Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

II. Zivilabteilung 5C.23/2002
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5C.23/2002

                 IIe  C O U R   C I V I L E
                 **************************

                        21 juin 2002

Composition de la Cour: MM. les juges Bianchi, président,
Raselli et Meyer. Greffier: M. Fellay.

                Dans la cause civile pendante

                            entre

A._______ (épouse), défenderesse et recourante, représentée
par Me Jacques Emery, avocat à Genève,

                             et

B.________ (époux), demandeur et intimé, représenté par Me
Antoine Herren, avocat à Genève;

          (divorce; effets accessoires du divorce)

          Vu les pièces du dossier d'où ressortent
                  les  f a i t s  suivants:

   A.-  B.________, né le 24 mars 1946, et A.________,
née le 18 février 1941, se sont mariés à Genève le 14 décem-
bre 1967. Ils ont eu une fille, actuellement majeure.

         Le 12 décembre 1991, à la demande de l'épouse, le
Tribunal de première instance de Genève a prononcé la sépara-
tion de corps des parties pour une durée indéterminée, ordon-
né la liquidation du régime matrimonial et condamné le mari à
verser à son épouse une contribution mensuelle d'entretien de
1'520 fr. qui, en appel, a été portée à 2'000 fr.

         B.-  A la demande du mari, le tribunal de première
instance a, par jugement du 7 octobre 1999, prononcé le di-
vorce des époux en application de l'art. 148 al. 2 aCC et as-
treint le mari à payer à sa femme, sur la base de l'art. 151
aCC, une contribution alimentaire de 2'200 fr. par mois, non
limitée dans le temps. Sur appel de l'épouse et appel inci-
dent du mari, la Cour de justice du canton de Genève a, par
arrêt du 14 avril 2000, constaté que le principe du divorce
était acquis et renvoyé la cause au tribunal de première ins-
tance pour qu'il statue sur les prétentions de l'épouse en
matière de prévoyance professionnelle et d'entretien, compte
tenu de l'entrée en vigueur du nouveau droit du divorce le
1er janvier 2000.

         Par jugement du 22 février 2001, le tribunal de pre-
mière instance a ordonné le transfert de la moitié de la
prestation de sortie LPP du mari à l'épouse, soit fr. 149'675
fr. 75, et alloué à celle-ci une contribution d'entretien de
1'800 fr. par mois jusqu'à fin février 2003, date à laquelle
elle obtiendrait une rente AVS. Il a retenu que le mariage
avait duré 30 ans et la vie commune plus de 25 ans, que l'é-
pouse, sans formation professionnelle, avait exercé une acti-

vité lucrative réduite, impossible à augmenter en raison de
son état de santé, de son âge et de l'absence de possibilité
concrète de réaliser un gain supérieur. Le tribunal a établi
la situation financière mensuelle des parties comme il suit:
le mari avait 7'155 fr. 90 de revenu et 3'426 fr. 20 de char-
ges; après couverture de son minimum vital augmenté de 20%
(4'111 fr. 45), il disposait d'un solde de 3'044 fr. 45; l'é-
pouse, avec 1'722 fr. 75 de revenu et 3'032 fr. 15 de char-
ges, avait un découvert de 1'309 fr. 40. Le tribunal a estimé
que le solde disponible n'avait pas à être partagé par moi-
tié, car le nouveau droit du divorce privilégiait l'indépen-
dance des parties après le divorce. La contribution mensuelle
de 1'800 fr., supérieure de 500 fr. au minimum vital de l'é-
pouse, devait permettre à celle-ci d'avoir un niveau de vie
convenable.

         Sur appel de l'épouse, qui concluait à l'allocation
d'une contribution d'entretien de 2'550 fr. par mois, la Cour
de justice a confirmé le jugement de première instance, par
arrêt du 23 novembre 2001, communiqué aux parties le 26 du
même mois.

         C.-  Agissant le 10 janvier 2002 par la voie du re-
cours en réforme, l'épouse requiert le Tribunal fédéral d'an-
nuler l'arrêt de la Cour de justice, de lui allouer une con-
tribution d'entretien de 2'520 fr. par mois, jusqu'à la fin
du mois de février 2004, et de confirmer l'arrêt attaqué pour
le surplus, avec suite de frais et dépens.

         La recourante sollicite en outre l'octroi de l'as-
sistance judiciaire.

         L'intimé déclare ne pas s'opposer à ce que la
contribution fixée par les instances cantonales soit due
jusqu'au 18 février 2004. Pour le surplus, il conclut au
rejet du recours avec suite de dépens.

           C o n s i d é r a n t  e n  d r o i t :

         1.-  Lorsque sont seules litigieuses en instance de
réforme des contributions d'entretien en faveur d'un con-
joint, on est en présence d'une contestation civile de nature
pécuniaire (cf. ATF 116 II 493 consid. 2b p. 495/496 et les
arrêts cités). En l'occurrence, les droits contestés dans la
dernière instance cantonale atteignent manifestement 8'000
fr. (art. 46 OJ). Interjeté en temps utile, compte tenu des
féries (art. 34 al. 1 let. c OJ), contre une décision finale
rendue par le tribunal suprême du canton, le recours est aus-
si recevable au regard des art. 48 al. 1 et 54 al. 1 OJ.

         2.-  Invoquant la violation des art. 125 CC et 4 CC,
la recourante reproche à la cour cantonale d'avoir pris en
compte le minimum vital élargi de l'intimé dans la détermina-
tion des besoins des époux et d'avoir refusé de partager par
moitié le solde disponible après couverture de leurs minimums
vitaux.

         a) Selon l'art. 125 al. 1 CC, si l'on ne peut rai-
sonnablement attendre d'un époux qu'il pourvoie lui-même à
son entretien convenable, y compris à la constitution d'une
prévoyance vieillesse appropriée, son conjoint lui doit une
contribution équitable. L'obligation d'entretien repose prin-
cipalement sur les besoins de l'époux demandeur; elle dépend
du degré d'autonomie que l'on peut attendre de ce dernier, à
savoir de sa capacité à s'engager dans la vie professionnelle
ou à reprendre une activité lucrative interrompue à la suite
du mariage pour couvrir son entretien convenable (ATF 127 III
136 consid. 2a p. 138 et les références). Au nombre des cri-
tères à prendre en considération pour déterminer le montant
et la durée de la contribution d'entretien figurent la répar-
tition des tâches pendant le mariage, la durée de celui-ci,
l'âge et l'état de santé des époux, leurs revenus et fortune,

leur formation professionnelle, leurs perspectives de gain
ainsi que leurs expectatives de prévoyance (art. 125 al. 2
CC).

         b) Selon le Message du Conseil fédéral du 15 novem-
bre 1995 concernant la révision du Code civil suisse (FF 1996
I 119), l'introduction du nouveau droit ne devait pas remet-
tre en question la jurisprudence du Tribunal fédéral en vi-
gueur selon laquelle le débiteur de l'entretien devait au
moins disposer du minimum prévu en droit de la poursuite pour
dettes (art. 93 LP), augmenté de 20% pour tenir compte des
impôts et des assurances indispensables (ATF 121 III 49; 118
II 100; 114 II 304). Certains auteurs considèrent que cette
jurisprudence consacrant le système du forfait ne serait plus
compatible avec le nouveau droit fondé sur le principe de la
solidarité (Heinz Hausheer, Der Scheidungsunterhalt und die
Familienwohnung, in Vom alten zum neuen Scheidungsrecht, Ber-
ne 1999, p. 129 n. 3.13; Martin Stettler, Les pensions ali-
mentaires consécutives au divorce, in Le nouveau droit du di-
vorce, Lausanne 2000, p. 153/154). Ce dernier auteur mention-
ne toutefois l'avis apparemment divergent de Rainer Klopfer
(Nachehelicher Unterhalt, Wohnungszuteilung, in Das neue
Scheidungsrecht, Zurich 1999, p. 84) et rappelle la volonté
exprimée dans le message de ne pas modifier la situation
existante (Stettler, loc. cit., p. 154 n. 27 et 28). Récem-
ment, le Tribunal fédéral a jugé compatible avec le droit fé-
déral l'application d'une méthode, préconisée par la doctri-
ne, consistant à déterminer en premier lieu les besoins de
base de chaque conjoint, puis à élargir le montant obtenu par
l'ajout des dépenses non strictement nécessaires et à calcu-
ler, sur cette base, la contribution d'entretien de manière à
ce que les deux époux bénéficient dans une égale mesure du
"disponible" total restant après couverture de leurs charges
respectives (arrêt 5C.205/2001 du 29 octobre 2001, consid.
4c). La règle du minimum vital élargi n'est donc pas abolie,
mais elle doit être appliquée d'une manière qui ne favorise

pas d'emblée la position de l'époux débiteur par rapport à
celle de l'époux créancier (Stettler, loc. cit., p. 154),
étant néanmoins précisé que ce dernier ne peut en principe
prétendre au partage automatique des ressources encore dispo-
nibles après la satisfaction des besoins vitaux des deux con-
joints (idem, p. 148; FF 1996 I 116; arrêt du Tribunal fédé-
ral 5C.177/2000 du 19 octobre 2000, consid. 2c). En outre,
pour un mariage de longue durée, le maintien du niveau de vie
antérieur devrait constituer l'exception, car les ressources
du débiteur sont rarement suffisantes pour lui permettre de
faire face aux nouvelles charges liées au divorce sans devoir
restreindre son propre niveau d'existence (Stettler, loc.
cit., p. 157). Un partage par moitié du disponible ne se jus-
tifie pas, par ailleurs, en présence de situations économi-
ques particulièrement favorables ou au contraire très défavo-
rables (arrêt 5C.205/2001 déjà cité, consid. 4c; Hausheer,
loc. cit., n. 3.58; Schwenzer, Praxiskommentar Scheidungs-
recht, Bâle 2000, n. 78 ad art. 125 CC).

         L'application de ces règles dépend du large pouvoir
d'appréciation du juge (arrêt 5C.205/2001 déjà cité, consid.
4c). Il n'y a violation du droit fédéral que si le juge a
abusé de son pouvoir d'appréciation, en se référant à des
critères dénués de pertinence ou en ne tenant pas compte d'é-
léments essentiels, ou bien encore si, d'après l'expérience
de la vie, le montant arrêté paraît manifestement inéquitable
au regard des circonstances (ATF 127 III 136 consid. 3a p.
141).

         c) Le total des charges retenu en l'espèce pour
l'intimé, soit 3'426 fr. 20, incluait 710 fr. 90 d'impôts
cantonaux et 53 fr. 30 d'impôts fédéraux. En principe, l'au-
torité cantonale n'avait donc pas à l'augmenter encore du
forfait de 20%, censé déjà tenir compte des impôts (FF 1996 I
119). Mais la recourante ne critique pas l'arrêt attaqué sous

cet angle et, d'ailleurs, le calcul de son propre minimum vi-
tal prend lui aussi en compte ses impôts cantonaux et fédé-
raux.

         Ce dont se plaint la recourante, c'est du résultat
manifestement injuste pour elle, qui a un découvert mensuel
important (1'309 fr. 40), alors que l'intimé, bénéficiant
d'un revenu confortable, jouirait d'un solde disponible de
3'729 fr. 70. Elle se borne toutefois à revendiquer la prise
en considération d'un minimum vital strict, non élargi, et un
partage par moitié du solde disponible, qui serait la règle.
Or, il résulte de ce qui a été dit plus haut qu'une telle re-
vendication ne saurait être admise d'emblée, sans une appré-
ciation des critères posés par l'art. 125 al. 2 CC et des
circonstances propres au cas particulier. Au demeurant, un
disponible de 3'729 fr. 70, présenté comme revenu confortable
après déduction de l'entretien de base, du loyer, de l'assu-
rance maladie et des impôts (jugement de première instance,
p. 9), apparaît plutôt comme l'indice d'une situation écono-
mique particulièrement favorable, justifiant l'exclusion d'un
partage par moitié du solde disponible. La recourante n'indi-
que pas en quoi la cour cantonale a violé le droit fédéral en
retenant que le premier juge, statuant en équité, avait fait
un usage correct de son pouvoir d'appréciation en fixant la
contribution d'entretien litigieuse à 1'800 fr. De fait, avec
cette contribution et son revenu de 1'722 fr. 75, elle est en
mesure de faire face aux charges incluses dans son minimum
vital élargi (3'032 fr. 15) et de disposer d'un surplus d'en-
viron 500 fr. lui permettant d'avoir un niveau de vie conve-
nable. Que son train de vie ait diminué de 400 fr., comme
elle le prétend, est possible, mais c'est là un fait qui ne
ressort pas des constatations de l'arrêt attaqué (cf. art. 55
al. 1 let. c et 63 al. 2 OJ) et qui n'est du reste pas déter-
minant en soi, dès lors que, comme on l'a vu, les époux ne
peuvent prétendre dans tous les cas au maintien après le di-
vorce du niveau de vie qui était le leur durant le mariage.

On ne saurait enfin sérieusement reprocher à la cour cantona-
le de s'en être tenue à la jurisprudence publiée (ATF 123 III
1 et 121 III 49), à laquelle le nouveau droit ne changeait
rien (FF 1996 I 119; Stettler, loc. cit., p. 144 et 151 s.),
plutôt que de se fonder sur des avis et propositions d'une
partie de la doctrine sur la question.

         3.-  La recourante se prévaut d'une inadvertance en
relation avec la fixation de la durée de la contribution
d'entretien.

         Dans un considérant qui n'a pas été remis en cause
devant la cour cantonale, le tribunal de première instance a
retenu qu'après partage par moitié des avoirs de prévoyance
professionnelle constitués durant l'union conjugale, les
époux se trouveraient dans une situation comparable, l'âge de
la retraite venu (jugement de première instance, p. 11 ch. II
in fine). Il a dès lors limité la durée de la contribution
d'entretien à l'obtention par la défenderesse de la rente
AVS, qui interviendrait pour elle à l'âge de 64 ans, soit le
18 février 2003 (art. 21 LAVS; let. d des dispositions fina-
les de la modification du 7 octobre 1994 - 10ème révision).

         Cette révision est entrée en vigueur le 1er janvier
1997 (RO 1996 II 2466, 2490). La lettre d (al. 1) des dispo-
sitions finales précitées prévoyait que l'âge de la rente de
vieillesse de la femme serait fixé à 63 ans quatre ans après
ladite entrée en vigueur (1er janvier 2001) et à 64 ans huit
ans après (1er janvier 2005). Etant née le 18 février 1941,
la recourante aura 63 ans le 18 février 2004. C'est donc à
cette date et non pas le 18 février 2003, comme indiqué par
erreur dans le jugement de première instance, qu'elle pourra
recevoir une rente AVS.

         La rectification de cette inadvertance manifeste
s'impose (art. 55 al. 1 let. d et 63 al. 2 OJ). Elle est
d'ailleurs approuvée par l'intimé. Elle entraîne le report
d'une année de la limite fixée à l'obligation de paiement de
la contribution d'entretien litigieuse.

         4.-  Il résulte de ce qui précède que le recours
doit être admis sur la question de la durée de l'obligation
d'entretien et rejeté pour le surplus dans la mesure de sa
recevabilité.

         Cela étant et vu la situation financière de la re-
courante, telle qu'elle ressort du présent arrêt et des piè-
ces produites, l'assistance judiciaire requise par celle-ci
doit lui être accordée (art. 152 OJ).

         L'intimé, qui a procédé, a droit à des dépens (art.
159 al. 1 OJ).

                       Par ces motifs,

            le  T r i b u n a l  f é d é r a l :

   1. Admet partiellement le recours et réforme l'arrêt
attaqué en ce sens que la somme de 1'800 fr. que B.________
est condamné à payer à A.________, par mois et d'avance, à
titre de contribution à son entretien, est due jusqu'à la fin
du mois de février 2004.

         2. Rejette le recours dans la mesure où il est rece-
vable et confirme l'arrêt attaqué pour le surplus.

         3. Admet la demande d'assistance judiciaire de la
recourante et désigne Me Jacques Emery comme avocat de cette
partie pour la procédure fédérale.

   4. Met l'émolument judiciaire de 1'500 fr. pour 2/3
à la charge de la recourante et pour 1/3 à la charge de l'in-
timé, la part d'émolument mise à la charge de la recourante
étant supportée provisoirement par la Caisse du Tribunal fé-
déral.

         5. Dit que la recourante versera à l'intimé une in-
demnité de 2'000 fr. à titre de dépens pour la procédure fé-
dérale.

   6. Dit que la Caisse du Tribunal fédéral versera à
Me Jacques Emery une indemnité de 2'000 fr. à titre d'hono-
raires.

         7. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la Chambre civile de la Cour de jus-
tice du canton de Genève.

                          _________

Lausanne, le 21 juin 2002
FYC/frs

                Au nom de la IIe Cour civile
                du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE :
                        Le Président,

                        Le Greffier,