Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilabteilung 4P.158/2002
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4P.158/2002 /ech

Arrêt du 16 août 2002
Ire Cour civile

Les juges fédéraux Klett, juge présidant, Nyffeler et Favre,  greffier
Carruzzo.

A.________,
recourante,

contre

Présidente de la Cour de justice civile du canton de Genève, Assistance
juridique, place du Bourg-de-Four 1, case postale 3108, 1211 Genève 3.

arbitraire; assistance judiciaire

(recours de droit public contre la décision de la Présidente de la Cour de
justice civile du canton de Genève du 27 mai 2002)

Faits:

A.
A. ________, âgée de 56 ans, vivant seule, est au chômage depuis le 9 mars
2002 et reçoit de la Caisse cantonale genevoise de chômage des indemnités
mensuelles de 3150 fr. Elle est titulaire d'un compte d'investissement auprès
de X.________, dont le solde en sa faveur, au 31 mai 2002, s'élevait à 33 755
fr.50. Depuis longtemps, elle avait décidé de faire deux donations de 7500
fr. chacune à sa mère et à sa soeur, qui habitent en communauté domestique à
Marseille, dans des conditions très modestes, et qui doivent exposer des
frais médicaux d'oto-rhino-laryngologue, de dentiste et d'opticien. Le 27
juin 2002, A.________ a envoyé à ses deux parentes deux fois 7500 fr., dont
la contre-valeur  est de 5012,70 €.

B.
A.________, qui a travaillé près d'un an chez Y.________ S.A., reproche à
cette société un licenciement abusif et la violation de l'art. 328 CO dans ce
sens que l'employeur ne l'aurait pas protégée du harcèlement psychologique et
moral auquel se seraient livrés des cadres et des collègues de cette
entreprise. Elle plaide actuellement comme intimée devant la Chambre d'appel
des prud'hommes, pour une valeur litigieuse que le dossier ne précise pas, et
elle a sollicité l'assistance juridique civile complète le 8 avril 2002. Par
décision du 11 avril 2002, la Présidente du Tribunal de première instance a
écarté la demande au motif que les avoirs bancaires de la requérante,
totalisant 33 755 fr.50, étaient nettement supérieurs à la réserve de secours
généralement admise. Par décision du 27 mai 2002, la Présidente de la Cour de
justice a rejeté le recours introduit contre ce prononcé, en considérant que
A.________ n'avait pas encore versé les 15 000 fr. à sa mère et à sa soeur et
qu'elle disposait d'avoirs bancaires de plus de 30 000 fr.

C.
A.________ demande au Tribunal fédéral que l'assistance juridique complète
gratuite lui soit accordée.

L'autorité cantonale se réfère à sa décision.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des recours
qui lui sont soumis (ATF 128 II 13 consid. 1a, 46 consid. 2a; 128 IV 137
consid. 2 p. 139 et les arrêts cités).

1.1 Le refus de l'assistance judiciaire est une décision incidente qui cause
un dommage irréparable. Dès lors, le recours de droit public est
immédiatement ouvert contre une telle décision (art. 87 al. 2 OJ; ATF 125 I
161 consid. 1 et les références).

1.2 Selon l'art. 90 al. 1 let. b OJ, le recours de droit public doit contenir
un exposé succinct des faits essentiels et l'indication résumée des droits
constitutionnels, respectivement des principes juridiques violés par la
décision attaquée, en précisant la portée de cette violation. Le Tribunal
fédéral n'examine que les griefs invoqués et suffisamment motivés dans l'acte
de recours. Il n'entre pas en matière sur des moyens articulés de façon
lacunaire ou lorsque le recourant se borne à une critique de nature
appellatoire (ATF 125 I 492 consid. 1b p. 495 et les arrêts cités; cf.
également ATF 128 III 50 consid. 1c; 127 I 38 consid. 3c; 127 III 279 consid.
1c). Ces principes valent aussi lorsque le recours est intenté par une
personne qui ne dispose pas d'une formation juridique. Ils peuvent toutefois
être assouplis dans ce cas, pour autant que le Tribunal fédéral puisse
déduire de la motivation, même brève et maladroite, le grief d'atteinte à un
droit ou à un principe constitutionnel (ATF 115 Ia 12 consid. 2b p. 14).

1.3 En l'espèce, la recourante, dont la profession était "secrétaire
juridique", reprend devant le Tribunal fédéral l'ensemble des moyens qu'elle
avait développés en première instance et dans son recours cantonal, en
détaillant sa situation patrimoniale et celles de sa mère et de sa soeur, en
donnant quelques informations sur la procédure l'opposant à son ex-employeur
et en évoquant les difficultés qu'elle a rencontrées du fait du comportement
des organes ou employés de ce dernier. Concernant plus particulièrement la
décision de la Présidente de la Cour de justice, la recourante relève que
cette dernière savait qu'elle ne pouvait faire son versement de 15 000 fr. à
ses parentes qu'à la fin du mois de juin 2002; elle conclut, en conséquence,
à ce que l'erreur commise par inadvertance par l'autorité cantonale soit
réparée et que l'assistance juridique complète gratuite lui soit accordée. En
cela, la recourante soulève à nouveau la question de l'octroi de l'assistance
juridique, sans mettre en évidence la violation d'un droit constitutionnel et
sans se plaindre d'une interprétation ou d'une application arbitraire du
droit cantonal déterminant, soit le règlement sur l'assistance juridique du
canton de Genève, du 18 mars 1996. En demandant la rectification de la
décision dans le sens de l'octroi souhaité, la recourante fait grief à la
Présidente de la Cour de justice d'avoir appliqué de manière erronée le
règlement cantonal, sans faire valoir une grossière violation de la loi,
assimilable à un comportement arbitraire de l'autorité cantonale. Dans ces
conditions, la recevabilité du recours de droit public est douteuse; elle
sera néanmoins  admise dans la mesure où l'on peut considérer que la
recourante invoque implicitement la garantie subsidiaire de l'art. 29 al. 3
Cst.

2.
2.1 Selon cette norme constitutionnelle, toute personne qui ne dispose pas de
ressources suffisantes a droit, à moins que sa cause paraisse dépourvue de
toute chance de succès, à l'assistance judiciaire gratuite. Elle a en outre
droit à l'assistance gratuite d'un défenseur, dans la mesure où la sauvegarde
de ses droits le requiert. Une personne se trouve dans l'indigence
lorsqu'elle ne bénéficie pas des moyens lui permettant d'assumer les frais de
procédure prévisibles, sans porter atteinte à son minimum vital ou à celui de
sa famille (ATF 127 I 202 consid. 3b p. 205 et les arrêts cités).

2.2 Il est constant que la recourante perçoit de la Caisse de chômage des
indemnités mensuelles d'un montant de 3150 fr., couvrant ses besoins de
personne vivant seule. De plus, pour déterminer l'indigence du requérant de
l'assistance judiciaire, il faut également tenir compte de sa fortune,
mobilière et immobilière. En effet, celui-ci doit mettre à contribution son
patrimoine, avant d'exiger de l'Etat l'assistance judiciaire (ATF 119 Ia 11
consid. 5 p. 12). Encore faut-il que le requérant puisse disposer réellement
de sa fortune au moment du dépôt de sa requête d'assistance judiciaire et non
seulement une fois le procès au fond terminé (Piermarco Zen-Ruffinen, art. 4
Cst. féd.: Le point sur l'évolution de la jurisprudence du Tribunal fédéral
en matière d'assistance judiciaire, in: Etudes en l'honneur de Jean-François
Aubert, Bâle 1996, p. 695). L'Etat ne peut toutefois exiger que le requérant
utilise ses économies, si elles constituent sa "réserve de secours" (Joël
Krieger, Quelques considérations relatives à l'assistance judiciaire en
matière civile, in: L'avocat moderne, Bâle 1998, p. 83). La "réserve de
secours" fixe ainsi une limite inférieure en-dessous de laquelle la fortune
ne peut pas être prise en considération pour l'octroi éventuel de
l'assistance judiciaire. Dans tous les cas, un certain rapport doit être
trouvé entre la fortune considérée et les frais prévisibles de la procédure
(Christian Favre, L'assistance judiciaire gratuite en droit suisse, thèse
Lausanne 1989, p. 51/52).

La détermination de la "réserve de secours", pour une personne seule, dépend
de l'appréciation des circonstances concrètes du cas et varie, selon la
jurisprudence, de 20 000 fr. à 40 000 fr. environ (arrêt non publié du
Tribunal fédéral des assurances du 26 avril 2001, X. c. Bureau de
l'assistance judiciaire du canton de Vaud, consid. 4c), et peut dans certains
cas atteindre un montant légèrement supérieur (Christian Favre, op. cit., p.
51). Enfin, la personne qui sollicite l'assistance judiciaire ne doit pas se
démunir d'éléments de son patrimoine avant ou pendant la procédure d'octroi
éventuel de cette assistance (arrêt 4P.273/2001 du 5 février 2002, consid.
2b).

2.3 Dans le cas particulier, la titularité d'un compte d'investissement
présentant un solde actif de 33 755 fr.50 au 31 mai 2002 n'est pas contestée.
L'intention de la recourante de faire deux donations de 7500 fr. chacune à sa
mère, respectivement à sa soeur, était connue de l'autorité cantonale, qui a
relevé que l'acte de disposition n'était pas intervenu au moment où elle a
statué, le 27 mai 2002. En réalité, les virements postaux ont été effectués
par la recourante le jour même où elle déposait son recours auprès du
Tribunal fédéral, soit le 27 juin 2002.

La valeur litigieuse de la procédure engagée devant le Tribunal des
prud'hommes et la Chambre d'appel, où la recourante a la position d'intimée,
ne ressort ni du dossier ni du recours. Toutefois, selon le droit genevois,
la procédure est gratuite pour les parties sans égard à la valeur litigieuse,
sauf dispositions contraires de la loi, non pertinentes en l'espèce, et sous
réserve de l'hypothèse dans laquelle une partie plaiderait de manière
téméraire (art. 76 al. 1 de la loi genevoise sur la juridiction des
prud'hommes, du 25 février 1999). Il appert du recours que l'employée
conteste un licenciement qu'elle considère comme abusif, auquel cas elle
pourrait obtenir au maximum une indemnité correspondant à six mois de
salaire, en application de l'art. 337c al. 3 CO, soit au plus la somme de 28
200 fr. Quant à une éventuelle indemnité pour tort moral, dans la mesure où
le mobbing dont elle se plaint serait constaté, elle peut s'élever à
plusieurs milliers de francs (Rémy Wyler, Le droit du travail, Berne 2002, p.
238, qui cite une indemnité pour tort moral de 20 000 fr. dans un cas très
grave s'étant prolongé pendant plusieurs années, lequel n'est pas comparable
sur ce point à celui de la recourante, dont la durée d'emploi était
inférieure à un an). Il résulte de ce qui précède que la gratuité de la
procédure est assurée dans son principe, sous réserve des cas de témérité,
restrictivement admis (Staehelin, Commentaire zurichois, n. 28 ad art. 343
CO), et des frais propres à chaque partie, au nombre desquels figurent les
frais et honoraires d'avocat (ATF 115 II 30 consid. 5c et l'arrêt cité;
Staehelin, op. cit., n. 29 ad art. 343 CO).

En l'espèce, l'avocate de la recourante a réduit ses premiers honoraires,
faisant l'objet d'une note intermédiaire, de 4891 fr. à 2500 fr., pour tenir
compte des difficultés de sa cliente, qui a finalement payé 3500 fr. de ce
chef.

En considérant, le 27 mai 2002, que la recourante disposait d'avoirs
bancaires pour plus de 30 000 fr., ce qui motivait le rejet du recours et de
la requête d'assistance judiciaire, la Présidente de la Cour de justice n'a
pas violé le droit constitutionnel, sur le vu de la jurisprudence
susmentionnée relative à la "réserve de secours". De plus, la question de
savoir si l'autorité cantonale connaissait - ou non - la volonté de la
recourante de faire des donations à ses parentes n'est pas pertinente,
puisque la requérante ne pouvait se départir volontairement de ses biens, au
moment où elle entendait solliciter l'assistance juridique, voire quelque
temps auparavant. Compte tenu de sa situation et de la procédure dans
laquelle elle était engagée devant la juridiction des prud'hommes, la
recourante ne pouvait consentir des libéralités aux membres de sa famille,
équivalant à près de la moitié de ses économies, même si elle envisageait de
le faire depuis longtemps. A cet égard, il est curieux qu'elle n'ait pas
effectué ses dons à un moment plus favorable pour elle, ou qu'elle n'en ait
pas limité l'importance, vu les besoins allégués et le niveau nettement
inférieur du coût de la vie à Marseille comparativement à Genève. Enfin, le
rapport entre la somme de 33 755 fr.50 et les frais d'avocat prévisibles pour
une procédure gratuite ne présentant pas de difficultés juridiques
particulières paraît raisonnable et ne serait pas de nature à remettre en
cause cette appréciation, même s'il fallait doubler le montant de 3500 fr.
déjà payé à l'avocate. D'après l'ensemble des circonstances, la décision
attaquée ne viole pas l'art. 29 al. 3 Cst., raison pour laquelle le recours
doit être rejeté en tant qu'il est recevable.

3.
Malgré l'issue du recours, il convient de faire abstraction, à titre
exceptionnel, de l'émolument judiciaire. L'autorité intimée n'a pas droit à
des dépens en vertu de l'art. 159 al. 2 OJ. Quant à la question éventuelle de
l'assistance judiciaire devant le Tribunal fédéral, elle devient dès lors
sans objet.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours, traité comme recours de droit public, est rejeté dans la mesure
où il est recevable.

2.
Il n'est pas perçu de frais ni alloué de dépens;

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie à la recourante et à la Présidente
de la Cour de justice civile du canton de Genève.

Lausanne, le 16 août 2002

Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le juge présidant:  Le greffier: