o n s i d é r a n t   e n   d r o i t :

  1.- a) Par arrêt de ce jour, le Tribunal fédéral a
partiellement admis le recours de droit public formé paral-
lèlement par le défendeur contre l'arrêt attaqué et annulé
celui-ci en tant qu'il condamnait le défendeur à verser à
R.________ la somme de 150'000 fr. avec intérêts à 5% dès
le 12 décembre 1994 et en tant qu'il statuait sur les frais
et dépens, le recours de droit public étant rejeté pour le
surplus dans la mesure où il était recevable.

  b) Le recours en réforme est ouvert pour violation
du droit fédéral (art. 43 al. 1 OJ). Il ne permet en revan-
che pas d'invoquer la violation directe d'un droit de rang
constitutionnel (art. 43 al. 1 2e phrase OJ) ou la viola-
tion du droit cantonal (art. 55 al. 1 let. c in fine OJ;
ATF 127 III 248 consid. 2c et les arrêts cités).

  2.- Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal
fédéral doit conduire son raisonnement sur la base des
faits contenus dans la décision attaquée, à moins que des
dispositions fédérales en matière de preuve n'aient été
violées, qu'il y ait lieu à rectification de constatations
reposant sur une inadvertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ)
ou qu'il faille compléter les constatations de l'autorité
cantonale parce que celle-ci n'a pas tenu compte de faits
pertinents, régulièrement allégués et prouvés (art. 64 OJ;
ATF 127 III 248 ibidem). Dans la mesure où un recourant
présente un état de fait qui s'écarte de celui contenu dans
la décision attaquée, sans se prévaloir avec précision de
l'une des exceptions qui viennent d'être rappelées, il n'y
a pas lieu d'en tenir compte. Il ne peut être présenté de
griefs contre les constatations de fait, ni de faits ou de

moyens de preuve nouveaux (art. 55 al. 1 let. c OJ). L'ap-
préciation des preuves à laquelle s'est livrée l'autorité
cantonale ne peut être remise en cause (ATF 126 III 189
consid. 2a; 125 III 78 consid. 3a).

  Si le Tribunal fédéral ne peut aller au-delà des
conclusions des parties, lesquelles ne peuvent en prendre
de nouvelles (art. 55 al. 1 let. b in fine OJ), il n'est
lié ni par les motifs qu'elles invoquent (art. 63 al. 1
OJ), ni par ceux de la décision cantonale (art. 63 al. 3
OJ; ATF 127 III 248 consid. 2c; 126 III 59 consid. 2a).

  3.- Dans un premier moyen, le recourant soutient
que l'autorité cantonale aurait reconnu - sans toutefois le
dire expressément - que les parties avaient conclu un con-
trat de société simple au sens des art. 530 ss CO pour
financer les opérations d'achat des tableaux et des autres
oeuvres d'art dont l'intimé réclame aujourd'hui la restitu-
tion. Cela étant, l'autorité cantonale ne pouvait pas, sans
violer les art. 548 et 549 CO, permettre au demandeur de
reprendre purement et simplement les objets d'art qu'il
avait acquis avec son partenaire de l'époque.

  Ce grief est manifestement mal fondé. En effet, la
lecture de l'arrêt attaqué ne permet en aucun cas de con-
firmer les allégations du recourant; au contraire, dans le
considérant B en page 3 de son arrêt, la cour cantonale a
retenu, comme l'avait d'ailleurs déjà fait le Tribunal de
première instance, que les "circonstances dans lesquelles
les parties se sont contractuellement liées ne sont pas
clairement établies". C'est donc en vain que le recourant
réclame en l'espèce l'application des normes régissant la
liquidation de la société simple (en particulier les art.
548 et 549 CO).

  4.- a) Le défendeur fait ensuite grief à la cour
cantonale d'avoir violé son droit à la preuve tel qu'il
résulte de l'art. 8 CC. Il reproche aux autorités cantona-
les d'avoir refusé de procéder à l'audition de plusieurs
témoins (dont son frère et d'autres ressortissants tuni-
siens) qui auraient pu attester du remboursement systémati-
que au demandeur du prix d'achat des objets d'art, par des
fonds provenant indirectement de Tunisie.

  b) L'art. 8 CC ne règle pas l'admissibilité d'une
mesure probatoire, ni ses modalités d'exécution, pas plus
qu'il ne dicte comment le juge peut forger sa conviction
(ATF 122 III 219 consid. 3c; 119 III 60 consid. 2c). La
cour cantonale a estimé que le premier juge - qui avait
correctement suspendu l'instruction de la cause civile en
attendant l'issue de la procédure pénale - pouvait se dis-
penser d'ordonner de nouvelles enquêtes sur les circons-
tances de fait au sujet desquelles la procédure pénale lui
avait déjà apporté tous les renseignements nécessaires, et
qu'il pouvait valablement se référer aux constatations
figurant dans le dossier pénal (témoignages, documents,
etc.). Or, l'enquête pénale, malgré l'audition de plusieurs
témoins, n'a pas permis d'établir des faits pertinents
confirmant la réalité du paiement subséquent des oeuvres
d'art par le défendeur (cf. p. 5 de l'arrêt rendu le 26
avril 1999 par la Chambre pénale de la Cour de justice),
faute de toute preuve documentaire du remboursement et des
transferts de fonds en provenance de Tunisie.

   Dans ces circonstances, les autorités civiles
cantonales ont jugé que l'ensemble du dossier à leur dispo-
sition - composé des preuves produites devant elles-mêmes
ainsi que devant le juge pénal - était complet et qu'une
nouvelle audition de témoins telle qu'elle était proposée

par le défendeur était impropre à modifier le résultat des
preuves déjà administrées. Or, le refus d'une mesure pro-
batoire à la suite d'une appréciation anticipée des preuves
ne peut pas donner lieu à un recours en réforme, parce que
cette question n'est pas régie par l'art. 8 CC (ATF 126 III
315 consid. 4a; 122 III 219 consid. 3c; 120 II 58 consid.
4d). Ce grief se révèle dès lors irrecevable.

  5.- S'agissant de la vente du fonds de commerce, il
faut d'emblée rappeler que, par arrêt de ce jour, le Tribu-
nal fédéral a partiellement admis le recours de droit pu-
blic formé parallèlement par le défendeur et annulé l'arrêt
attaqué en tant qu'il condamnait le défendeur à verser au
demandeur la première tranche du paiement de 150'000 fr.
Dans cette mesure, le recours en réforme est donc sans ob-
jet, seule restant litigieuse la question du paiement de la
deuxième tranche de 140'000 fr., prévu, selon l'"Avenant/
quittance" signé le 28 juillet 1993, pour le 1er novembre
1993.

  A cet égard, le recourant invoque également la vio-
lation de l'art. 8 CC : en renonçant à procéder à une ré-
audition du témoin D.________, la Cour cantonale l'aurait
en effet empêché de prouver qu'à cette date, le solde du
prix de vente du commerce de tabac avait bien été acquitté.

  Ce moyen, qui revient en substance à critiquer une
appréciation anticipée des preuves, se révèle également
irrecevable pour les raisons déjà exposées ci-dessus (cf.
consid. 4b supra). S'agissant en particulier de M.
D.________, le Tribunal de première instance avait constaté
que son témoignage ne fournissait aucune précision sur les
circonstances de cette prétendue remise d'argent, du moment
qu'il n'avait vu ni le contenu de l'enveloppe, ni sa tradi-

tion au demandeur. Dès lors que les pièces produites et les
témoins entendus dans le cadre de la procédure pénale leur
fournissaient déjà des éléments d'appréciation suffisants
pour juger que le défendeur avait échoué à faire la preuve
du paiement du solde du prix du commerce de tabac, les au-
torités civiles cantonales n'étaient pas obligées d'ordon-
ner des nouvelles enquêtes à ce sujet.

   Pour le surplus, dans la mesure où le recourant
critique l'appréciation des preuves et les constatations de
fait qui en découlent, ses griefs ne sont pas recevables
(cf. supra consid. 2).

  5.- Il résulte de ce qui précède que le recours ne
peut qu'être rejeté dans la mesure où il est recevable. Le
défendeur, qui succombe, supportera les frais judiciaires
(art. 156 al. 1 OJ). Il n'y a en revanche pas lieu d'al-
louer des dépens au demandeur, qui n'a pas été invité à se
déterminer sur le recours.

                      Par ces motifs,

           l e  T r i b u n a l  f é d é r a l :

  1. Rejette le recours dans la mesure où il est re-
cevable et confirme l'arrêt attaqué en tant qu'il n'a pas
été annulé par l'arrêt de ce jour statuant sur le recours
de droit public connexe (5P.157/2002).

  2. Met à la charge du défendeur un émolument judi-
ciaire de 5'000 fr.

  3. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la Cour de justice du canton de
Genève.

                      ______________

Lausanne, le 28 août 2002
PIT/frs

               Au nom de la IIe Cour civile
               du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE :
                       Le Président,

                       Le Greffier,