Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

II. Zivilabteilung 5C.46/2002
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5C.46/2002

                 IIe  C O U R   C I V I L E
                 **************************

                        12 mars 2002

Composition de la Cour: M. Bianchi, président, M. Raselli et
Mme Nordmann, juges. Greffier: M. Abrecht.

                         _________

               Dans la cause civile pendante
                           entre

C.________, demandeur et recourant, représenté par
Me Benoît Dayer, avocat à Genève,

                             et

Dame C.________, défenderesse et intimée, représentée par
Me Cyril Aellen, avocat à Genève;

                         (divorce)

          Vu les pièces du dossier d'où ressortent
                  les f a i t s suivants:

     A.- C.________, citoyen suisse né en 1954, et Dame
C.________, née en 1959, de nationalité française, ont con-
tracté mariage le 20 mars 1993 à Jussy (Genève).

     Durant l'hiver 1999-2000, les relations entre les époux
se sont détériorées, en raison notamment des problèmes de
santé qu'ils connaissaient tous deux. En effet, le mari a
subi en mai 1999 une grave opération suite à un cancer, tan-
dis que l'épouse, qui traversait un épisode dépressif, a
commencé à abuser de l'alcool. Les conjoints se sont séparés
en avril 2000, l'épouse se constituant un domicile séparé
alors que le mari restait dans la maison familiale dont il
est seul propriétaire.

     B.- Le 1er septembre 2000, le mari a saisi le Tribunal
de première instance du canton de Genève d'une demande uni-
latérale de divorce fondée sur l'art. 115 CC.

     Le 11 octobre 2000, le tribunal a entendu les parties
en comparution personnelle. Le mari a confirmé sa volonté de
divorcer et a expliqué ne plus supporter la vie commune en
raison des problèmes d'alcool de son épouse. Il a expliqué
que son épouse avait emporté une grande partie du mobilier.
Cette dernière a exposé qu'elle ne souhaitait pas divorcer.
Elle a reconnu ses problèmes d'alcool et a précisé que son
époux et elle-même avaient des difficultés conjugales liées
en partie à des problèmes de santé. Elle a affirmé avoir
fait une coupure avec l'alcool depuis la séparation d'avril
2000 et a émis le souhait que son mari puisse la voir sous
un autre jour.

     Le 22 novembre 2000, l'épouse a déposé une requête en
mesures provisoires. Lors des plaidoiries sur le fond le 25
janvier 2001, elle s'est opposée au divorce et a conclu re-
conventionnellement au prononcé de mesures protectrices de
l'union conjugale.

     Par jugement du 29 mars 2001, le Tribunal de première
instance a condamné sur mesures provisoires le mari à verser
à son épouse une contribution d'entretien de 733 fr. par
mois dès le 1er mai 2001, l'a débouté de sa demande de di-
vorce et a déclaré irrecevable la demande de mesures protec-
trices de l'union conjugale déposée par l'épouse.

     C.- Par arrêt du 14 décembre 2001, la Chambre civile de
la Cour de justice du canton de Genève a confirmé le rejet
de la demande unilatérale de divorce. Elle a en revanche
réformé le jugement de première instance en ce sens qu'elle
a condamné le mari à verser à son épouse une contribution
d'entretien de 733 fr. par mois au titre des mesures protec-
trices de l'union conjugale, lesquelles prendraient effet
pour une durée indéterminée au jour de l'entrée en force de
l'arrêt déboutant le mari de ses conclusions en divorce.

     Sur le principe du divorce, les juges cantonaux ont
considéré que le mari n'avait pas établi que son épouse
avait adopté un comportement tel que le maintien du mariage
au sens des principes dégagés de l'art. 115 CC par la juris-
prudence du Tribunal fédéral (ATF 126 III 404; 127 III 129;
arrêt non publié 5C.63/2001 du 26 avril 2001) lui serait
insupportable. L'épouse, qui avait reconnu ses problèmes
d'alcoolisme, semblait les avoir résolus depuis le printemps
2000, et elle avait également clairement manifesté son
souhait de reprendre la vie commune. Même s'il pouvait être
difficile pour le mari de poursuivre le mariage alors que sa
maladie l'amenait à souhaiter vivre autre chose, cela ne

constituait pas un motif suffisant, au regard des circons-
tances du cas d'espèce, pour admettre que la perpétuation
des liens juridiques du mariage pendant encore deux ans et
demi lui était objectivement insupportable.

     D.- Agissant par la voie du recours en réforme au
Tribunal fédéral, le mari conclut principalement à la réfor-
me de cet arrêt en ce sens que le divorce soit prononcé et
que toutes autres ou contraires conclusions de l'épouse
soient rejetées; subsidiairement, le recourant conclut à
l'annulation de l'arrêt attaqué. L'intimée n'a pas été in-
vitée à répondre au recours.

          C o n s i d é r a n t  e n  d r o i t :

     1.- Le recours est recevable du chef de l'art. 44 OJ
dès lors qu'il porte sur le principe du divorce. Déposé en
temps utile contre une décision finale - en tant qu'elle
statue sur le principe du divorce - rendue en dernière ins-
tance par le tribunal suprême du canton de Genève, il est en
outre recevable au regard des art. 54 al. 1 et 48 al. 1 OJ.

     2.- Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral
doit conduire son raisonnement sur la base des faits conte-
nus dans la décision attaquée, à moins que des dispositions
fédérales en matière de preuve n'aient été violées, qu'il y
ait lieu à rectification de constatations reposant sur une
inadvertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou qu'il faille
compléter les constatations de l'autorité cantonale parce
que celle-ci n'a pas tenu compte de faits pertinents, régu-
lièrement allégués et prouvés (art. 64 OJ; ATF 127 III 248
consid. 2c; 126 III 59 consid. 2a; 119 II 353 consid.
5c/aa). Dans la mesure où un recourant présente un état de
fait qui s'écarte de celui contenu dans l'arrêt attaqué sans
se prévaloir avec précision de l'une des exceptions qui

viennent d'être rappelées, il n'est pas possible d'en tenir
compte (ATF 127 III 248 consid. 2c). En particulier, la par-
tie qui entend obtenir l'application de l'art. 64 OJ doit
démontrer que le fait omis est pertinent, qu'il a été régu-
lièrement allégué devant les juridictions cantonales et que
l'allégation était assortie d'une offre de preuve en bonne
et due forme (ATF 119 II 353 consid. 5c/aa et les arrêts
cités).

     En l'occurrence, le recourant présente sur six pages
entières de son recours, sous le titre «rappel des faits»,
toute une série de faits non constatés dans l'arrêt attaqué,
en se bornant à affirmer préliminairement que l'autorité
cantonale n'aurait «pas tenu suffisamment compte des faits
pertinents et régulièrement allégués relatifs aux motifs
sérieux du divorce». Une telle manière de procéder revient à
contourner purement et simplement le principe posé par
l'art. 63 al. 2 OJ et ne satisfait manifestement pas aux
exigences rappelées ci-dessus. Le Tribunal fédéral conduira
ainsi son raisonnement sur la base des faits contenus dans
l'arrêt attaqué, sans prendre en considération les alléga-
tions divergentes du recourant.

     3.- Le recourant soutient que la maladie grave dont il
souffre - un cancer des voies biliaires et de l'estomac dé-
couvert en 1999, pour lequel, selon les allégations du re-
courant qui ne font l'objet d'aucune constatation dans l'ar-
rêt attaqué et ne peuvent donc être prises en considération
(cf. consid. 2 supra), la survivance moyenne à 5 ans serait
de 19,4% et l'expectative moyenne de survie de 3,3 ans -
constituerait «un motif sérieux de rupture du lien conjugal
au sens de l'art. 115 CC». Il apparaîtrait en effet insup-
portable de contraindre un époux gravement malade, suscep-
tible de décéder durant le délai d'attente, à maintenir
artificiellement le lien matrimonial. Par ailleurs, le re-
courant serait désespéré par l'intime conviction qu'il dit

avoir que l'opposition de l'intimée au divorce est motivée
par les avantages successoraux qu'elle retirerait s'il dé-
cédait durant le délai de l'art. 114 CC.

     a) Un époux peut demander unilatéralement le divorce
lorsque, au début de la litispendance de la demande ou au
jour du remplacement de la requête par une demande unila-
térale, les conjoints ont vécu séparés pendant quatre ans au
moins (art. 114 CC); toutefois, chaque époux peut demander
le divorce avant l'expiration du délai de quatre ans visé
par l'art. 114 CC lorsque des motifs sérieux qui ne lui sont
pas imputables rendent la continuation du mariage insuppor-
table (art. 115 CC). Le divorce peut ainsi être prononcé sur
la base de l'art. 115 CC lorsque, pour des motifs sérieux
qui ne sont pas imputables à l'époux demandeur, on ne sau-
rait raisonnablement lui imposer la continuation du mariage
- à savoir le maintien du lien conjugal - durant les quatre
années de séparation qui lui permettraient d'obtenir le di-
vorce sur la base de l'art. 114 CC; savoir si tel est le cas
dépend des circonstances particulières de chaque espèce, de
sorte qu'il n'est pas possible, ni souhaitable, d'établir
des catégories fermes de motifs sérieux au sens de l'art.
115 CC (ATF 126 III 404 consid. 4g et 4h et les références
citées).

     La formulation ouverte de l'art. 115 CC doit précisé-
ment permettre aux tribunaux de tenir compte des circonstan-
ces du cas particulier et ainsi d'appliquer les règles du
droit et de l'équité (art. 4 CC); il s'agit de déterminer si
le maintien du lien légal peut raisonnablement être exigé
sur le plan affectif, autrement dit si la réaction mentalo-
émotionnelle qui pousse le conjoint demandeur à ressentir la
perpétuation des liens juridiques pendant quatre ans comme
insupportable est objectivement compréhensible (ATF 127 III
129 consid. 3c in fine). La cause de divorce de l'art. 115
CC doit donc être interprétée de manière plus restrictive

que la cause de divorce indéterminée de l'art. 142 aCC; le
système du droit révisé peut faciliter le divorce - notam-
ment en instaurant un droit absolu au divorce après quatre
ans de séparation - tout comme le rendre plus difficile dans
certains cas où le divorce pouvait auparavant être prononcé
en application de l'art. 142 aCC malgré l'opposition du con-
joint défendeur (ATF 126 III 404 consid. 3a).

     b) Dans l'appréciation de l'existence de motifs sérieux
au sens de l'art. 115 CC, il convient de ne pas perdre de
vue que cette disposition instaure une cause de divorce fon-
dée sur la rupture du lien conjugal, comme l'indique son ti-
tre marginal. Il ne suffit dès lors pas que l'un des époux
ait la volonté de divorcer et qu'il existe un risque concret
- en raison d'une grave maladie ou du grand âge - qu'il dé-
cède durant les quatre années de séparation qui lui permet-
traient d'obtenir le divorce sur la base de l'art. 114 CC.
Ainsi, dans un cas où le comportement de l'épouse, quoi-
qu'injustifié, n'était pas susceptible de constituer un
motif sérieux au sens de l'art. 115 CC, le Tribunal fédéral
a jugé que la crainte du mari, âgé de 90 ans, que son épouse
hérite de lui dans l'intervalle n'était pas suffisante pour
considérer que le maintien du mariage jusqu'à la fin des
quatre années de séparation pouvait être objectivement res-
senti par le mari comme excessivement rigoureux (arrêt non
publié 5C.221/2001 du 20 février 2002, consid. 4b).

     Dans un autre cas, le Tribunal fédéral a admis que le
mari, âgé de 83 ans, pouvait objectivement ressentir comme
insupportable la continuation du lien matrimonial jusqu'à
l'expiration du délai de quatre ans prévu à l'art. 114 CC.
Toutefois, le fait que le maintien de l'union conjugale pen-
dant ce délai augmente les chances de l'épouse d'actualiser
sa vocation successorale n'était qu'un élément secondaire:
les motifs sérieux résidaient avant tout dans le fait que le
mari n'avait pris conscience qu'après le mariage des réelles

motivations de son épouse, laquelle souhaitait un héritage
et avait trompé son mari sur la véritable nature de ses
sentiments et sur son intention de bâtir une communauté
conjugale, avec toutes ses composantes (arrêt non publié
5C.272/2001 du 22 janvier 2002, consid. 3b).

     c) En l'occurrence, sur le vu des faits constatés dans
l'arrêt attaqué, il n'apparaît pas que le recourant puisse
objectivement ressentir comme insupportable la continuation
du lien matrimonial durant les quatre années de séparation
qui lui permettraient d'obtenir le divorce sur la base de
l'art. 114 CC. En effet, l'intimée a reconnu ses problèmes
d'alcoolisme et semble les avoir résolus depuis le printemps
2000; elle a en outre clairement manifesté son souhait de
reprendre la vie commune. Dans ces circonstances, la seule
crainte du recourant, qu'aucun élément objectif ne vient
étayer, que l'opposition de l'intimée au divorce soit moti-
vée par les avantages successoraux qu'elle retirerait s'il
décédait durant le délai d'attente, ne suffit pas pour
admettre, ainsi que l'a justement exposé la cour cantonale,
que la perpétuation des liens juridiques du mariage pendant
encore deux ans et demi serait objectivement insupportable
pour le recourant. Par ailleurs, s'il n'est pas exclu,
lorsque l'époux demandeur ne parvient pas à établir l'exis-
tence de motifs sérieux au sens de l'art. 115 CC, que le
conjoint défendeur puisse commettre un abus de droit en
s'opposant au divorce (cf. arrêt non publié 5C.242/2001 du
11 décembre 2001, consid. 2b/bb), les arguments développés
par le recourant à cet égard reposent sur des allégations
qui ne trouvent aucune assise factuelle dans l'arrêt at-
taqué, de sorte qu'ils ne peuvent qu'être écartés (cf.
consid. 2 supra).

     4.- En définitive, le recours se révèle mal fondé en
tant qu'il est recevable et doit dès lors être rejeté dans
cette même mesure, ce qui entraîne la confirmation de

l'arrêt attaqué. Le recourant, qui succombe, supportera les
frais judiciaires (art. 156 al. 1 OJ). Il n'y a en revanche
pas lieu d'allouer de dépens, l'intimée n'ayant pas été
invitée à répondre au recours.

                      Par ces motifs,

           l e  T r i b u n a l  f é d é r a l :

     1. Rejette le recours dans la mesure où il est receva-
ble et confirme l'arrêt attaqué.

     2. Met un émolument judiciaire de 1'500 fr. à la charge
du recourant.

     3. Communique le présent arrêt en copie aux mandataires
des parties et à la Chambre civile de la Cour de justice du
canton de Genève.

                         __________

Lausanne, le 12 mars 2002
ABR/viz

                Au nom de la IIe Cour civile
                du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE :
                       Le Président,

                        Le Greffier,