Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

II. Zivilabteilung 5C.276/2002
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5C.276/2002 /frs

Arrêt du 8 avril 2003
IIe Cour civile

MM. et Mme les Juges Raselli, Président,
Nordmann et Marazzi.
Greffier : M. Abrecht.

Chemins de fer fédéraux suisses CFF,
défendeurs et recourants,

contre

A.A.________,
B.A.________,
C.A.________,
D.A.________,
demandeurs et intimés,
tous les quatre représentés par Me Christophe Wagner, avocat, place Centrale
51, case postale, 2501 Biel/Bienne.

responsabilité civile des entreprises des chemins de fer,

recours en réforme contre le jugement de la première Cour civile du Tribunal
cantonal du canton de Neuchâtel du 4 novembre 2002.

Faits:

A.
Le 23 décembre 1995 vers 13 heures 50, X.A.________, qui avait quitté la
ferme du Crêt-du-Locle appartenant à la famille de son ami,  roulait au
volant d'un véhicule appartenant à son frère D.A.________ sur le chemin de
desserte de la ferme en direction de la J20. Il pleuvait et de fortes rafales
de vent soufflaient en direction de La Chaux-de-Fonds. Le chemin de terre
d'une largeur d'environ trois mètres était caillouteux, avec des nids de
poule et comportait au sud de la voie un petit raidillon asphalté sur
quelques mètres. Alors qu'elle franchissait le passage à niveau non gardé,
signalé par une croix de Saint-André, situé entre la ferme précitée et la
J20, X.A.________ est entrée en collision avec un train qui circulait de La
Chaux-de-Fonds en direction du Locle. La voiture a été traînée sur plus de
280 mètres. X.A.________ est décédée sur place des suites de l'accident.

B.
Le 19 décembre 1997, les parents de feue X.A.________, A.A.________ et
B.A.________, et ses frères, C.A.________ et D.A.________, ont actionné les
Chemins de fer fédéraux suisses CFF en paiement des sommes suivantes, avec
intérêts au taux de 5% l'an dès le 24 décembre 1995 : 95'000 fr. chacun au
minimum à A.A.________ et B.A.________, ainsi que 40'000 fr. chacun au
minimum à C.A.________ et D.A.________, au titre d'indemnités pour tort
moral, perte de soutien et frais funéraires, plus 7'785 fr. 90 à D.A.________
au titre d'indemnité pour le dommage matériel subi par la perte de son
véhicule. Les défendeurs ont conclu au rejet de la demande.

C.
Par jugement du 4 novembre 2002, la première Cour civile du Tribunal cantonal
du canton de Neuchâtel a condamné les défendeurs à payer les montants
suivants, avec intérêts au taux de 5% l'an dès le 24 décembre 1995 : 9'900
fr. solidairement à A.A.________ et B.A.________ (frais funéraires), 20'000
fr. à A.A.________ et 20'000 fr. à B.A.________ (tort moral), 10'850 fr. à
D.A.________ (tort moral et dommage matériel) et 5'000 fr. à C.A.________
(tort moral). Les frais de justice ont été répartis par moitié entre les
demandeurs d'une part et les défendeurs d'autre part, et les dépens ont été
compensés.

La motivation de ce jugement peut être résumée comme suit :

C.aLes prétentions des demandeurs sont fondées sur la loi fédérale du 28 mars
1905 sur la responsabilité civile des chemins de fer et de bateaux à vapeur
et de La Poste Suisse (LRespC; RS 221.112.742). Cette loi institue une
responsabilité objective pour risques, l'entreprise pouvant toutefois se
libérer en prouvant l'existence de l'un des trois faits interruptifs de
causalité adéquate prévus par la loi, à savoir que l'accident est dû à la
force majeure, à la faute de tiers ou à celle de la victime (art. 1 al. 1
LRespC). Cependant, selon la jurisprudence, ces facteurs ne peuvent
interrompre le rapport de causalité que si l'entreprise n'a commis aucune
faute ou qu'aucun risque spécial n'a joué de rôle. Or en l'espèce, il y a
lieu d'admettre l'existence d'un tel risque spécial.

En effet, "l'accident a eu lieu en décembre par un temps détestable, alors
qu'il pleuvait et soufflait de fortes rafales de vent. Il s'agit là de
circonstances importantes. Les risques d'accident étaient augmentés et les
risques propres à la situation particulière de l'entreprise renforcés. Bien
qu'ayant vu à distance le véhicule, le conducteur du convoi ne peut en effet
rien faire d'autre qu'actionner dans un premier temps le sifflet de son train
à une ou deux reprises, puis à plus courte distance actionner le système de
freinage en sachant toutefois évidemment que l'arrêt de son convoi ne sera
pas possible avant le passage à niveau et que le choc ne pourra être évité.
Si de manière générale, la visibilité est bonne pour l'automobiliste, qui
circule à cet endroit en direction de la J20, plus de 500 mètres de chaque
côté — bien que la pente que fait à cet endroit, avant le passage, à niveau,
le chemin de desserte la rende quelque peu plus incertaine —, elle était de
toute évidence le jour en question fortement diminuée pour les véhicules et
en particulier pour les voitures, dont les fenêtres battues par le vent et la
pluie étaient assurément fermées. Les risques d'accident en étaient de ce
fait sensiblement augmentés. Pour un automobiliste, la visibilité du train de
même que son audibilité, en particulier du sifflet de celui-ci, étaient
largement diminuées. Les risques spéciaux du convoi résultant en particulier
de sa vitesse (plus de 100 km/h), de l'importance de sa masse et de
l'impossibilité de quitter sa trajectoire, en étaient de ce fait sensiblement
renforcés" (jugement attaqué, consid. 2).

C.b Quant aux conséquences financières qu'il y a lieu d'en tirer, il faut
distinguer d'une part les dommages-intérêts, qui comprennent les frais
d'inhumation et la perte de soutien (art. 2 LRespC), et d'autre part la
réparation du tort moral causé à la famille de la victime (art. 8 LRespC).
Alors que l'allocation de dommages-intérêts est indépendante de toute faute,
l'octroi d'une indemnité pour tort moral est subordonnée selon l'art. 8
LRespC à l'existence d'une faute de l'entreprise ou des personnes dont elle
répond. Toutefois, "l'art. 8 LRespC ne peut être appliqué pour lui-même,
indépendamment des modifications législatives, nombreuses, qui sont
intervenues depuis 1905 et en particulier de l'art. 47 CO et des dispositions
destinées à mieux protéger les droits de la personnalité, tout
particulièrement de l'art. 49 CO, qui ne fait plus de la faute de l'auteur de
l'atteinte une condition de l'indemnisation pour tort moral. Actuellement et
indépendamment de la disposition spéciale de la LRespC, où l'indemnité pour
tort moral peut trouver son fondement, on doit admettre qu'en application des
dispositions générales des art. 47 ss CO, toute atteinte illicite aux droits
de la personnalité, indépendamment de l'existence ou non d'une faute de
l'auteur, justifie selon les circonstances une indemnité pour tort moral". En
d'autres termes, on est en présence d'une lacune improprement dite, la loi de
1905 contenant sur ce point une réglementation qui est devenue avec les
années à ce point insupportable et choquante que son invocation relève de
l'abus de droit (jugement attaqué, consid. 3).

C.c La faute de la victime est un motif de réduction de l'indemnité (art. 5
LRespC). En l'espèce, en ne s'arrêtant pas devant le passage à niveau alors
qu'un train s'approchait, X.A.________ a commis une faute de circulation,
contrevenant aux règles posées par l'art. 28 LCR (RS 741.01), par l'art. 3
al. 1 de la loi fédérale concernant la police des chemins de fer (RS
742.147.1) et par l'art. 93 al. 5 OSR (RS 741.21).

"Il appartient à l'entreprise de chemins de fer de prouver que la victime a
commis une faute. En l'espèce, il ressort des déclarations à la police du
témoin Y.________, conducteur de la locomotive, que la voiture roulait
lentement, à une vitesse constante. Il a précisé que la voiture n'avait pas
ralenti à l'approche du passage à niveau et que la conductrice avait les
avant-bras posés sur le volant. Il a expliqué qu'il avait vu la voiture qui
se trouvait à 50 mètres environ du passage à niveau et qu'il avait sifflé une
première fois pour l'avertir de l'arrivée du train, conformément au signal
siffler se trouvant à environ 350 mètres du passage à niveau. Ne constatant
pas de réaction de l'automobiliste, il avait sifflé une nouvelle fois et
commencé à freiner. Lors de son audition en cours de procédure, le conducteur
de la locomotive a encore précisé avoir tout d'abord pensé que le conducteur
de la voiture avait adapté sa vitesse pour s'arrêter avant le passage, puis
ne constatant pas de décélération avoir exécuté un freinage d'urgence.
L'administration des preuves a permis de vérifier, à l'aide de la bande, que
les deux phases du freinage — décélération par freinage électrique, puis
décélération par utilisation du frein d'urgence — avaient eu lieu. L'examen
de la bande du train a permis d'établir que le freinage d'urgence avait
commencé entre 270 et 290 mètres avant le point de choc. Le chef du train et
plusieurs passagers ont confirmé avoir entendu siffler avant l'immobilisation
du train".

"S'agissant des conditions météorologiques, le conducteur de la locomotive a
indiqué que le temps était couvert, la pluie abondante et le vent très fort.
Le rapport de police établi le jour de l'accident mentionne qu'il pleuvait,
avec des fortes rafales de vent, et que la visibilité était bonne sur plus de
500 mètres de chaque côté du passage à niveau. Il mentionne également que
lors des différentes interventions sur les lieux, la police avait remarqué
que pour franchir le passage à niveau, il était nécessaire de baisser les
vitres latérales du véhicule, embuées et fouettées par la pluie, afin d'avoir
une bonne visibilité. Les constatations au sujet des conditions
atmosphériques ont été confirmées par le rapport du service des
renseignements climatologiques de Suisse romande. Le rapport relève que la
journée du 23 décembre 1995 a été caractérisée par du mauvais temps et des
vents forts venant du sud-ouest en direction de La Chaux-de-Fonds. Il précise
que vu la situation météorologique générale, la visibilité ne devait pas être
très bonne et note que la présence des vents soutenus avec simultanément des
précipitations devait rendre cette visibilité ponctuellement et brièvement un
peu moins bonne. Une approximation indique que d'une manière générale, la
visibilité devait être de deux à quatre kilomètres".
"La conductrice connaissait bien les lieux. Elle ne pouvait ignorer ni le
danger que représentait ce passage à niveau, ni l'existence des croix de
Saint-André qui l'obligeaient à s'arrêter lorsqu'un train s'approchait, ce
qu'elle n'a pas fait le jour en question. Il est possible que les vents forts
et la pluie aient assourdi les sifflements du train, voire aient totalement
empêché la victime d'entendre ces sifflements. Il est également possible que,
comme l'ont constaté les policiers qui se sont rendus sur les lieux après
l'accident, la buée sur les vitres latérales de la voiture ait empêché la
victime d'avoir une bonne visibilité. Toutefois, en cas d'impossibilité de
percevoir clairement la situation, vu les très mauvaises conditions
atmosphériques existant, l'automobiliste avait à s'arrêter et à baisser les
vitres de sa voiture pour s'assurer qu'aucun train n'approchait, ce qu'elle
n'a pas fait. Dès lors, on ne peut que retenir qu'en omettant de s'arrêter
devant le passage à niveau, la victime a agi fautivement, se rendant coupable
d'infraction à l'art. 28 LCR" (jugement attaqué, consid. 4b et 4c).

C.d En revanche, il n'apparaît pas que les défendeurs aient commis de faute.
En particulier, rien ne permet de retenir que le conducteur du train ait fait
preuve d'un quelconque manquement : il a en effet actionné le sifflet du
train comme il le devait, et même une deuxième fois, et il a actionné le
freinage, puis le freinage d'urgence dès qu'il a constaté que la voiture ne
s'arrêtait pas. En outre, toutes les conditions auxquelles, selon l'art. 6
al. 2 de l'ordonnance sur la signalisation des passages à niveau (RS
742.148.31), on peut n'installer que des croix de Saint-André étaient réunies
en l'espèce. Il n'apparaît dès lors pas qu'en ne prenant pas d'autre
précaution à l'endroit de l'accident que la pose d'une croix de Saint-André,
les défendeurs aient enfreint la loi, en particulier l'art. 19 al. 1 de la
loi fédérale sur les chemins de fer (LCdF; RS 742.101), qui impose à
l'entreprise de chemin de fer de prendre les mesures nécessaires pour assurer
la sécurité de la construction et de l'exploitation, ainsi que pour empêcher
que des personnes ou des choses ne soient exposées à des dangers (jugement
attaqué, consid. 4d).

C.e Vu la faute commise par la victime d'une part et d'autre part les
importants risques inhérents à l'exploitation des chemins de fer, risques
aggravés par les conditions atmosphériques qui rendaient d'autant plus
dangereuse la traversée du passage à niveau, il paraît équitable de réduire
d'un quart environ l'indemnité due au titre des frais funéraires, laquelle,
compte tenu de l'indemnité déjà versée à ce titre par la SUVA, s'élève à
13'200 fr. C'est ainsi en définitive un montant de 9'990 fr. qui doit être
alloué aux parents de la victime (jugement attaqué, consid. 4e).

En ce qui concerne les prétentions pour perte de soutien, il n'apparaît pas
que l'accident dont a été victime X.A.________ entraîne pour les demandeurs
une diminution de patrimoine justifiant l'octroi d'une indemnité pour perte
de soutien (jugement attaqué, consid. 5). S'agissant en revanche des dommages
matériels, le montant de 7'785 fr. 90 réclamé par D.A.________ en tant que
détenteur du véhicule détruit dans l'accident peut être retenu, mais doit
être réduit d'environ un quart à 5'850 fr. en raison de la faute commise par
la victime (jugement attaqué, consid. 6).

Enfin, compte tenu d'une réduction due à la faute de la victime, une
indemnité de 20'000 fr. pour chacun des parents et de 5'000 fr. pour chacun
des frères paraît équitable, compte tenu de l'intensité des relations
familiales, du caractère soudain et inattendu du décès et des circonstances
dans lesquelles celui-ci est survenu, à la veille des fêtes de Noël (jugement
attaqué, consid. 7).

D.
Contre ce jugement, les défendeurs exercent un recours en réforme au Tribunal
fédéral. Contestant avant tout l'application qu'a faite la cour cantonale de
l'art. 1 al. 1 LRespC et de la jurisprudence y relative (cf. lettre C.a
supra), ils soutiennent qu'ils n'ont pas à répondre, à défaut de risques
d'exploitation accrus, des conditions météorologiques, et que la faute de la
victime apparaît telle que le lien de causalité entre les risques inhérents à
l'exploitation ferroviaire et l'accident en est totalement interrompu. Ils se
plaignent par ailleurs d'avoir été condamnés à verser des indemnités pour
tort moral et une indemnité pour dommage matériel malgré l'absence de toute
faute de leur part, en violation des art. 8 et 11 al. 2 LRespC. En
conséquence, les défendeurs concluent principalement à la réforme du jugement
attaqué dans le sens du rejet intégral des conclusions des demandeurs. A
titre subsidiaire, ils concluent à ce que les prétentions des demandeurs
tendant à l'allocation de dommages-intérêts pour frais funéraires et pour
dommage matériel soient réduites des trois quarts, compte tenu de la gravité
de la faute de la victime.

Les demandeurs proposent le rejet du recours et la confirmation du jugement
attaqué.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Les droits contestés dans la dernière — et en l'occurrence unique (art. 21 de
la loi neuchâteloise d'organisation judiciaire, RSN 161.1) — instance
cantonale dépassent largement la valeur d'au moins 8'000 fr. dont l'art. 46
OJ fait dépendre la recevabilité du recours en réforme dans les contestations
civiles portant sur des droits de nature pécuniaire autres que ceux visés à
l'art. 45 OJ. Le recours est ainsi recevable sous cet angle. Déposé en temps
utile contre une décision finale prise, comme déjà dit, en dernière instance
cantonale, il est également recevable du chef des art. 54 al. 1 et 48 al. 1
OJ.

2.
2.1 Contestant en premier lieu le principe de leur responsabilité dans le cas
d'espèce, les défendeurs reprochent à la cour cantonale d'avoir déduit à tort
de l'augmentation des risques d'accident engendrée par les conditions
atmosphériques qui régnaient au moment de l'accident (pluie et fortes rafales
de vent) l'existence de risques d'exploitation spéciaux excluant une
libération même en cas de faute grave de la victime. Selon les défendeurs, la
cour cantonale aurait confondu les risques accrus dont répond l'entreprise de
chemin de fer — à raison par exemple d'arbres ou de broussailles entravant la
visibilité aux passages à niveau dépourvus de barrières, ou de la vitesse
d'un convoi excédant celle normalement autorisée — et les risques engendrés
par les conditions atmosphériques ou par les intempéries. On ne saurait en
effet considérer que l'entreprise de chemin de fer doive répondre d'un risque
accru aux passages à niveau chaque fois qu'il pleut et/ou qu'il souffle des
rafales de vent; semblable conclusion serait d'autant plus choquante que les
conducteurs de véhicules routiers peuvent bien mieux adapter leur conduite
aux conditions atmosphériques que ceux des convois ferroviaires, la loi leur
faisant d'ailleurs obligation d'adapter leur vitesse, entre autres, aux
conditions de la route et de la visibilité (cf. art. 32 LCR), de même qu'aux
passages à niveau (cf. art. 28 LCR).

Les défendeurs estiment qu'en l'occurrence, la victime a gravement failli aux
devoirs fondamentaux de la prudence au volant, qui lui imposaient d'abord de
ralentir à l'approche du passage à niveau, puis de s'arrêter devant celui-ci
pour s'assurer, si nécessaire en abaissant ses vitres latérales, qu'aucun
convoi ferroviaire ne s'approchait sur la voie. Étant donné que les
défendeurs ne peuvent de leur côté se voir imputer aucune faute, force serait
d'admettre que le comportement aberrant de la conductrice de l'automobile est
constitutif d'une faute à ce point grave et déterminante dans la survenance
de l'accident que le risque inhérent à l'exploitation ferroviaire, relégué à
l'arrière-plan, est pratiquement effacé.

2.2 En vertu de l'art. 1 al. 1 LRespC, toute entreprise de chemin de fer
répond du dommage résultant du fait qu'une personne a été tuée ou blessée au
cours de la construction, de l'exploitation ou des travaux accessoires
impliquant les dangers inhérents à celle-ci, à moins que l'entreprise ne
prouve que l'accident est dû à la force majeure, à la faute de tiers ou à
celle de la victime. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, la faute
propre de la victime peut libérer l'entreprise de chemin de fer de sa
responsabilité lorsqu'elle constitue la seule cause de l'accident ou que son
importance causale est à ce point prépondérante par rapport à d'autres
facteurs, en particulier le risque d'exploitation du chemin de fer, que ces
autres facteurs ne peuvent plus être considérés comme des causes concurrentes
adéquates de l'accident (ATF 102 II 363 consid. 3; 96 II 355 consid. I; 88 II
448 consid. 2; 87 II 301 consid. 2 et les arrêts cités). En revanche, si, à
côté du risque normalement inhérent à l'exploitation du chemin de fer et de
la faute propre de la victime, d'autres circonstances dont l'entreprise de
chemin de fer doit répondre — en particulier une faute des organes de
l'entreprise ou d'autres personnes dont elle répond du comportement selon
l'art. 1 al. 2 LRespC, ou encore des risques d'exploitation spéciaux,
dépassant la mesure normale — ont constitué des causes concurrentes de
l'accident, la responsabilité de l'entreprise de chemin de fer reste engagée
même en cas de faute grave de la victime, mais il y a alors lieu à réduction
de l'indemnité selon l'art. 5 LRespC (ATF 102 II 363 consid. 3; 69 II 259
consid. 1).

Contrairement à ce que semblent penser les recourants, le risque normalement
inhérent à l'exploitation du chemin de fer peut être aggravé non seulement
par les défauts de sécurité de l'installation, tels que l'insuffisance de la
signalisation, mais aussi par des circonstances — sur lesquelles l'entreprise
de chemin de fer n'a aucune prise — qui rendent l'exploitation plus
dangereuse, telles que des conditions météorologiques ayant pour effet de
réduire sensiblement la visibilité ou de limiter l'ouïe (Pierre Tercier, La
responsabilité civile des entreprises de chemin de fer, in Journées du droit
de la circulation routière 1998, p. 32 s. et la jurisprudence citée).

2.3 En l'occurrence, il ressort des constatations de fait opérées par la cour
cantonale, qui lient le Tribunal fédéral en instance de réforme (cf. art. 63
al. 2 OJ), que l'accident a eu lieu en décembre par un temps détestable,
alors qu'il pleuvait abondamment et soufflait de fortes rafales de vent, de
telle manière que pour un automobiliste, la visibilité du train de même que
son audibilité, en particulier du sifflet de celui-ci, étaient largement
diminuées (cf. lettre C.a supra). Dès lors que l'autorité cantonale a retenu
que les mauvaises conditions météorologiques ont constitué des causes
concurrentes de l'accident, la responsabilité des défendeurs est ainsi
incontestablement engagée même si on ne peut leur reprocher aucun défaut de
signalisation ni aucune faute, et même si la victime a quant à elle commis
une faute importante (cf. consid. 4 infra).

C'est à tort que les défendeurs soutiennent que Keller conclut à l'absence de
toute responsabilité de l'entreprise de chemin de fer en cas de faute grave
de la victime, d'une part, et d'un risque d'exploitation accru, d'autre part.
L'entrée du tableau schématique citée par les défendeurs (Alfred Keller,
Haftpflicht im Privatrecht, Band I, 6e éd., 2002, n. 14 p. 394) ne prend en
effet en compte que l'absence de faute de l'entreprise de chemin de fer et la
faute grave de l'automobiliste; il ne tient en revanche pas compte des
risques d'exploitation spéciaux, dont Keller rappelle plus haut qu'ils sont
susceptibles de modifier la situation (Keller, op. cit., n. 14 p. 392).

3.
3.1 Les défendeurs reprochent ensuite à la cour cantonale de les avoir
condamnés à verser des indemnités pour tort moral en dépit du texte clair de
l'art. 8 LRespC, qui subordonne la réparation du tort moral à une faute de
l'entreprise de chemin de fer. Si cette règle est marquée d'une conception
restrictive de la réparation du tort moral qui peut apparaître dépassée au
regard de l'évolution législative, elle n'en demeure pas moins en vigueur, et
son adaptation à la conception moderne de la réparation du tort moral ne
pourrait être le fait que du législateur, et non du juge sous le couvert du
comblement d'une lacune improprement dite et de l'interdiction de l'abus de
droit.

3.2 Selon l'art. 8 LRespC, s'il y a eu faute de l'entreprise ou des personnes
dont elle répond, le juge peut, en tenant compte des circonstances
particulières, notamment quand il y a eu dol ou faute grave, allouer à la
partie lésée ou, en cas de mort, à la famille de la victime une somme
équitable, indépendamment de la réparation du dommage constaté. Cette règle,
qui correspond textuellement à l'art. 54 de l'ancien Code fédéral des
obligations de 1881, suppose donc qu'il y ait eu une faute à la charge de
l'entreprise de chemin de fer (Tercier, op. cit., p. 21). Quoique la règle
générale de l'art. 47 CO ne fasse depuis longtemps plus dépendre la
réparation du tort moral d'une faute de la personne recherchée (cf. aussi
l'art. 49 CO), l'art. 8 LRespC demeure en vigueur en tant que norme spéciale
dérogeant à cette norme générale. Dès lors, bien que critiquée par la
doctrine, qui la considère comme l'expression d'une conception restrictive
aujourd'hui dépassée et comme une anomalie dans le système de la
responsabilité pour risques (Tercier, op. cit., p. 21 et les références
citées; Peter Gauch, Das Haftpflichtrecht der Eisenbahnen, in Journées du
droit de la circulation routière 1998, p. 20 et les références citées), la
règle de l'art. 8 LRespC ne peut qu'être appliquée, en tant que norme de
droit positif fédéral, tant qu'elle n'est pas abrogée par le législateur (cf.
arrêt non publié 5C.7/2001 du 20 juillet 2001, consid. 3c).

La référence faite par la cour cantonale à l'ATF 74 II 202 est  dépourvue de
pertinence : si le Tribunal fédéral s'y est demandé, dans un obiter dictum
(p. 214), si les normes contenues dans des lois spéciales, telles que l'art.
8 LRespC, qui subordonnent la réparation du tort moral à une faute ne
devraient pas être complétées par l'art. 54 CO lorsqu'un accident est causé
par une personne incapable de discernement, cela ne signifie pas qu'il puisse
être fait abstraction de l'exigence d'une faute en dehors de cette hypothèse
particulière. Quant à admettre l'existence d'une lacune improprement dite en
ce sens que l'application du texte réputé déterminant de la norme conduirait
à un résultat insoutenable d'un point de vue téléologique, il n'y a pas lieu
de considérer en l'espèce que le fait d'invoquer le sens du texte clair de
l'art. 8 LRespC soit constitutif d'un abus de droit, qui seul permettrait au
juge de retenir une telle lacune (cf. ATF 122 I 253 consid. 6a; 121 III 219
consid. 1d/aa p. 225 s.; 120 III 131 consid. 3b et les références citées). Le
recours se révèle ainsi bien fondé sur ce point.

4.
Les défendeurs soutiennent que la gravité des fautes commises par la victime
serait telle qu'elle justifierait, en cas d'admission de leur responsabilité,
que les indemnités dues soient réduites de trois quarts, et non seulement
d'un quart comme retenu par l'autorité cantonale.
L'art. 5 LRespC prévoit que si l'accident est dû en partie à une faute de la
victime, le juge peut, en tenant compte de toutes les circonstances, réduire
proportionnellement l'indemnité. En l'espèce, la cour cantonale a retenu,
essentiellement sur la base des déclarations à la police du conducteur de la
locomotive, que X.A.________ roulait lentement, à un vitesse constante, les
avant-bras posés sur le volant, et qu'elle n'avait pas ralenti à l'approche
du passage à niveau, malgré les sifflets actionnés à deux reprises par le
conducteur du convoi ferroviaire. Les juges cantonaux ont retenu à juste
titre que, vu les très mauvaises conditions atmosphériques existant,
l'automobiliste avait à s'arrêter et à baisser les vitres de sa voiture pour
s'assurer qu'aucun train n'approchait, ce qu'elle n'a pas fait. Elle a par là
enfreint l'art. 28 LCR, qui impose aux usagers de la route, s'agissant de
passages à niveau qui ne sont pas munis de barrières ou de signaux commandant
l'arrêt, de s'arrêter devant ces passages à niveau lorsque des véhicules
s'approchent sur la voie ferrée.
Il s'agit là d'une faute en soi très importante, qui est toutefois atténuée
par le fait que la pluie abondante et les fortes rafales de vent diminuaient
largement pour l'automobiliste la visibilité du train de même que son
audibilité, en particulier du sifflet de celui-ci. Compte tenu du rôle qu'ont
joué les mauvaises conditions météorologiques dans l'accident, la réduction
des indemnités de trois quarts sollicité par les défendeurs pour faute grave
de la victime apparaît excessive. D'un autre côté, force est de constater que
l'autorité cantonale a excédé les limites de son large pouvoir d'appréciation
(cf. ATF 117 II 156 consid. 3a in fine) en admettant une réduction d'un quart
seulement. Une telle réduction n'aurait pu être justifiée qu'en cas de faute
légère, dont il ne saurait être question en l'espèce, où l'importance de la
faute de la victime au regard de l'ensemble des circonstances fait apparaître
une réduction de moitié comme équitable.

5.
Les défendeurs contestent l'indemnité pour dommage matériel allouée à
D.A.________, qui, n'ayant pas été victime de l'accident, ne saurait
prétendre à la réparation du préjudice causé par la destruction de la voiture
dont il était le détenteur en vertu de l'art. 11 al. 1 LRespC, ni sur la base
de l'art. 11 al. 2 LRespC puisque les défendeurs n'ont commis aucune faute.

Ce grief procède d'une mécompréhension de l'art. 11 LRespC. Selon cette
disposition, l'entreprise est responsable des objets perdus, détruits ou
avariés se trouvant sous la garde personnelle de la victime, si l'avarie, la
destruction ou la perte est en connexité avec l'accident (al. 1); sauf ce
cas, elle ne doit d'indemnité pour ces objets, non consignés comme
marchandises ou bagages, que s'il y a eu faute de sa part (al. 2). Ainsi, le
principe de la responsabilité objective s'applique pour la destruction
d'objets qui ont été détruits dans l'accident alors qu'ils étaient sous la
garde personnelle de la victime (cf. Tercier, op. cit., p. 23). La garde
personnelle est un pouvoir de fait d'un caractère particulier qui implique
que le gardien a la chose avec lui, la tient, la surveille, la conduit; ce
pouvoir de nature spéciale doit  être distingué de la détention au sens de la
LCR, et aussi de la propriété : la loi exige uniquement que la personne qui
avait les objets sous sa garde, et non le propriétaire de ces objets, soit
blessée ou tuée dans l'accident (Tercier, op. cit., p. 24; ATF 44 II 436). Il
s'ensuit que D.A.________, propriétaire et détenteur du véhicule conduit par
X.A.________ et détruit dans l'accident qui a coûté la vie à celle-ci, peut
demander la réparation de son dommage sur la base de l'art. 11 al. 1 LRespC
et donc indépendamment de toute faute des défendeurs.

6.
En définitive, le recours doit être partiellement admis en ce sens que les
défendeurs n'ont pas à verser de réparation pour tort moral (cf. consid. 3
supra) et que les indemnités dues d'une part au titre des frais funéraires
(non contestés) et d'autre part pour le véhicule détruit dans l'accident (cf.
consid. 5 supra) doivent être réduites de moitié (cf. consid. 4 supra), et
donc fixées respectivement à 6'600 fr., soit ½ de 13'200 fr., et à 3'893 fr.,
soit ½ de 7'786 fr. (cf. lettre C.e supra). Quoique les juges cantonaux
n'indiquent pas sur quelle base ils ont admis une solidarité active entre les
demandeurs A.A.________ et B.A.________, il n'y a pas lieu de revoir la
question dès lors que les défendeurs, en ne demandant pas la modification du
jugement attaqué sur ce point, ont implicitement reconnu cette solidarité au
sens de l'art. 150 al. 1 CO.

Le jugement attaqué doit dès lors être annulé puis réformé en ce sens que les
défendeurs Chemins de fer fédéraux suisses CFF doivent payer aux demandeurs
A.A.________ et B.A.________, solidairement entre eux, la somme de 6'600 fr.
avec intérêt au taux de 5% l'an dès le 24 décembre 1995, et au demandeur
D.A.________ la somme de 3'893 fr. avec intérêt au taux de 5% l'an dès le 24
décembre 1995, les demandeurs étant déboutés pour le surplus. La cause sera
en outre renvoyée à l'autorité cantonale pour nouvelle décision sur les frais
et dépens de la procédure cantonale.

S'agissant des frais et dépens de la procédure fédérale, il y a lieu, vu
l'issue du recours, de mettre les frais judiciaires pour un quart à la charge
des défendeurs, qui obtiennent largement gain de cause, et pour trois quarts
à la charge solidaire des demandeurs (art. 156 al. 2 et 7 OJ). Les
défendeurs, qui ne justifient pas de débours et n'ont pas eu recours aux
services d'un avocat agissant en cette qualité, ne peuvent prétendre à des
dépens (art. 159 al. 1 OJ et art. 1er al. 2 du Tarif pour les dépens alloués
à la partie adverse dans les causes portées devant le Tribunal fédéral, RS
173.119.1). Quant aux demandeurs, représentés par un avocat, ils ont droit de
la part des défendeurs à des dépens réduits des trois quarts (art. 159 al. 2
OJ), qu'il convient de fixer à 1'000 fr.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est partiellement admis et le jugement attaqué est annulé puis
réformé comme suit :
1.1 Les défendeurs Chemins de fer fédéraux suisses CFF doivent payer aux
demandeurs A.A.________ et B.A.________, solidairement entre eux, la somme de
6'600 fr. avec intérêt au taux de 5% l'an dès le 24 décembre 1995.

1.2 Les défendeurs Chemins de fer fédéraux suisses CFF doivent payer au
demandeur D.A.________ la somme de 3'893 fr. avec intérêt au taux de 5% l'an
dès le 24 décembre 1995.

1.3 Les demandeurs sont déboutés pour le surplus.

2.
La cause est renvoyée à l'autorité cantonale pour nouvelle décision sur les
frais et dépens de la procédure cantonale.

3.
Un émolument judiciaire de 2'000 fr. est mis pour trois quarts à la charge
solidaire des demandeurs et pour un quart à la charge des défendeurs.

4.
Les défendeurs verseront aux demandeurs une indemnité de 1'000 fr. à titre de
dépens réduits.

5.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux parties et à la première Cour
civile du Tribunal cantonal du canton de Neuchâtel.

Lausanne, le 8 avril 2003

Au nom de la IIe Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier: