Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilabteilung 4C.39/2002
Zurück zum Index I. Zivilabteilung 2002
Retour à l'indice I. Zivilabteilung 2002


4C.39/2002

                 Ie   C O U R   C I V I L E
                ****************************

                         30 mai 2002

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Corboz et
Favre, juges.  Greffier: M. Carruzzo.

                         __________

                Dans la cause civile pendante
                            entre

X.________ S.A., demanderesse et recourante, représentée par
Me Pierre Gabus, avocat à Genève,

                             et

Y.________ S.A., défenderesse et intimée, représentée par Me
Alexandre de Weck, avocat à Genève;

         (fardeau de la preuve; cession de créance)

          Vu les pièces du dossier d'où ressortent
                  les  f a i t s  suivants:

    A.- A.________, D.________ et C.________ sont
copropriétaires d'un immeuble, à Genève. Ils forment entre
eux une société simple, appelée le consortium constructeur
Z.________, en vue d'une opération immobilière.

    Ils ont mandaté en qualité d'architecte chargé de
la direction des travaux la société Y.________ S.A., dont
l'administrateur est B.________, père de A.________.

    Le 23 mars 1998, le consortium, représenté par
Y.________ S.A., a conclu un contrat d'entreprise générale
avec la société W.________ S.A. (ci-après: l'entreprise
générale).

    L'entreprise générale a sous-traité des travaux de
démolition à la société X.________ S.A. (ci-après: le sous-
traitant).

    Les travaux de démolition sous-traités ont été exé-
cutés de juin à août 1998.

    Par lettre du 25 février 1999, l'entreprise généra-
le a informé Y.________ S.A. qu'elle avait cédé le solde de
sa facture de 26 000 fr. au sous-traitant; Y.________ S.A.
devait dès lors régler ce montant directement auprès du
sous-traitant.

    Le lendemain, soit le 26 février 1999, A.________
et C.________ ont payé au sous-traitant, à titre d'acompte,
la somme de 8000 fr. en espèces.

    Le solde de la facture, soit 18 000 fr., est resté
impayé.

    B.- Le 20 juillet 2000, le sous-traitant a déposé
devant les tribunaux genevois une demande en paiement dirigée
contre Y.________ S.A., lui réclamant la somme de 18 000 fr.
avec intérêts à 5% l'an dès le 25 février 1999.

    Au stade de la procédure de première instance,
Y.________ S.A., qui n'avait pas mandaté d'avocat, s'est op-
posée à la demande en se bornant à observer qu'elle n'était
pas en rapport avec le sous-traitant.

    Par jugement du 8 mars 2001, le Tribunal de premiè-
re instance du canton de Genève a condamné Y.________ S.A. à
payer à X.________ S.A. la somme de 18 000 fr. avec intérêts
à 5% l'an dès le 28 mai 1999.

    Y.________ S.A., représentée désormais par un avo-
cat, a fait appel de ce jugement et a produit des pièces.

    Statuant par arrêt du 16 novembre 2001, la Chambre
civile de la Cour de justice a annulé le jugement attaqué et
débouté le sous-traitant de toutes ses conclusions. Elle a
constaté que le sous-traitant n'avait pas établi l'existence
d'une cession de créance en sa faveur revêtant la forme écri-
te et, par ailleurs, que la créance invoquée résultait du
contrat d'entreprise générale, auquel Y.________ S.A. n'était
pas partie, puisque cette société n'apparaissait qu'en quali-
té de représentante directe des copropriétaires, formant en-
tre eux une société simple.

    C.- La demanderesse interjette un recours en réfor-
me au Tribunal fédéral. Invoquant une violation des art. 8 CC
et 164 ss CO, elle conclut à l'annulation de l'arrêt attaqué

et à la condamnation de sa partie adverse à lui verser la
somme de 18 000 fr. avec intérêts à 5% dès le 28 mai 1999.

    Par le même acte, la demanderesse a formé un re-
cours de droit public, qui a été examiné en premier lieu
(art. 57 al. 5 OJ) et rejeté par arrêt séparé de ce jour.

    L'intimée conclut au rejet du recours en réforme et
à la confirmation de l'arrêt attaqué.

          C o n s i d é r a n t   e n   d r o i t :

    1.- a) Interjeté par la partie qui a succombé dans
ses conclusions en paiement et dirigé contre un jugement fi-
nal rendu en dernière instance cantonale par un tribunal su-
périeur (art. 48 al. 1 OJ) sur une contestation civile dont
la valeur litigieuse atteint le seuil de 8000 fr. (art. 46
OJ), le recours en réforme est en principe recevable, puis-
qu'il a été déposé en temps utile (art. 54 al. 1 OJ) et dans
les formes requises (art. 55 OJ).

    b) Le recours en réforme est ouvert pour violation
du droit fédéral, mais non pour violation directe d'un droit
de rang constitutionnel (art. 43 al. 1 OJ) ni pour violation
du droit cantonal (ATF 127 III 248 consid. 2c; 126 III 189
consid. 2a, 370 consid. 5).

    Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral
doit conduire son raisonnement juridique sur la base des
faits contenus dans la décision attaquée, à moins que des
dispositions fédérales en matière de preuve n'aient été vio-
lées, qu'il y ait lieu à rectification de constatations repo-
sant sur une inadvertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou
qu'il faille compléter les constatations de l'autorité canto-

nale parce que celle-ci n'a pas tenu compte de faits perti-
nents et régulièrement allégués (art. 64 OJ; ATF 127 III 248
consid. 2c; 126 III 59 consid. 2a). Dans la mesure où une
partie recourante présente un état de fait qui s'écarte de
celui contenu dans la décision attaquée sans se prévaloir
avec précision de l'une des exceptions qui viennent d'être
rappelées, il n'est pas possible d'en tenir compte (ATF 127
III 248 consid. 2c). Il ne peut être présenté de griefs con-
tre les constatations de fait, ni de faits ou de moyens de
preuve nouveaux (art. 55 al. 1 let. c OJ).

    Le Tribunal fédéral ne peut aller au-delà des con-
clusions des parties, mais il n'est pas lié par les motifs
qu'elles invoquent (art. 63 al. 1 OJ), ni par l'argumentation
juridique retenue par la cour cantonale (art. 63 al. 3 OJ;
ATF 128 III 22 consid. 2e/cc p. 29; 127 III 248 consid. 2c;
126 III 59 consid. 2a; 123 III 246 consid. 2).

    2.- a) La recourante se plaint d'une violation de
l'art. 8 CC.

    Cette disposition répartit le fardeau de la preuve
pour toutes les prétentions fondées sur le droit fédéral et
détermine, sur cette base, laquelle des parties doit assumer
les conséquences de l'échec de la preuve (ATF 127 III 519
consid. 2a p. 522; 126 III 189 consid. 2b, 315 consid. 4a).
On en déduit également un droit à la preuve et à la contre-
preuve (ATF 126 III 315 consid. 4a), à la condition qu'il
s'agisse d'établir un fait pertinent (ATF 126 III 315 consid.
4a; 123 III 35 consid. 2b p. 40), qui n'est pas déjà prouvé
(ATF 127 III 519 consid. 2a p. 522; 126 III 315 consid. 4a),
par une mesure probatoire adéquate (cf. ATF 90 II 224 consid.
4b) qui a été régulièrement offerte selon les règles de la
loi de procédure applicable (ATF 126 III 315 consid. 4a; 122
III 219 consid. 3c p. 223).

    Savoir jusqu'à quel stade de la procédure il est
possible de présenter des conclusions nouvelles, d'alléguer
de nouveaux faits ou de produire de nouvelles pièces sont des
questions qui ne sont en rien régies par l'art. 8 CC. Les
problèmes soulevés par la recourante ne relèvent pas de cette
disposition, de sorte que celle-ci n'a pas été violée.

    b) La recourante soutient qu'elle agit en qualité
de cessionnaire d'une créance issue du contrat d'entreprise
générale et que la cour cantonale a violé les règles du droit
fédéral sur la cession de créance.

    Des explications données par la recourante, il faut
déduire que la cession alléguée aurait été conclue en Suisse
entre des personnes qui y ont leur siège ou leur résidence
habituelle. En l'absence d'autres indications, il n'est donc
pas douteux que le droit suisse est applicable et la recou-
rante ne soutient pas le contraire.

    Comme le montre le titre marginal de l'art. 165 CO,
la cession de créance est un contrat conclu entre le cédant
et le cessionnaire (Spirig, Commentaire zurichois, n. 1 ad
art. 165 CO).

    Selon l'art. 165 al. 1 CO, la cession n'est valable
que si elle a été constatée par écrit (cf. ATF 122 III 361
consid. 4; 115 II 415 consid. 2b p. 418).

    Il est communément admis, en s'inspirant de l'art.
13 al. 1 CO, que seul le cédant doit signer sa manifestation
de volonté adressée au cessionnaire, lequel peut accepter
sans aucune exigence de forme (Spirig, op. cit., n. 41 ad
art. 165 CO; Girsberger, Commentaire bâlois, n. 2 ad art. 165
CO; Engel, Traité des obligations en droit suisse, 2e éd., p.
882).

    Si le cédant n'a pas manifesté sa volonté par
écrit, la cession est nulle (art. 11 al. 2 CO; Spirig, op.
cit., n. 15 ad art. 165 CO; Girsberger, op. cit., n. 11 ad
art. 165 CO; Engel, ibid.).

    Si la forme écrite n'a pas été respectée, ce vice
ne peut pas être réparé par la reconnaissance orale de
l'existence d'une cession (ATF 105 II 83 consid. 2; Spirig,
op. cit., n. 17 ad art. 165 CO) ou par la communication écri-
te de la cession au débiteur (Spirig, op. cit., n. 46 ad art.
165 CO et les références).

    Constatant qu'aucun acte de cession n'avait été al-
légué ou produit, la cour cantonale en a déduit qu'il n'exis-
tait aucun document adressé à la recourante dans lequel l'en-
treprise générale lui manifeste la volonté de lui céder sa
créance à l'encontre du maître de l'ouvrage. L'absence de do-
cument est une constatation de fait qui lie le Tribunal fédé-
ral saisi d'un recours en réforme (art. 63 al. 2 OJ). Sur
cette base, la cour cantonale n'a pas violé le droit fédéral
en tirant la conclusion que la cession alléguée est dès lors
de toute manière dépourvue d'effet juridique (art. 165 al. 1
CO).

    Que l'intimée (qui n'est ni cédante, ni cession-
naire) ait cru, pendant un certain temps, qu'il existait une
cession de créance valable n'y change rien. Comme on l'a vu,
la communication écrite adressée par la prétendue cédante à
l'intimée (qui n'est pas cessionnaire) ne peut pas réparer le
vice de forme. La cession n'est valable que si le cédant
adresse au cessionnaire une manifestation de volonté en la
forme écrite.

    En retenant que la cession de créance invoquée
était de toute manière nulle, la cour cantonale n'a pas violé
le droit fédéral.

    c) Bien qu'aucune des parties ne l'ait invoqué, la
cour cantonale aurait pu se demander si la communication
adressée par l'entreprise générale à la recourante ne se ca-
ractérisait pas comme une assignation (cf. art. 466 CO). En
effet, l'entreprise générale a invité l'intimée à verser
26 000 fr. à la recourante. La recourante ne pourrait toute-
fois en déduire une créance directe contre l'intimée que si
celle-ci lui avait manifesté, même par acte concluant, la
volonté d'accepter l'assignation (art. 468 al. 1 CO; ATF 127
III 553 consid. 2e/bb; 124 III 253 consid. 3b; 122 III 237
consid. 3b; Engel, Contrats de droit suisse, 2e éd., p. 580).

    Il faut ici s'interroger sur la signification du
versement de 8000 fr. intervenu après réception de la commu-
nication. Cette somme a été versée conjointement par l'un des
copropriétaires et par l'administrateur de l'intimée. La pré-
sence du copropriétaire ne s'explique pas si l'intimée avait
voulu s'obliger elle-même en acceptant l'assignation. En re-
vanche, elle s'explique parfaitement si on se réfère au con-
trat d'entreprise générale, qui montre que ce sont les copro-
priétaires qui étaient les cocontractants et qui devaient
donc se considérer comme les débiteurs de l'entreprise géné-
rale, tandis que l'intimée ne les assiste que parce qu'elle
est leur mandataire.

    Le versement de 8000 fr., intervenu dans les cir-
constances décrites, ne permet donc pas de déduire une volon-
té de l'intimée de s'engager personnellement. En conséquence,
le raisonnement fondé sur l'assignation ne conduit pas à un
résultat différent, de sorte qu'il n'y a pas lieu d'examiner
cette question plus avant.

    En conclusion, l'arrêt attaqué ne viole pas le
droit fédéral et le recours doit être rejeté.

    3.- Les frais et dépens seront mis à la charge de
la recourante qui succombe (art. 156 al. 1 et 159 al. 1 OJ).

                       Par ces motifs,

            l e  T r i b u n a l  f é d é r a l :

    1. Rejette le recours et confirme l'arrêt attaqué;

    2. Met un émolument judiciaire de 2000 fr. à la
charge de la recourante;

    3. Dit que la recourante versera à l'intimée une
indemnité de 2500 fr. à titre de dépens;

    4. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la Chambre civile de la Cour de jus-
tice du canton de Genève.

                        _____________

Lausanne, le 30 mai 2002
ECH

                 Au nom de la Ie Cour civile
                 du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
                        Le Président,

                        Le Greffier,