Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilabteilung 4C.67/2002
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4C.67/2002

                 Ie   C O U R   C I V I L E
                 **************************

                         30 mai 2002

Composition de la Cour: M. Walter, président, M. Corboz et
M. Favre, Juges.
Greffière: Mme Michellod.
                         __________

                Dans la cause civile pendante
                            entre

R.________ S.A., défenderesse et recourante, représentée par
Me Jean-Franklin Woodtli, avocat à Genève,

                             et

B.________, demandeur et intimé, représenté par Me Guy
Châtelain, avocat à Genève;

                (contrat de bail, évacuation)

          Vu les pièces du dossier d'où ressortent
                  les  f a i t s  suivants:

    A.- a) B.________ est propriétaire d'une arcade et
de deux places de parc dans un immeuble à Genève.

    Par contrat conclu le 17 avril 1998, B.________ a
remis à bail ces deux biens immobiliers à R.________ S.A.
pour une durée de cinq ans commençant le 15 avril 1998 et
prenant fin le 15 avril 2003. Le loyer annuel de ce bail
commercial se montait à 62'400 fr.

    L'art. 4 du contrat prévoyait la fourniture par
R.________ S.A. d'une garantie de 15'000 fr. à la signature
du contrat. Ce montant a été versé directement à B.________
par R.________ S.A. le 17 avril 1998; le bailleur ne l'a
toutefois porté sur un compte de dépôt au nom de la locataire
qu'en février 2001.

    b) R.________ S.A. versant irrégulièrement les
loyers dus, B.________ l'a mise en demeure, le 18 mai 2000,
de lui payer dans les 30 jours la somme de 5'200 fr. à titre
d'arriéré de loyer, précisant qu'à défaut, le bail serait ré-
silié conformément à l'art. 257d CO. Nonobstant le paiement
de cette somme le 16 juin 2000, B.________ a résilié le bail
pour le 31 juillet 2000 en invoquant l'absence de paiement du
loyer dans le délai imparti.

    Le 4 octobre 2000, le Tribunal des baux et loyers
du canton de Genève a prononcé l'évacuation de R.________
S.A. Ce jugement a été annulé le 12 mars 2001 par la Chambre
d'appel en matière de baux et loyers. Cette autorité a
considéré d'une part, que le loyer avait été payé en temps
utile et d'autre part, que la garantie de loyer versée par

R.________ S.A. devait être considérée comme des loyers payés
d'avance.

    c) Par nouvel avis comminatoire du 25 août 2000, le
bailleur a imparti un délai de 30 jours à R.________ S.A.
pour régler le loyer dû au 15 août 2000, tout en la menaçant
de résilier le bail. Vu l'absence de paiement dans ce délai,
B.________ a résilié le contrat le 5 octobre 2000 pour le 30
novembre 2000. Le 6 décembre 2000, il a saisi la Commission
de conciliation en matière de baux et loyers d'une requête en
évacuation.

    Le 14 mars 2001, le Tribunal des baux et loyers a
prononcé l'évacuation de R.________ S.A. au motif que
celle-ci n'avait pas payé le loyer dans le délai commina-
toire. Il a ajouté que le montant de 15'000 fr. remis à titre
de sûretés ne constituait pas un paiement anticipé du loyer,
même si le bailleur ne l'avait pas immédiatement déposé sur
un compte au nom de la locataire.

    En appel, R.________ S.A. a contesté avoir été en
retard dans le paiement de son loyer le 25 août 2000,
soutenant que les 15'000 fr. constituaient des loyers payés
d'avance; elle se référait sur ce point à l'arrêt de la
Chambre d'appel rendu le 12 mars 2001.

    Par arrêt du 10 décembre 2001, la Chambre d'appel
en matière de baux et loyers a confirmé le jugement d'évacua-
tion, considérant que R.________ S.A. aurait dû, pendant le
délai comminatoire, exciper de compensation si elle voulait
que la mise en demeure du 25 août 2000 ne produise pas
d'effet. La Chambre d'appel a en outre relevé que la loca-
taire avait expressément admis, dans le cadre d'une procédure
de mainlevée, n'avoir versé le loyer dû au 15 août 2000 que
le 4 octobre 2000, soit postérieurement à l'échéance du délai
comminatoire.

    B.- R.________ S.A. interjette un recours en
réforme contre l'arrêt du 10 décembre 2001. Invoquant la
violation des art. 102, 120 et 257d CO, elle conclut à son
annulation et au déboutement de B.________ de ses conclusions
en évacuation avec suite de dépens.

    Invité à déposer une réponse, B.________ conclut au
rejet du recours et à la confirmation de l'arrêt cantonal.

           C o n s i d é r a n t  e n  d r o i t :

    1.- Le recours est interjeté par la partie qui a
succombé dans ses conclusions libératoires et il est dirigé
contre un arrêt rendu par une instance cantonale supérieure.
Selon la jurisprudence, les arrêts rendus sur recours par la
Chambre d'appel en matière de baux et loyers du canton de
Genève contre des jugements d'évacuation pour défaut de paie-
ment de loyer sont considérés comme des décisions finales au
sens de l'art. 48 al. 1 OJ (arrêt 4C.413/1996, SJ 1997 538
consid. 1b).

    Les contestations portant sur l'usage d'une chose
louée sont de nature pécuniaire, de sorte qu'elles ne peuvent
être soumises au Tribunal fédéral, par la voie du recours en
réforme, que si elles atteignent la valeur litigieuse pres-
crite par l'art. 46 OJ (Jean-François Poudret, Commentaire de
l'OJ, vol. II, Berne 1990, n. 1.1 ad art. 46 OJ). Il appar-
tient au recourant de mentionner la valeur litigieuse, lors-
que le montant de la réclamation n'est pas déterminé (art. 55
al. 1 let. a OJ), faute de quoi son recours est irrecevable,
à moins que la décision attaquée ou d'autres éléments d'ap-
préciation ne permettent au Tribunal fédéral de la calculer
aisément (ATF 109 II 491).

    En cas de contestation sur la validité d'un congé,
la valeur litigieuse se calcule en fonction de la période
pendant laquelle le contrat subsiste nécessairement si la ré-
siliation n'est pas valable, et qui s'étend jusqu'au moment
pour lequel un nouveau congé peut être donné (ATF 120 II 105
consid. 2b non publié; 118 II 50 consid. 1b non publié; 111
II 384 consid. 1). En l'occurrence, la durée déterminante
pour le calcul de la valeur litigieuse ne saurait être infé-
rieure à la période de trois ans pendant laquelle l'art. 271a
al. 1 let. e ch. 1 CO consacre l'annulabilité d'une résilia-
tion consécutive à une procédure au sujet du bail, si le
bailleur a succombé dans une large mesure. En l'espèce, le
bail a été conclu pour cinq ans, soit jusqu'au 15 avril 2003.
Si le congé donné le 5 octobre 2000 n'était pas valable, le
bail durerait nécessairement jusqu'au 15 avril 2003. Le loyer
annuel se montant à 62'400 fr., la valeur litigieuse de
8'000 fr. prescrite par l'art. 46 OJ est atteinte.

    Pour le surplus, le recours a été formé en temps
utile (art. 34 al. 1 let. c et 54 al. 1 OJ) et dans les for-
mes requises (art. 55 OJ), il est donc recevable.

    2.- Le recours en réforme est ouvert pour violation
du droit fédéral (art. 43 al. 1 OJ). En revanche, il ne per-
met pas d'invoquer la violation directe d'un droit de rang
constitutionnel (art. 43 al. 1, 2e phrase OJ) ou la violation
du droit cantonal (ATF 127 III 248 consid. 2c).

    Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral
conduit son raisonnement juridique sur la base des faits
contenus dans la décision attaquée, à moins que des disposi-
tions fédérales en matière de preuve n'aient été violées,
qu'il faille rectifier des constatations reposant sur une
inadvertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou compléter les
constatations de l'autorité cantonale parce que celle-ci n'a

pas tenu compte de faits pertinents et régulièrement allégués
(art. 64 OJ).

    Dans la mesure où une partie recourante présente un
état de fait qui s'écarte de celui contenu dans la décision
attaquée, sans se prévaloir avec précision de l'une des ex-
ceptions qui viennent d'être rappelées, il n'est pas possible
d'en tenir compte. Il ne peut être présenté de griefs contre
les constatations de fait, ni de faits ou de moyens de preuve
nouveaux (art. 55 al. 1 let. c OJ). Le recours en réforme
n'est donc pas ouvert pour se plaindre de l'appréciation des
preuves et des constatations de fait qui en découlent.

    Dans son examen du recours, le Tribunal fédéral ne
peut aller au-delà des conclusions des parties, lesquelles ne
peuvent en prendre de nouvelles (art. 55 al. 1 let. b OJ); en
revanche, il n'est lié ni par les motifs que les parties in-
voquent (art. 63 al. 1 OJ), ni par l'argumentation juridique
de la cour cantonale (art. 63 al. 3 OJ). Il peut donc admet-
tre un recours pour d'autres motifs que ceux invoqués par le
recourant et peut également rejeter un recours en adoptant
une autre argumentation juridique que celle retenue par la
cour cantonale (ATF 127 III 248 consid. 2c et les références
citées).

    3.- La recourante estime que la première condition
posée par l'art. 257d CO, à savoir le retard dans le paiement
du loyer, n'est pas réalisée. Elle cite également l'art. 102
CO.

    a) Lorsque, après la réception de la chose, le
locataire d'un local commercial a du retard pour s'acquitter
d'un terme ou de frais accessoires échus, le bailleur peut
lui fixer par écrit un délai de paiement de 30 jours et lui
signifier qu'à défaut de paiement dans ce délai, il résiliera

le bail (avis comminatoire; art. 257d al. 1 CO). Faute de
paiement dans le délai imparti, le bailleur peut résilier le
contrat moyennant un délai de congé d'au moins 30 jours pour
la fin d'un mois (art. 257d al. 2 CO).

    La demeure du locataire au sens de cette disposi-
tion suppose que la créance du bailleur soit exigible et que
le locataire soit en retard dans l'exécution de l'obligation
y relative. Si l'une de ces deux conditions cumulatives n'est
pas réalisée, le délai de paiement imparti au locataire par
le bailleur en application de l'art. 257d al. 1 CO reste sans
effet (Lachat, Le bail à loyer, p. 210 note 42; Higi, Commen-
taire zurichois, n° 32 ad art. 257d CO). Il y a retard lors-
que le paiement d'une prestation exigible n'est pas encore
accompli au terme prévu (SVIT-Kommentar, Mietrecht, 2e éd.
Zurich 1998, n. 15 ad art. 257d CO).

    En l'espèce, il est constant que le loyer dû au 15
août 2000 n'a été payé que le 4 octobre 2000. La recourante
était donc en retard dans le paiement de ce terme lorsque le
bailleur lui a envoyé un avis comminatoire le 25 août 2000.
Elle soutient cependant que les 15'000 fr. versés au début du
bail à titre de sûretés constituaient des loyers payés
d'avance de sorte qu'elle disposait toujours à l'égard du
bailleur d'une avance de loyers de 15'000 fr.; ainsi, toute
mise en demeure ne pouvait se justifier que si le retard dans
le paiement du loyer dépassait 15'000 fr. La recourante se
réfère sur ce point à l'arrêt rendu par la Cour d'appel le 12
mars 2001, aux termes duquel le montant de 15'000 fr. doit
être assimilé à des loyers payés d'avance.

    b) L'arrêt du 12 mars 2001 rendu par la Cour d'ap-
pel ne lie pas le Tribunal fédéral statuant sur le présent
recours en réforme. En effet, il y a autorité de chose jugée
lorsque la prétention litigieuse a déjà fait l'objet d'une
décision passée en force. C'est le cas lorsque, dans l'un et

l'autre procès, les parties ont soumis au juge la même pré-
tention en se fondant sur les mêmes faits (ATF 119 II 89
consid. 2a). En principe seul le jugement au fond jouit de
l'autorité de la chose jugée. Ne participent pas de l'auto-
rité de la chose jugée les constatations de fait dudit juge-
ment ni ses considérants de droit, mais uniquement son dispo-
sitif (ATF 123 III 16 consid. 2a), bien qu'il faille parfois
recourir aux motifs pour déterminer la portée exacte du dis-
positif (ATF 123 III 16 ibidem; 116 II 738 consid. 2a).

    L'objet de l'arrêt du 12 mars 2001 était une requê-
te en évacuation consécutive au congé signifié le 21 juin
2000. L'arrêt présentement attaqué concerne également une
requête en évacuation, mais suite au congé signifié le 4
octobre 2000. Dans le premier cas, il s'agissait de savoir si
la recourante avait payé le loyer échu dans le délai commina-
toire, tandis que dans la présente cause, il s'agit de déter-
miner si la recourante était déjà en retard dans le paiement
du loyer au moment où elle a reçu l'avis comminatoire. Les
deux procédures concernent certes les mêmes parties et le
même contrat mais elles n'ont pas le même objet. Le Tribunal
fédéral n'est donc pas lié par l'arrêt du 12 mars 2001.

    c) La question est donc de savoir si les 15'000 fr.
versés par la recourante en début de bail à titre de sûretés
constituent des loyers payés d'avance.

    Sous la note marginale "garantie du loyer", l'art.
4 du bail prévoit ce qui suit: "Pour garantir l'exécution des
obligations qu'il contracte en vertu du présent bail et de
ses renouvellements, le locataire fournit au bailleur à la
signature du contrat une garantie de fr. 15'000 fr. conformé-
ment à l'art. 2 des conditions générales pour locaux commer-
ciaux, versée sur le C.C.P. au nom de M. B.________". L'art.
2 al. 1 des conditions générales est libellé comme suit: "La
garantie que le locataire fournit au bailleur à la signature

du contrat, constituée sous forme de dépôt bancaire, caution
bancaire ou autre garantie expressément acceptée par le
bailleur, ne peut être affectée par le locataire au paiement
contractuel du loyer". L'art. 257e al. 1 CO prévoit enfin que
le bailleur doit déposer les sûretés auprès d'une banque sur
un compte d'épargne ou de dépôt au nom du locataire.

    L'obligation légale du bailleur de déposer le mon-
tant reçu à titre de garantie sur un compte au nom du loca-
taire vise notamment à protéger ce dernier des conséquences
que pourrait avoir une faillite du bailleur. La violation de
cette obligation ne modifie toutefois pas d'office l'affecta-
tion de la somme reçue (cf. Higi, op. cit., n° 23 et 30 s. ad
art. 257e CO; SVIT-Kommentar, n° 16 ad art. 257e CO; Lachat/-
Stoll/Bruner, Das Mietrecht für die Praxis, 4e éd., n° 2.2.4
s.). En l'espèce, il n'a pas été retenu qu'après la conclu-
sion du bail, l'intimé ou la recourante aient manifesté la
volonté de considérer ce montant comme des loyers payés
d'avance. A cet égard, le fait que l'intimé n'ait pas déposé
d'emblée cette somme sur un compte au nom de la locataire ne
permet pas d'admettre que les parties ont souhaité d'un com-
mun accord modifier la destination de cette somme. Il en
résulte que la locataire était bel et bien en retard dans le
paiement du loyer lorsque le bailleur lui a fixé un délai
comminatoire le 25 août 2000. Les autres conditions posées
par l'art. 257d CO étant également réalisées, la confirmation
de l'évacuation par la Cour d'appel ne viole pas cette dispo-
sition.

    4.- La recourante invoque subsidiairement une vio-
lation de l'art. 120 CO, soutenant que les conditions d'une
compensation entre sa dette de loyer et les 15'000 fr. versés
au début du bail n'étaient pas réalisées.

    La recourante n'ayant pas déclaré vouloir compenser
sa dette de loyer avec le montant des sûretés, la question de
savoir si elle aurait pu le faire n'est pas pertinente pour
l'issue du litige. Il est donc superflu d'examiner ce grief.

    5.- Le recours doit être rejeté et l'arrêt attaqué
confirmé. Il appartiendra à la recourante, qui succombe,
d'assumer les frais judiciaires et les dépens de la procédure
fédérale (art. 156 al. 1 et 159 al. 1 OJ).

                       Par ces motifs

           l e   T r i b u n a l   f é d é r a l:

    1. Rejette le recours et confirme l'arrêt attaqué;

    2. Met un émolument judiciaire de 3'000 fr. à la
charge de la recourante;

    3. Dit que la recourante versera à l'intimé une
indemnité de 3'500 fr. à titre de dépens;

    4. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la Chambre d'appel en matière de baux
et loyers du canton de Genève.

                          _________

Lausanne, le 30 mai 2002
ECH

                 Au nom de la Ie Cour civile
                 du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
                        Le Président,

                        La Greffière,