Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilabteilung 4C.381/2002
Zurück zum Index I. Zivilabteilung 2002
Retour à l'indice I. Zivilabteilung 2002


4C.381/2002 /ech

Arrêt du 29 avril 2003
Ire Cour civile

MM. les Juges Corboz, président, Nyffeler et Favre.
Greffière: Mme Aubry Girardin.

X.________,
demandeur et recourant, représenté par Me François Besse, avocat, rue de
Bourg 1, case postale 2273,
1002 Lausanne,

contre

A.________ S.A.,
défenderesse et intimée, représentée par Me Christian Dénériaz, avocat, rue
Centrale 5, case postale 3149, 1002 Lausanne.

action en libération de dette; culpa in contrahendo

(recours en réforme contre le jugement de la Cour civile du Tribunal cantonal
vaudois du 15 mars 2002).

Faits:

A.
X. ________ exploite le Garage E.________, qui se compose d'un garage et
d'une station-service.

Depuis 1987, il a vendu de l'essence à l'enseigne de B.________, qui le
fournissait sur la base d'un contrat de commission pour la livraison
exclusive de carburant. La société coopérative B.________ possédait également
une servitude sur l'immeuble de X.________ qui lui permettait de maintenir et
d'exploiter des installations de distribution de ses produits, en lui
assurant un droit de passage et de stationnement.

D. ________ AG (devenue par la suite A.________ S.A.; ci-après : A.________)
est une société qui s'occupe de la distribution et de la livraison de
carburant A.________ à diverses stations-service.

Au mois de mai 1994, X.________ est entré en pourparlers avec A.________, en
vue d'une collaboration concernant l'exploitation de sa station-service.

Le 14 juin 1994, X.________, qui était concessionnaire C.________, a résilié
pour le 31 décembre 1994 le contrat qui le liait à C.________ Automobiles
S.A.

Par courrier du 21 juin 1994, A.________ a manifesté à X.________ son intérêt
à collaborer à l'exploitation de la station-service. Toutefois, comme un
important investissement devait être consenti pour la mise en conformité de
la station avec les nouvelles normes relatives à la protection de l'air, elle
a précisé qu'elle devait conduire une étude afin de déterminer le coût d'une
telle opération et qu'elle reprendrait contact une fois qu'elle serait en
possession de toutes les données.

A. ________ n'a pas procédé rapidement à l'étude annoncée et, de l'été 1994
jusqu'au début de l'année 1996, il n'y a pas eu de contact entre les parties
au sujet de ce projet.

X. ________ n'a pas répondu à la demande de B.________ du 18 novembre 1994
qui portait sur la conclusion d'un nouveau contrat, leur ancien accord
arrivant à expiration à la fin de l'année 1994. La servitude grevant
l'immeuble du garagiste en faveur de B.________ a été radiée du registre
foncier.
A partir du 1er janvier 1995, X.________ a loué une partie de ses locaux à
Y.________. Le 27 décembre 1995, ce dernier s'est déclaré d'accord de libérer
les lieux pour le 31 janvier 1996. Il n'a pas été tenu pour établi que
A.________ ait suggéré la libération des locaux en vue de l'assainissement du
garage. X.________ aurait agi de sa propre initiative, car il comptait
beaucoup sur une collaboration avec A.________, en particulier sous la forme
d'une location par celle-ci d'une partie de son immeuble.

Depuis 1995, A.________ a livré à plusieurs reprises du carburant à
X.________, sans qu'il y ait de contrat de livraison exclusive entre eux. Le
garagiste avait les plus grandes difficultés à payer l'essence qu'il
commandait.

Le 11 avril 1996, X.________ a confirmé à A.________ qu'il n'était pas en
mesure de régler les factures concernant la livraison de l'essence effectuée
pour une valeur de 150'000 fr.

Par courrier du 29 avril 1996, A.________ a indiqué à X.________ qu'un projet
en vue de leur collaboration était en cours et que celui-ci serait
prochainement remis à sa direction générale, seule compétente pour toute
décision définitive. Une estimation des coûts d'assainissement et une marche
à suivre étaient annexées. Cette dernière réservait la concrétisation de
l'accord à une décision définitive sur les installations, à la confirmation
de commande à A.________, à la remise du dossier complet pour approbation à
la direction, à la décision de cette dernière et à la signature des contrats.

Le 21 mai 1996, une réunion a eu lieu au Garage E.________ entre X.________
et les représentants de A.________.

A une date indéterminée, X.________ a établi un document intitulé ordre du
jour qui était censé résumer le contenu de la réunion. Il n'a pas été établi
que ce document aurait été remis à A.________ ni que son contenu serait le
reflet d'une quelconque réalité.

Le 21 janvier 1997, X.________ a adressé à A.________ un plan de paiement
échelonné et s'est acquitté d'une partie des sommes dues.

Par courrier du 30 janvier 1997, le conseil de A.________ a pris acte du plan
de paiement présenté, tout en indiquant que, sur les livraisons de carburant
intervenues depuis 1995, il restait un solde dû de 174'053,40 fr., qui serait
entièrement réclamé si les échéances n'étaient pas respectées. Cette lettre
ajoutait que A.________ avait renoncé à exiger le paiement de 150'000 fr. sur
cette somme pour tenir compte de l'éventualité d'une reprise par elle-même
des locaux de la station-service, mais ce projet était "encore dans les
limbes". A.________ prendrait prochainement position sur le principe d'un tel
accord.

Après avoir plusieurs fois relancé X.________ pour qu'il honore le plan de
paiement qu'il avait lui-même présenté, A.________ a informé celui-ci, par
courrier du 19 août 1997, qu'à la suite des résultats de l'étude, elle
renonçait à investir dans le projet d'assainissement de la station-service et
qu'elle reprendrait contact afin d'établir un plan de paiement des 161'374,85
fr. en suspens.

Le 30 septembre 1997, X.________ a été mis en demeure de régler 161'373,80
fr. jusqu'au 15 octobre 1997.

Le 2 octobre 1997, le garagiste a fait valoir un manque à gagner de 72'000
fr. en raison des pourparlers intervenus dès mai 1994 concernant
l'assainissement de sa station-service et s'est déclaré prêt à régler la
somme de 89'373,80 fr. (161'373,80 fr. - 72'000 fr.) à raison de versements
de 1'000 fr. par mois.

A. ________ a répondu le lendemain qu'elle considérait les prétentions liées
au manque à gagner comme fantaisistes.

Sur réquisition de A.________, X.________ s'est vu notifier, le 16 octobre
1997, un commandement de payer portant sur un montant total de 161'373,80 fr.
plus intérêt.

Le 16 décembre 1997, le Président du Tribunal du district de Z.________ a
prononcé la mainlevée provisoire de l'opposition formée par X.________ au
commandement de payer à concurrence de 89'373,80 fr. plus intérêt à 5 % l'an
dès le 16 octobre 1997.

B.
Le 26 janvier 1998, X.________ a adressé au Tribunal cantonal vaudois une
demande en libération de dette. Invoquant la compensation, il a conclu à ce
qu'il soit prononcé qu'il n'est pas le débiteur de A.________ du montant de
89'373,80 fr. plus intérêt et à ce que l'opposition formée au commandement de
payer soit définitivement confirmée.
Par jugement du 15 mars 2002 dont la motivation a été remise aux parties le 5
novembre 2002, le Tribunal cantonal vaudois a condamné X.________ à payer à
A.________ la somme de 161'373,80 fr. avec intérêt à 5 % l'an dès le 16
octobre 1997 et a levé définitivement l'opposition formée par le débiteur au
commandement de payer n° ... de l'Office des poursuites de Z.________ à
concurrence de 89'373,80 fr. avec intérêt à 5 % l'an dès le 16 octobre 1997.

C.
Contre ce jugement, X.________ (le demandeur) interjette un recours en
réforme au Tribunal fédéral. Il conclut, avec suite de frais et dépens, à
l'admission du recours, à la constatation qu'il est débiteur de A.________
d'un montant de 45'123,80 fr. avec intérêt à 5 % l'an dès le 16 octobre 1997
et à ce que l'opposition faite au commandement de payer n° ... soit
définitivement confirmée à concurrence de 89'373,80 fr., subsidiairement à
concurrence de 44'250 fr., avec intérêt à 5 % l'an dès le 16 octobre 1997.

A. ________ (la défenderesse) propose le rejet du recours, avec suite de
frais et dépens.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Interjeté par le demandeur qui a succombé dans son action en libération de
dette, le présent recours est dirigé contre un jugement final rendu en
dernière instance cantonale par un tribunal supérieur (art. 48 al. 1 OJ; art.
444 et 451a CPC vaud.), sur une contestation civile dont la valeur litigieuse
atteint le seuil de 8'000 fr. (art. 46 OJ).

Le recours a été déposé en temps utile (art. 54 al. 1 OJ) et dans les formes
requises (art. 55 OJ). Quant à l'avance de frais, elle a été versée dans le
délai prolongé qui a été imparti (art. 33 al. 2 OJ). Le recours apparaît donc
en principe recevable.

2.
Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral doit mener son
raisonnement juridique sur la base des faits contenus dans la décision
attaquée, à moins que des dispositions fédérales en matière de preuve n'aient
été violées, qu'il y ait lieu de rectifier des constatations reposant sur une
inadvertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou qu'il faille compléter les
constatations de l'autorité cantonale parce que celle-ci n'a pas tenu compte
de faits pertinents, régulièrement allégués et clairement établis (art. 64
OJ; ATF 127 III 248 consid. 2c et l'arrêt cité). Dans la mesure où une partie
recourante présente un état de fait qui s'écarte de celui contenu dans la
décision attaquée, sans se prévaloir avec précision de l'une des exceptions
qui viennent d'être rappelées, il n'est pas possible d'en tenir compte (ATF
127 III 248 consid. 2c). Il ne peut être présenté de griefs contre les
constatations de fait, ni de faits ou de moyens de preuve nouveaux (art. 55
al. 1 let. c OJ). Le recours en réforme n'est pas ouvert pour se plaindre de
l'appréciation des preuves et des constatations de fait qui en découlent (ATF
127 IIII 543 consid. 2c p. 547; 126 III 189 consid. 2a).

Le demandeur semble perdre de vue ces principes, dès lors qu'à l'appui des
violations du droit fédéral invoquées, il présente sa propre version des
événements, qui diffère de celle retenue dans le jugement attaqué. Un tel
procédé revient à confondre le recours en réforme avec un appel et n'est pas
admissible. La Cour de céans n'examinera donc les griefs soulevés qu'à la
lumière des faits constatés par la cour cantonale.

3.
Le demandeur ne remet pas en cause la créance de la défenderesse concernant
les factures d'essence impayées. Ce point n'étant pas critiqué, il sera
considéré comme acquis (art. 55 al. 1 let. b et c OJ). En revanche, il s'en
prend au refus de la cour cantonale d'admettre qu'il était en droit de
compenser cette créance avec des prétentions reposant sur la responsabilité
précontractuelle de la défenderesse. Le litige se limite donc à la question
du bien-fondé de telles prétentions.

4.
La cour cantonale a nié que la responsabilité fondée sur une culpa in
contrahendo de la défenderesse puisse être engagée sur la base d'une double
motivation. Elle a d'une part considéré que le dommage allégué par le
demandeur, à savoir la perte de loyer liée à la libération, pour le 1er
février 1996, des locaux loués à Y.________ et le manque à gagner résultant
de la non-conclusion d'un nouveau contrat avec B.________ début 1995, n'était
pas en relation de causalité avec le déroulement des pourparlers engagés avec
la défenderesse. Elle a d'autre part relevé que le demandeur ne disposait
d'aucune assurance quant à la conclusion d'un contrat avec la défenderesse
concernant l'exploitation de sa station-service qui aurait pu faire
apparaître la décision finale de la défenderesse de renoncer à ce projet
comme contraire aux règles de la bonne foi.

Le demandeur s'en prenant aux deux pans de cette motivation, il convient
d'entrer en matière (cf. ATF 122 III 488 consid. 2; 115 II 300 consid. 2a).

5.
La culpa in contrahendo repose sur l'idée que, pendant les pourparlers, les
parties doivent agir selon les règles de la bonne foi (ATF 121 III 350
consid. 6c p. 354). Pour que la responsabilité de l'une des parties soit
engagée de ce chef, il faut en tous les cas que celle-ci ait agi de manière
contraire aux règles de la bonne foi, que l'autre partie ait subi un dommage
et qu'il existe un lien de causalité entre ce dommage et le comportement en
cause (cf. en ce sens ATF 121 III 350 consid. 6d p. 356 et 7a; Rainer
Gonzenbach, Culpa in contrahendo im schweizerischen Vetragsrecht, thèse Berne
1987, p. 83, 92 et 138; Christine Chappuis, Responsabilité fondée sur la
confiance: un tour d'horizon, in La responsabilité fondée sur la confiance,
Zurich 2001, p. 21 ss, 25).

5.1 Les règles de la bonne foi imposent à chaque partie de négocier
sérieusement, conformément à ses véritables intentions durant les pourparlers
(cf. ATF 125 III 86 consid. 3c; 116 II 695 consid. 3; 105 II 75 consid. 2a);
le devoir de se comporter sérieusement suppose de ne pas engager, ni de
poursuivre des négociations en ayant l'intention de ne pas conclure le
contrat; il implique également de ne pas mener des pourparlers de manière à
faire croire que sa volonté de conclure est plus forte qu'en réalité. En
revanche, chaque partie a le droit de rompre les pourparlers sans être
obligée d'en donner les raisons. Ce n'est que dans des situations
exceptionnelles qu'une culpa in contrahendo sera retenue en cas de rupture
des pourparlers (Kramer, Commentaire bernois, art. 22 CO no 13). A cet égard,
il ne suffit pas que les négociations aient duré longtemps ni que la partie à
l'origine de la rupture ait été au courant des investissements effectués par
l'autre; en principe, la partie qui engage des frais avant la conclusion du
contrat le fait à ses risques et périls (arrêt du Tribunal fédéral
4C.152/2001 du 29 octobre 2001, publié in SJ 2002 I 164, consid. 3a et les
références citées).

En l'espèce, il ressort du jugement entrepris que les parties ont eu des
contacts en mai et en juin 1994 en vue de collaborer à l'exploitation de la
station-service du demandeur, mais qu'il ne s'agissait alors que de
pourparlers peu avancés, la conclusion éventuelle d'un contrat apparaissant
encore lointaine et incertaine. Les parties n'ont repris leurs discussions
qu'au début de l'année 1996 et il a été constaté que la défenderesse n'avait
rien fait qui eût pu donner l'idée au demandeur qu'un contrat serait
certainement conclu. Dans la marche à suivre annexée à son courrier du 29
avril 1996, la défenderesse a d'ailleurs pris soin d'émettre de nombreuses
réserves. Il n'a pas davantage été établi que la défenderesse aurait donné
des informations au demandeur lui laissant penser que ses locaux devaient
être libres de tout bail ou que celui-ci était tenu de mettre fin à tous ses
engagements. Dans un tel contexte, on ne voit manifestement pas en quoi l'on
pourrait reprocher à la défenderesse d'avoir adopté un comportement contraire
aux règles de la bonne foi de nature à engager sa responsabilité sur la base
de la culpa in contrahendo.

L'argumentation du demandeur, qui tend à démontrer que l'attitude de la
défenderesse lui aurait permis de penser de bonne foi qu'elle allait
contracter avec lui, s'écarte très largement des constatations cantonales qui
retiennent expressément l'inverse, de sorte qu'il n'y a pas à en tenir compte
(cf. supra consid. 2). Le jugement attaqué fait apparaître que c'est avant
tout le demandeur qui, de sa propre initiative, a décidé de libérer les
locaux de tout bail et qui a renoncé à conclure un nouveau contrat avec
B.________, alors que la défenderesse avait seulement manifesté son intérêt à
une éventuelle collaboration. Il s'agit de manière caractéristique d'une
situation dans laquelle l'une des parties, se laissant emporter par l'espoir
d'une collaboration qui lui serait favorable, prend les devants et procède à
des démarches, alors qu'aucun accord n'a encore été conclu. Or, selon la
jurisprudence précitée, la responsabilité fondée sur la culpa in contrahendo
ne saurait servir à protéger celui qui engage des frais au stade des
pourparlers, alors que l'autre partie ne lui a pas donné d'assurances
particulières qu'un contrat serait finalement conclu.

5.2 En l'absence de comportement contraire à la bonne foi de la part de la
défenderesse, les prétentions invoquées en compensation par le demandeur sur
la base de la culpa in contrahendo sont d'emblée exclues. Il n'y a ainsi pas
lieu d'examiner si, au surplus, les autres conditions d'une telle
responsabilité seraient réunies, en particulier le lien de causalité
adéquate.

En déclarant infondée l'action en libération de dette introduite par le
demandeur, la cour cantonale n'a par conséquent pas violé le droit fédéral,
de sorte que le recours doit être rejeté.

6.
Compte tenu de l'issue du litige, les frais et dépens seront mis à la charge
du demandeur (art. 156 al. 1 et 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Un émolument judiciaire de 5'000 fr. est mis à la charge du demandeur.

3.
Le demandeur versera à la défenderesse une indemnité de 6'000 fr. à titre de
dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux parties et à la Cour civile du
Tribunal cantonal vaudois.

Lausanne, le 29 avril 2003

Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président:    La greffière: