Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

II. Zivilabteilung 5C.37/2002
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5C.37/2002

                 IIe  C O U R   C I V I L E
                 **************************

                          7 mai 2002

Composition de la Cour: MM. les juges Bianchi, président,
Raselli et Meyer. Greffier: M. Abrecht.

                          _________

                Dans la cause civile pendante
                            entre

E d i t i o n s  P l u s  S à r l, à Zurich, défenderesse et
recourante, représentée par Me Claudio Mascotto, avocat à
Genève,

                             et

P H P  D i s t r i b u t i o n  S é l e c t i v e  S A, à
Carouge, demanderesse et intimée, représentée par Me Henri-
Philippe Sambuc, avocat à Genève;

                     (droit de réponse)

          Vu les pièces du dossier d'où ressortent
                   les f a i t s suivants:

   A.- La revue «K-Tipp», dont le tirage est d'environ
378'000 exemplaires, est publiée 20 fois par an en allemand
par KI Konsumenteninfo AG (ci-après: Konsumenteninfo), Zu-
rich. La revue «Bon à savoir», dont le tirage est d'environ
100'000 exemplaires, est publiée 11 fois par an en français
par Editions Plus Sàrl (ci-après: Editions Plus), Zurich.
Depuis le mois d'août 2001, les sociétés éditrices appartien-
nent à des propriétaires distincts, anciens associés. Elles
ont toutefois gardé la même adresse postale (Postfach 431,
8024 Zurich) et font appel aux services de la même régie de
publicité; elles ont par ailleurs passé une convention for-
faitaire leur permettant de publier des articles en commun.

   B.- Dans le numéro du 3 octobre 2001 de la revue
«K-Tipp» est paru un article intitulé «Reizstoff im Nägelhär-
ter». Cet article révèle qu'un flacon de la marque «Trind
Nail-Repair», commercialisé en Suisse par PHP Distribution
Sélective SA (ci-après: PHP Distribution), contient 250 mg de
formaldéhyde, substance décrite comme allergène, et que ce
produit n'est pas encore enregistré auprès de l'Office inter-
cantonal de contrôle des médicaments (ci-après: l'OICM). Il
fait état du témoignage d'une consommatrice zurichoise, Ma-
rion Lötscher, selon laquelle le formaldéhyde serait toxique
et la fabrication de tels cosmétiques «simplement irresponsa-
ble»; cet avis est partagé par l'auteur de l'article, Gery
Schwager, pour lequel le formaldéhyde, utilisé comme agent de
conservation, «représente un risque avéré pour la santé».
L'article rapporte également les propos d'un médecin-chef à
la clinique de dermatologie de l'hôpital universitaire de
Zurich, selon lequel «les produits cosmétiques contenant plus
de 2,5% de formaldéhyde sont susceptibles de provoquer des
allergies chez les personnes sensibles». Après avoir relevé
qu'en Suisse, les produits de beauté dont la teneur en for-

maldéhyde est supérieure à 0,2% doivent être enregistrés
auprès de l'OICM, l'auteur de l'article se demande si le
produit «Trind Nail-Repair» se trouverait «illégalement sur
le marché suisse», ce que conteste Philippe Perret, représen-
tant de PHP Distribution. Celui-ci assure qu'après un change-
ment de nom du produit et un changement de distributeur, la
firme aurait obtenu un nouveau numéro d'enregistrement et que
«depuis le 1er septembre, tous les flacons Trind Nail-Repair
sont livrés avec le nouveau numéro OICM». Selon l'article,
cette affirmation n'est toutefois pas confirmée par la por-
te-parole de l'OICM, qui indiquait que «la préparation Trind
Nail-Repair n'est pas enregistrée chez nous à l'heure actuel-
le, mais les démarches nécessaires ont débuté» (réd.: les
citations sont traduites d'après l'article publié ultérieure-
ment en français dans «Bon à savoir», cf. lettre D infra).

   C.- Après avoir pris connaissance de l'article paru
le 3 octobre 2001, PHP Distribution, dans une lettre du 17
octobre 2001 adressée à la rédaction de «K-Tipp», a sollicité
un droit de réponse ainsi libellé:

     «En réponse à l'article paru dans votre numéro 16
     paru le 3 octobre dernier consacré au durcisseur
     d'ongles Trind Nail-Repair, la société PHP Distri-
     bution Sélective SA à Genève, distributrice exclu-
     sive de ce produit pour la Suisse, communique ce
     qui suit afin de rectifier les erreurs matérielles
     que cet article comprenait:

     1. L'usage du formaldéhyde dans le produit Trind
     Nail-Repair est inférieur aux 5% tolérés aux USA et
     en Europe puisqu'il est de 2,5%. Les réactions
     allergiques qu'il peut provoquer parfois sont clai-
     rement et complètement décrites dans la notice qui
     accompagne chaque flacon. Ce produit est vendu
     depuis 1988 dans une vingtaine de pays, y compris
     les USA, à la grande satisfaction de ses fidèles
     clients.

     2. Ce produit a été agréé par l'OICM depuis 1996 et
     dispose depuis septembre 2001 d'un nouveau numéro
     d'enregistrement pour la raison que le précédent
     distributeur, contrairement à ses obligations léga-

     les, n'a pas transféré au nouveau distributeur
     l'autorisation alors en force. Trind Nail-Repair
     est donc un produit parfaitement sûr et ne mérite
     en aucune manière les doutes qui ont pu être semés
     dans l'esprit des consommateurs.»

   Par lettre du 23 octobre 2001, Ernst Meierhofer,
rédacteur en chef de «K-Tipp», a refusé pour divers motifs de
publier le texte proposé; après une nouvelle correspondance
avec le conseil de PHP Distribution, il a confirmé le 2 no-
vembre 2001 son refus de publier tel quel le droit de répon-
se, proposant de le publier sous une forme abrégée dans le
courrier des lecteurs. En réaction à cette proposition, le
conseil de PHP Distribution a sommé le 7 novembre 2001 la
rédaction de «K-Tipp» de lui soumettre un projet de texte à
insérer dans le courrier des lecteurs. La rédaction de
«K-Tipp» s'est exécutée le même jour, mais son projet n'a pas
été approuvé.

   D.- Le 11 novembre 2001, l'article publié le 3 octo-
bre 2001 dans la revue «K-Tipp» paraissait dans une traduc-
tion française dans la revue «Bon à savoir», après que l'une
des collaboratrices de cette revue eut obtenu confirmation de
l'OICM, à la fin du mois d'octobre 2001, de ce que le produit
«ne s'était toujours pas vu accorder de numéro d'enregistre-
ment OICM».

   E.- Par requête reçue au greffe de la Cour de justi-
ce du canton de Genève le 28 novembre 2001, PHP Distribution
a assigné Konsumenteninfo et Editions Plus en exécution d'un
droit de réponse. Konsumenteninfo et Editions Plus ont conclu
principalement à l'irrecevabilité de la requête en ce qu'elle
concerne Editions Plus et au déboutement de PHP Distribution
de toutes ses conclusions, avec suite de frais et dépens.

   Par arrêt du 19 décembre 2001, la première section
de la Cour de justice a condamné Konsumenteninfo et Editions
Plus à publier dans la prochaine édition de leurs revues
respectives, selon les mêmes modalités typographiques et dans
la même partie rédactionnelle que les articles incriminés, le
droit de réponse suivant, respectivement sa traduction en
allemand en ce qui concerne la revue «K-Tipp»:

                      «DROIT DE RÉPONSE

     Suite à l'article paru dans la revue «K-Tipp» numé-
     ro 16 du 3 octobre 2001 [respectivement dans la
     revue «Bon à savoir» numéro 11 du mois de novembre
     2001] et consacré au durcisseur d'ongles Trind
     Nail-Repair, la société PHP Distribution Sélective
     SA à Genève, distributrice exclusive de ce produit
     pour la Suisse, communique ce qui suit:

     1. L'usage du formaldéhyde dans le produit Trind
     Nail-Repair est inférieur aux 5% tolérés aux USA et
     en Europe puisqu'il est de 2,5%. Les réactions
     allergiques qu'il peut provoquer parfois sont clai-
     rement et complètement décrites dans la notice qui
     accompagne chaque flacon. Ce produit est vendu
     depuis 1988 dans une vingtaine de pays, y compris
     les USA.

     2. Ce produit a été agréé par l'Office intercanto-
     nal de contrôle des médicaments depuis 1996 et
     dispose d'un nouveau numéro d'enregistrement depuis
     septembre 2001. Trind Nail-Repair ne mérite donc
     pas les doutes que l'article qui lui a été consacré
     a pu faire naître dans l'esprit des consommateurs.»

   F.- Contre la décision de la Cour de justice, Edi-
tions Plus forme en parallèle un recours de droit public et
un recours en réforme au Tribunal fédéral. Dans ce dernier,
elle conclut avec suite de frais et dépens à la réforme de la
décision attaquée en ce sens que la demande de droit de
réponse formée contre elle soit déclarée irrecevable, subsi-
diairement rejetée; à titre plus subsidiaire encore, la re-
courante conclut à l'annulation de la décision attaquée et au
renvoi de la cause à l'autorité cantonale pour nouvelle déci-
sion dans le sens des considérants.

   PHP Distribution conclut avec suite de frais et
dépens à ce que le recours soit déclaré irrecevable, subsi-
diairement rejeté.

           C o n s i d é r a n t  e n  d r o i t :

   1.- a) Aux termes de l'art. 57 al. 5 OJ, il est
sursis en règle générale à l'arrêt sur le recours en réforme
jusqu'à droit connu sur le recours de droit public. Cette
disposition souffre toutefois des exceptions dans des situa-
tions particulières, qui justifient l'examen préalable du
recours en réforme; il en est ainsi notamment lorsque le
recours en réforme paraît devoir être admis indépendamment
même des griefs soulevés dans le recours de droit public (ATF
122 I 81 consid. 1 et la jurisprudence citée; 117 II 630
consid. 1a et les arrêts cités). Tel étant précisément le cas
en l'espèce, il se justifie de déroger au principe posé par
l'art. 57 al. 5 OJ.

   b) La décision attaquée est une décision finale
prise par le tribunal suprême du canton de Genève (art. 48
al. 1 OJ) dans une contestation civile portant sur un droit
de nature non pécuniaire (art. 44 OJ). Partant, elle peut
être attaquée par la voie du recours en réforme (ATF 112 II
193 consid. 1b; 122 III 301 consid. 1a), indépendamment du
point de savoir si la réponse a déjà été diffusée ou non (ATF
114 II 385 consid. 3; cf. ATF 122 III 301 consid. 1b). Toute-
fois, les nombreuses critiques dirigées contre les constata-
tions de fait de la cour cantonale sont irrecevables dans un
recours en réforme (art. 55 al. 1 let. c, 3e phrase OJ; ATF
122 III 26 consid. 4a/aa, 61 consid. 2c/bb; 120 II 97 consid.
2b; 119 II 84 consid. 3; 115 II 484 consid. 2a).

   2.- a) S'agissant de l'exception d'irrecevabilité
soulevée par Editions Plus, la cour cantonale a constaté en
fait que la revue «K-Tipp», dont la rédaction se trouve à
Zurich, est publiée en allemand par Konsumenteninfo, Zurich,
tandis que le magazine «Bon à savoir», dont la rédaction se
trouve à Lausanne, est publiée en français par Editions Plus,
Zurich. Les sociétés éditrices appartiennent depuis le mois
d'août 2001 à des propriétaires distincts, anciens associés,
mais elles ont gardé la même adresse postale (Postfach 431,
8024 Zurich) et font appel aux services de la même régie de
publicité; elles ont par ailleurs passé une convention for-
faitaire leur permettant de publier des articles en commun.

   En droit, les juges cantonaux ont considéré que si
la requérante ne s'était adressée qu'à la rédaction de
«K-Tipp» dont l'éditrice était Konsumenteninfo, la légiti-
mation passive devait également être reconnue à Editions
Plus, compte tenu des liens étroits qui l'unissaient à Konsu-
menteninfo. La rédaction de «Bon à savoir» ne contestait pas
avoir été tenue au courant des correspondances échangées
entre PHP Distribution et la rédaction de «K-Tipp», de sorte
qu'il convenait d'admettre que les communications faites à
Konsumenteninfo, dans ce contexte, en application de l'art.
28i al. 1 CC, l'avaient été également à Editions Plus. Il
serait abusif d'invoquer l'indépendance juridique des deux
sociétés alors que du point de vue de l'organisation et du
fonctionnement, celles-ci ne faisaient qu'un en l'état.

   b) La recourante reproche aux juges cantonaux d'a-
voir violé l'art. 8 CC en admettant que la demande de droit
de réponse avait été adressée également à Editions Plus dans
le délai de vingt jours de l'art. 28i CC. En tout état de
cause, c'est par une application malheureuse de l'art. 2 al.
2 CC que la cour cantonale aurait tenu pour abusive l'excep-
tion d'irrecevabilité. En effet, tout indiquerait, même dans
l'état de fait retenu par la cour cantonale, que les deux

éditrices et les deux revues étaient bien distinctes et que
la recourante n'avait pour sa part pas eu connaissance de la
demande de droit de réponse. Ainsi, le délai de vingt jours
de l'art. 28i CC n'aurait pas été respecté et la demande
aurait dû être déclarée irrecevable en tant qu'elle était
dirigée contre la recourante.

   c) Celui qui est directement touché dans sa person-
nalité par la présentation que font des médias à caractère
périodique, notamment la presse, la radio et la télévision,
de faits qui le concernent, a le droit de répondre (art. 28g
al. 1 CC). L'auteur de la réponse doit en adresser le texte à
l'entreprise de médias dans les vingt jours à compter de la
connaissance de la présentation contestée, mais au plus tard
dans les trois mois qui suivent sa diffusion; l'entreprise
fait savoir sans délai à l'auteur quand elle diffusera la
réponse ou pourquoi elle la refuse (art. 28i CC). Si l'entre-
prise de médias empêche l'exercice du droit, refuse la diffu-
sion ou ne l'exécute pas correctement, l'auteur peut s'adres-
ser au juge (art. 28l al. 1 CC).

   L'action judiciaire de l'art. 28l CC n'étant donnée
que contre le refus de l'entreprise, il est indispensable que
le demandeur ait commencé par s'adresser à elle; ce n'est que
si celle-ci refuse de donner suite à sa requête ou si elle
tarde excessivement à lui communiquer sa détermination que le
requérant peut saisir le juge; il s'ensuit qu'une demande
adressée directement au juge, sans qu'ait préalablement été
donnée à l'entreprise l'occasion de se déterminer (cf. art.
28i CC), doit être déclarée irrecevable (Pierre Tercier, Le
nouveau droit de la personnalité, 1984, n. 1664 s.; Leo
Schürmann/Peter Nobel, Medienrecht, 2e éd., 1993, p. 274).

   d) En l'espèce, il résulte des constatations de fait
de la décision attaquée (cf. consid 2a supra) que la revue
«K-Tipp», dont la rédaction se trouve à Zurich et qui paraît

en allemand, et le magazine «Bon à savoir», dont la rédaction
se trouve à Lausanne et qui paraît en français, sont publiées
par deux sociétés distinctes. Le fait que ces deux sociétés
ont une case postale commune à Zurich, qu'elles font appel
aux services de la même régie de publicité et qu'elles ont
passé une convention forfaitaire leur permettant de publier
des articles en commun ne permet pas de considérer qu'Edi-
tions Plus invoquerait abusivement le fait qu'aucune demande
de diffusion d'un droit de réponse au sens de l'art. 28i al.
1 CC ne lui a été adressée par PHP Distribution. Le fait que
la rédaction de «Bon à savoir» ne conteste pas avoir été
tenue au courant des correspondances échangées entre PHP
Distribution et la rédaction de «K-Tipp» ne permet pas de
considérer que la demande adressée à la rédaction de «K-Tipp»
est censée l'avoir été aussi à l'éditrice de «Bon à savoir».
Tant la demande adressée par PHP Distribution à la rédaction
de «K-Tipp» le 17 octobre 2001 que les pourparlers qui ont
suivi, et qui ont abouti à un échec le 7 novembre 2001, sont
d'ailleurs antérieurs à la publication de l'article litigieux
dans «Bon à savoir» le 11 novembre 2001. En réalité, force
est de constater qu'aucune demande au sens de l'art. 28i al.
1 CC n'a été adressée à l'éditrice de «Bon à savoir» ensuite
de la publication, le 11 novembre 2001 dans ce magazine, de
l'article litigieux. La requête adressée le 28 novembre 2001
à la Cour de justice par PHP Distribution se révèle ainsi
irrecevable en tant qu'elle est dirigée contre Editions Plus,
et la décision attaquée doit être réformée dans ce sens.

   3.- En définitive, le recours doit être admis dans
la mesure où il est recevable et la décision attaquée réfor-
mée en ce sens que la requête en obtention d'un droit de
réponse formée par PHP Distribution le 28 novembre 2001 à
l'encontre d'Éditions Plus est déclarée irrecevable. L'affai-
re sera par ailleurs renvoyée à l'autorité cantonale pour
nouvelle décision sur les frais et dépens de la procédure
cantonale (cf. art. 157 et 159 al. 6 OJ). Quant aux frais et

dépens de la procédure fédérale, ils seront mis à la charge
de l'intimée, qui succombe (art. 156 al. 1 et 159 al. 1 OJ).

                       Par ces motifs,

            l e  T r i b u n a l  f é d é r a l :

   1. Admet le recours dans la mesure où il est
recevable et réforme la décision attaquée en ce sens que la
requête en obtention d'un droit de réponse formée par PHP
Distribution Sélective SA le 28 novembre 2001 à l'encontre
d'Éditions Plus Sàrl est déclarée irrecevable.

   2. Renvoie l'affaire à l'autorité cantonale pour
nouvelle décision sur les frais et dépens de la procédure
cantonale.

   3. Met à la charge de l'intimée:
   a) un émolument judiciaire de 2'000 fr.;
   b) une indemnité de 2'000 fr. à verser à la recou-
rante à titre de dépens.

   4. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la première section de la Cour de
justice du canton de Genève.
                         __________

Lausanne, le 7 mai 2002
ABR/frs
                Au nom de la IIe Cour civile
                du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE :
Le Président,         Le Greffier,