Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

II. Zivilabteilung 5C.18/2002
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5C.18/2002 /frs

Arrêt du 14 mai 2002
IIe Cour civile

Les juges fédéraux Bianchi, président,
Nordmann, Hohl,
greffière Heegaard-Schroeter.

V. B.________, défendeur et recourant, représenté par Me Manuela Ryter,
avocate, c/o Etude Liron Zwahlen Lattion Nicole et Kaltenrieder, rue des
Remparts 9, 1400 Yverdon-les-Bains,

contre

S.B.________, demanderesse et intimée, représentée par Me Laurent Gilliard,
avocat, rue du Casino 1, case postale 367, 1401 Yverdon,

divorce; art. 115 CC

(recours en réforme contre l'arrêt de la Chambre des recours du Tribunal
cantonal du canton de Vaud du 31 juillet 2001)
Faits:

A.
V. B.________, né le 20 mars 1974, et S.B.________, née le 15 novembre 1979,
tous deux ressortissants de Bosnie-Herzégovine, ont contracté mariage le 27
mars 1998 à Yverdon-les-Bains. Aucun enfant n'est issu de leur union.

B.
Les époux S. et V.B.________ sont originaires de la même commune et amis
d'enfance. Ils sont arrivés en Suisse respectivement en 1995 et 1997.
Après s'être retrouvées en Suisse et fréquentées durant quelques mois, les
parties ont décidé de se marier. Selon les constatations de l'arrêt attaqué,
qui ne sont pas contestées, il s'est agi d'un mariage d'amour, bien
qu'accessoirement motivé par le fait que la Croix-Rouge n'avait accepté de
mettre un appartement à la disposition des parties que si elles étaient
mariées.
Bien que mariés, V. et S.B.________ ont décidé de vivre séparés jusqu'à
l'obtention d'un logement commun, apparemment afin de satisfaire les
exigences du père de l'épouse, chez qui celle-ci a continué d'habiter. Dans
l'intervalle, les conjoints ont entretenu de fréquents contacts, notamment au
domicile paternel de la demanderesse. Ils n'ont toutefois jamais vécu
ensemble et leur union n'a pas été consommée.
A la fin juillet 1998, S. B.________ a appris, par des membres de sa famille,
que son époux aurait vécu en concubinage avec une autre femme dans son pays
d'origine et qu'un enfant serait né de cette union. Selon les constatations
de fait de l'arrêt entrepris, cette rumeur s'est finalement révélée infondée
et il n'a pas été donné suite à la dénonciation pénale pour bigamie déposée
par le Tribunal civil du district d'Yverdon à l'encontre de V. B.________.

S.  B.________ a par la suite déménagé à Genève, où elle vit en concubinage
avec son ami; elle a manifesté le désir de se marier avec celui-ci aussitôt
que possible.

C.
Le 7 octobre 1998, S. B.________ a ouvert une action tendant principalement à
l'annulation de son mariage et subsidiairement au divorce. Elle a, par la
suite, retiré son premier chef de conclusions et demandé le divorce à titre
principal.
Tant le Tribunal du district d'Yverdon, par jugement du 12 juillet 2000, que
la Chambre des recours du Tribunal cantonal du canton de Vaud (ci-après: la
Chambre des recours), par arrêt du 31 juillet 2001, ont admis la demande en
application de l'art. 115 CC.

D.
Agissant le 16 janvier 2002 par la voie du recours en réforme, V. B.________
conclut à ce que le divorce ne soit pas prononcé, avec suite de frais et
dépens des instances cantonales et fédérales.
La demanderesse conclut, avec suite de frais et dépens, au rejet du recours
et à la confirmation de l'arrêt attaqué. Elle requiert également l'assistance
judiciaire pour la procédure devant le Tribunal fédéral.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Ayant pour objet le prononcé du divorce, la présente cause porte sur un droit
de nature non pécuniaire, si bien que le recours est recevable du chef de
l'art. 44 OJ. Interjeté en temps utile contre une décision finale rendue en
dernière instance par le tribunal suprême du canton de Vaud, le recours est
également recevable au regard des art. 54 al. 1 et 48 al. 1 OJ.

2.
2.1 Le divorce d'époux étrangers est régi par le droit suisse lorsque, comme
en l'espèce, les tribunaux suisses sont compétents pour en connaître (art. 59
let. a LDIP) et que les conjoints, de nationalité commune, sont tous deux
domiciliés en Suisse (art. 61 al. 1 et 2 LDIP).

2.2  Un époux peut demander le divorce de façon unilatérale lorsque, au début
de la litispendance de la demande ou au jour du remplacement de la requête
commune par une demande unilatérale, les conjoints ont vécu séparés pendant
quatre ans au moins (art. 114 CC). Toutefois, chaque époux peut demander le
divorce avant l'expiration de ce délai si des motifs sérieux qui ne lui sont
pas imputables rendent la continuation du mariage insupportable (art. 115
CC).

Selon la jurisprudence, l'art. 115 CC est subsidiaire à l'art. 114 CC (ATF
126 III 404 consid. 4b). Dans l'examen des conditions d'application de l'art.
115 CC, il ne s'agit plus, contrairement à ce qui était le cas sous l'empire
de l'art. 142 al. 1 aCC, de se demander si l'on ne peut imposer à un époux le
maintien de l'union conjugale, pendant une durée indéterminée, en raison du
caractère insupportable de la vie commune, mais si l'on ne peut
raisonnablement exiger de lui qu'il attende la fin du délai de séparation de
quatre ans pour obtenir le divorce, eu égard au caractère insupportable du
mariage en tant que tel, à savoir du lien juridique (ATF 127 III 129 consid.
3a p. 132; 126 III 404 consid. 4c). Dans cette optique, il se justifie
d'appliquer l'art. 115 CC de manière restrictive, afin d'éviter que cette
cause ne devienne dans la pratique - comme cela a été le cas pour l'art. 142
al. 1 aCC - le principal motif de divorce, au détriment des causes
"formalisées" des art. 111, 112 et 114 CC, ce qui compromettrait les
objectifs du nouveau droit tendant à dépénaliser le divorce et à éviter aux
époux d'en découdre devant les juges pour prouver l'échec de leur mariage
(ATF 127 III 129 consid. 3b p. 133; 126 III 404 consid. 4f). Le Tribunal
fédéral a toutefois précisé récemment que cette interprétation de la notion
du caractère insupportable de la continuation du mariage ne justifie pas de
poser des exigences excessives qui obligeraient un époux, qui ne porte
pourtant pas la responsabilité de la rupture du lien conjugal, à persévérer
dans une union qui n'est plus effective (ATF 127 III 129 consid. 3b p.
133-134). Ce qui est déterminant dans l'appréciation du "motif sérieux" selon
l'art. 115 CC est de savoir si le maintien du mariage est raisonnablement
insupportable d'un point de vue psychique, autrement dit si la réaction
spirituelle et émotionnelle qui pousse le conjoint à considérer comme
intenable la perpétuation des liens juridiques matrimoniaux pendant quatre
ans est objectivement compréhensible. Des réactions exagérées dues à une
susceptibilité exacerbée n'entrent pas en considération; de même, il importe
peu de déterminer si les motifs allégués sont de nature objective ou
consistent en un manquement de l'autre époux (ATF 127 III 129 consid. 3b p.
134).

3.
La particularité de la présente espèce réside dans le fait que le lien
juridique qui constitue le mariage n'a jamais été concrétisé, puisque les
époux n'ont pas consommé leur union et n'ont pas eu, à proprement parler, de
vie commune.

3.1  Les juges cantonaux ont considéré qu'en application de l'art. 115 CC, on
ne peut obliger un conjoint à supporter un lien juridique qui n'a pas existé
dans les faits, ne serait-ce qu'une courte période. Selon eux, lorsqu'en
raison d'un événement ne dépendant pas des époux (événement "extrinsèque"),
la vie commune n'a pas commencé, le constat de l'échec du mariage s'impose et
n'a pas à être prouvé par le biais de l'art. 114 CC. Il s'agit d'une
circonstance extraordinaire justifiant l'application de l'art. 115 CC.

3.2  Le défendeur soutient que l'autorité cantonale a violé le droit fédéral
en prononçant le divorce sur requête de la demanderesse avant l'expiration du
délai de quatre ans prévu par l'art. 114 CC. Selon lui, il n'existe en effet
aucune raison sérieuse rendant la continuation du mariage insupportable pour
la demanderesse et les motifs allégués par cette dernière lui sont
exclusivement imputables; en particulier, l'absence de concrétisation du
mariage ne justifie pas l'application de l'art. 115 CC, d'autant que la
demanderesse est responsable de cette situation.

La demanderesse réplique qu'on ne saurait lui reprocher d'être à l'origine de
l'absence d'une véritable union conjugale. A défaut de toute vie commune, les
juges cantonaux ne pouvaient qu'être convaincus de l'échec du mariage. Ils
ont donc appliqué à bon escient l'art. 115 CC pour prononcer le divorce; en
outre, la question se poserait de savoir s'il est opportun d'obliger la
demanderesse à déposer une nouvelle demande selon l'art. 114 CC, alors que le
délai de séparation de quatre ans serait aujourd'hui écoulé.

4.
4.1 Bien que, selon les constatations de l'arrêt attaqué (art. 63 al. 2 OJ),
les parties ont fait un mariage d'amour, leur situation s'apparente dans une
certaine mesure à celle des mariages apparents, dans lesquels il n'y a en
principe pas de véritable vie conjugale.

Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, il ne suffit pas d'invoquer un
mariage apparent, vide de sens, pour obtenir le divorce selon l'art. 115 CC;
la partie demanderesse doit établir qu'elle a été trompée sur les intentions
de son conjoint concernant la création d'une communauté conjugale, de sorte
qu'elle ressent comme insupportable la perpétuation du mariage jusqu'à
l'écoulement du délai d'attente de quatre ans (cf. ATF 127 III 342 consid. 3
et 347 consid. 2a p. 349).

Dans le même esprit, contrairement à l'avis de l'autorité cantonale, le
simple fait qu'un mariage n'a pas été concrétisé ne suffit pas à constituer
un motif sérieux au sens de l'art. 115 CC. Encore faut-il que la continuation
du lien juridique matrimonial - seul visé par cette disposition - ne puisse
raisonnablement être exigée de l'époux demandeur d'un point de vue spirituel
et émotionnel. Or, en l'espèce, la demanderesse ne l'a pas prétendu.
L'eût-elle fait, de manière à convaincre la Cour de céans, que l'art. 115 CC
n'aurait de toute manière pas trouvé à s'appliquer. En effet, cette
disposition exige au surplus que le motif sérieux justifiant le divorce ne
soit pas imputable à celui qui l'invoque. Dans le cas présent, contrairement
à ce qu'a retenu l'autorité cantonale, l'absence de concrétisation du mariage
ne résulte pas exclusivement de faits objectifs pour lesquels l'épouse ne
porterait aucune responsabilité. En effet, selon les faits constatés dans
l'arrêt entrepris, même si son père l'a apparemment influencée, la
demanderesse a dès la cérémonie du mariage décidé avec son mari de ne pas
faire ménage commun. Deux tiers de la période de six mois - entre le moment
du mariage et celui de la demande en divorce - durant laquelle il n'y a pas
eu de vie commune s'explique par ce choix du couple. C'est aussi
volontairement dans un premier temps que les époux n'ont pas consommé leur
union. Il ne ressort pas des faits retenus dans l'arrêt attaqué que l'absence
de relations intimes résulte de la rumeur qui a couru au sujet du défendeur à
la fin juillet 1998, comme l'a soutenu la demanderesse. Par la suite, c'est
sur la base d'allégations concernant son mari qui se sont révélées infondées,
puis en raison de ses relations avec un tiers, que la demanderesse n'a plus
souhaité concrétiser son mariage. Dans ces conditions, cette dernière ne
saurait se prévaloir de la jurisprudence selon laquelle on ne peut imposer le
maintien d'un mariage qui n'est plus effectif au conjoint auquel on ne peut
reprocher les motifs de la rupture du lien conjugal (ATF 127 III 129 consid.
3b p. 133-134).

4.2  Comme l'a jugé l'autorité cantonale, il faut également admettre que le
simple fait de vouloir se remarier avant l'échéance du délai de quatre ans ne
peut constituer un motif sérieux au sens de l'art. 115 CC (ATF 127 III 342
consid. 3c p. 346-347). Il en va de même du motif pris de l'impact qu'aurait
eu sur la demanderesse le fait d'apprendre que son époux aurait précédemment
vécu en concubinage et qu'un enfant serait né de cette union. Selon
l'appréciation de l'autorité cantonale, cette accusation n'a pas eu sur la
demanderesse des effets tels que, sur le plan affectif, la perpétuation du
lien juridique matrimonial ne pouvait objectivement être exigée d'elle: d'une
part, la rumeur s'est révélée infondée; d'autre part, la demanderesse vivant
actuellement elle-même en concubinage, il ne semble pas que son éducation et
sa culture lui aient rendu psychologiquement inacceptables ces révélations,
même injustifiées.

4.3  Enfin, l'argument de la demanderesse, tiré de l'écoulement du délai
d'attente de quatre ans, ne peut être retenu. En effet, selon les
constatations de fait de l'autorité cantonale, qui lient le Tribunal fédéral
(art. 63 al. 2 OJ), la demanderesse a ouvert action en nullité du mariage,
subsidiairement en divorce, le 7 octobre 1998 seulement. Quand bien même le
délai serait échu, cette objection ne pourrait être admise, puisque, comme la
Cour de céans l'a rappelé récemment, en cas de rejet d'une action fondée sur
l'art. 115 CC, il appartient au conjoint débouté de déposer une nouvelle
demande sur la base de l'art. 114 CC. C'est par rapport au "début de la
litispendance" de cette demande que doit être calculé le délai de quatre ans
(cf. arrêt 5C.221/2001 du 20 février 2002, consid. 4b).

5.
En conclusion, le recours doit être admis et l'arrêt entrepris réformé en ce
sens que la demande en divorce est rejetée.

La cause sera renvoyée à l'autorité cantonale pour nouvelle décision sur les
frais et dépens de la procédure cantonale (art. 159 al. 6 OJ).

Il y a lieu d'accorder à la demanderesse le bénéfice de l'assistance
judiciaire (art. 152 al. 1 OJ). Cela ne la dispense pas pour autant de verser
des dépens à la partie adverse, qui l'emporte (ATF 122 I 322 consid. 2c).

Puisqu'elle succombe, la demanderesse supportera les frais judiciaires (art.
156 al. 1 OJ), lesquels seront provisoirement pris en charge par la Caisse du
Tribunal fédéral.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est admis et l'arrêt entrepris est réformé en ce sens que la
demande en divorce est rejetée.

2.
La cause est renvoyée à l'autorité cantonale pour nouvelle décision sur les
frais et dépens de la procédure cantonale.

3.
La requête d'assistance judiciaire de la demanderesse est admise et Me
Laurent Gilliard, avocat à Yverdon-les-Bains, lui est désigné comme avocat
d'office.

4.
Un émolument judiciaire de 2'000 fr. est mis à la charge de la demanderesse,
mais il est provisoirement supporté par la Caisse du Tribunal fédéral.

5.
La demanderesse versera au défendeur une indemnité de 2'000 fr. à titre de
dépens.

6.
La Caisse du Tribunal fédéral versera au mandataire de la demanderesse une
indemnité de 1'000 fr. à titre d'honoraires d'avocat d'office.

7.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux parties et à la Chambre des
recours du Tribunal cantonal du canton de Vaud.

Lausanne, le 14 mai 2002

Au nom de la IIe Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président: La greffière: