Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilabteilung 4C.28/2002
Zurück zum Index I. Zivilabteilung 2002
Retour à l'indice I. Zivilabteilung 2002


4C.28/2002 /mks

Arrêt du 6 mai 2002
Ire Cour civile

Les juges fédéraux Walter, président de la Cour, Corboz, Klett, Rottenberg
Liatowitsch et Favre,
greffière Aubry Girardin.

SUISA, Société suisse pour les droits des auteurs d'oeuvres musicales, à
Zurich, p. a. avenue du Grammont 11bis, 1000 Lausanne 13,
demanderesse et recourante,

contre

A.________,
défendeur et intimé, représenté par Me Dominique Morard, avocat, rue Rieter
9, case postale 236, 1630 Bulle.

droit d'auteur; droit de reproduction de vidéocassettes

(recours en réforme contre l'arrêt du Tribunal cantonal de l'État de
Fribourg, IIe Cour d'appel, du 15 novembre 2001)
Faits:

A.
Depuis 1992 environ, A.________ a exploité en raison individuelle un
laboratoire de duplication de vidéocassettes à B.________, à l'enseigne de
"C.________". Le laboratoire "C.________" a été fermé en cours de procédure.
Il a été retenu que A.________ ne procédait désormais à des duplications de
vidéocassettes que dans les locaux de la société D.________ S.A., qui
s'occupe de retransmission de télévision et dont il est l'administrateur. Il
dupliquait des cassettes pour cette société et pour quelques clients restant
de "C.________".

L'activité de duplication exercée par A.________ consiste à reproduire, sur
commande de tiers, des supports audiovisuels, soit des vidéocassettes, en un
nombre plus ou moins important d'exemplaires (entre 10 et 200 par vidéo selon
la commande du client). Les vidéocassettes sont remises au client qui en fait
ce qu'il veut. Avant d'exécuter la commande, A.________ ne vérifie pas si le
client a l'autorisation de confectionner des exemplaires de vidéocassettes.
En revanche, s'il a un doute, il refuse d'effectuer le travail.

Suisa, Société suisse pour les droits des auteurs d'oeuvres musicales
(ci-après: Suisa), est une coopérative dont le siège est à Zurich et qui a
pour but de gérer à titre fiduciaire les droits des auteurs d'oeuvres
musicales non théâtrales qui lui ont été cédés par les auteurs et éditeurs.
Elle est la seule société au bénéfice d'une autorisation portant notamment
sur la gestion des droits de confection de vidéogrammes d'oeuvres musicales
non théâtrales, délivrée le 26 mai 1998 par l'Institut fédéral de la
propriété intellectuelle.

En avril 1996, Suisa a cherché à conclure un contrat avec A.________ tendant
à autoriser ce dernier à fabriquer, sur commande de producteurs titulaires
d'une licence, des supports contenant de la musique de son répertoire, en lui
imposant de s'assurer, avant d'exécuter les commandes, que les producteurs
étaient au bénéfice d'une autorisation et de déclarer à Suisa les
duplications effectuées. A.________ a refusé de signer ce contrat.

Le 10 juillet 1997, la société américaine Warner Bros a déposé une plainte
pénale contre A.________, à laquelle s'est jointe Suisa, pour violation du
droit d'auteur. L'enquête pénale a révélé que celui-ci avait fabriqué des
vidéocassettes contrefaites pour le compte d'E.________. Il avait dupliqué
une dizaine de films pour ce client. Sur la base des renseignements fournis
par la procédure pénale, Suisa est intervenue auprès de clients d'A.________
et a constaté que ce dernier avait réalisé des duplications non autorisées.
Elle a obtenu après coup le paiement des redevances. Selon A.________, les
clients ont versé les montants réclamés par gain de paix.

B.
Le 11 novembre 1999, Suisa, parallèlement à une requête de mesures
provisionnelles qu'elle a par la suite retirée, a déposé une demande auprès
de la Cour d'appel du Tribunal cantonal de l'État de Fribourg tendant à faire
interdire à A.________ d'utiliser les oeuvres de son répertoire.

Initialement, Suisa a conclu à ce que la Cour d'appel cantonale interdise à
A.________, sous la menace des peines prévues à l'art. 292 CP, de fabriquer,
pour le compte de tiers, des supports audiovisuels contenant de la musique
dont elle gérait les droits, pour autant qu'elle n'ait pas délivré
d'autorisation à la personne ayant commandé les supports audiovisuels à M.
A.________ ou que ladite fabrication ne soit pas autorisée par la loi
elle-même.

Dans sa réplique du 5 avril 2000, Suisa a modifié ses conclusions par souci
de clarté. Elle a demandé en substance à ce que la Cour cantonale interdise à
A.________ de fabriquer sans autorisation de Suisa, sur commande de tierces
personnes, des supports audiovisuels contenant de la musique dont les droits
de reproduction avaient été cédés fiduciairement à Suisa par ses membres ou
dont Suisa assumait en Suisse la gestion des droits de reproduction sur la
base de contrats passés avec des sociétés de gestion étrangères. Elle a en
outre conclu à ce qu'il soit dit que cette interdiction ne vaudra, sous la
menace des peines prévues à l'art. 292 CP, que si les personnes ayant
commandé les supports à M. A.________ n'ont pas non plus obtenu
d'autorisation de Suisa, alors que les supports sont destinés à être
distribués au public par vente, location, donation ou autre mise en
circulation.

La procédure a été limitée dans un premier temps à la recevabilité de la
demande et à la qualité pour défendre d'A.________.

Par jugement incident du 24 novembre 2000, la IIe Cour d'appel a admis la
recevabilité de la demande de Suisa, qualifiant ses conclusions de claires,
et elle a rejeté l'exception de défaut de qualité pour défendre concernant
A.________.

Le 12 mars 2001, la IIe Cour d'appel a soumis aux parties deux articles de
doctrine dont il résulte que, si la gestion des droits de reproduction par
Suisa ne pose pas de problème s'agissant de la musique de film préexistante,
la question est plus délicate concernant la musique de film originale.

Le 15 mars 2001, Suisa a modifié une deuxième fois ses conclusions, ne
demandant désormais plus qu'une interdiction de duplication pour les
vidéocassettes contenant de la musique préexistante, à l'exclusion des
vidéocassettes contenant de la musique originale.

Le 24 septembre 2001, Suisa a formulé un nouvel allégué invoquant que les
films "Rumble in the Bronx" et "Little Odessa" reproduits par A.________ pour
le compte d'E.________ contenaient de la musique préexistante dont elle
gérait les droits de reproduction. Elle a également produit des pièces à ce
sujet.

Par arrêt du 15 novembre 2001, la IIe Cour d'appel du Tribunal cantonal
fribourgeois a rejeté la demande formée par Suisa, dans la mesure de sa
recevabilité. En application de la procédure civile cantonale, les juges ont
reconnu à Suisa le droit de réduire ses conclusions et ils ont admis la
recevabilité de l'allégué formé le 24 septembre 2001, ainsi que des pièces
produites à son appui. Sur le fond, ils ont rejeté l'action, considérant en
substance que Suisa n'avait ni correctement allégué ni prouvé sa qualité pour
agir en fonction de ses conclusions modifiées du 15 mars 2001. La cour
cantonale a de plus émis des doutes quant à la recevabilité de celles-ci.

C.
Contre l'arrêt du 15 novembre 2001, Suisa (la demanderesse) a interjeté un
recours en réforme au Tribunal fédéral. Reprenant ses conclusions définitives
formées sur le plan cantonal le 15 mars 2001, elle propose principalement à
la Cour de céans, sous suite de frais et dépens, de:
a) Interdire à M. A.________ de fabriquer sans autorisation de Suisa,
sur commande de       tierces personnes, des supports audiovisuels
contenant de la musique:
- dont les droits de reproduction ont été cédés fiduciairement à Suisa
par ses membres
- ou dont Suisa assume en Suisse la gestion des droits de reproduction
sur la base de  contrats passés avec des sociétés de gestion étrangères
- et qui n'a pas été composée spécialement pour une oeuvre
audiovisuelle déterminée.
c) (recte: b) Dire que l'interdiction susmentionnée ne vaudra que si les
personnes ayant  commandé les supports à M. A.________ n'ont pas non
plus obtenu d'autorisation de  Suisa alors que les supports sont destinés à
être distribués au public par vente,  location, donation ou autre mise en
circulation.
c) Menacer M. A.________ des peines d'arrêts ou d'amende prévues à
l'art. 292 CP  pourle cas où l'interdiction susmentionnée serait
transgressée.
A titre subsidiaire, Suisa demande le renvoi de l'affaire à l'autorité
cantonale, pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

A. ________ (le défendeur) conclut, pour sa part, au rejet du recours en
réforme déposé par Suisa, pour autant qu'il soit recevable, et à la
confirmation de l'arrêt entrepris.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
La cour cantonale a débouté la demanderesse de ses conclusions en niant sa
qualité pour agir sur la base d'une double motivation. Elle a considéré d'une
part que la demanderesse n'avait pas allégué de manière suffisante qu'elle
possédait un droit de reproduction sur les seules vidéocassettes contenant de
la musique préexistante et que, d'autre part, elle n'avait pas prouvé les
faits pertinents à l'appui de ce droit. La demanderesse s'en prenant à
chacune de ces motivations, il convient d'entrer en matière (cf. ATF 117 II
432 consid. 2a; 115 II 67 consid. 3).

2.
Le raisonnement adopté par la cour cantonale est en substance le suivant. Il
a tout d'abord été admis que la demanderesse était autorisée à gérer
collectivement les droits de reproduction des oeuvres musicales non
théâtrales et qu'elle pouvait agir contre toute utilisation indue de ces
oeuvres, sans établir qu'elle avait obtenu cession, respectivement une
licence sur absolument toutes les musiques concernées. Comme, selon le droit
cantonal de procédure, l'action intentée était régie par la maxime des
débats, la demanderesse devait cependant alléguer expressément les faits sur
lesquels elle fondait sa qualité pour agir, dès lors que celle-ci était
contestée par la partie adverse. Les juges ont relevé que, dans ses
écritures, la demanderesse n'avait pas fait de distinction entre les musiques
originales et les musiques préexistantes; elle avait seulement relevé qu'elle
disposait en Suisse des droits d'auteur sur la quasi-totalité du répertoire
mondial de musique. Après avoir limité ses conclusions à la seule musique
préexistante, la demanderesse n'avait fait état que de deux films, sur la
dizaine de films dupliqués par le défendeur pour le compte d'E.________, qui
contenaient de la musique préexistante sur laquelle elle avait des droits de
reproduction. En revanche, elle n'avait pas allégué que toutes les
vidéocassettes contiendraient de la musique préexistante, ni quelle serait la
proportion de vidéocassettes à contenir cette musique ou selon quels critères
il faudrait retenir qu'une séquence de musique préexistante est protégée.
Elle n'avait pas non plus indiqué qu'elle aurait obtenu la cession des droits
de reproduction sur la musique de film préexistante ou la gérance de ceux-ci
de la part de la quasi-totalité des auteurs et des sociétés de gestion
étrangères, ni que le droit de reproduction ne serait jamais accordé au
producteur du film au moment de sa confection. Dans ces circonstances, il se
justifiait de rejeter l'action pour défaut d'allégation concernant la qualité
pour agir.

La cour cantonale a ajouté que, même s'il fallait admettre que les faits
pertinents avaient été allégués, ceux-ci n'étaient pas prouvés. Ainsi, les
deux exemples de films cités par la demanderesse étaient insuffisants à
convaincre que tous les films contiendraient de la musique préexistante sur
lesquels la demanderesse aurait des droits. Pour l'une des séquences, la
demanderesse avait même produit un contrat duquel il ressortait que le
titulaire du droit d'auteur ne lui avait pas confié la gestion du droit de
faire des reproductions et l'un des films, dont la duplication illicite avait
été alléguée, ne contenait que de la musique originale. Enfin, le
représentant de la demanderesse avait admis comme imaginable que le droit de
reproduction de la musique préexistante fut directement accordé au producteur
du film.

3.
La demanderesse reproche tout d'abord à la cour cantonale d'avoir violé
l'art. 8 CC en refusant d'admettre sa qualité pour agir.

3.1 La qualité pour agir (ou légitimation active) est une question de droit
matériel (ATF 125 III 82 consid. 1a; 123 III 60 consid. 3a; 121 III 118
consid. 3) qui, dans les actions soumises au droit privé fédéral, peut être
revue dans le cadre d'un recours en réforme (Poudret, COJ II, Berne 1990,
art. 43 OJ no 1.3.2.4 p. 114). Elle appartient au titulaire du droit
litigieux (ATF 116 II 253 consid. 3) et signifie que celui-ci a le droit de
faire valoir en justice la prétention qu'il réclame (Hohl, Procédure civile,
tome I, Berne 2001, no 433). La reconnaissance de la qualité pour agir
n'emporte donc pas décision sur l'existence de la prétention du demandeur,
que ce soit quant au principe ou à la mesure dans laquelle il la fait valoir
(ATF 125 III 82 consid. 1a p. 84; 114 II 345 consid. 3a). Le fardeau de la
preuve et, par voie de conséquence, le fardeau de l'allégation (cf. arrêt du
Tribunal fédéral 5P.322/1996 du 12 décembre 1996, in SJ 1997 p. 240, consid.
2b) concernant les faits dont cette qualité est déduite incombe au demandeur
(ATF 123 III 60 consid. 3a), ce qui correspond à la règle générale de l'art.
8 CC (cf. Kummer, Commentaire bernois, art. 8 CC no 146). C'est en principe
le droit matériel en jeu qui détermine si les faits, allégués en la forme
prescrite et en temps utile selon les exigences cantonales de procédure, sont
suffisamment précis pour permettre de statuer sur la prétention déduite en
justice (Substanzierungspflicht) (ATF 108 II 337 consid. 2 et 3, confirmé
notamment in ATF 127 III 365 consid. 2b p. 368; 123 III 183 consid. 3e p.
188). Le droit fédéral est ainsi violé lorsqu'une autorité cantonale rejette
une action à tort parce que celle-ci n'aurait pas été suffisamment motivée en
fait (arrêt op. cit. in SJ 1997 p. 240, consid. 2b; ATF 105 II 143 consid.
6a/aa).

3.2 D'après ses conclusions modifiées du 15 mars 2001, la demanderesse tend à
empêcher la violation des droits de reproduction portant sur les musiques
préexistantes utilisées dans des films en cas de duplication par le défendeur
des supports audiovisuels (vidéocassettes) les intégrant. Il convient donc de
se demander s'il est établi avec suffisamment de précision que la
demanderesse est titulaire de tels droits.

3.2.1 L'action introduite par la demanderesse est une action en exécution
d'une prestation au sens de l'art. 62 al. 1 LDA (RS 231.1). Sont légitimés à
agir sur la base de cette disposition les titulaires des droits d'auteur ou
des droits voisins concernés (Barrelet/Egloff, Le nouveau droit d'auteur, 2e
éd. Berne 2000, art. 62 LDA no 2; Lucas David, Der Rechtsschutz im
Immaterialgüterrecht, SIWR I/2, 2e éd., Bâle et Francfort-sur-le-Main 1998,
p. 57). Certains droits peuvent être cédés (art. 16 LDA), notamment les
droits d'utilisation prévus à l'art. 10 al. 2 LDA (cf. von Büren,
Rechtsübergang und Zwangsvollstreckung, SIWR, II/1, Bâle et
Francfort-sur-le-Main 1995, p. 205 ss, 209) auxquels appartient le droit de
confectionner des exemplaires de l'oeuvre, notamment sous la forme de
vidéogrammes (cf. let. a). Lorsqu'un auteur confie des droits à une société
de gestion, celle-ci les reçoit à titre fiduciaire et en acquiert la maîtrise
juridique exclusive (ATF 117 II 463 consid. 3), ce qui lui permet de procéder
en son propre nom à tous les actes que nécessite la gestion en cause et en
particulier intenter des actions en justice (Barrelet/Egloff, op. cit., art.
40 LDA no 18; Dessemontet, Le droit d'auteur, Lausanne 1999, no 597;
Dominique Diserens, Gestion collective des droits d'auteur en Suisse et
surveillance, Wirtschaft und Recht 1986, p. 1 ss, 10).

3.2.2 La demanderesse, en tant que société de gestion, a pour vocation
d'assurer la protection collective des droits d'auteur (arrêt du Tribunal
fédéral non publié 4C.2/2000 du 15 mars 2000, consid. 2a) s'agissant des
oeuvres musicales (Diserens, op. cit., p. 7; Barrelet/Egloff, op. cit., art.
40 LDA no 1). Dans un arrêt de 1981, le Tribunal fédéral a relevé que Suisa,
au travers des accords conclus avec les sociétés de gestion étrangères,
gérait quasiment la totalité du répertoire mondial de la musique non
théâtrale (ATF 107 II 57 consid. 1). Actuellement, un auteur évalue ce
répertoire à environ quatre/cinquièmes des oeuvres musicales existant dans le
monde entier (cf. Dessemontet, op. cit., no 608).

Parmi les droits d'auteur soumis à gestion collective, Suisa a obtenu
l'autorisation de gérer les droits d'exécution et de diffusion des oeuvres
musicales non théâtrales, ainsi que de confectionner des phonogrammes ou des
vidéogrammes de telles oeuvres (cf. autorisation de l'Institut fédéral de la
propriété intellectuelle du 26 mai 1998, ch. 1 let. a). Il s'agit d'un
domaine soumis à la surveillance de la Confédération (art. 40 al. 1 let. a
LDA), pour la gestion duquel une autorisation est nécessaire (art. 41 LDA).
Comme, en général, une seule autorisation est délivrée par catégorie
d'oeuvres (art. 42 al. 2 LDA), la société qui en est titulaire jouit d'un
monopole de fait (cf. arrêt du Tribunal fédéral du 24 mars 1995 dans la cause
2A.142/1994, in Schriften zum Medien- und Immaterialgüterrecht/SMI 1996 III
437, consid. 4d p. 440). Il en découle que la demanderesse est la seule
société autorisée à gérer collectivement en Suisse en particulier les droits
de reproduction sur les musiques non théâtrales (cf. Ernst Hefti, Die
Tätigkeit der schweizerischen Verwertungsgesellschaften, in SIWR II/1, op.
cit., p. 463 ss, 481). Ce pouvoir est d'autant plus important que ce domaine,
bien qu'il ne soit pas soumis à une gestion collective obligatoire à l'instar
des droits à rémunération, est, pour des raisons pratiques liées aux progrès
de la technique, géré exclusivement de façon collective (cf. Barrelet/Egloff,
op. cit., art. 40 LDA no 2; Dessemontet, op. cit., nos 632 et 635). Par
conséquent, même si la LDA, contrairement au système mis en place pour les
droits à rémunération (cf. ATF 124 III 489 consid. 1 p. 492; Barrelet/Egloff,
op. cit., art. 40 LDA no 17), n'exclut pas a priori une action émanant d'un
auteur individuel, les droits liés à la confection de phonogrammes ou de
vidéogrammes des oeuvres musicales non théâtrales sont en réalité exercés
exclusivement à titre collectif par la demanderesse.

3.2.3 L'assimilation de la musique de film à de la musique non théâtrale est
sujette à controverse s'agissant de la musique originale, c'est-à-dire de la
musique créée pour un film déterminé (cf. Egloff, Urheberrecht und
Urhebervertragsrecht in der audiovisuellen Produktion, sic! 1998 p. 14 ss,
19, qui considère que les musiques de film originales appartiennent aux
oeuvres musicales théâtrales; en ce sens également, Barrelet/Egloff, op.
cit., art. 40 LDA no 7; Hefti, op. cit., p. 482 s.; contra: Vincent Salvadé,
Gestion collective et musique de film: au-delà d'un modus vivdendi, sic! 1999
p. 621 ss; sur cette divergence, cf. Michael Hyzik, Zur urheberrechtlichen
Situation der Filmmusik, thèse Zurich 1999, p. 40 ss). En revanche, il est
admis que les musiques préexistantes utilisées dans les films font partie des
oeuvres musicales non théâtrales (cf. a contrario Barrelet/Egloff, op. cit.,
art. 40 LDA no 7), de sorte qu'elles entrent dans le domaine de compétence de
la demanderesse (cf. Egloff, op. cit., sic! 1998 p. 30).

On peut donc en conclure que les droits de reproduction sur les musiques de
films préexistantes en cas de duplication de leurs supports audiovisuels
(vidéocassettes) relèvent de la gestion collective de la demanderesse. Cet
élément suffit à conférer à Suisa la légitimation pour agir en justice sur la
base de l'art. 62 LDA, afin de protéger ces droits. Il convient de rappeler
que cette reconnaissance n'a aucune signification quant au bien-fondé de
l'action.

3.3 Les exigences supplémentaires imposées par la cour cantonale pour
reconnaître la qualité pour agir de la demanderesse (cf. supra consid. 2)
apparaissent ainsi superflues. La cour cantonale a tout d'abord retenu que la
demanderesse avait allégué disposer en Suisse du pouvoir de gérer les droits
ayant pour objet l'enregistrement et la reproduction des oeuvres musicales
sur la quasi-totalité du répertorie mondial de musique. Elle a en outre
souligné que la reproduction des oeuvres musicales non théâtrales par des
moyens mécaniques était un domaine accessible uniquement à la gestion
collective. Selon l'adage "qui peut le plus, peut le moins", on ne comprend
pas comment les juges ont alors pu reprocher à la demanderesse de ne pas
avoir allégué un droit de reproduction sur les seules vidéocassettes
contenant de la musique préexistante, dès lors qu'il n'est pas contesté que
cette musique appartient à la catégorie des musiques non théâtrales. Refuser
à la demanderesse la qualité pour agir reviendrait du reste à empêcher dans
les faits toute protection s'agissant des droits de reproduction sur ce genre
de musique, puisque, comme on l'a vu, il s'agit d'un domaine où, bien que la
gestion collective ne soit pas obligatoire, les droits sont, pour des raisons
pratiques, exclusivement exercés collectivement.

La cour cantonale a donc violé le droit fédéral en considérant que la
demanderesse n'avait pas allégué et, par voie de conséquence, prouvé avec
suffisamment de précision les éléments permettant d'admettre sa légitimation
active.

4.
La demanderesse reproche également à la cour cantonale d'avoir émis des
doutes quant à la recevabilité de ses conclusions.

4.1 Comme pour l'exercice de toute voie de droit, le recours en réforme
suppose un intérêt au recours. La partie recourante ne peut donc soulever des
questions juridiques qui ne présentent aucun intérêt pratique (cf. ATF 126
III 198 consid. 2b et les arrêts cités).

4.2 En ce qui concerne la recevabilité de la demande, les juges cantonaux
n'ont pas clairement pris position. Tout en relevant qu'il ne paraissait
guère possible de prononcer une interdiction générale de dupliquer tous les
films sans autorisation préalable, ils ont conclu qu'"à supposer que les
allégués de la demanderesse fussent suffisants, la recevabilité de ses
conclusions paraîtrait donc douteuse". Ils n'ont toutefois pas tranché,
puisqu'ils ont rejeté l'action au motif que la demanderesse n'avait ni
allégué ni prouvé sa légitimation active. Par conséquent, les hésitations
formulées à propos de la recevabilité des conclusions n'ont eu aucune
incidence sur le sort de l'action. Dans ces circonstances, la demanderesse ne
peut, faute d'intérêt, critiquer la position de la cour cantonale à ce sujet.
De toute manière, il n'est pas envisageable que le Tribunal fédéral puisse
contrôler l'application correcte du droit fédéral sur une question qui est
laissée indécise.

5.
On a vu que, contrairement aux conclusions de la cour cantonale, la qualité
pour agir de la demanderesse devait être admise. Cependant, comme le Tribunal
fédéral n'est pas lié par l'argumentation juridique figurant dans l'arrêt
attaqué (art. 63 al. 3 OJ; ATF 127 III 248 consid. 2c; 126 III 59 consid.
2a), il convient encore de se demander si le rejet de l'action ne serait pas
justifié pour un autre motif.

5.1 Par son action, la demanderesse cherche en substance à ce qu'il soit fait
interdiction au défendeur d'effectuer à l'avenir des duplications de
vidéocassettes contenant de la musique préexistante en violation des droits
d'auteur. Il s'agit donc d'une action en interdiction au sens de l'art. 62
al. 1 let. a LDA, qui permet à la personne qui subit ou risque de subir une
violation de son droit d'auteur ou d'un droit voisin de demander au juge de
l'interdire si elle est imminente. Cette action n'est subordonnée à aucun
dommage passé (Dessemontet, op. cit., no 743). Le caractère imminent exige
que la mise en danger soit sérieuse et réelle; il n'est pas suffisant qu'elle
ne soit qu'hypothétique (cf. Barrelet/Egloff, op. cit., art. 62 LDA no 4).
C'est au demandeur d'alléguer et de prouver des faits établissant le
caractère imminent d'une violation de ses droits d'auteur. Si le défendeur a
déjà commis une telle violation et qu'il ne reconnaît pas les droits du
demandeur, on peut présumer qu'il existe un danger de répétition des actes
incriminés, sous réserve évidemment de circonstances particulières permettant
d'exclure que ces actes se reproduisent (cf. ATF 116 II 357 consid. 2; 90 II
51 consid. 9; en ce sens également Dessemontet, op. cit., no 745).

Compte tenu des caractéristiques de l'action exercée, la cour cantonale ne
peut être suivie lorsqu'elle exige que la demanderesse fournisse la preuve
stricte que, par le passé, le défendeur a violé ses droits de reproduction
sur les musiques préexistantes, dès lors que seul le risque imminent de
violation pour le futur est exigé par l'art. 62 al. 1 let. a LDA. Il reste à
examiner si les éléments figurant dans l'arrêt entrepris permettent de
statuer sur cette question.

5.2 Il ressort des constatations cantonales que le défendeur a exploité,
depuis 1992, un laboratoire de duplication de vidéocassettes en raison
individuelle, tout en se considérant comme un simple artisan qui n'avait pas
à s'intéresser aux droits de reproduction que la demanderesse est chargée de
faire respecter. Cependant, au moment où l'autorité cantonale s'est
prononcée, le laboratoire avait été fermé et le défendeur reproduisait des
vidéocassettes seulement dans les locaux de D.________ S.A., une société
s'occupant de retransmission de télévision. Il effectuait cette activité pour
cette société et pour quelques clients restant de "C.________". Ces éléments
laissent apparaître que le défendeur a modifié ses activités principales et
qu'apparemment, il travaille désormais pour le compte d'une société anonyme
dont il est l'administrateur, mais qui n'est pas partie à la procédure et
dont on ignore la position concernant les droits d'auteur. Quant aux
reproductions que le défendeur réalise encore pour quelques anciens clients,
on ne sait pas s'il les effectue à titre individuel ou dans le cadre de ses
activités pour D.________ S.A. En outre, l'arrêt attaqué mentionne seulement
"quelques clients", sans donner d'indication ni sur leur nombre ni sur la
quantité de reproductions de vidéocassettes concernées. Enfin, aucune mention
n'est faite de l'éventuelle utilisation des reproductions par ces clients,
étant rappelé que le droit des particuliers d'utiliser librement les oeuvres
d'artistes pour leur propre usage, qui comprend le droit de reproduire
l'oeuvre, est réservé (cf. art. 19 LDA; Kamen Troller, Précis du droit suisse
des biens immatériels, Bâle 2001, p. 238).

Il résulte de ce qui précède que le Tribunal fédéral ne dispose pas des
éléments lui permettant de statuer sur le risque sérieux et réel que le
défendeur procède à l'avenir à des duplications de vidéocassettes de films
comprenant de la musique préexistante en violation des droits de reproduction
que la demanderesse est chargée de gérer collectivement.

Dans ces circonstances, il n'est pas possible de se prononcer sur le
bien-fondé de l'action de la demanderesse. Le recours doit par conséquent
être admis, l'arrêt attaqué annulé et la cause renvoyée à l'autorité
cantonale, en application de l'art. 64 al. 1 OJ, pour qu'elle complète le
dossier dans la mesure où la procédure cantonale le permet (cf. art. 66 al. 1
OJ), et qu'elle statue à nouveau.

6.
Compte tenu de l'issue du litige, les frais seront mis à la charge du
défendeur, qui succombe (art. 156 al. 1 OJ). La demanderesse, qui n'est pas
représentée par un avocat et n'a pas justifié avoir supporté des dépenses
particulières, n'a pas droit à des dépens (ATF 125 II 518 consid. 5b; 113 Ib
353 consid. 6b).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est admis, l'arrêt attaqué annulé et la cause renvoyée à
l'autorité cantonale pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

2.
Un émolument judiciaire de 4'000 fr. est mis à la charge du défendeur.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux parties et au Tribunal cantonal
de l'État de Fribourg, IIe Cour d'appel.

Lausanne, le 6 mai 2002

Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président: La greffière: