Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilabteilung 4C.313/2002
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4C.313/2002 /ech

Arrêt du 9 mars 2004
Ire Cour civile

MM. et Mme les Juges Corboz, Président, Klett et Favre.
Greffier: M. Ramelet

X.________ Sàrl,
demanderesse et recourante, représentée par Me Thierry Thonney,

contre

A.________,
défenderesse et intimée, représentée par Me Antonella Cereghetti Zwahlen.

contrat composé soumis à une condition résolutoire,

recours en réforme contre le jugement de la Cour civile du Tribunal cantonal
vaudois du 18 mars 2002.

Faits:

A.
A.a En août 1995, B.________, associé gérant et propriétaire économique de
X.________ Sàrl (ci-après: X.________ ou la demanderesse), a fondé avec
A.________, C.________, D.________ et E.________, la société Y.________ AG
(ci-après: Y.________), à W.________; les quatre dernières personnes
précitées ont été nommées administrateurs de Y.________, avec signature
collective à deux (art. 64 al. 2 OJ). Y.________ a été créée dans le but
unique d'exploiter, en Suisse allemande et au Tessin, les publications
éditées en langue française par X.________, cela sous le nouveau titre
"Z.________".

Le 18 août 1995, B.________, A.________, C.________ et E.________ ont signé
une "déclaration d'intention", dont les clauses suivantes sont extraites:
"La convention d'affermage est acceptée par tout le monde (...).

(...)

Les actionnaires sont d'accord de reprendre les actions à M. B.________ ou
ses nommables, dans les deux ans qui suivent, soit: 50 % jusqu'à fin 1996 et
50 % jusqu'à fin 1997. A fin 1997, les actions que détiendra B.________ ou
ses nommables correspondront à 20 % du capital-actions et du droit de vote; à
parts égales avec les autres actionnaires.

(...)

Après la fondation de la nouvelle société [Y.________], la convention
d'affermage et la convention des actionnaires seront signées dans les plus
brefs délais".
Toujours le 18 août 1995, X.________, représentée par B.________, et
Y.________, agissant par A.________, D.________, C.________ et E.________,
ont signé une convention dite "d'affermage" réglant les modalités de leur
collaboration. Elle précisait que B.________ "donnait son copyright à
Y.________", en contrepartie du versement par celle-ci à X.________ d'un
pourcentage variable sur le chiffre d'affaires annuel minimum net que
s'engageait à réaliser Y.________ au moyen de la publication de l'édition
"Z.________" (art. 64 al. 2 OJ). Il a été retenu que l'existence de la
convention "d'affermage" précitée était vitale pour la survie de la société
Y.________.

Pour éviter toute concurrence entre X.________ et Y.________, les limites
territoriales de leur activité respective ont été fixées par un avenant du 28
novembre 1995, prévoyant des exceptions éventuelles.
Le 22 août 1995, B.________, D.________, C.________, E.________ et A.________
ont passé une "convention des actionnaires" stipulant notamment ce qui suit:
"Les autres actionnaires s'engagent à reprendre les actions de M. B.________
ou de ses nommables dans les deux ans qui suivent, soit: 50 % jusqu'à fin
1996 et 50 % jusqu'à fin 1997 et ceci à leur valeur réelle, mais au minimum à
leur valeur nominale.

A fin 1997, les actions que détiendra B.________ ou ses nommables
correspondront à 20 % du capital-actions et du droit de vote; à parts égales
avec les autres actionnaires".

A. ________ a signé cette convention dans la perspective de l'essor de la
future société Y.________.

Le 23 août 1995, l'actionnariat de Y.________ était constitué de la manière
suivante: B.________ était titulaire de 80 actions nominatives de 1'000 fr.
chacune représentant le 80 % du capital-actions; A.________, C.________,
D.________ et E.________ étaient titulaires chacun de 5 % du capital social
sous la forme de 50 actions nominatives d'une valeur nominale de 100 fr.

Le 4 décembre 1996, B.________ a cédé ses actions à X.________.

A.b Après quelques mois d'activité, Y.________ a périclité, en raison
notamment d'un préjudice de 40'000 fr. environ causé par son administrateur
C.________, lequel a été contraint de remettre ses actions à titre fiduciaire
à la société, avant d'être radié du registre des actionnaires.

Le 18 février 1997, X.________ s'est adressée notamment à A.________ pour
obtenir l'exécution de la "convention des actionnaires" et a invité cette
dernière à reprendre 11 actions nominatives de 1'000 fr. et à verser le
montant de 11'000 fr. A.________ n'a pas donné suite à la requête.

Par lettre du 27 novembre 1997, X.________ a retiré à Y.________ les droits
d'exploitation de ses publications et demandé la "rupture" du contrat
d'affermage du 18 août 1995 pour le 31 mai 1998. Y.________ a signé cette
écriture "Pour accord" par l'entremise de A.________. Il résulte de la lettre
susmentionnée que X.________ avait l'intention de continuer l'exploitation de
"Z.________" par l'intermédiaire d'une nouvelle société, tout en se réservant
d'établir une nouvelle convention avec Y.________ si cette dernière proposait
"d'autres possibilités" pour la poursuite de l'exploitation de "Z.________".

Au moment de la résiliation de la convention d'affermage, Y.________ n'avait
pas réalisé le chiffre d'affaires minimum qui y était prévu et n'avait pas
payé la contrepartie financière due à la demanderesse pour les années 1996 et
1997.

Mise en liquidation le 4 mai 1998, Y.________ a été radiée du registre du
commerce le 13 mars 2000.

B.
Le 11 septembre 1998, X.________ a mis en demeure A.________ de lui racheter
20 actions nominatives de Y.________ au prix de 20'000 fr., en application de
la clause susmentionnée de la convention des actionnaires du 22 août 1995.

Devant la carence de A.________, B.________ lui a fait notifier un
commandement de payer pour cette somme et à ce titre, auquel la poursuivie a
fait opposition totale.

Le 23 décembre 1998, X.________ a actionné A.________ devant la Cour civile
du Tribunal cantonal vaudois en paiement de 20'000 fr. avec intérêts à 5 %
l'an dès le 1er janvier 1998. La demanderesse a allégué tenir à la
disposition de la défenderesse 20 actions nominatives de Y.________ contre
paiement de ce prix.

Par jugement du 18 mars 2002, dont les considérants ont été notifiés le 30
août 2002, la Cour civile a entièrement débouté la demanderesse. Elle a
considéré en substance qu'il y avait identité entre B.________ et la
demanderesse, au point que les actes auxquels le premier était partie
personnellement engageaient également la seconde. Le fait que la déclaration
d'intention du 18 août 1995 mentionnait expressément que la convention
"d'affermage" et la "convention des actionnaires" seraient signées à bref
délai démontraient que ces deux conventions étaient étroitement liées. La
cour cantonale en déduit que la défenderesse s'était ainsi engagée à acheter
les actions de B.________ ou de ses nommables aux conditions implicites,
d'une part, que la convention d'affermage soit encore en vigueur au moment du
transfert des actions et du paiement du prix de vente et, d'autre part, que
la société Y.________ soit viable. L'engagement d'acquérir les actions de
Y.________ devait être qualifié de contrat de vente à terme. Comme la
convention d'affermage a été résiliée par accord entre Y.________ et la
demanderesse, à l'initiative de cette dernière, la Cour civile a jugé que la
"convention des actionnaires" était devenue inexécutable, car une des
conditions d'application de la vente à terme faisait défaut lors de l'envoi
de la mise en demeure du 11 septembre 1998.

C.
La demanderesse exerce un recours en réforme au Tribunal fédéral contre le
jugement précité Principalement, elle reprend ses conclusions d'instance
cantonale; subsidiairement, elle requiert l'annulation de la décision
attaquée, la cause étant renvoyée à la cour cantonale pour nouveau jugement
dans le sens des considérants.

L'intimée propose le rejet du recours.

Par arrêt du 22 octobre 2003, la Chambre des recours du Tribunal cantonal
vaudois a rejeté le recours cantonal en nullité déposé par la demanderesse
contre le jugement de la Cour civile.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
1.1 Interjeté par la partie qui a succombé dans ses conclusions
condamnatoires et dirigé contre un jugement final rendu en dernière instance
cantonale par un tribunal supérieur (art. 48 al. 1 OJ) sur une contestation
civile dont la valeur litigieuse atteint le seuil de 8'000 fr. (art. 46 OJ),
le recours en réforme est en principe recevable, puisqu'il a été déposé en
temps utile (art. 54 al. 1 OJ) dans les formes requises (art. 55 OJ).

1.2 Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral conduit son
raisonnement juridique sur la base des faits contenus dans la décision
attaquée, à moins que des dispositions fédérales en matière de preuve n'aient
été violées, qu'il faille rectifier des constatations reposant sur une
inadvertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou compléter les constatations de
l'autorité cantonale parce que celle-ci n'a pas tenu compte de faits
pertinents, régulièrement allégués et clairement établis (art. 64 OJ; ATF 127
III 248 consid. 2c; 126 III 59 consid. 2a).
Dans la mesure où la partie recourante présente un état de fait qui s'écarte
de celui contenu dans la décision attaquée, sans se prévaloir avec précision
de l'une des exceptions qui viennent d'être rappelées, il n'est pas possible
d'en tenir compte (ATF 127 III 248 consid. 2c). Il ne peut être présenté de
griefs contre les constatations de fait, ni de faits ou de moyens de preuve
nouveaux (art. 55 al. 1 let. c OJ). Le recours en réforme n'est donc pas
ouvert pour remettre en cause l'appréciation des preuves et les constatations
de fait qui en découlent (ATF 128 III 271 consid. 2b/aa p. 277; 127 III 543
consid. 2c; 126 III 189 consid. 2a).

La demanderesse méconnaît ces principes à plusieurs reprises dans son
recours. Ainsi, elle ne peut remettre en question la prise en considération
d'éléments de fait, à ses yeux "non allégués et par conséquent non prouvés"
(cf. p. 4 § 3 du recours en réforme), qui concernent la durée de validité de
la convention "d'affermage" et la viabilité de Y.________, faute d'avoir
introduit un recours de droit public contre l'arrêt de la Chambre des recours
qui a rejeté ses moyens de nullité. Il ne sera dès lors pas tenu compte de
ces éléments.

2.
La recourante reproche à la Cour civile d'avoir violé l'art. 18 CO en
interprétant la convention d'actionnaires, alors que les parties avaient
exprimé clairement et sans ambiguïté leur volonté concordante sur tous les
points essentiels du contrat. A l'en croire, les juges cantonaux, qui ont
complété cet accord en ce sens que sa validité a été soumise au respect d'une
condition suspensive ou résolutoire, ont enfreint gravement les limites
posées par l'art. 2 CO quant au complètement des contrats. De toute manière,
la convention "d'affermage" - à supposer que son maintien soit érigé en
condition implicite de la "convention des actionnaires" - n'a été résiliée
que pour le 31 mai 1998, soit postérieurement aux deux termes prévus pour la
reprise des actions de la demanderesse. La recourante allègue encore que
l'intimée n'a jamais déclaré résilier la convention du 22 août 1995 pour
erreur essentielle. Enfin, il n'existerait aucune impossibilité subséquente
qui s'opposerait aux conclusions de la demanderesse.

3.
Il convient préliminairement d'éclaircir certaines questions avant d'aborder
le fond du litige.

3.1 La cour cantonale a retenu définitivement (art. 63 al. 2 OJ) que
B.________ agissait parfois en son nom propre et parfois au nom de la
recourante, à telle enseigne que "les tiers pouvaient considérer qu'il
s'agissait d'une même entité". La conclusion que la cour cantonale en a
tirée, par le recours aux concepts juridiques de procuration externe
apparente et de protection du tiers de bonne foi (cf. ATF 120 II 197 consid.
2a), ne prête pas le flanc à la critique, ce qui signifie qu'il doit être
admis que les actes auxquels B.________ était personnellement partie
engageaient également la demanderesse ou bénéficiaient à celle-ci, en vertu
du principe de la transparence (Durchgriff) (ATF 113 II 31 consid. 2c, p. 36;
112 II 503 consid. 3b, p. 505/506).

3.2 Selon l'état de fait définitif, une "déclaration d'intention" a été
signée le 18 août 1995. Cet acte précisait que les actionnaires minoritaires
de la future société Y.________, soit C.________, D.________, E.________ et
la défenderesse, s'engageaient à reprendre, à raison de 50 % à fin 1996 et à
raison de 50 % à fin 1997, la participation de l'actionnaire majoritaire
B.________ ou de ses nommables dépassant le 20 % du capital social de cette
société. Il y était stipulé qu'en particulier la "convention des
actionnaires" serait signée dans les plus brefs délais après la fondation de
la société Y.________.

Le 22 août 1995, B.________ et tous les actionnaires minoritaires de
Y.________ ont conclu une "convention des actionnaires". Concernant le
transfert des actions de l'actionnaire majoritaire B.________ ou de ses
nommables aux quatre autres actionnaires de Y.________, la convention
reprenait intégralement la déclaration d'intention; un seul point était
ajouté, indiquant que ledit transfert, dans les modalités et termes prévus,
se ferait "au minimum à (la) valeur nominale" des actions de Y.________.

Il suit de là que la déclaration d'intention semble revêtir toutes les
caractéristiques d'un précontrat (cf. sur cette notion, ATF 118 II 32 consid.
3b et les références), dans la mesure où elle contient tous les éléments
essentiels du contrat envisagé, soit les clauses de la convention
d'actionnaires traitant de la vente d'une partie des actions de l'actionnaire
majoritaire selon des modalités et délais déterminés.

A supposer même que la précision quant au prix de vente minimum des actions,
qui a été apportée par la convention du 22 août 1995, dût être considérée
comme un élément essentiel de la convention d'actionnaires ne figurant pas,
même implicitement, dans la déclaration d'intention, cette dernière ne
manifesterait pas moins la volonté renforcée de mener à bien les négociations
entamées (cf. à ce propos, Ralph Schlosser, Les lettres d'intention: portée
et sanction des accords précontractuels, in: Responsabilité civile et
assurance, Etudes en l'honneur de Baptiste Rusconi, Lausanne 2000, p. 351),
lesquelles, comme on l'a vu, ont trouvé leur achèvement quatre jours plus
tard dans la conclusion de la convention des actionnaires en question.

Partant, la "déclaration d'intention" n'a pas de portée propre. La solution
du litige dépend en réalité de l'interprétation de la "convention des
actionnaires" du 22 août 1995, tout d'abord considérée isolément puis
combinée avec la "convention d'affermage" conclue le 18 août 1995, du moment
que ces deux actes sont intimement liés, ainsi qu'on le verra ci-dessous. Les
deux conventions précitées devront tout d'abord être qualifiées séparément.

4.
Face à un litige sur l'interprétation de clauses contractuelles, le juge doit
tout d'abord s'efforcer de déterminer la commune et réelle intention des
parties, sans s'arrêter aux expressions ou dénominations inexactes dont elles
ont pu se servir, soit par erreur, soit pour déguiser la nature véritable de
la convention (art. 18 al. 1 CO). Le résultat de cette interprétation, dite
subjective, relève des constatations de fait qui lient le Tribunal fédéral.

Si la volonté réelle des parties ne peut pas être établie ou si elle est
divergente, le juge doit recourir à l'interprétation objective, fondée sur la
théorie de la confiance. L'application du principe de la confiance est une
question de droit que le Tribunal fédéral peut examiner librement dans le
cadre du recours en réforme. Toutefois, pour trancher cette question, il faut
s'appuyer sur le contenu des manifestations de volonté et sur les
circonstances, lesquelles relèvent du fait (ATF 129 III 118 consid. 2.5; 128
III 419 consid. 2.2; 127 III 444 consid. 1b). Il doit être rappelé que le
principe de la confiance permet d'imputer à une partie le sens objectif de sa
déclaration ou de son comportement, même si celui-ci ne correspond pas à sa
volonté intime (ATF 129 III 118 consid. 2.5; 128 III 419 consid. 2.2 et les
références doctrinales).

Le sens d'un texte, apparemment clair, n'est pas forcément déterminant, de
sorte que l'interprétation purement littérale est prohibée. Même si la teneur
d'une clause contractuelle paraît limpide à première vue, il peut résulter
d'autres conditions du contrat, du but poursuivi par les parties ou d'autres
circonstances que le texte de ladite clause ne restitue pas exactement le
sens de l'accord conclu (ATF 129 III 118 consid. 2.5; 127 III 444 consid.
1b).

5.
5.1 Il ne semble pas que la cour cantonale a établi la volonté réelle des
cocontractants de la "convention des actionnaires" du 22 août 1995. Il sied
donc d'interpréter l'accord en vertu du principe de la confiance.

Il résulte des deux clauses de ladite convention reproduites plus haut que
les quatre actionnaires minoritaires de Y.________ se sont déclarés disposés
à acheter, en deux étapes - i. e. 50 % jusqu'à fin 1996 et 50 % jusqu'à fin
1997 - des actions de l'actionnaire majoritaire B.________, à leur valeur
réelle mais au moins à leur valeur nominale, afin qu'à l'issue de
l'opération, chacun des cinq actionnaires possédât la même part du capital
social de la société, soit 20 %.

Il a été constaté que, le 23 août 1995, B.________ était titulaire de 80
actions nominatives dont la valeur nominale était de 1'000 fr. correspondant
à 80 % du capital-actions de Y.________, alors que le 20 % restant du capital
social était réparti, à parts égales, entre les quatre autres actionnaires,
qui en possédaient 5 % sous la forme de 50 actions nominatives d'une valeur
nominale de 100 fr. Dans ces conditions, il apparaît que chaque actionnaire
minoritaire s'est obligé de bonne foi à acheter en tout 15 des 80 actions de
l'actionnaire majoritaire, de sorte qu'à la fin 1997, celui-ci ne soit plus
titulaire que de 20 actions d'une valeur nominale de 1'000 fr. représentant
le 20 % du capital-actions de la société [(80 - (4 x 15 = 60)) = 20].

En d'autres termes, la défenderesse a accepté, pour sa part, d'acquérir, en
payant au moins la valeur nominale du titre, en tout 15 des 80 actions
nominatives de l'actionnaire majoritaire, que celui-ci s'est engagé à lui
livrer pour une moitié à fin 1996 et pour l'autre à fin 1997. Il n'a pas été
stipulé qu'un prix global fût payé pour les deux livraisons.

Cet accord, qui prévoit pour la chose à livrer plusieurs exécutions
échelonnées dans le temps, constitue sans conteste non pas une vente à terme
ainsi que l'a retenu la cour cantonale, mais bien une vente à livraisons
successives (Sukzessivlieferungskauf) (cf. sur ce contrat, Pierre Tercier,
Les contrats spéciaux, 3e éd., n. 517 s., p. 77/78; Pierre Cavin, La
vente-L'échange-La donation, in: Traité de droit privé suisse (TDPS), tome
VII, 1, p. 165 s.). Dans cette forme de vente, où, à l'inverse de la vente
classique, il se crée une relation juridique durable entre les cocontractants
(cf. Cavin, op. cit., p. 166), chacune des livraisons constitue l'exécution
partielle d'un unique contrat (Silvio Venturi, Commentaire romand, n. 22 ad
Intro. art. 184-215 CO). Chaque livraison est revêtue d'une certaine
indépendance juridique, en ce sens qu'elle donne lieu à un paiement distinct
fondé sur une créance particulière et possède une échéance qui lui est propre
(Daniel Sauter, Ausgewählte Probleme des Sukzessivlieferungsvertrages, thèse
Zurich 1982, p. 34).

5.2 Il convient maintenant d'interpréter la "convention d'affermage" conclue
le 18 août 1995 entre X.________, représentée par B.________, et Y.________,
agissant par ses quatre administrateurs. La cour cantonale n'ayant pas
déterminé la volonté réelle et commune des cocontractants, il convient donc
de recourir à nouveau à la théorie de la confiance.

La convention en question stipulait que B.________ "donnait son copyright à
Y.________", moyennant le versement par celle-ci à la demanderesse d'un
pourcentage variable sur le chiffres d'affaires annuel que Y.________ devait
obtenir par la publication en Suisse allemande et au Tessin de l'édition dont
B.________ détenait le pouvoir de disposition exclusif.

Comme il s'agissait d'une convention liant deux sociétés de droit suisse,
sises l'une à V.________ (X.________), l'autre à W.________ (Y.________), qui
avait pour objet la publication d'une édition qui devait être diffusée dans
les cantons de langue allemande et italienne de la Confédération, le terme
utilisé "copyright" ne saurait raisonnablement se rattacher au système du
Copyright qui a cours dans les pays anglo-saxons, mais bien au régime du
droit d'auteur de l'Europe continentale, reçu en Suisse (cf. sur ces
différents systèmes, Manfred Rehbinder, Urheberrecht, 12e éd., n. 72 p. 49;
Artur-Axel Wandtke, Copyright oder Droit d'auteur im technologischen
Zeitalter, Festschrift für Manfred Rehbinder, Bern 2002, p. 389-404).

Bien que l'accord précisait que B.________ "donnait" à Y.________ son droit
d'auteur sur la publication, les parties contractantes n'avaient
manifestement pas en vue la donation régie par les art. 239 ss CO, puisque
Y.________ s'engageait à effectuer une contre-prestation sous forme du
paiement à l'auteur d'une redevance financière. Or, sitôt que l'attribution
est liée à une quelconque prestation attendue du bénéficiaire, il n'y a plus
donation (Tercier, op. cit., n. 1573, p. 229).

Il a été constaté que la convention en cause est dite "d'affermage", ce qui
laisserait de prime abord penser que les sociétés contractantes ont entendu
nouer une relation de bail à ferme au sens des art. 275 ss CO. Le bail à
ferme peut effectivement porter sur la cession de l'usage et de la jouissance
d'un droit productif (art. 275 al. 1 CO), à l'instar d'un droit immatériel
(Benno Studer, Commentaire bâlois, 3e éd., n. 1 ad art. 275 CO). Il convient
pourtant de ne pas perdre de vue qu'en l'occurrence le droit productif dont
l'usage a été cédé dans un but précis à Y.________ était un droit d'auteur.
Or, dans le bail à ferme, le fermier acquiert la possession immédiate sur la
chose (Tercier, op. cit., n. 2568 p. 371, qui renvoie à la n. 1829 p. 267),
qu'il doit restituer, dans l'état où elle se trouve (art. 299 al. 1 CO), à la
fin du bail. Comme il est exclu, au vu de l'état de fait définitif,
d'admettre que B.________ ait entendu transférer à Y.________ l'ensemble des
droits inhérents à l'oeuvre qu'il a créée (cf. la présomption en faveur d'une
cession limitée ancrée à l'art. 16 al. 2 de la loi fédérale sur le droit
d'auteur et les droits voisins du 9 octobre 1992 (LDA, RS 231.1); ATF 101 II
102 consid. 3), cette dernière société n'a acquis que des droits dérivés sur
l'oeuvre, B.________ ayant conservé la maîtrise juridique absolue du bien
immatériel. Cette situation n'est ainsi pas compatible avec la conclusion
d'un bail à ferme, mais bien plutôt avec la conclusion d'un contrat de
licence de droit d'auteur (cf. sur la distinction entre ces deux figures
contractuelles Walter R. Schluep/Marc Amstutz, Commentaire bâlois, 3e éd., n.
297 ad Einleitung vor Art. 184 ss. CO, p. 962/963; sur le contrat de licence
de droit d'auteur: Mario M. Pedrazzini, Le contrat d'entreprise-Le contrat
d'édition-Le contrat de licence, TDPS, vol. VII, tome I,3, p. 62; Kamen
Troller, Précis du droit suisse des biens immatériels, p. 297 ch. 6). Car, si
un tel contrat de licence peut viser toutes les possibilités d'utilisation
d'une oeuvre, le preneur de licence n'a le droit de l'utiliser qu'aux fins
prévues par le contrat (ATF 113 II 190 consid. 1b). L'application du principe
de la confiance conduit à admettre que c'est bien ainsi que les sociétés
contractantes ont voulu se lier.

5.3 La Cour civile a jugé que la "convention des actionnaires" signée par la
défenderesse et le contrat de licence de droit d'auteur étaient étroitement
liés. A bon droit.

5.3.1 Les juges cantonaux, sans le dire expressément, se sont référés à la
notion de contrats composés ou complexes. Il s'agit de conventions distinctes
qui forment ensemble une unité juridique et économique, au point qu'elles ne
sauraient être dissociées (Pierre Engel, Contrats de droit suisse, 2e éd., p.
741; Le même, Traité des obligations en droit suisse, 2e éd., p. 176;
Ingeborg Schwenzer, Schweizerisches Obligationenrecht, Allgemeiner Teil, 3e
éd., p. 10 n. 3.17; Gauch/Schluep/Schmid/Rey, Schweizerisches
Obligationenrecht, 8e éd., vol. I, p. 46 n. 253).

5.3.2 Il a été retenu en fait que Y.________ a été créée dans l'unique but
d'exploiter, en Suisse alémanique et italienne, sous le titre "Z.________",
la publication dont le propriétaire économique de X.________ était l'auteur.
Dans la "déclaration d'intention" du 18 août 1995, il était en outre stipulé
que dès que Y.________ serait fondée, les deux accords susmentionnés seraient
"signé(s) dans les plus brefs délais". Enfin, la défenderesse a signé le
contrat de vente à livraisons successives du 22 août 1995 - par laquelle elle
s'engageait personnellement à acheter au total 15 des 80 actions nominatives
de Y.________ que possédait alors B.________ - dans la perspective que cette
société prendrait son essor.

Dans ces circonstances, il n'est nul besoin de longue discussion pour
reconnaître l'interdépendance manifeste entre les deux contrats. Ce point
n'est d'ailleurs pas contesté.

5.4 Lorsque les parties, comme en l'espèce, ont entendu se lier par un
contrat composé, c'est leur intention qui permettra de déterminer à quel sort
commun elles ont voulu soumettre la naissance et l'extinction des différentes
obligations contractées (Luc Thévenoz, Commentaire romand, n. 14 in fine ad
Intro. art. 184-529 CO, p. 978).

En l'absence de toute constatation afférente à la volonté réelle des
plaideurs à ce sujet, il y a lieu de rechercher leur volonté présumée au
regard de la théorie de la confiance.

L'autorité cantonale a retenu souverainement (art. 63 al. 2 OJ) que
l'existence de la convention "d'affermage" du 18 août 1995 - c'est-à-dire du
contrat par lequel la demanderesse avait laissé à Y.________ l'usage du droit
d'auteur de B.________ sur la publication "Z.________" - était vitale pour la
survie de Y.________. L'octroi de l'usage et de la jouissance du droit
exclusif précité était ainsi indispensable à l'existence même de la société
précitée.

Il découle de cette constatation capitale que la défenderesse pouvait
accepter de bonne foi qu'elle n'était plus obligée d'augmenter sa
participation au capital social de Y.________, en achetant une part des
actions de cette société en mains de B.________, si l'accord en question du
18 août 1995 devait être résilié. De fait, on ne saurait concevoir
objectivement que l'intimée ait voulu s'obliger à acheter des actions d'une
société, si celle-ci n'était plus à même de poursuivre l'unique but pour
lequel elle avait été créée. Les livraisons d'actions de Y.________ perdaient
indéniablement toute utilité pour la défenderesse dès l'instant où ladite
société n'était plus autorisée à utiliser l'oeuvre de B.________.

Il appert donc que l'exécution, échelonnée dans le temps, de la vente
d'actions était soumise à la condition résolutoire (art. 154 al. 1 CO) que le
contrat de licence ne soit pas résilié au moment des deux termes de livraison
convenus, soit fin 1996, puis fin 1997 (sur la définition et les effets de la
condition résolutoire, Pierre Engel, Traité des obligations en droit suisse,
2e éd., p. 850 et p. 858/859; Theo Guhl/Alfred Koller, Das Schweizerische
Obligationenrecht, 9e éd., § 9, n. 12 et n. 29 ss).

6.
Selon les constatations cantonales, la recourante, le 27 novembre 1997, a
résilié la convention "d'affermage" pour le 31 mai 1998. Y.________ a accepté
de mettre fin à ce contrat. La mise en liquidation de la société est survenue
dès avant le terme prévu pour l'extinction du contrat de licence.

Il reste à examiner les effets déployés par l'avènement de la condition
résolutoire en cause sur les obligations résultant pour la défenderesse de la
conclusion du contrat de vente par livraisons successives du 22 août 1995.

6.1 D'après l'art. 154 al. 2 CO, la survenance de la condition résolutoire ne
déploie pas, dans la règle, d'effet rétroactif (ATF 127 III 515 consid. 2a).
Cela signifie que les prestations effectuées avant l'accomplissement de la
condition n'ont pas à être restituées et que les créances nées avant ce terme
demeurent en force (cf. Andreas von Tuhr/Arnold Escher, Allgemeiner Teil des
Schweizerischen Obligationenrechts, vol II, 3e éd., p. 276).

En accord avec Pascal Pichonnaz, il faut toutefois opérer une distinction
selon la relation du contrat avec le temps (Commentaire romand, n. 13-15 ad
art. 154 CO). Si le contrat soumis à la condition résolutoire est un contrat
de durée (Dauervertrag), le principe général s'applique et le contrat prend
fin ex nunc après l'avènement de la condition. En revanche, s'il s'agit d'un
contrat simple ou à exécution instantanée (der einfache Vertrag), dont la
vente trait pour trait est l'archétype, le contrat est résolu avec un effet
rétroactif. En effet, dans un tel cas, si les parties contractantes pouvaient
conserver leurs prestations réciproques après la survenance de la condition
résolutoire, cela n'aurait pas eu de sens de conclure un contrat
conditionnel. C'est de cette manière qu'il faut comprendre la restriction
qu'ont énoncée von Thur/Escher  dans l'ouvrage précité, à la page 276 et dans
la note de pied 39.

Il est généralement admis en doctrine que la vente à livraisons successives
est un contrat de durée (Cavin, op. cit., p. 166; Sauter, op. cit. p. 21 ss,
spéc. p. 25; Max Keller/Kurt Siehr, Kaufrecht, 3e éd., p. 147; cf. également
Tercier, op. cit., p. 54, pour lequel le contrat à exécution échelonnée
appartient à une catégorie intermédiaire s'approchant du groupe des contrats
de durée).

6.2 En l'espèce, il convient donc d'admettre que la survenance de la
condition résolutoire convenue, soit l'extinction du contrat de licence de
droit d'auteur, a eu un effet ex nunc sur le contrat de vente à livraisons
successives.

Autrement dit, dès la résiliation du contrat de licence communiquée le 27
novembre 1997, la défenderesse n'avait plus l'obligation d'acheter à la
demanderesse - à laquelle B.________ avait cédé ses actions le 4 décembre
1996 - les 7,5 actions de Y.________ que la première s'était engagée à
acquérir à la fin 1997, au moins à leur valeur nominale. Peu importe à cet
égard que le contrat de licence devrait prendre fin formellement le 31 mai
1998, du moment que la perte du droit de jouissance du droit d'auteur signait
l'arrêt de mort de Y.________, ainsi qu'en atteste avec éclat sa mise en
liquidation le 4 mai 1998.
Par contre, l'obligation contractée par la défenderesse d'acheter à
l'actionnaire majoritaire - qu'était devenue la recourante le 4 décembre 1996
- 7,5 actions de Y.________ à fin 1996 n'a nullement été affectée par
l'avènement, 11 mois plus tard, de la condition stipulée, puisque celle-ci
n'a pas d'effet rétroactif (art. 154 al. 2 CO) sur les contrats de durée. Or,
cette obligation, échue et exigible à fin 1996, n'a pas été exécutée par
l'intimée.

Comme on l'a vu (consid. 5.1 ci-dessus), la défenderesse s'est engagée à
acquérir 15 actions nominatives d'une valeur nominale de 1'000 fr. chacune, à
raison de 50 % à fin 1996 et à raison de 50 % à fin 1997. Or, 15 actions ne
sont pas divisibles par deux. Un actionnaire ne peut pas, de lui-même,
diviser l'action qu'il détient (Carl Baudenbacher, Commentaire bâlois, n. 1
ad art. 623 CO). Rien dans la convention des parties ne permet d'admettre que
la première livraison, à fin 1996, puisse dépasser le 50 % des actions à
transférer. La demanderesse ne saurait donc exiger le prix de 8 actions à fin
1996, alors que la convention conclue ne parle que de 50 % d'un total
déterminable de 15 actions. On peut certes se demander si elle n'aurait pas
pu offrir 8 actions en échange de 7'500 fr. et de la remise de 5 actions de
100 fr. détenues par la défenderesse. Aucune conclusion n'ayant été prise
dans ce sens, il n'y a pas lieu d'examiner la question sous cet angle (art.
63 al. 1 OJ). La recourante s'étant bornée à demander le prix d'actions de
1'000 fr., elle ne peut exiger que le prix de 7 actions (et non pas 8) à fin
1996.

7.
En définitive, le recours sera partiellement admis, l'arrêt attaqué étant
annulé. Il doit être prononcé que la défenderesse devra payer à la
demanderesse le montant de 7'000 fr. avec intérêts à 5 % dès le 1er janvier
1998, le dies a quo des intérêts réclamés n'ayant fait l'objet d'aucune
critique (art. 55 al. 1 let. b et c OJ). La recourante n'obtient qu'un tiers
de ses prétentions. Il se justifie ainsi de répartir l'émolument de justice à
raison d'un tiers à la charge de la défenderesse et des deux tiers à la
charge de la demanderesse et de condamner celle-ci à verser des dépens
réduits dans la même proportion à son adverse partie. La cause sera enfin
retournée à l'autorité cantonale pour nouvelle décision sur les frais et
dépens de l'instance cantonale.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est partiellement admis et l'arrêt attaqué est annulé.

2.
La défenderesse est condamnée à verser à la demanderesse 7'000 fr. avec
intérêts à 5 % dès le 1er janvier 1998.

3.
Un émolument judiciaire de 2'000 fr. est mis pour deux tiers à la charge de
la demanderesse et pour un tiers à la charge de la défenderesse.

4.
La demanderesse versera à la défenderesse une indemnité de 800 fr. à titre de
dépens réduits.

5.
La cause est renvoyée à l'autorité cantonale pour nouvelle décision sur les
frais et dépens de l'instance cantonale.

6.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la
Cour civile du Tribunal cantonal vaudois.

Lausanne, le 9 mars 2004

Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier: