Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilabteilung 4C.72/2002
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4C.72/2002

                 Ie   C O U R   C I V I L E
                 **************************

                        22 avril 2002

Composition de la Cour: M. Walter, président, M. Corboz et
M. Favre, juges. Greffière: Mme Michellod.

                         __________

                Dans la cause civile pendante
                            entre

C.________, demanderesse et recourante, représentée par Me
Jean-Bernard Waeber, avocat à Genève,

                             et

X.________ S.A., défenderesse et intimée, représentée par Me
Alain Le Fort, avocat à Genève;

          (contrat de travail; licenciement abusif)

          Vu les pièces du dossier d'où ressortent
                  les  f a i t s  suivants:

    A.- a) X.________ S.A., a pour but d'effectuer des
études pharmacologiques pour des tiers, de gérer et de
présenter les résultats de ces études et d'exploiter des
laboratoires d'analyses médicales.

    Avant de s'adjoindre les services d'un nouveau
collaborateur, la société prend systématiquement des informa-
tions à son sujet et conclut avec lui un accord par lequel
l'intéressé s'engage à respecter la confidentialité des
informations qui lui sont communiquées à l'occasion de son
travail.

    b) Le 1er avril 1994, X.________ S.A. a engagé
C.________ en qualité de "protocol services administrator",
moyennant un salaire mensuel brut de 3'650 fr., porté à
3'700 fr. dès le quatrième mois. La rémunération brute pour
une activité à temps partiel (80%) s'est élevée en dernier
lieu à 4'040 fr. par mois, payable treize fois l'an.

    Dans le cadre de son activité professionnelle,
C.________ avait accès, par le biais du système informatique
de la société et à l'instar d'environ 280 autres collabora-
teurs, aux données figurant dans les:

     - "specifications sheets", lesquelles définissent
     les tâches confiées à la société dans chaque pro-
     gramme de recherche, les noms des partenaires impli-
     qués dans la recherche, des médecins mis en oeuvre,
     du client ayant confié le mandat, le nom de la molé-
     cule chimique du médicament, l'éventuelle comparai-
     son à opérer avec un autre médicament, la fréquence
     dans la communication des résultats des tests et
     enfin, le planning des visites des patients volon-
     taires et des prélèvements.

     - "protocoles", documents  qui indiquent la finalité
     de chaque médicament testé, qui précisent si
     X.________ S.A. intervient elle-même comme
     laboratoire et qui mentionne le planning des visites
     de patients, ainsi que les raisons pour lesquelles
     certaines catégories de patients sont exclues du
     test ou au contraire admises à y participer.

    c) C.________ faisait ménage commun en France
voisine avec B.________, qui travaillait lui-même comme
directeur informatique de X.________ S.A. Un enfant était
issu de cette relation.

    En novembre 2000, B.________ a fait part à
X.________ S.A. de sa volonté de quitter la société. Le 22 ou
23 janvier 2001, il est entré au service de la société améri-
caine Z.________, en qualité de directeur des études clini-
ques. Créée par trois anciens collaborateurs de X.________
S.A., Z.________ consacre le cinquième de ses activités à des
études pharmacologiques, à leur gestion et à la présentation
des résultats. Pour le surplus, elle exploite des laboratoi-
res au Texas.

    d) Le 25 janvier 2001, X.________ S.A. a licencié
C.________ pour le 31 mars suivant en la libérant sur le
champ de son obligation de travailler. L'employée s'est vu
proposer l'assistance d'une agence de placement en personnel.
En sus de la rémunération durant le délai de congé, la socié-
té lui a versé deux mois de salaire.

    B.- Ayant aussitôt dénoncé le caractère à ses yeux
abusif de la résiliation, C.________ a ouvert action contre
X.________ S.A. en paiement d'une indemnité de 26'260 fr.
correspondant à la moitié de son salaire annuel, sur la base
de l'art. 336a CO.

    X.________ S.A. a expliqué n'avoir aucun reproche à
formuler à l'égard de C.________ s'agissant de la qualité de
ses services. Le congé avait néanmoins été signifié à titre
préventif, dès lors que B.________ était passé au service
d'une entreprise concurrente.

    Par jugement du 18 juin 2001, le Tribunal des
prud'hommes du canton de Genève a estimé que le motif invoqué
à l'appui de la résiliation n'était pas abusif et a rejeté la
demande.

    Sur recours de C.________, la Cour d'appel de la
juridiction des prud'hommes du canton de Genève a confirmé ce
jugement.

    C.- C.________ a déposé un recours en réforme au
Tribunal fédéral. Invoquant la violation de l'art. 336 CO,
elle conclut à la réforme de l'arrêt attaqué en ce sens que
X.________ S.A. est condamnée à lui verser la somme de
26'260 fr. avec intérêts à 5% l'an dès le 31 mars 2001.

    Invitée à se déterminer, X.________ S.A. conclut au
rejet du recours.

           C o n s i d é r a n t  e n  d r o i t :

    1.- La demanderesse considère que son licenciement
est abusif au sens de l'art. 336 al. 1 let. a CO.

    a) Selon le principe posé à l'art. 335 al. 1 CO, le
contrat de travail conclu pour une durée indéterminée peut
être résilié par chacune des parties. Ce droit fondamental de
chaque cocontractant de mettre unilatéralement fin au contrat

est cependant limité par les dispositions sur le congé abusif
(art. 336 s. CO). En particulier, l'art. 336 al. 1 let. a CO
qualifie d'abusif le congé donné par une partie pour une
raison inhérente à la personnalité de l'autre partie, à moins
que cette raison n'ait un lien avec le rapport de travail ou
ne porte sur un point essentiel un préjudice grave au travail
dans l'entreprise.

    Cette disposition vise le congé discriminatoire,
fondé par exemple sur le statut familial, l'origine, la race,
la nationalité, l'âge, l'homosexualité, les antécédents judi-
ciaires, la maladie et la séropositivité (Message du Conseil
fédéral du 9 mai 1984 in: FF 1984 II 574, p. 622; ATF 127 III
86 consid. 2a et les références citées). Deux circonstances
particulières permettent cependant de justifier le congé
quand bien même il se fonde sur un motif prévu par l'art. 336
al. 1 let. a CO: le trait caractéristique de la personnalité
a un lien avec le rapport de travail ou porte sur un point
essentiel un préjudice grave au travail dans l'entreprise
(Marie-Gisèle Zoss, La résiliation abusive du contrat de
travail, Lausanne 1997, p. 158).

    Les raisons inhérentes à la personnalité englobent
toutes les caractéristiques qui servent à individualiser une
personne et qui sont dignes d'être protégées par l'ordre
juridique (Adrian Staehelin, Commentaire zurichois, art. 336
CO no 9, Zoss, op. cit., p. 161). Quant au lien avec le
rapport de travail, il peut par exemple concerner l'obliga-
tion de travailler ou le devoir de fidélité du travailleur
(Message, p. 623). Ce lien doit être clair et direct (Manfred
Rehbinder, Commentaire bernois, art. 336 CO no 3, Zoss, op.
cit., p. 174).

    Dans un arrêt rendu sous l'empire de l'ancien droit
(arrêt C.338/1984 du 20 octobre 1984), le Tribunal fédéral
avait confirmé le caractère non abusif d'un congé donné à une

employée de banque en raison de son mariage avec un ancien
collaborateur d'une agence de presse soviétique qui venait
d'être fermée sur ordre du Conseil fédéral. Le Tribunal fédé-
ral avait estimé que le risque d'une violation du secret
bancaire suffisait à justifier ce congé. Rehbinder estime que
cet arrêt ne serait plus compatible avec le droit actuel
(Rehbinder, op. cit., art. 336 CO no 3).

    b) En l'espèce, X.________ S.A. a licencié
C.________ en raison de la relation affective que cette
dernière entretenait avec B.________, ex-directeur du service
informatique de X.________ S.A. engagé par une entreprise
concurrente à un poste de haut niveau.

    On peut se demander si la cohabitation ou la rela-
tion affective qu'un employé entretient avec un tiers
constitue un élément inhérent à sa personnalité au sens de
l'art. 336 al. 1 let. a CO (cf. Zoss, op. cit., p. 173).
Cette question peut cependant rester ouverte en l'espèce
puisque ce motif présente un lien avec le rapport de travail,
plus particulièrement avec l'obligation de confidentialité de
la demanderesse. En effet, X.________ S.A. exerce une acti-
vité dans le domaine de la recherche médicale où il s'avère
essentiel de préserver le secret des informations. Elle con-
clut avec ses collaborateurs des accords de confidentialité
par lesquels elle attire leur attention sur les obligations
qui leur incombent en la matière. Avant chaque engagement,
elle cherche aussi à éviter des conflits d'intérêts poten-
tiels en prenant des informations sur ses futurs collabo-
rateurs. De son côté, C.________ avait accès, dans le cadre
de son travail, à des données sensibles sur de nouveaux
médicaments. De par la nouvelle position de son compagnon et
la concurrence acharnée régnant dans le domaine de la re-
cherche pharmaceutique, C.________ était plus exposée
qu'auparavant à commettre une violation, même involontaire,
de son obligation de confidentialité. Sa relation affective

avec B.________ présentait donc un lien direct avec son obli-
gation de confidentialité envers X.________ S.A. Peu importe
que cette société n'ait jamais eu de reproche à formuler à
l'égard de son employée et que le congé ait été donné "à
titre préventif". Il suffit, pour que le licenciement ne soit
pas abusif, que le motif du licenciement présente un lien
avec l'un des aspects du rapport de travail, ce qui est le
cas en l'espèce.

    c) La demanderesse soutient encore que le motif de
son licenciement ne portait pas, sur un point essentiel, un
préjudice grave au travail dans l'entreprise.

    Cette question peut rester ouverte dès lors que le
premier motif justificatif prévu par l'art. 336 al. 1 let. a
CO est réalisé et que le congé n'est donc pas abusif au sens
de cette disposition.

    2.- La demanderesse considère que son licenciement
est également abusif sous l'angle de l'art. 336 al. 1 let. b
CO.

    a) Selon cette disposition, le congé est abusif
lorsqu'il est donné par une partie en raison de l'exercice
par l'autre partie d'un droit constitutionnel, à moins que
l'exercice de ce droit ne viole une obligation résultant du
contrat de travail ou ne porte sur un point essentiel un
préjudice grave au travail dans l'entreprise.

    Appartiennent aux droits constitutionnels tous les
droits fondamentaux garantis par les constitutions cantona-
les, la constitution fédérale et la CEDH; le message du
Conseil fédéral cite à titre d'exemple la liberté de
croyance, l'appartenance à un parti politique et l'exercice
légal d'une activité politique (Message p. 623). La doctrine

cite encore la liberté personnelle, la liberté d'opinion, de
réunion, d'association, la liberté de la presse, la liberté
du mariage, la préparation et la signature d'une initiative,
d'un référendum ou d'une pétition, l'exercice du droit de
vote, la liberté du commerce et de l'industrie, la liberté
d'établissement et la liberté de la langue (Staehelin, op.
cit., art. 336 CO no 19, Rehbinder, op. cit., art. 336 CO no
4). Rehbinder relève toutefois que cette disposition concerne
avant tout l'exercice des droits politiques (Rehbinder, ibi-
dem).

    L'art. 336 al. 1 let. b CO constitue une exception
au principe de la liberté de résiliation qui régit la fin du
contrat de travail en droit suisse; par conséquent, la notion
d'exercice d'un droit constitutionnel doit être interprétée
restrictivement; une interprétation trop large de cette
notion rendrait la plupart des licenciements abusifs puisque
les droits constitutionnels couvrent presque tous les aspects
de la vie professionnelle et privée d'un individu.

    b) X.________ S.A. a licencié la demanderesse parce
qu'elle entretenait une relation affective avec une personne
travaillant pour une entreprise concurrente et qu'il en
résultait un risque pour la confidentialité des informations
accessibles à l'employée. La Cour d'appel considère que ce
motif tombe sous le coup de l'art. 336 al. 1 let. b CO car le
respect de la vie privée et familiale (art. 8 CEDH) figure
parmi les droits constitutionnels protégés par cette disposi-
tion. On ne distingue cependant pas quel droit constitution-
nel aurait été exercé par la demanderesse et aurait motivé
son congé. Entretenir une relation affective avec une
personne déterminée est certes protégé par l'art. 8 CEDH mais
ne constitue pas l'exercice d'un droit constitutionnel au
sens où l'entend l'art. 336 al. 1 let. b CO.

    La première condition d'application de l'art. 336
al. 1 let. b CO n'étant pas réalisée, le licenciement de la
demanderesse n'est pas abusif au sens de cette disposition.
Le recours sera par conséquent rejeté et l'arrêt attaqué
confirmé.

    3.- Comme la valeur litigieuse lors de l'ouverture
de l'action ne dépassait pas 30'000 fr., il ne sera pas perçu
d'émolument judiciaire (art. 343 al. 2 et 3 CO). En revanche,
la gratuité de la procédure n'interdit pas que la demande-
resse, qui succombe, soit condamnée à verser à la défende-
resse une indemnité à titre de dépens (art. 159 al. 1 OJ).

                       Par ces motifs

           l e   T r i b u n a l   f é d é r a l :

    1. Rejette le recours et confirme l'arrêt attaqué;

    2. Dit qu'il n'est pas perçu d'émolument judi-
ciaire;

    3. Dit que la demanderesse versera une indemnité de
2'000 fr. à la défenderesse à titre de dépens;

    4. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la Cour d'appel de la juridiction des
prud'hommes du canton de Genève.

                      _________________

Lausanne, le 22 avril 2002
ECH

                 Au nom de la Ie Cour civile
                 du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
                        Le Président,

                        La Greffière,