Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilabteilung 4C.85/2002
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4C.85/2002

               Ie   C O U R   C I V I L E
              ****************************

                      10 juin 2002

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Corboz et
Favre, juges. Greffière: Mme de Montmollin.

                      _____________

              Dans la cause civile pendante
                          entre

X.________ SA, Société immobilière, défenderesse et
recourante, représentée par Me Jean-Daniel Théraulaz,
avocat à Lausanne,

                           et

A.________ et B.________, demanderesses et intimées,
représentées par Me Jean-Claude Perroud, avocat à
Lausanne;

             (art. 8 CC; légalité de l'OBLF)

        Vu les pièces du dossier d'où ressortent
                les  f a i t s  suivants:

  A.- Par contrat du 27 juin 1963, la SI X.________
SA a remis à bail à A.________ un appartement dans
un immeuble à Lausanne, dont elle est propriétaire.

  Par contrat du 8 juillet 1980, la SI X.________
SA a remis à bail à C.________ un autre appartement dans
le même immeuble. Selon un avenant du 7 juin 1988,
B.________ a repris tous les droits et obligations dé-
coulant de ce bail.

  Les parties sont en litige sur le montant du
loyer.

  B.- Par jugement du 6 mars 2001, le Tribunal des
baux du canton de Vaud a diminué le montant du loyer dû
par chacune de ces deux locataires. Il a fixé à 951 fr.
le loyer mensuel dû par A.________ dès le 1er juillet
2001, à 890 fr. le loyer mensuel dû par B.________ dès le
1er avril 1999 et à 865 fr. le loyer mensuel dû par cette
dernière dès le 1er avril 2001. Il a condamné la baille-
resse à restituer les loyers perçus en trop.

  Par arrêt du 9 janvier 2002, la Chambre des re-
cours du Tribunal cantonal vaudois a rejeté le recours
formé contre cette décision par la SI X.________ SA et a
confirmé le jugement attaqué.

  C.- La SI X.________ SA recourt en réforme au
Tribunal fédéral. Parallèlement, elle a déposé un recours
de droit public qui contient pratiquement la même argu-
mentation. Dans son recours en réforme, elle conclut à ce
que les loyers soient "valablement augmentés"; elle prend

par ailleurs diverses conclusions en constatation de
droit et en indemnisation.

  Les intimées proposent le rejet du recours.

  L'autorité cantonale se réfère aux considérants
de son arrêt.

  D.- Par arrêt de ce jour, le Tribunal fédéral a
rejeté le recours de droit public.

        C o n s i d é r a n t   e n   d r o i t :

  1.- a) Comme l'argumentation présentée dans les
deux recours est quasiment identique, l'arrêt sur le re-
cours de droit public, examiné en premier lieu conformé-
ment à l'art. 57 al. 5 OJ, détermine les questions qui
doivent encore être examinées dans le recours en réforme.

  b) Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fé-
déral doit conduire son raisonnement juridique sur la ba-
se des faits contenus dans la décision attaquée, à moins
que des dispositions fédérales en matière de preuve
n'aient été violées, qu'il n'y ait lieu à rectification
de constatations reposant sur une inadvertance manifeste
(art. 63 al. 2 OJ) ou qu'il ne faille compléter les cons-
tatations de l'autorité cantonale parce que celle-ci n'a
pas tenu compte de faits pertinents et régulièrement al-
légués (art. 64 OJ; ATF 127 III 248 consid. 2c; 126 III
59 consid. 2a). Dans la mesure où une partie recourante
présente un état de fait qui s'écarte de celui contenu
dans la décision attaquée sans se prévaloir avec préci-
sion de l'une des exceptions qui viennent d'être rappe-

lées, il n'est pas possible d'en tenir compte (ATF 127
III 248 consid. 2c).

  En l'espèce, la recourante a présenté un long
état de fait parsemé de critiques diverses, qui s'écarte
sensiblement de celui contenu dans la décision attaquée.
Dès lors que l'intéressée n'invoque pas avec précision
l'un des motifs qui permettraient exceptionnellement de
s'écarter des constatations cantonales, il n'y a pas lieu
de tenir compte de cet état de fait divergent et le rai-
sonnement doit être conduit sur la seule base des faits
retenus dans l'arrêt attaqué.

  c) Dans un recours en réforme, il ne peut être
présenté de griefs contre les constatations de fait, ni
de faits ou de moyens de preuve nouveaux (art. 55 al. 1
let. c OJ). Le recours n'est pas ouvert pour se plaindre
de l'appréciation des preuves et des constatations de
fait qui en découlent (ATF 127 III 543 consid. 2c; 126
III 189 consid. 2a; 125 III 78 consid. 3a).

  Savoir si l'une des locataires a déposé une oppo-
sition dans un bureau de poste et à quelle date cet évé-
nement se serait produit sont des questions de fait. Dans
la mesure où la recourante (p. 37s) voudrait critiquer
l'appréciation des preuves et la conviction acquise par
l'autorité cantonale, ce grief n'est pas recevable dans
un recours en réforme. Sous réserve de l'art. 43a al. 2
OJ - qui n'entre pas en considération ici -, le recours
en réforme ne peut être formé que pour violation du droit
fédéral (art. 43 al. 1 OJ). Or, le droit fédéral ne dicte
pas comment le juge doit apprécier les preuves et sur
quelles bases il peut forger sa conviction (ATF 128 III
22 consid. 2d; 127 III 248 consid. 3a, 519 consid. 2a;
122 III 223 consid. 3c). Cette question n'étant pas régie
par le droit fédéral, seul un recours de droit public

pour arbitraire, dûment motivé (art. 90 al. 1 let. b OJ),
pouvait entrer en considération.

  d) Le recours en réforme n'est pas ouvert pour se
plaindre d'une violation du droit cantonal (ATF 127 III
248 consid. 2c; 126 III 189 consid. 2a, 370 consid. 5;
125 III 305 consid. 3e).

  Les critiques de la recourante en relation avec
l'organisation judiciaire cantonale, le pouvoir d'examen
des tribunaux cantonaux et la procédure qu'ils doivent
suivre sont donc irrecevables dans un recours en réforme.

  e) Le recours n'est pas ouvert pour se plaindre
de la violation directe d'un droit constitutionnel, pour
laquelle la voie du recours de droit public est réservée
(art. 43 al. 1 seconde phrase OJ). Les droits individuels
découlant de la CEDH et de ses protocoles sont assimilés
à des droits constitutionnels des citoyens, dont la vio-
lation ne peut être invoquée que par la voie du recours
de droit public (ATF 125 III 209 consid. 2; 124 III 1
consid. 1b, 205 consid. 3b).

  Les griefs de cette nature ont donc été examinés
dans le cadre du recours de droit public déposé parallè-
lement.

  La recourante soutient que la loi fédérale est
elle-même anticonstitutionnelle; cet argument est toute-
fois impropre à démontrer une violation du droit fédéral,
puisque les tribunaux sont tenus d'appliquer les lois
fédérales (art. 191 Cst.). Le grief selon lequel la loi
fédérale serait contraire au droit international a déjà
été examiné dans le recours de droit public déposé paral-
lèlement et il peut être renvoyé aux considérants émis à
ce sujet.

  2.- a) Dans le corps de son écriture, la recou-
rante se plaint d'une violation de l'art. 8 CC.

  Pour les prétentions fondées sur le droit fédéral
(ATF 127 III 519 consid. 2a; 123 III 35 consid. 2d), cet-
te disposition répartit le fardeau de la preuve et déter-
mine, sur cette base, laquelle des parties doit assumer
les conséquences de l'échec de la preuve (ATF 127 III 519
consid. 2a; 126 III 189 consid. 2b, 315 consid. 4a).

  Selon le texte même de l'art. 8 CC, la règle
qu'il pose ne s'applique que "si la loi ne prescrit le
contraire". Il ne s'agit donc que d'une règle générale,
qui n'exclut nullement que des dispositions spéciales y
dérogent.

  L'art. 269a CO prévoit certaines hypothèses qui
permettent "en règle générale" une augmentation, respec-
tivement une diminution (art. 270a al. 1 CO) du loyer. Si
le locataire parvient à prouver les faits permettant de
constater que l'on se trouve dans l'un des cas de figure
visés à l'art. 269a CO autorisant une baisse du loyer,
c'est au bailleur qu'il incombe de prouver qu'il faut
s'écarter de la "règle générale", parce que le loyer
n'est de toute manière pas abusif selon le principe de
l'art. 269 CO. Cette répartition du fardeau de la preuve
découle de l'articulation entre les art. 269 et 269a CO.
Dès lors que le point est régi de manière spéciale par
ces dispositions, il n'est plus question d'une violation
de l'art. 8 CC.

  Par ailleurs, il n'y a pas de violation de l'art.
8 CC lorsque le juge invite une partie à collaborer à
l'établissement de la vérité en produisant une pièce
qu'elle est seule à détenir. Pour les litiges relatifs
aux baux d'habitation et de locaux commerciaux, il existe

une norme spéciale, l'art. 274d al. 3 CO, qui oblige les
parties à présenter toutes les pièces nécessaires pour
trancher le différend.

  Si un locataire établit qu'une baisse de loyer
est justifiée sur la base de l'art. 269a CO (applicable
par le renvoi de l'art. 270a al. 1 CO), il résulte de
l'articulation entre les art. 269 et 269a CO qu'il appar-
tient effectivement au bailleur de prouver que cette
baisse ne doit pas être accordée, parce que le loyer ne
lui procure pas un rendement excessif. On ne voit donc
pas en quoi le droit fédéral aurait été violé sur ce
point. Quant à la valeur probante des pièces produites,
il s'agit d'une question d'appréciation des preuves, qui
ne peut donner matière à un recours en réforme (ATF 127
III 543 consid. 2c).

  b) La recourante soutient que l'OBLF aurait dû
être écartée, parce que cette ordonnance est dépourvue de
base légale et/ou qu'elle est anticonstitutionnelle dans
sa manière de traiter les grands travaux, la prise en
compte du taux hypothécaire et du renchérissement.

  Pour les raisons déjà évoquées dans le recours de
droit public, ce grief est recevable dans le recours en
réforme.

  Il n'est pas contesté que le Conseil fédéral soit
compétent pour édicter des dispositions d'exécution en
matière de droit du bail (cf. art. 253a al. 3 CO). Il est
en soi admissible de déléguer au pouvoir exécutif le soin
de régler les détails de questions financières complexes.

  S'agissant des grands travaux, la loi prévoit
qu'il y a matière à augmentation du loyer en cas de pres-
tations supplémentaires du bailleur (art. 269a let. b

CO). Le Conseil fédéral a précisé ce qu'il faut entendre
par prestations supplémentaires du bailleur, en distin-
guant les travaux d'entretien qui doivent être couverts
par le loyer courant et les travaux qui apportent une
plus-value et justifient une augmentation de loyer (cf.
art. 14 OBLF; ATF 118 II 415 consid. 3a). Une telle ré-
glementation s'inscrit dans la logique de la loi et on ne
saurait dire qu'elle est dépourvue de base légale. Dès
lors que les frais sont pris en compte (couverts par le
loyer actuel ou par une augmentation), ce système ne vio-
le pas les principes de rang constitutionnel invoqués par
la recourante.

  L'art. 269a let. b CO prévoit la prise en compte
des hausses (ou des baisses) de coûts. Etant donné que
l'achat ou la construction de la plupart des immeubles
sont financés en partie par des prêts hypothécaires,
l'intérêt des emprunts fait partie des coûts qui incom-
bent au bailleur propriétaire. Vu qu'il se justifie de
traiter de manière semblable et sans complications exces-
sives une multitude de cas dans toute la Suisse, un cer-
tain schématisme est approprié à la question, comme en
matière fiscale. En réglementant, à l'art. 13 OBLF, les
effets sur les loyers d'une modification du coût des em-
prunts, le Conseil fédéral n'est pas sorti du cadre géné-
ral de la loi et il n'apparaît pas que cette disposition
est dépourvue de base légale. Les particularités du pro-
blème à régler imposent un certain schématisme, on l'a
dit, qui ne permet pas de tenir compte de chaque diffé-
rent cas. On ne peut cependant pas en déduire que la so-
lution retenue, qui s'applique de la même façon à tous
les bailleurs, serait constitutive d'une inégalité de
traitement ou d'une discrimination. On ne discerne donc
pas de violation d'un droit de rang constitutionnel.

  En ce qui concerne le renchérissement, aucun des
principes de rang constitutionnel invoqués par la recou-
rante ne lui garantit le droit à une indexation intégrale
des loyers. L'art. 269a let. e CO prévoit la compensation
du renchérissement "pour le capital exposé au risque".
Cette dernière réserve montre qu'il ne s'agit pas d'une
compensation intégrale. Il est notoire que la plupart des
immeubles sont financés au moins partiellement par des
emprunts, dont la valeur nominale n'est pas indexée. On
ne voit dès lors pas pourquoi le propriétaire devrait bé-
néficier nécessairement d'une indexation complète de son
revenu, alors que celui du prêteur n'est pas indexé. De
surcroît, une hausse des coûts, qui peut résulter de la
seule inflation, justifie en principe une augmentation de
loyer (art. 269a let. b CO); si l'on accordait à la fois
une pleine indexation du loyer et une augmentation du
loyer pour les hausses de coûts induites par l'inflation,
le renchérissement serait partiellement pris en compte
deux fois. La compensation partielle du renchérissement,
décidée par le Conseil fédéral à l'art. 16 OBLF, repose
donc sur des considérations défendables et ne viole pas
les principes de rang constitutionnel. Dès lors que le
législateur, en parlant du seul capital exposé au risque
(art. 269a let. e CO) avait déjà manifesté la volonté
d'opérer une restriction, le Conseil fédéral ne s'est pas
écarté de sa volonté et il n'a pas excédé les limites de
son pouvoir réglementaire.

  c) Comme le recours apparaît ainsi entièrement
infondé, la recourante ne saurait prétendre à une quel-
conque indemnisation.

  3.- Vu l'issue de la cause, les frais et dépens
seront mis à la charge de la recourante (art. 156 al. 1
et 159 al. 1 OJ).

                     Par ces motifs,

         l e   T r i b u n a l   f é d é r a l :

  1. Rejette le recours et confirme l'arrêt atta-
qué;

  2. Met un émolument judiciaire de 4 000 fr. à la
charge de la recourante;

  3. Dit que la recourante versera aux intimées,
créancières solidaires, une indemnité de 5 000 fr. à
titre de dépens;

  4. Communique le présent arrêt en copie aux man-
dataires des parties et à la Chambre des recours du Tri-
bunal cantonal du canton de Vaud.

                       __________

Lausanne, le 10 juin 2002
ECH

               Au nom de la Ie Cour civile
               du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le président,                               La greffière,