Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

II. Zivilabteilung 5C.36/2002
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5C.36/2002

                 IIe   C O U R   C I V I L E
                *****************************

                        24 juin 2002

Composition de la Cour: M. Bianchi, président, Mme Nordmann
et Mme Hohl, juges. Greffier: M. Braconi.

                         __________

                Dans la cause civile pendante
                            entre

Dame A.________, défenderesse et recourante, représentée par
Me Pierre-André Morand, avocat à Genève,

                             et

B.________, demandeur et intimé, représenté par Me Alain
Berger, avocat à Genève;

           (modification d'un jugement de divorce)

          Vu les pièces du dossier d'où ressortent
                  les  f a i t s  suivants:

     A.- a) B.________, né le 3 juin 1942, et dame
A.________, née le 8 octobre 1952, se sont mariés à Chêne-
Bourg le 25 mars 1982. Deux enfants sont issus de leur union:
C.________, née le 18 juillet 1985, et D.________, né le 30
novembre 1987.

     b) Donnant suite aux conclusions concordantes des époux,
le Tribunal de première instance de Genève a, par jugement du
31 octobre 1996, prononcé le divorce, attribué les enfants à
la mère, condamné le père à payer à chacun d'eux, allocations
familiales en sus, une contribution d'entretien mensuelle de
5'000 fr. jusqu'à l'âge de 16 ans, de 6'000 fr. jusqu'à l'âge
de 18 ans et de 7'000 fr. au delà de la majorité si l'enfant
suit des études ou une formation professionnelle sérieuses et
régulières, enfin pris acte de la renonciation de la femme à
toute rente ou indemnité pour elle-même.

     B.- Le 20 décembre 1999, B.________ a introduit une ac-
tion en modification du jugement de divorce; dans ses derniè-
res écritures (sur le fond), il a conclu à l'attribution des
droits parentaux sur les enfants, à la suppression de toute
contribution d'entretien dès le 1er septembre 2000 et à la
condamnation de la mère à payer à chaque enfant une pension
indexée de 1'750 fr. par mois.

     Par jugement du 15 mai 2001, le Tribunal de première
instance de Genève a accueilli la demande, sous réserve de la
quotité de la contribution, fixée à 1'500 fr., allocations
familiales non comprises. Statuant le 14 décembre 2001 sur
appel de la défenderesse, la Chambre civile de la Cour de
justice du canton de Genève a confirmé cette décision.

     C.- a) Agissant par la voie du recours en réforme au
Tribunal fédéral, dame A.________ conclut à l'annulation de
cet arrêt en tant qu'il confirme sa condamnation à verser des
aliments aux enfants, subsidiairement au renvoi de la cause à
l'autorité cantonale pour nouvelle décision dans le sens des
considérants.

     Le demandeur propose le rejet du recours.

     b) Par arrêt de ce jour, la cour de céans a déclaré ir-
recevable le recours de droit public connexe (5P.44/2002).

           C o n s i d é r a n t  e n  d r o i t :

     1.- a) Déposé à temps contre une décision finale rendue
dans une contestation civile par le tribunal suprême du can-
ton, le présent recours est recevable du chef des art. 44, 48
al. 1 et 54 al. 1 OJ. La valeur litigieuse (cf. ATF 116 II
493) excède clairement 8'000 fr., de sorte qu'il l'est aussi
sous cet angle (art. 46 OJ).

     b) Les faits nouveaux sont irrecevables en instance de
réforme (art. 55 al. 1 let. c OJ), même si la maxime d'office
est - comme ici (art. 280 al. 2 CC) - applicable (ATF 120 II
229 consid. 1c p. 231/232). Doivent, par conséquent, être
écartées les allégations de la défenderesse qui ne trouvent
aucun écho dans l'état de fait de la décision attaquée; il en
est ainsi, notamment, de l'affectation du revenu tiré de la
sous-location de son appartement. Ce principe vaut aussi pour
l'auteur de la réponse (art. 59 al. 3 OJ).

     2.- La défenderesse dénonce, en premier lieu, une double
inadvertance: D'une part, l'autorité inférieure a retenu que
son appartement était «susceptible de lui rapporter [...] un
sous-loyer de 50'000 fr. par mois», alors qu'il résulte du

procès-verbal de comparution personnelle du 16 mai 2000 qu'il
s'agissait là d'un montant unique, et non d'une source régu-
lière de revenu. D'autre part, les magistrats précédents ont
constaté qu'elle avait «admis faire ménage commun avec son
ami»; or, la lecture de l'acte d'appel et les déclarations de
l'intéressé à l'audience du 9 février 2001 contredisent cette
affirmation.

     a) Il y a inadvertance manifeste, au sens de l'art. 63
al. 2 OJ, lorsque l'autorité cantonale a omis de tenir compte
d'une pièce déterminée, versée au dossier, ou l'a mal lue,
s'écartant par mégarde de sa teneur exacte, en particulier de
son vrai sens littéral (ATF 109 II 159 consid. 2b p. 162 et
les arrêts cités); cette notion couvre aussi la contradiction
avec un acte de procédure, par exemple des écritures ou des
déclarations versées au procès-verbal (arrêt 5C.21/1991 du 24
octobre 1991, consid. 1b; Poudret, COJ II, N. 5.3 ad art. 63
et les références citées).

     b) Dans sa première branche, la critique apparaît, en
soi, fondée, quand bien même l'erreur eût pu être redressée
en instance d'appel (cf. arrêt 4C.96/1992 du 1er septembre
1992, consid. 2a; Messmer/Imboden, Die Rechtsmittel in Zivil-
sachen, p. 137 n. 5 et l'arrêt cité). La défenderesse n'a,
effectivement, jamais reconnu avoir perçu un «sous-loyer» de
50'000 fr. «par mois», montant qui représente, au contraire,
la seule contreprestation de la sous-location de son logement
pendant «un à trois mois». Mais le débat n'est pas clos pour
autant; c'est dans le cadre du moyen tiré de la violation de
l'art. 285 CC (cf. infra, consid. 3b/aa) qu'il faut connaître
des incidences de cet aspect sur la capacité contributive de
l'intéressée.

     Il n'est pas besoin de rechercher si, dans sa seconde
branche, le reproche serait également justifié, la prétendue
inadvertance n'étant de toute façon pas causale (cf. Poudret,
op. cit., N. 1.6.2 ad art. 55 et N. 5.1 ad art. 63; pour la
notion équivalente de l'art. 136 let. d OJ: ATF 101 Ib 220
consid. 1 p. 222). Replacée dans son contexte, l'affirmation
de la cour cantonale se réfère à l'importance des prestations
financières dont a été gratifiée la recourante («libéralités
mensuelles de 6'000 à 15'000 fr.»), non à la qualité de celui
qui les a fournies.

     3.- Partant de la prémisse que les plaideurs n'avaient,
à l'évidence, dévoilé qu'une «petite partie de leur situation
matérielle et financière réelle», la cour cantonale a fixé la
capacité financière de la défenderesse en fonction des sous-
loyers qu'elle pouvait encaisser («50'000 fr. par mois») et
des largesses de son ami («libéralités mensuelles allant de
6'000 à 15'000 fr.»); ces revenus étant nettement supérieurs
à ses honoraires d'administratrice (1'574 fr.70), l'autorité
cantonale s'est dispensée de vérifier si les pensions mises à
sa charge (3'000 fr.) portaient ou non atteinte à son minimum
vital.

     La défenderesse allègue une violation de l'art. 285 CC;
elle fait grief aux magistrats d'appel d'avoir déterminé sa
capacité contributive en tenant compte des prestations de son
ami et en faisant abstraction du gain résultant du bordereau
de taxation fiscale pour l'année 2000.

     a) Le reproche adressé aux magistrats précédents d'avoir
passé sous silence la taxation fiscale est irrecevable, car
il porte en réalité sur la force probante de ce document - à
savoir l'appréciation des preuves -, question soustraite à la
connaissance de la juridiction fédérale de réforme (ATF 127
III 543 c. 2c p. 547). En outre, il ne ressort pas de l'arrêt
entrepris (art. 63 al. 2 OJ) que les libéralités auraient été

annoncées au fisc, de sorte que la défenderesse ne peut rien
déduire du bordereau dont elle se prévaut.

     b) Aux termes de l'art. 285 al. 1 CC, la contribution
d'entretien doit correspondre aux besoins de l'enfant ainsi
qu'à la situation et aux ressources des père et mère, compte
tenu de la fortune et des revenus de l'enfant (cf. ATF 116 II
110 consid. 3a p. 112). La fixation du montant de la pension
relève du pouvoir d'appréciation du juge (art. 4 CC), domaine
dans lequel le Tribunal fédéral se montre réservé; il n'in-
tervient que si l'autorité cantonale a pris en considération
des critères dénués de pertinence, ou a omis de tenir compte
d'éléments essentiels, ou encore si, d'après l'expérience de
la vie, le montant arrêté apparaît manifestement inéquitable
au vu des circonstances (ATF 127 III 136 consid. 3a p. 141 et
les références).

     aa) Indépendamment de l'inadvertance sur laquelle elle
repose (cf. supra, consid. 2b), l'opinion de l'autorité can-
tonale sur la prise en compte des «sous-loyers» ne peut être
partagée. D'après les constatations de la décision attaquée,
l'appartement n'a été sous-loué qu'à une seule reprise, de
sorte qu'il ne s'agit pas là d'une opération productive d'un
revenu régulier; au demeurant, il faudrait alors - comme le
note avec raison la défenderesse - prendre en considération
la charge locative globale (102'000 fr. par an). Quoi qu'il
en soit, la capacité contributive ne saurait être fixée sur
la base d'une sous-location dont le montant est clairement
abusif au regard de l'art. 262 al. 2 let. b CO (cf. ATF 119
II 353 consid. 6e et f p. 360/361; Lachat, Le bail à loyer,
2e éd., p. 379 let. b, avec d'autres citations).

     bb) Sous réserve d'hypothèses qui ne sont pas réalisées
dans le cas présent, lors du calcul de la capacité contribu-
tive, les libéralités de tiers ne sont pas comprises dans les

ressources du débirentier (cf. arrêt 5C.299/2001 du 7 février
2002, consid. 2c, destiné à la publication). Il s'ensuit que
le recours est fondé sur ce point.

     cc) En raison de sa solution, la Cour de justice n'a pas
recherché si et dans quelle mesure la défenderesse pouvait se
voir imputer un revenu hypothétique supérieur à celui qu'elle
réalise effectivement (sur les conditions: ATF 128 III 4 et
les références citées). Que l'intéressée ait bientôt 50 ans
n'y fait pas obstacle d'emblée (arrêt 5C.278/2000 du 4 avril
2001, consid. 3d); en effet, on ignore tout de sa formation
professionnelle, de son taux d'activité actuel et de son état
de santé, d'autant qu'elle n'a plus la charge de l'éducation
des enfants, lesquels vivent auprès de leur père depuis le 11
septembre 2000. L'arrêt entrepris doit, partant, être annulé
en application de l'art. 64 al. 1 OJ (cf. Poudret, op. cit.,
N. 2.1.4 ad art. 64) et la cause renvoyée à la cour cantonale
pour complément d'instruction et nouvelle décision.

     4.- En conclusion, le recours doit être admis dans la
mesure de sa recevabilité, l'arrêt attaqué annulé et la cause
renvoyée à l'autorité cantonale pour complément d'instruction
et nouveau jugement.

     Vu l'issue incertaine du procès, il y a lieu de répartir
les frais par moitié entre les parties et de compenser les
dépens (art. 156 al. 3 et 159 al. 3 OJ).

                       Par ces motifs,

            l e  T r i b u n a l  f é d é r a l :

     1. Admet le recours dans la mesure où il est recevable,
annule l'arrêt attaqué et renvoie la cause à l'autorité can-
tonale pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

     2. Met un émolument judiciaire de 2'000 fr. par moitié à
la charge des parties.

     3. Compense les dépens.

     4. Communique le présent arrêt en copie aux mandataires
des parties et à la Chambre civile de la Cour de justice du
canton de Genève.

                         __________

Lausanne, le 24 juin 2002
BRA/frs

                Au nom de la IIe Cour civile
                du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE :
                        Le Président,

                        Le Greffier,