Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

II. Zivilabteilung 5C.134/2002
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5C.134/2002 /RrF

Arrêt du 17 septembre 2002
IIe Cour civile

Les juges fédéraux Bianchi, président,
Escher, Hohl.
greffière Heegaard-Schroeter.

S. ________,
demandeur et recourant, représenté par Me Yvan Jeanneret, avocat, rue du
Conseil-Général 18, 1205 Genève,

contre

X.________ SA,
défenderesse et intimée, représentée par Me Douglas Hornung, avocat, rue du
Rhône 84, case postale 3200, 1211 Genève 3.

Contrat d'assurance; art. 18 CO, art. 33 LCA.

Recours en réforme contre l'arrêt de la Chambre civile de la Cour de justice
du canton de Genève du 19 avril 2002.

Faits:

A.
Le 22 mai 1996, S.________ a acquis une voiture de marque Ferrari pour le
prix de 210'000 fr.

Après un premier refus, la compagnie d'assurance Y.________ SA, devenue par
la suite X.________ SA (ci-après: "X.________"), a accepté de conclure une
assurance responsabilité civile et casco pour ledit véhicule. S.________ a
alors notamment reçu et signé un document d'une page, intitulé "Conditions
particu-lières (CPA) No. 200", qui comportait des dérogations aux conditions
générales (CGA) et aux conditions complémentaires (CCA) et, s'agissant de
l'assurance casco, prévoyait notamment que:
"(...) Dans tous les cas de non-utilisation du véhicule, celui-ci doit être
fermé à clé; si la non-utilisation est d'une durée supérieure à 12 heures, il
doit être stationné dans un local fermé ou surveillé. De plus, lorsque le
véhicule se trouve à l'étranger, il doit impérativement être stationné
pendant la nuit dans un local fermé ou surveillé.
A défaut de telles précautions, aucune prestation n'est due par la
compagnie".
A la fin avril 1999, S.________ s'est rendu à Bruxelles au volant de sa
Ferrari, afin d'y rendre visite à sa fille. Le 27 avril 1999, vers 23h30, il
a garé sa voiture devant la villa de celle-ci, sur une place de parc
extérieure privée, située sur la parcelle et ouverte sur la voie publique, à
savoir une route sans issue permettant d'accéder à la propriété. Il a déclaré
avoir alors enclenché les deux systèmes d'alarme dont le véhicule était
équipé.

La maison en question est située dans un quartier résidentiel de la
périphérie de Bruxelles. Si la place de parc extérieure n'est que peu visible
de la rue principale sur laquelle débouche l'impasse, elle l'est en revanche
parfaitement lorsqu'on s'engage dans celle-ci.

Durant la nuit du 27 au 28 avril 1999, S.________ a été réveillé par un
inconnu, qui s'était introduit dans la maison. Sous la menace d'une arme de
poing, il a laissé cette personne s'emparer des clés de son véhicule ainsi
que de son portefeuille.

La Ferrari a été retrouvée endommagée le 7 octobre 1999, dans la région
d'Anvers. Elle a été rapatriée en Suisse, où les frais de réparation ont été
estimés à 41'240 fr. 10 par l'expert de la compagnie d'assurance.

X. ________ a refusé d'indemniser S.________ en se prévalant de la clause
d'exclusion des "conditions particulières" relatives au stationnement de nuit
du véhicule à l'étranger, plus précisément du fait que le véhicule n'avait
pas été parqué dans un "local fermé ou surveillé".

B.
Le 21 septembre 2000, S.________ a introduit devant le Tribunal de première
instance du canton de Genève une demande en paiement de 43'465 fr. 10 à
l'encontre de la compagnie d'assurance.

Par jugement du 10 mai 2001, le Tribunal de première instance a condamné la
défenderesse à payer la somme de 41'240 fr. 10, avec intérêts à 5 % l'an dès
le 28 avril 1999.

Le 19 avril 2002, sur appel de X.________, la Cour de justice du canton de
Genève a annulé cette décision et débouté le demandeur de ses conclusions.

C.
Agissant par la voie du recours en réforme, S.________ conclut à l'annulation
de cet arrêt et à la condamnation de X.________ au paiement de 41'240 fr. 10,
avec intérêts à 5 % l'an dès le 28 avril 1999.

La défenderesse n'a pas été invitée à répondre.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Statuant sur une prétention déduite d'un contrat d'assurance privée soumis à
la loi fédérale sur le contrat d'assurance (LCA), l'arrêt attaqué tranche une
contestation civile portant sur des droits de nature pécuniaire dont la
valeur litigieuse dépasse 8'000 fr.; il constitue une décision finale prise
par le tribunal suprême du canton de Genève qui ne peut être l'objet d'un
recours ordinaire de droit cantonal. Formé en temps utile, le recours est
donc recevable au regard des art. 46, 48 al. 1 et 54 al. 1 OJ.

2.
Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral fonde son arrêt sur les
faits contenus dans la décision entreprise, à moins que des dispositions
fédérales en matière de preuve n'aient été violées, qu'il n'y ait lieu à
rectification de constatations reposant sur une inadvertance manifeste (art.
63 al. 2 OJ) ou qu'il ne faille compléter les constatations de l'autorité
cantonale parce que celle-ci n'a pas tenu compte de faits pertinents
régulièrement allégués et prouvés (art. 64 OJ; ATF 127 III 248 consid. 2c;
126 III 59 consid. 2a). Au surplus, il ne peut être présenté de griefs contre
les constatations de fait, ni de faits ou de moyens de preuve nouveaux (art.
55 al. 1 let. c OJ).

Dans la mesure où un recourant présente un état de fait qui s'écarte de celui
contenu dans l'arrêt attaqué, sans se prévaloir avec précision de l'une des
exceptions susmentionnées, ses moyens sont irrecevables (ATF 127 III 248
consid. 2c). Ainsi en va-t-il en l'espèce des affirmations du demandeur selon
lesquelles les bandits l'auraient suivi, de sorte qu'il serait "patent que le
vol aurait eu lieu rigoureusement de la même manière, même si la Ferrari
avait été parquée dans un box".

3.
Le demandeur reproche d'abord à la Cour de justice d'avoir violé les art. 18
CO  et 33 LCA en se limitant au sens a priori clair de la clause d'exclusion,
sans rechercher le sens de l'accord conclu au-delà du texte.

3.1  Aux termes de l'art. 33 LCA, lequel est applicable en matière
d'assurance contre les dommages, dont l'assurance casco, "sauf disposition
contraire de la présente loi, l'assureur répond de tous les événements qui
présentent le caractère du risque contre les conséquences duquel l'assurance
a été conclue, à moins que le contrat n'exclue certains événements d'une
manière précise, non équivoque".

Les principes généraux de l'interprétation des contrats s'appliquent au
contrat d'assurance, autant que la loi spéciale ne contient pas de
dispositions particulières: l'art. 100 al. 1 LCA renvoie au droit des
obligations et, partant, au code civil (cf. ATF 118 II 342 consid. 1a p.
344). Lorsqu'il s'agit de déterminer le contenu d'un contrat d'assurance et
des conditions générales qui en font partie intégrante, le juge doit donc,
comme pour tout autre contrat, recourir en premier lieu à l'interprétation
dite subjective, c'est-à-dire rechercher la "réelle et commune intention des
parties", le cas échéant empiriquement, sur la base d'indices (art. 18 al. 1
CO). S'il ne parvient pas à établir avec sûreté cette volonté effective, ou
s'il constate que l'un des contractants n'a pas compris la volonté réelle
exprimée par l'autre, il recherchera le sens que les parties pouvaient et
devaient donner, selon les règles de la bonne foi, à leurs manifestations de
volonté réciproques (application du principe de la confiance; ATF 122 III 118
consid. 2a; 118 II 342 consid. 1a p. 344-345; 112 II 245 consid. II/1c p.
253-254). Ce faisant, le juge doit partir de la lettre du contrat et tenir
compte des circonstances qui ont entouré sa conclusion (ATF 127 III 444
consid. 1b; 125 III 305 consid. 2b p. 308; 115 II 264 consid. 5a p. 268).
Selon la jurispru-dence, il convient de ne pas attacher une importance
décisive au sens des mots, même clairs, utilisés par les parties (abandon de
la "Eindeutigkeitsregel"). ll ressort de l'art. 18 al. 1 CO qu'on ne peut
ériger en principe qu'en présence d'un texte clair, on doit exclure d'emblée
le recours à d'autres moyens d'interpré-tation; même si la teneur d'une
clause contractuelle paraît claire et indiscutable à première vue, il peut
résulter du but poursuivi par les parties ou d'autres circonstances que la
lettre ne restitue pas exactement le sens de l'accord conclu (ATF 128 III 212
consid. 2b/bb p. 215, consid. 3c p. 221; arrêt 5C.305/2001 du 28 février
2002, consid. 4b; ATF 127 III 444 consid. 1b; 125 III 305 consid. 2b p.
308-309; arrêt 4C.436/1997 du 9 juillet 1998, consid. 2; arrêt 4C.24/1997 du
2 mars 1998, consid. 1c; C. Chappuis, Note à propos des ATF 127 III 318 et
127 III 444: l'interprétation d'un texte clair, in SJ 2002 I p. 155).
Finalement, et de façon subsidiaire, lorsqu'il subsiste un doute sur leur
sens, les dispositions exclusivement rédigées par l'assureur, ainsi les
conditions générales pré-formulées, sont à interpréter en défaveur de leur
auteur, conformément à la règle des clauses ambiguës ("in dubio contra
stipulatorem"; "Unklarheitsregel") (ATF 122 III 118 consid. 2a; 119 II 368
consid. 4b p. 373;118 II 342 consid. 1a p. 344); l'art. 33 in fine LCA, qui
prévoit que les clauses d'exclusion ne sont opposables à l'assuré que si
elles sont rédigées de façon précise et non équivoque, en est une
concrétisation (ATF 115 II 264 consid. 5a p. 269). Selon la jurisprudence et
la doctrine, pour que cette règle trouve à s'appliquer, il ne suffit pas que
les parties soient en litige sur la signification à donner à une déclaration;
encore faut-il que celle-ci puisse être comprise de différentes façons
("zweideutig") et qu'il soit impossible de lever autrement le doute créé,
faute d'autres moyens d'interprétation (ATF 122 III 118 consid. 2d; 118 II
342 consid. 1a p. 344; 100 II 144 consid. 4c p. 153; 99 II 290 consid. 5 p.
292).

Alors que le Tribunal fédéral est lié par les constatations de la juridiction
cantonale relatives à la volonté réelle des parties, il peut examiner
librement l'interprétation objective ("normative") du contrat, puisqu'il
s'agit d'une question de droit (ATF 126 III 25 consid. 3c, 59 consid. 5b p.
68, 375 consid. 2e/aa p. 379; 125 III 305 consid. 2b p. 308; 123 III 165
consid. 3a).

3.2
3.2.1 Dans le cadre de l'interprétation objective à laquelle elle a procédé,
la Cour de justice a considéré que le texte de la clause restrictive de
couverture était clair; elle a en particulier jugé que l'expression "local
fermé ou surveillé"  signifiait sans équivoque que la compagnie d'assurance
avait voulu limiter le risque couvert aux cas dans lesquels l'assuré avait
pris, outre la précaution minimale consistant à fermer sa voiture à clef, des
mesures visant à augmenter la sécurité, non pas directement du véhicule
lui-même, mais de l'endroit où celui-ci stationnait. Par conséquent, le fait
que le demandeur n'avait pas garé sa voiture dans un local suffisait à
justifier en l'espèce le refus d'indemnisation de la compagnie d'assurance.
L'autorité cantonale a en outre relevé qu'il importait peu que les clefs du
véhicule aient été simplement dérobées ou remises sous la contrainte.

3.2.2  Selon le demandeur, la Cour de justice ne pouvait s'en tenir au sens a
priori clair des mots utilisés dans la clause d'exclusion; elle aurait dû
rechercher le sens de l'accord conclu au-delà de la lettre, à la lumière de
l'acte particulier dont il a été la victime, à savoir un "home jacking". La
seule cause du vol de la Ferrari serait en effet la contrainte exercée sur
lui pour s'emparer des clefs donnant la maîtrise du véhicule; le vol aurait
eu lieu de la même façon si celui-ci avait été garé dans un "local fermé ou
surveillé". Dès lors, si elle avait interprété la clause restrictive de
couverture de façon logique et selon l'équité, l'autorité cantonale serait
parvenue à la conclusion que celle-ci n'envisageait que le vol avec
effraction sur le véhicule, et non, comme dans le cas particulier, le vol
perpétré à la suite d'une contrainte exercée sur l'ayant droit. En
contradiction avec ce dernier argument, le demandeur soutient ensuite que la
clause d'exclusion s'applique, mais que, interprétée selon le principe de la
confiance, elle signifie, dans l'hypothèse d'un "home jacking", que
l'exigence du stationnement de nuit à l'étranger dans un "local fermé ou
surveillé" correspond à la prise de mesures de sécurité adéquates ou
équivalentes, ainsi, comme en l'espèce, le fait d'avoir fermé à clef la
voiture, de l'avoir pourvue d'un système anti-vol et garée dans un endroit
peu visible. Enfin, le demandeur invoque, en défaveur de la compagnie
d'assurance, l'application de la règle "in dubio contra stipulatorem".

3.3  Comme le demandeur le reconnaît, la clause d'exclusion litigieuse est
claire. Les termes utilisés sont d'expression courante et parfaitement
compréhensibles. Le mot "local" est explicite et ne peut signifier autre
chose qu'une "pièce, une partie de bâtiment à destination déterminée" (cf.
Dictionnaire Le Petit Robert 1), ce que n'était en l'occurrence pas la place
de parc extérieure sur laquelle le demandeur avait garé sa voiture. Les
termes "fermé ou surveillé" sont également assez clairs. Il ne ressort pas
des autres conditions du contrat, ni des circonstances qui ont entouré sa
conclusion, que le texte de la clause ne restitue pas le véritable sens de
l'accord conclu. Au contraire, le fait que la défenderesse n'ait accepté
d'assurer la Ferrari que sur l'insistance du demandeur, après un premier
refus, permet de penser que la clause d'exclusion doit être comprise selon
son sens littéral. En outre, au regard du but poursuivi par la clause, qui
vise non seulement à créer un obstacle physique contre les voleurs potentiels
et ainsi à leur compliquer la tâche, mais également à mettre le véhicule à
l'abri des regards et donc de la convoitise, afin de limiter les actes
d'agression du type de celui dont le demandeur a été la victime, l'exigence
d'un "local fermé ou surveillé" ne peut de bonne foi signifier autre chose
que ce que ces mots expriment. Il en résulte que le seul fait que le véhicule
n'ait pas été garé dans un tel local suffit à fonder l'application de la
clause d'exclusion.

Enfin, puisque la clause litigieuse est dépourvue d'ambiguïté, elle ne laisse
pas place à l'application de la règle complémentaire d'interprétation "in
dubio contra stipulatorem", comme le voudrait le demandeur. Au contraire,
elle répond aux conditions posées par l'art. 33 in fine LCA.

4.
Le demandeur prétend ensuite qu'en omettant d'examiner le caractère insolite
de la clause d'exclusion, la Cour de justice a violé le droit fédéral.

Sous le couvert d'une référence aux principes relatifs aux clauses insolites,
le demandeur s'en prend en réalité à nouveau à l'interprétation objective de
la clause litigieuse à laquelle l'autorité cantonale a procédé; il ne
soutient d'ailleurs pas que cette clause ne lui serait pas opposable. Se
bornant à exposer la règle de l'insolite ("Ungewöhnlichkeitsregel") fondée
sur le principe de la confiance, il ne prétend pas que les conditions posées
par la jurisprudence pour son application sont en l'espèce satisfaites; il ne
s'efforce pas davantage de démontrer en quoi l'art. 8 LCD, auquel il se
réfère en tête de son recours, puis incidemment dans sa motivation, a été
violé. Ses développements juridiques abstraits ne sauraient constituer un
grief motivé au sens de l'art. 55 al. 1 let. c OJ (cf. ATF 116 II 749 consid.
3; 106 II 175 p. 176). Partant, ils sont irrecevables.

5.
En conclusion, le recours doit être rejeté, dans la mesure où il est
recevable, et l'arrêt entrepris confirmé. Le demandeur, qui succombe,
supportera les frais judiciaires (art. 156 al. 1 OJ). Il n'y a pas lieu
d'allouer de dépens à la défenderesse, qui n'a pas été invitée à se
déterminer sur le recours.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable et l'arrêt attaqué
est confirmé.

2.
Un émolument judiciaire de 4'000 fr. est mis à la charge du recourant.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la
Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève.

Lausanne, le 17 septembre 2002

Au nom de la IIe Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président: La greffière: