Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilabteilung 4C.384/2002
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4C.384/2002 /ech

Arrêt du 31 mars 2003
Ire Cour civile

MM. les Juges Corboz, Président, Nyffeler et Favre.
Greffière: Mme Michellod.

A. ________,
X.________ SA,
défendeurs et recourants,
tous les deux représentés par Me Soli Pardo, avocat, case postale 147, 1211
Genève 12,

contre

B.________,
demandeur et intimé, représenté par Me Marco Ziegler, avocat, boulevard de
Saint-Georges 72, 1205 Genève.

contrat de travail, commissions

recours en réforme contre l'arrêt de la Cour d'appel de la juridiction des
prud'hommes du canton de Genève du
29 octobre 2002.

Faits:

A.
Par contrat écrit du 5 mars 1997, A.________, qui exploitait à l'époque une
entreprise individuelle sous la dénomination "Les Promotions G.________"
(ci-après: PG), a engagé B.________ en qualité d'assistant de direction,
moyennant un salaire brut de base de 2'500 fr. par mois, auquel venait
s'ajouter une garantie mensuelle de commission d'un même montant, soit en
tout 5'000 fr. L'art. 5 du contrat accordait pour le surplus à l'employé le
droit à des commissions de 0,15% sur les "financements effectués pour les
clients de PG", à partir de décomptes trimestriels établis en fonction des
encaissements.

Le 7 juillet 1997, les parties ont signé un avenant précisant que les
commissions au taux de 0,15% devaient être calculées sur le chiffre
d'affaires total des bureaux de Genève et de Zoug.

Dès 1998, les activités de PG ont été menées en parallèle avec celles de
X.________ SA, constituée avec siège à Zoug et une succursale à Genève en vue
d'une activité voisine de PG. A.________ présidait le conseil
d'administration de la société.

B. ________ a alors travaillé en tant qu'assistant de direction de
A.________, en le secondant à la fois pour les activités de PG et celles de
X.________ SA.

Le 30 octobre 2000, A.________ a licencié B.________ avec effet immédiat. Le
terme du contrat de travail a ensuite été fixé d'un commun accord au 30
novembre de la même année.

B.
Le 20 décembre 2000, B.________ a ouvert action devant le Tribunal des
prud'hommes du canton de Genève contre A.________ et X.________ SA, pris
conjointement et solidairement, en paiement de 176'888,90 fr., représentant
le solde de ses commissions selon un décompte arrêté au 23 novembre
précédent.

Les défendeurs, représentés par A.________, se sont opposés à la demande,
niant que des commissions soient exigibles sur les affaires de X.________ SA.
Seul un montant de 93'572,05 fr., reconnu par A.________, demeurait dû.

Par jugement du 25 avril 2001, le Tribunal des prud'hommes a admis la demande
à l'encontre des deux défendeurs, sous imputation d'une dette de 2'079 fr. de
l'employé.

A. ________ et X.________ SA ont appelé de cette décision, contestant à
nouveau que des commissions soient dues sur les affaires réalisées par la
société X.________ SA.

Statuant le 15 octobre 2001, la Cour d'appel a considéré que le contrat de
travail et l'avenant du 7 juillet 1997 s'appliquaient tant aux affaires de PG
que de X.________ SA, à Genève comme à Zoug. S'agissant de PG, le contrat et
son avenant indiquaient explicitement que les commissions portaient sur les
chiffres d'affaires des deux bureaux. S'agissant de X.________ SA, cette
société avait implicitement repris les obligations de PG envers B.________,
puisqu'il avait travaillé pour elle depuis 1998. Le droit aux commissions
s'étendait aux affaires réalisées par les bureaux genevois et zougois,
puisque X.________ SA n'avait pas modifié l'avenant au contrat de travail.

Toutefois, vu la contestation par le défendeur de certains points du
décompte, la Cour d'appel a renvoyé la cause au Tribunal pour complément
d'instruction "sur l'étendue des commissions réclamées par B.________ tant en
relation avec l'activité des PG à Genève et à Zoug qu'en relation avec
l'activité de X.________ à Genève et à Zoug".

Lors de la nouvelle audience devant le Tribunal, A.________ a estimé que la
Cour d'appel avait voulu limiter les commissions du demandeur aux affaires
des bureaux de Genève et Zoug. Pour la première fois, il a allégué que
certaines affaires figurant au nom de X.________ SA sur le décompte du
demandeur avaient été traitées par des bureaux régionaux, ouverts dans les
cantons de Neuchâtel, Vaud, Bâle et du Tessin en 1998 et 1999. Si l'on
soustrayait les commissions générées par les affaires de ces bureaux, le
solde dû se réduisait à 8'148,45 fr.

Selon les renseignements communiqués par les parties, les bureaux de
X.________ SA ouverts après 1997 dans les cantons de Neuchâtel, Vaud, Bâle et
du Tessin ne constituent pas des succursales; aucune comptabilité n'y est
tenue et les écritures concernant les opérations sont toutes enregistrées à
Genève ou à Zoug.

Par jugement du 6 mars 2002, le Tribunal a écarté l'objection des défendeurs
et a confirmé la précédente condamnation.
Par arrêt du 29 octobre 2002, la Cour d'appel a confirmé ce jugement.

C.
Les défendeurs déposent un recours en réforme contre l'arrêt cantonal.
Invoquant une violation des art. 8 CC, 18 al. 1, 322a et b CO, ils concluent
au déboutement du demandeur de toutes ses conclusions, subsidiairement à leur
condamnation à lui verser la somme de 8'148,45 fr. avec intérêts dès le 1er
décembre 2000, et, plus subsidiairement encore, au renvoi de la cause à la
Cour d'appel pour complément d'instruction.

Invité à se déterminer, le demandeur conclut au rejet du recours dans la
mesure où il est recevable.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral conduit son raisonnement
juridique sur la base des faits contenus dans la décision attaquée, à moins
que des dispositions fédérales en matière de preuve n'aient été violées,
qu'il faille rectifier des constatations reposant sur une inadvertance
manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou compléter les constatations de l'autorité
cantonale parce que celle-ci n'a pas tenu compte de faits pertinents et
régulièrement allégués (art. 64 OJ).

Dans la mesure où la partie recourante présente un état de fait qui s'écarte
de celui contenu dans la décision attaquée, sans se prévaloir avec précision
de l'une des exceptions qui viennent d'être rappelées, il n'est pas possible
d'en tenir compte. Il ne peut être présenté de griefs contre les
constatations de fait, ni de faits ou de moyens de preuve nouveaux (art. 55
al. 1 let. c OJ). Le recours en réforme n'est donc pas ouvert pour se
plaindre de l'appréciation des preuves et des constatations de fait qui en
découlent.

Dans son examen du recours, le Tribunal fédéral ne peut aller au-delà des
conclusions des parties, lesquelles ne peuvent en prendre de nouvelles (art.
55 al. 1 let. b OJ); en revanche, il n'est lié ni par les motifs que les
parties invoquent (art. 63 al. 1 OJ), ni par l'argumentation juridique de la
cour cantonale (art. 63 al. 3 OJ). Il peut donc admettre un recours pour
d'autres motifs que ceux invoqués par la partie recourante et peut également
rejeter un recours en adoptant une autre argumentation juridique que celle
retenue par la cour cantonale (ATF 127 III 248 consid. 2c et les références
citées).

2.
Les défendeurs reprochent à la Cour d'appel d'avoir violé leur droit à la
contre-preuve, garanti par l'art. 8 CC, en admettant un fait contesté par eux
- les commissions du demandeur pour les affaires traitées par les bureaux de
Neuchâtel, Bâle, Lausanne et du Tessin - sans aucun raisonnement ni
commencement de preuve en ce sens.

2.1 L'art. 8 CC dispose que chaque partie doit, si la loi ne prescrit le
contraire, prouver les faits qu'elle allègue pour en déduire son droit. Pour
toutes les prétentions relevant du droit privé fédéral, l'art. 8 CC répartit
le fardeau de la preuve et détermine, sur cette base, la partie qui doit
assumer les conséquences de l'absence de preuve (ATF 127 III 519 consid. 2a
p. 522).

De l'art. 8 CC découle aussi le droit à la contre-preuve, c'est-à-dire la
faculté, pour la partie opposée au plaideur chargé du fardeau de la preuve,
d'établir l'existence de faits susceptibles d'infirmer le bien-fondé des
allégations formant l'objet de la preuve principale (ATF 115 II 305; 126 III
315 consid. 4a p. 317; 120 II 393 consid. 4b p. 397).

Si le juge admet ou écarte un fait contesté sans aucun raisonnement ni aucun
commencement de preuve dans ce sens, il élude et viole en conséquence l'art.
8 CC. Une telle violation relève du recours en réforme (cf. Corboz, Le
recours en réforme, SJ 2000 II p. 41; ATF 114 II 289 consid. 2a p. 290; 105
II 143 consid. 6a/aa p. 144 s.).
2.2 En l'espèce, le rejet par la Cour d'appel de l'argumentation des
défendeurs ne relève nullement de l'art. 8 CC. En admettant que le demandeur
avait droit à des commissions sur l'intégralité des activités de PG et de
X.________ SA en Suisse, la Cour d'appel n'a pas retenu un allégué de fait
qui aurait été contesté par les défendeurs; elle a, en appréciant les
preuves, déterminé la volonté réelle des parties, ce qui ne laisse plus de
place pour l'application de l'art. 8 CC.

3.
Les défendeurs invoquent ensuite la violation de l'art. 18 al. 1 CO et, par
conséquent, des art. 322a et b CO. Ils estiment que les juges cantonaux ont
effectué une interprétation objective erronée du contrat de

travail et de son avenant, en retenant que le demandeur avait droit à des
commissions sur les affaires réalisées par les bureaux régionaux de
X.________ SA situés à Neuchâtel, Bâle, Lausanne et au Tessin.

3.1 En présence d'un litige sur l'interprétation d'une clause contractuelle,
le juge doit tout d'abord s'efforcer de déterminer la commune et réelle
intention des parties, sans s'arrêter aux expressions ou dénominations
inexactes dont elles ont pu se servir, soit par erreur, soit pour déguiser la
nature véritable de la convention (art. 18 al. 1 CO; ATF 127 III 444 consid.
1b).

Déterminer ce qu'un cocontractant savait et voulait au moment de conclure
relève des constatations de faits qui lient le Tribunal fédéral. Si la cour
cantonale parvient à se convaincre d'une commune et réelle intention des
parties, il s'agit d'une constatation de fait qui ne peut être remise en
cause dans un recours en réforme (ATF 126 III 25 consid. 3c, 375 consid.
2e/aa; 125 III 305 consid. 2b, 435 consid. 2a/aa).

Si la volonté réelle des parties ne peut pas être établie ou si elle est
divergente, le juge doit interpréter les déclarations et les comportements
selon la théorie de la confiance. Il doit donc rechercher comment une
déclaration ou une attitude pouvait être comprise de bonne foi en fonction de
l'ensemble des circonstances (cf. ATF 127 III 444 consid. 1b; 126 III 59
consid. 5b, 375 consid. 2e/aa p. 380). Le principe de la confiance permet
d'imputer à une partie le sens objectif de son comportement, même si celui-ci
ne correspond pas à sa volonté intime (ATF 127 III 279 consid. 2c/ee p. 287
et les références doctrinales).

En l'espèce, le Tribunal et la Cour d'appel ont procédé à une appréciation
des événements et du comportement des parties postérieurs à la conclusion du
contrat. Les autorités cantonales ont ainsi déterminé la volonté réelle des
parties. S'agissant d'une question de fait, le Tribunal fédéral, saisi d'un
recours en réforme, est lié par cette constatation (cf. supra, consid. 1).

3.2 Les défendeurs soutiennent encore que la solution cantonale viole les
art. 322a et b CO car le demandeur n'avait pas droit à une participation au
résultat de l'ensemble de l'entreprise au sens de l'art. 322a CO, mais à une
provision limitée à certaines affaires, au sens de l'art. 322b CO.

Aux termes de l'art. 322a al. 1 CO, si, en vertu du contrat, le travailleur a
droit à une part du bénéfice ou du chiffre d'affaires ou participe d'une
autre manière au résultat de l'exploitation, cette part est calculée sur la
base du résultat de l'exercice annuel, déterminé conformément aux
prescriptions légales et aux principes commerciaux généralement reconnus.

Selon l'art. 322b al. 1 CO, s'il est convenu que le travailleur a droit à une
provision sur certaines affaires, elle lui est acquise dès que l'affaire a
été valablement conclue avec le tiers.

En l'espèce, seule était litigieuse la question de savoir si le contrat et
son avenant donnaient au demandeur le droit à des commissions sur toutes les
affaires conclues par X.________ SA ou seulement sur certaines d'entre elles.
Le mode de calcul de ces commissions ou leur échéance n'étaient pas
contestés. Partant, l'autorité cantonale n'a pas eu recours aux articles
cités par les défendeurs et ceux-ci ne soutiennent pas qu'elle aurait dû les
appliquer. Le grief est donc dénué de tout fondement.

4.
Au vu de ce qui précède, le recours en réforme sera rejeté dans la mesure où
il est recevable. Il appartiendra aux défendeurs, qui succombent, d'assumer
les frais judiciaires et les dépens de la procédure fédérale (art. 156 al. 1
et 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.

2.
Un émolument judiciaire de 5'500 fr. est mis à la charge des recourants.

3.
Les recourants verseront une indemnité de 6'500 fr. à l'intimé à titre de
dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux parties et à la Cour d'appel de
la juridiction des prud'hommes du canton de Genève.

Lausanne, le 31 mars 2003

Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président:   La greffière: