Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilabteilung 4C.48/2002
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4C.48/2002

                 Ie   C O U R   C I V I L E
                 **************************

                        15 avril 2002

Composition de la Cour: M. Walter, président, M. Corboz
et M. Favre, juges. Greffière: Mme Michellod.

                         __________

                Dans la cause civile pendante
                            entre

A.________, défendeur et recourant, représenté par Me Laurent
Didisheim, avocat à Genève,

                             et

Mme B.________, demanderesse et intimée, représentée par Me
Pascal Maurer, avocat à Genève;

                    (contrat de travail)

          Vu les pièces du dossier d'où ressortent
                  les  f a i t s  suivants:

    A.- Par arrêt du 19 octobre 2001, la Cour d'appel
de la juridiction des prud'hommes du canton de Genève a
condamné A.________ à verser à Mme B.________ les sommes de:

- 17'000 francs avec intérêts à 5% l'an dès le 01.08.99,
- 17'000 francs avec intérêts à 5% l'an dès le 01.09.99,
- 17'000 francs avec intérêts à 5% l'an dès le 01.10.99,
- 17'000 francs avec intérêts à 5% l'an dès le 01.11.99,

sous imputation de 39'904,40 francs et sous imputation des
charges sociales et légales usuelles.

    B.- Cet arrêt retient notamment les faits suivants:

    a) En octobre 1998, A.________ a fait des démarches
pour créer une Fondation A.________ (ci-après: la Fondation),
avec siège à K.________, en faveur notamment de la paix et du
progrès social dans le monde, avec la construction et la ges-
tion d'un monument. Il était prévu que la demanderesse serait
présidente du comité exécutif et son époux vice-président du
conseil de fondation. La demanderesse vivait à Genève auprès
de son mari au bénéfice d'une autorisation de séjour sans ac-
tivité.

    Le 22 octobre 1998, Mme B.________ a signé un
contrat de travail pour une durée indéterminée avec
A.________ pour un salaire brut mensuel de 17'000 francs en
qualité de présidente du comité exécutif de la Fondation
A.________ en cours de constitution, "sous condition
suspensive de la délivrance du permis d'activité", mots
écrits sous la plume de A.________.

    Le permis de travail n'a pas été obtenu; la Cour
d'appel a considéré que A.________ n'avait pas prouvé avoir
fait des démarches pour que la demanderesse obtienne un tel
permis. Cependant, il n'était pas établi que les parties
aient renoncé à la condition suspensive prévue dans le
contrat.

    La Cour d'appel a estimé que la demanderesse avait
prouvé avoir effectué des prestations pour A.________ contre
un salaire qui était dû, même sans autorisation de travail.
La demanderesse était chargée de mettre en place les activi-
tés de la Fondation; elle donnait des instructions pour la
correspondance, s'occupait des finances et recevait les
instructions de A.________; en une année, il y avait eu 44
classeurs fédéraux de travail pour la Fondation. De plus, la
demanderesse avait touché, entre novembre 1998 et juin 1999,
un salaire mensuel brut de 21'888,05 francs.

    Le 15 septembre 1999, le conseil de A.________ a
résilié le "contrat de travail du 20 octobre 1998" pour le 31
octobre 1999, dès le moment où la Fondation n'avait pas été
constituée.

    b) Le 19 octobre 1999, Mme B.________ a déposé une
demande en paiement contre A.________ devant la juridiction
des prud'hommes du canton de Genève. Elle lui réclamait le
paiement 60'000 francs (soit 4 x 15'000 francs) plus inté-
rêts, à titre de salaire pour les mois de juillet à octobre
1999, sous imputation des charges sociales et de prévoyance.

    Les parties ont décidé par convention du 19 novem-
bre 1999 de porter le litige directement devant la Cour
d'appel. Le 14 janvier 2000, la demanderesse a en outre
réclamé à A.________ la somme de 45'000 francs à titre de
dommages-intérêts et de tort moral, fondés sur l'art. 337c CO
appliqué par analogie.

    c) A.________ a soulevé une exception d'incompét-
ence ratione materiae, considérant qu'il n'était pas lié à la
demanderesse par un contrat de travail; il a en outre
sollicité la suspension de la cause comme dépendant du pénal
étant donné la plainte pénale qu'il avait déposée contre le
mari de la demanderesse pour abus de confiance, à la suite de
retraits d'argent pour une rémunération non autorisée.

    Par arrêt du 24 juillet 2000, la Cour d'appel a
admis l'existence d'un contrat de travail entre les parties
et s'est déclarée compétente pour statuer sur la demande;
elle a par ailleurs refusé de suspendre la cause comme dépen-
dant du pénal. Cet arrêt n'a pas fait l'objet d'un recours au
Tribunal fédéral.

    d) Par arrêt du 19 octobre 2001, la Cour d'appel de
la juridiction des prud'hommes du canton de Genève a condamné
A.________ à verser à Mme B.________ les sommes indiquées
ci-dessus sous lettre A et a débouté la demanderesse de ses
autres conclusions.

    C.- A.________ a déposé un recours en réforme et un
recours de droit public contre l'arrêt du 19 octobre 2001;
dans son recours en réforme, il conclut à l'annulation de
l'arrêt cantonal et au déboutement de la demanderesse. Invi-
tée à se déterminer, la demanderesse a conclu à l'irreceva-
bilité du recours en réforme et, subsidiairement, à son
rejet.

           C o n s i d é r a n t  e n  d r o i t :

    1.- Le défendeur estime que l'arrêt attaqué est
entaché d'inadvertances manifestes (art. 63 al. 2 OJ) et de
lacunes dans les constatations de fait (art. 64 OJ). En rai-
son de ces erreurs dans l'état de fait, la Cour d'appel
aurait violé les art. 319, 151 et 156 CO ainsi que l'art. 2
CC.

    a) La jurisprudence n'admet l'existence d'une inad-
vertance manifeste, susceptible d'être rectifiée d'office par
le Tribunal fédéral en application de l'art. 63 al. 2 OJ, que
lorsque l'autorité cantonale a, par mégarde, retenu un état
de fait qui ne correspond manifestement pas avec le résultat
de l'appréciation des preuves; tel est le cas par exemple si
l'autorité a omis de mentionner un fait clairement établi ou
si, par une simple inattention, elle s'est à l'évidence trom-
pée sur un point de fait établi sans équivoque (ATF 121 IV
104 consid. 2b et les références citées).

    L'inadvertance manifeste ne saurait être confondue
avec l'appréciation des preuves. Dès l'instant où une consta-
tation de fait repose sur l'appréciation, même insoutenable,
d'une preuve, d'un ensemble de preuves ou d'indices, une
inadvertance est exclue (Poudret, COJ, II, n. 5.4 ad art. 63
OJ). Il ne peut en effet être remédié à une mauvaise appré-
ciation des preuves par la voie prévue à l'art. 55 al. 1 let.
d OJ (ATF 96 I 193 consid. 2; Poudret, op. cit., n. 1.6.3 ad
art. 55 OJ).

    b) Aux termes de l'art. 64 al. 1 OJ, s'il y a lieu
de compléter les constatations de l'autorité cantonale, le
Tribunal fédéral annule la décision attaquée et renvoie l'af-
faire à cette autorité en l'invitant à compléter au besoin le
dossier et à statuer à nouveau.

    2.- En l'espèce, l'arrêt attaqué retient que le
défendeur n'a pas prouvé avoir fait des démarches pour que la
demanderesse obtienne un permis de travail.

    a) Le défendeur estime que les preuves administrées
(témoignages de Mes X.________ et Y.________, déclaration de
la demanderesse) démontrent qu'il s'est occupé de la question
du permis de travail mais qu'en raison du manque d'unités
disponibles dans le canton de Genève, une telle autorisation
était impossible à obtenir. Ces déclarations démontreraient
également que la demanderesse était informée de cette
impossibilité et qu'elle savait qu'elle ne devait déployer
aucune activité avant d'être en règle avec les autorités.

    Le défendeur soutient que c'est par inadvertance
que la Cour d'appel a omis de prendre en considération ces
éléments de preuves. Il estime qu'en conséquence, la Cour
d'appel lui a imputé la responsabilité de la non-délivrance
du permis de travail et a considéré que le contrat de travail
déployait tous ses effets en vertu de l'art. 156 CO. Selon
cette disposition, la condition est réputée accomplie quand
l'une des parties en a empêché l'avènement au mépris des
règles de la bonne foi.

    b) Sous le couvert du grief d'inadvertance mani-
feste, le défendeur s'en prend en réalité à l'appréciation
des preuves à laquelle s'est livrée la Cour d'appel. En
effet, l'absence de mention d'une pièce dans le cadre de
l'appréciation des preuves ne signifie pas encore qu'il y ait
inadvertance, qui plus est, inadvertance manifeste; il faut
que la pièce n'ait pas du tout été examinée par le juge. Or
en l'espèce, le défendeur invoque des témoignages et déclara-
tions verbalisés par la Cour d'appel lors d'une procédure
d'enquête; les juges cantonaux en ont donc forcément pris
connaissance. En outre, l'examen de ces documents ne révèle
pas d'erreur évidente ou de mauvaise compréhension flagrante

de la part de la Cour d'appel. Le grief d'inadvertance mani-
feste est par conséquent infondé.

    3.- a) Le défendeur soutient par ailleurs que
l'état de fait est incomplet au sens de l'art. 64 OJ car la
Cour d'appel n'a pas constaté que la demanderesse et son
époux l'avaient sciemment tenu dans l'ignorance de leurs
activités, qu'ils avaient court-circuité son conseil de
l'époque pour mieux maîtriser l'information qui lui parvenait
et que la demanderesse avait exercé à son insu une activité
en tant que Présidente du comité exécutif de la Fondation et
s'était versé un salaire mensuel net de 15'000 francs. Le
défendeur estime que les pièces et témoignages figurant au
dossier (pièces 16 à 20 défendeur, pièces 67 et 68 deman-
deresse, témoignage de Me Y.________) établissent clairement
ces faits.

    b) Là encore, le défendeur invoque à tort l'art. 64
al. 1 OJ en prétendant que la Cour d'appel a omis de consta-
ter que la demanderesse avait agi de manière abusive. Les
constatations cantonales sont suffisantes pour statuer sur la
question juridique à résoudre. Le grief est par conséquent
infondé. La critique du recourant porte en réalité sur
l'appréciation des preuves de la Cour d'appel mais ce grief
n'est pas recevable dans le cadre d'un recours en réforme
(art. 43 al. 1 deuxième phrase OJ).

    4.- Pour le surplus, le défendeur ne prétend pas
que la Cour d'appel aurait violé le droit fédéral en donnant
partiellement gain de cause à la demanderesse sur la base des
faits retenus dans l'arrêt attaqué. Le Tribunal fédéral exa-
mine cependant d'office l'application du droit fédéral et le
défendeur conteste le principe même de sa dette envers la
demanderesse. Il convient donc d'examiner en l'espèce si la

condamnation du recourant repose sur une saine application du
droit fédéral.

    Le raisonnement juridique cantonal manque de
clarté. Toutefois, il apparaît que la Cour d'appel n'a pas
considéré que le contrat conclu le 22 octobre 1998 déployait
des effets juridiques, contrairement à ce que soutient le
défendeur. Même si elle a constaté que le défendeur n'avait
pas effectué de démarches pour l'obtention d'un permis de
travail, la Cour d'appel n'a pas fait application de l'art.
156 CO et considéré que la condition suspensive était réali-
sée. Au demeurant, cette disposition n'était pas applicable
puisqu'il n'a pas été constaté que le défendeur aurait empê-
ché la réalisation de la condition suspensive de manière
contraire à la bonne foi.

    La condamnation du défendeur se fonde en réalité
sur la conclusion tacite d'un second contrat de travail ne
comportant pas de condition relative à un permis. En effet,
la Cour d'appel s'est référée à l'art. 320 al. 2 CO, selon
lequel le contrat de travail est réputé conclu lorsque
l'employeur accepte pour un temps donné l'exécution d'un
travail qui, d'après les circonstances, ne doit être fourni
que contre un salaire. Elle a constaté que la demanderesse
avait effectué des prestations pour A.________ contre un
salaire qui était dû; elle n'a en revanche pas retenu les
allégations du défendeur selon lesquelles il ignorait tout de
l'activité et du salaire de la demanderesse. Sur la base de
ce second contrat, valable malgré l'absence de permis (cf.
ATF 114 II 279 consid. 2d), la condamnation du défendeur à
verser à la demanderesse un salaire de 17'000 fr. brut pour
les mois de juillet à octobre 1999 ne viole pas le droit
fédéral.

    5.- Le recours doit être rejeté et l'arrêt attaqué
confirmé. Il appartiendra au défendeur, qui succombe, d'assu-
mer les frais judiciaires et les dépens de la procédure fédé-
rale (art. 156 al. 1 et 159 al. 1 OJ).

                       Par ces motifs

           l e   T r i b u n a l   f é d é r a l :

    1. Rejette le recours et confirme l'arrêt attaqué;

    2. Met un émolument judiciaire de 3'000 francs à la
charge du défendeur;

    3. Dit que le défendeur versera une indemnité de
4'000 francs à la demanderesse à titre de dépens.;

    4. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la Cour d'appel de la juridiction des
prud'hommes du canton de Genève.

                       ______________

Lausanne, le 15 avril 2002
ECH

                 Au nom de la Ie Cour civile
                 du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,                                  La Greffière,