Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilabteilung 4C.65/2002
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4C.65/2002

                 Ie   C O U R   C I V I L E
                ****************************

                         31 mai 2002

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Corboz et
Favre, juges. Greffière: Mme Godat Zimmermann.

                      _________________

                Dans la cause civile pendante
                            entre

X.________ S.A., défenderesse et recourante, représentée par
Me Pascal Pétroz, avocat à Genève,

                             et

F.________, demandeur et intimé, représenté par Me Mauro
Poggia, avocat à Genève;

         (défaut de la chose louée; maxime d'office)

          Vu les pièces du dossier d'où ressortent
                  les  f a i t s  suivants:

   A.- Selon contrat du 12 janvier 1984, la S.I.
Y.________ a loué à F.________ un appartement de trois pièces
au troisième étage d'un immeuble à Z.________. Conclu pour
une année, le bail se renouvelait ensuite d'année en année,
sauf préavis de résiliation de trois mois.

   En avril 1998, X.________ S.A., nouvelle proprié-
taire  de l'immeuble, a informé F.________ du changement de
bailleresse. Le loyer annuel de l'appartement s'élevait alors
à 8976 fr.

   Par courrier du 17 septembre 1998 adressé à
X.________ S.A., F.________ a demandé une diminution de loyer
de 20% dès le 1er février 1999 en raison de la baisse du taux
hypothécaire, ainsi que l'exécution de différents travaux. Il
se plaignait notamment de bruits dans la chambre à coucher;
il en attribuait l'origine probable à la chaufferie. Le loca-
taire n'a pas obtenu satisfaction.

   B.- A la suite de l'échec de la tentative de conci-
liation, F.________ a introduit action devant le Tribunal des
baux et loyers du canton de Genève en date du 1er février
1999. Ses conclusions tendaient, d'une part, à une réduction
du loyer de 20% à partir du 1er février 1999 et, d'autre
part, à ce que la bailleresse soit condamnée à effectuer à
ses frais les travaux de changement des papiers-peints, la
peinture des plafonds et des boiseries, le ponçage et la
vitrification des parquets, ainsi qu'à supprimer les bruits
perçus dans la chambre à coucher.

   Parallèlement, F.________ a mis la bailleresse en
demeure de remédier aux défauts de la chose louée; il l'a
avertie qu'il consignerait le montant du loyer et des charges
si elle ne s'exécutait pas. Par décision du 21 juin 1999, la
Commission de conciliation en matière de baux et loyers a
admis la requête en validation de la consignation des loyers
et des charges dès mars 1999.

   Par jugement sur partie du 3 mars 2000, le Tribunal
des baux et loyers a fixé à 7180 fr., dès le 1er février
1999, le loyer annuel net de l'appartement loué par
F.________; par ailleurs, il a condamné la bailleresse à
effectuer à ses frais les travaux demandés par le locataire
concernant la peinture des plafonds, le changement des
papiers-peints, le ponçage et la vitrification des parquets;
enfin, il a réservé la question du bruit dans la chambre à
coucher.

   Après avoir ordonné des enquêtes et procédé à l'au-
dition de témoins, le Tribunal des baux et loyers a rendu un
second jugement en date du 22 janvier 2001. Il a condamné la
bailleresse à réaliser, à ses frais et dans les règles de
l'art, les travaux nécessaires en vue de supprimer les nui-
sances sonores dans la chambre à coucher du locataire; par
ailleurs, le loyer a été réduit de 15% dès le 1er février
1999 jusqu'à la suppression du défaut.

   X.________ S.A. a formé appel contre ce jugement.
Statuant le 10 décembre 2001, la Chambre d'appel en matière
de baux et loyers du canton de Genève a confirmé la décision
de première instance.

   C.- X.________ S.A. interjette un recours en réforme
au Tribunal fédéral. Elle conclut à l'annulation de la déci-

sion entreprise et au déboutement de F.________ de toutes ses
conclusions.

   F.________ propose le rejet du recours.

   Par arrêt de ce jour, la cour de céans a rejeté le
recours de droit public déposé parallèlement par la défende-
resse.

         C o n s i d é r a n t   e n   d r o i t  :

   1.- a) Sauf exceptions qui n'entrent pas en considé-
ration en l'espèce, la recevabilité du recours en réforme
suppose une valeur litigieuse de 8000 fr. au moins; sont
déterminantes à cet égard les conclusions encore contestées
devant la dernière instance cantonale (art. 46 OJ). L'art. 47
al. 1 OJ dispose notamment que les divers chefs de conclu-
sions formés par le demandeur sont additionnés, même lors-
qu'ils portent sur des objets distincts, pourvu qu'ils ne
s'excluent pas. Enfin, aux termes de l'art. 36 al. 4 et 5 OJ,
les revenus et prestations périodiques ont la valeur du capi-
tal qu'ils représentent; si leur durée est indéterminée ou
illimitée, le capital est formé par le montant annuel du
revenu ou de la prestation, multiplié par vingt. Il ne suffit
toutefois pas que la durée ne puisse être fixée avec préci-
sion pour la qualifier d'indéterminée au sens de l'art. 36
al. 5 OJ; si la prestation ou le revenu est dû pour une durée
vraisemblablement inférieure à vingt ans, il conviendra alors
de se fonder sur la valeur capitalisée pour la durée limitée
probable (Poudret, COJ I, n. 8.2 ad art. 36; Wurzburger, Les
conditions objectives du recours en réforme au Tribunal fédé-
ral, thèse Lausanne 1964, p. 147).

   b) En l'espèce, les points encore litigieux devant
la Chambre d'appel concernaient la remise en état de la chose
louée et la réduction du loyer de 15% jusqu'à la réparation
du défaut. Une telle réduction correspond à 1077 fr. par an
[7180 fr. (soit le loyer déjà réduit de 20%) x 15%]. Or,
selon toute vraisemblance, le défaut sera réparé avant vingt
ans; il n'est dès lors pas possible de se référer en l'espèce
à l'art. 36 al. 5 OJ. De plus, on peut évaluer très probable-
ment à moins de huit ans le temps qu'il faudra pour éliminer
le défaut. S'agissant de la conclusion en réduction de loyer,
la valeur litigieuse est donc vraisemblablement inférieure à
8000 fr. Par ailleurs, selon l'arrêt attaqué, le bruit dont
se plaint le demandeur est lié au chauffage; cependant, on
ignore tout du coût de la réparation. Même en admettant que
les conclusions en exécution et en réduction de loyer puis-
sent être cumulées en l'occurrence, il paraît ainsi douteux
que le seuil de 8000 fr. soit atteint. Cette question peut
toutefois rester indécise car, en tout état de cause, le re-
cours doit être rejeté pour les motifs suivants.

   2.- a) Dans un premier grief, la défenderesse se
plaint d'une violation de l'art. 274d al. 3 CO, qu'elle asso-
cie à l'art. 8 CC. D'une part, elle s'inscrit en faux contre
le reproche selon lequel, en première instance, elle n'aurait
pas contesté de manière suffisamment claire les allégués du
demandeur. Ce serait dès lors à tort que la cour cantonale a
admis que le Tribunal des baux et loyers n'avait aucun motif
objectif d'éprouver des doutes sur le caractère complet des
allégations et autres moyens de preuve des parties. D'autre
part, la Chambre d'appel aurait reconnu l'existence du défaut
sans aucune preuve; elle aurait également modifié le fardeau
de la preuve en reprochant à la défenderesse de n'avoir four-
ni aucun rapport sur l'état de fonctionnement de la chauffe-
rie, ni sollicité de mesures probatoires à ce sujet.

   b) Aux termes de l'art. 274d al. 3 CO, le juge éta-
blit d'office les faits et apprécie librement les preuves;
pour leur part, les parties sont tenues de lui présenter
toutes les pièces nécessaires à l'appréciation du litige. Le
principe d'instruction ainsi posé n'est pas une maxime offi-
cielle absolue, mais une maxime inquisitoire sociale. C'est
dire que le juge ne doit pas instruire d'office le litige
lorsqu'une partie renonce à expliquer sa position. En revan-
che, il doit interroger les parties et les informer de leur
devoir de collaboration et de production des pièces; il est
tenu de s'assurer que les allégations et offres de preuves
sont complètes uniquement lorsqu'il a des motifs objectifs
d'éprouver des doutes sur ce point. L'initiative du juge ne
va pas au-delà de l'invitation faite aux parties de mention-
ner leurs moyens de preuve et de les présenter. La maxime
inquisitoire prévue par le droit du bail ne permet pas
d'étendre à bien plaire l'administration des preuves et de
recueillir toutes les preuves possibles (ATF 125 III 231 con-
sid. 4a p. 238; arrêt 4C.199/2000 du 21 décembre 2000, con-
sid. 2a, in SJ 2001 I, p. 278; arrêt 4C.458/1995 du 23 avril
1996, consid. 2a, traduit in CdB 1996, p. 112). Au surplus,
la maxime inquisitoire sociale ne modifie pas la répartition
du fardeau de la preuve (arrêt 4P.297/2001 du 26 mars 2002,
consid. 2a; Lachat, Le bail à loyer, note de pied 61, p. 99).

   Sur ce point, l'art. 8 CC dispose que chaque partie
doit, si la loi ne prescrit le contraire, prouver les faits
qu'elle allègue pour en déduire son droit. Cette règle s'ap-
plique à toute prétention fondée sur le droit fédéral (ATF
127 III 519 consid. 2a p. 522; 125 III 78 consid. 3b p. 79;
124 III 134 consid. 2b/bb p. 143; 123 III 35 consid. 2d).
Elle répartit le fardeau de la preuve (ATF 122 III 219 con-
sid. 3c p. 223) et détermine ainsi la partie qui doit assumer
les conséquences d'une absence de preuve (ATF 127 III 519
consid. 2a p. 522; 126 III 189 consid. 2b; 125 III 78 consid.

3b p. 79). L'art. 8 CC confère le droit à la preuve (ATF 114
II 289 consid. 2a p. 290/291; 122 III 219 consid. 3c p. 223)
et à la contre-preuve (ATF 115 II 305; 126 III 315 consid. 4a
p. 317; 120 II 393 consid. 4b p. 397). L'art. 8 CC ne dicte
pas au juge comment il doit former sa conviction (ATF 127 III
519 consid. 2b p. 522; 122 III 219 consid. 3c p. 223; 119 III
60 consid. 2c p. 63; 118 II 365 consid. 1); ainsi, lorsque
l'appréciation des preuves le convainc qu'une allégation de
fait a été établie ou réfutée, la répartition du fardeau de
la preuve devient sans objet (ATF 114 II 289 consid. 2a p.
291; 119 III 103 consid. 1; 118 II 142 consid. 3a p. 147; 117
II 387 consid. 2e p. 393). L'art. 8 CC ne saurait être invo-
qué pour faire corriger l'appréciation des preuves, qui res-
sortit au juge du fait (ATF 114 II 289 consid. 2a p. 291; 119
II 114 consid. 4c p. 117; 117 II 609 consid. 3c p. 613).

   c) Se fondant en particulier sur le témoignage de la
voisine du locataire, la cour cantonale, à la suite du Tribu-
nal des baux et loyers, a jugé que le demandeur avait démon-
tré l'existence de nuisances sonores dans sa chambre à cou-
cher. Ce faisant, elle n'a méconnu ni la répartition du far-
deau de la preuve selon l'art. 8 CC, ni le droit à la contre-
preuve de la défenderesse. Cette dernière ne prétend du reste
pas avoir proposé régulièrement une contre-preuve, assortie
de moyens de preuve importants et pertinents (cf. ATF 115 II
305). Pour le surplus, l'appréciation des preuves à laquelle
la Chambre d'appel s'est livrée échappe au champ d'applica-
tion de l'art. 8 CC.

   Par ailleurs, l'arrêt attaqué ne consacre pas de
violation de l'art. 274d al. 3 CO. Comme la cour cantonale le
fait observer à juste titre, la bailleresse s'est vu impar-
tir, lors de la procédure de première instance, différents
délais pour se prononcer sur les allégués et moyens du deman-
deur; or, elle est restée complètement silencieuse, ne dési-

gnant aucun témoin et ne sollicitant aucune mesure probatoire
complémentaire lors de la clôture des enquêtes. Face à une
partie qui adopte une telle attitude, le juge n'avait pas à
instruire d'office; en particulier, il n'avait pas à ordonner
un transport sur place, ni des mesures de bruit. Il suffisait
qu'il donne à la défenderesse l'occasion de s'expliquer, ce
qu'elle a eu tout loisir de faire.

   Sur le vu de ce qui précède, le premier moyen de la
bailleresse est mal fondé.

   3.- a) Dans un second grief, subsidiaire, la défen-
deresse reproche à la Chambre d'appel d'avoir violé les art.
256 al. 1 et 259a CO. A son sens, les juges cantonaux au-
raient dû comparer l'état réel du logement loué avec l'état
convenu ou promis et déterminer ainsi si l'usage convenu se
trouvait restreint par le bruit provenant de la chaudière.
Ils seraient alors parvenus à la conclusion que la chose
louée n'était pas affectée d'un défaut, étant donné le loyer
extrêmement bas payé par le demandeur - moins de 600 fr. par
mois pour un logement de trois pièces - et l'âge de l'immeu-
ble dont on ne pouvait attendre une bonne isolation phonique.

   b) Selon l'art. 256 al. 1 CO, le bailleur est tenu
de délivrer la chose dans un état approprié à l'usage pour
lequel elle a été louée et de l'entretenir dans cet état. En
effet, le loyer couvre, en règle générale, les frais d'entre-
tien (ATF 110 II 404 consid. 3a p. 407). Si la chose est
affectée d'un défaut qui entrave ou restreint l'usage pour
lequel elle a été louée, le locataire peut exiger une réduc-
tion proportionnelle du loyer jusqu'à l'élimination du défaut
(cf. art. 259a al. 1 let. b et 259d CO). Faute de définition
légale, la notion de défaut doit être rapprochée de l'état
approprié à l'usage pour lequel la chose a été louée; elle
suppose la comparaison entre l'état réel de la chose et

l'état convenu (arrêt 4C.81/1997 du 26 janvier 1998, consid.
3a; arrêt 4C.527/1996 du 29 mai 1997, consid. 3a, in SJ 1997,
p. 661; cf. également Lachat, op. cit., p. 141). Il y a ainsi
défaut lorsque la chose ne présente pas une qualité que le
bailleur avait promise (Higi, Zürcher Kommentar, n. 27 et n.
29 ad art. 258 CO) ou sur laquelle le locataire pouvait légi-
timement compter en se référant à l'état approprié à l'usage
convenu (Tercier, Les contrats spéciaux, 2e éd., n. 1593, p.
200-201). Le montant du loyer sera l'un des éléments à pren-
dre en considération (arrêt 4C.81/1997 précité, consid. 3a).
La remise en état de la chose et la réduction proportionnelle
du loyer supposent un défaut qui ne soit ni mineur, ni impu-
table au preneur (art. 259a al. 1 let. a CO). Un défaut est
mineur lorsqu'il peut être éliminé par des menus travaux de
nettoyage ou de réparation indispensables à l'entretien nor-
mal de la chose louée; ces travaux sont à la charge du loca-
taire (art. 259 CO).

   c) En l'espèce, il ressort des faits établis souve-
rainement en instance cantonale que le bruit perçu dans la
chambre à coucher du locataire est tel qu'il trouble le som-
meil du demandeur. Le même bruit affecte du reste également
les nuits de la voisine entendue à titre de témoin. S'agis-
sant d'une chose louée aux fins d'habitation, le défaut doit
être qualifié de moyenne importance; son élimination incombe
donc à la bailleresse. On ne saurait à cet égard arguer du
loyer modeste payé par le demandeur pour imposer à ce dernier
de s'accommoder de la situation. Des nuisances sonores pro-
pres à perturber le sommeil ne sont admissibles dans aucune
sorte de logement d'habitation. De plus, le défaut est surve-
nu en cours de bail; l'état actuel de la chose louée ne cor-
respond dès lors plus à l'état convenu. Dans ces conditions,
c'est à bon droit que la cour cantonale a retenu l'existence
d'un défaut fondant les droits du locataire à la remise en

état de la chose et à la réduction du loyer. Le second moyen
de la défenderesse doit également être rejeté.

   4.- La défenderesse, qui succombe, supportera les
frais judiciaires (art. 156 al. 1 OJ). Par ailleurs, elle
versera au demandeur une indemnité à titre de dépens (art.
159 al. 1 OJ).

                       Par ces motifs,

            l e  T r i b u n a l  f é d é r a l :

   1. Rejette le recours dans la mesure où il est rece-
vable et confirme l'arrêt attaqué;

   2. Met un émolument judiciaire de 2000 fr. à la
charge de la défenderesse;

   3. Dit que la défenderesse versera au demandeur une
indemnité de 2500 fr. à titre de dépens;

   4. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la Chambre d'appel en matière de baux
et loyers du canton de Genève.

                        ____________

Lausanne, le 31 mai 2002
ECH

             Au nom de la Ie Cour civile
        du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
              Le Président,

              La Greffière,