Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilabteilung 4C.264/2002
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4C.264/2002 /ech

Arrêt du 25 août 2003
Ire Cour civile

MM. et Mme les Juges Corboz, Président, Klett et Favre.
Greffière: Mme Godat Zimmermann

X.________ SA,
demanderesse et recourante, représentée par Me Pierre Gabus, avocat,
boulevard des Philosophes 17, 1205 Genève,

contre

Y.________ SA,
défenderesse et intimée, représentée par Me Raeto Zarn, avocat, boulevard
St-Georges 72, 1205 Genève.

bail à loyer; résiliation anticipée pour manque d'égards envers les voisins

(recours en réforme contre l'arrêt de la Chambre d'appel en matière de baux
et loyers du canton de Genève du 31 mai 2002)

Faits:

A.
Par contrat du 4 novembre 1998, Y.________ SA a remis à bail à X.________ SA
un terrain d'environ 1100 m2 situé à Z.________ et destiné au stockage de
matériaux divers. Le loyer annuel était fixé à 15'000 fr. Le contrat a été
conclu pour une année à partir du 1er décembre 1998; sauf résiliation
signifiée trois mois à l'avance, il se renouvelait ensuite pour une année,
puis de trois mois en trois mois.

En mai 1999, la bailleresse a autorisé X.________ SA à construire un enclos
sur le terrain loué. Par courrier du 10 juin 1999, elle informait la
locataire que d'autres locataires de la parcelle et des voisins plus éloignés
s'étaient plaints de la forte poussière dégagée lors de la manutention de
déchets de bois entreposés sur le site; elle l'invitait à apporter au plus
vite les modifications nécessaires afin que les voisins ne soient plus
incommodés par son activité et lui rappelait son obligation d'obtenir une
autorisation officielle pour la construction et le rehaussement de l'enclos.
X.________ SA a répondu que son activité, clairement précisée lors de la
conclusion du bail, générait immanquablement des poussières; elle précisait
par ailleurs avoir pris des mesures pour diminuer les nuisances et déposé une
demande d'autorisation de rehausser le mur de l'enclos à quatre mètres.

Par lettre recommandée du 26 août 1999, Y.________ SA a mis un terme au
contrat pour l'échéance du 30 novembre 1999; elle invoquait les demandes de
dédommagement pour perte d'exploitation que deux locataires voisins lui
avaient adressées ainsi que l'absence d'efficacité des mesures adoptées par
la locataire pour éviter les nuisances.

X. ________ SA a saisi la Commission de conciliation en matière de baux et
loyers. Le 9 mai 2000, les parties ont signé devant la Commission un
procès-verbal au terme duquel la bailleresse, pour avoir ignoré l'exigence de
la formule officielle à l'époque de la résiliation du bail, retirait le congé
du 26 août 1999.

Dans l'intervalle, par avis officiel du 26 novembre 1999, Y.________ SA avait
résilié le bail pour le 29 février 2000, toujours en raison des nuisances
provoquées par la locataire.

B.
Le 22 décembre 1999, X.________ SA a saisi la Commission de conciliation
d'une nouvelle requête en annulation de congé, subsidiairement en
prolongation de bail. Par décision du 13 juillet 2000, la Commission a
délivré, en tant que de besoin, l'autorisation de citer à la locataire.
X.________ SA a porté la cause devant le Tribunal des baux et loyers du
canton de Genève. Par jugement du 1er octobre 2001, cette instance a déclaré
inefficace le congé notifié le 26 novembre 1999 pour le 29 février 2000.

Statuant le 31 mai 2002 sur appel de Y.________ SA, la Chambre d'appel en
matière de baux et loyers a annulé le jugement de première instance et dit
que le congé donné pour le 29 février 2000 était valable.

C.
X.________ SA interjette un recours en réforme au Tribunal fédéral. Elle
conclut, principalement, à la réforme de l'arrêt attaqué en ce sens que le
congé notifié le 26 novembre 1999 pour le 29 février 2000 est inefficace. A
titre subsidiaire, la locataire demande l'annulation de l'arrêt attaqué et le
renvoi de la cause à la cour cantonale pour nouvelle instruction dans le sens
des considérants du Tribunal fédéral.

Parallèlement, la demanderesse a demandé la révision de l'arrêt cantonal. La
procédure devant la cour de céans a été suspendue jusqu'à droit connu sur la
requête en révision (art. 57 al. 1 OJ). Celle-ci a été déclarée non fondée
par arrêt du 16 juin 2003 de la Chambre d'appel en matière de baux et loyers.

Y. ________ SA propose le rejet du recours en réforme.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des recours
qui lui sont soumis (ATF 129 III 288 consid. 2.1 p. 290; 128 II 13 consid. 1a
p. 16, 46 consid. 2a p. 47, 56 consid. 1 p. 58).

1.1 La demanderesse nie la validité du congé qui lui a été signifié en
novembre 1999. En pareil cas, la valeur litigieuse se détermine selon le
loyer dû pour la période durant laquelle le contrat subsiste nécessairement,
en supposant que l'on admette la contestation, et qui s'étend jusqu'au moment
pour lequel un nouveau congé aurait pu être donné ou l'a été effectivement
(ATF 119 II 147 consid. 1 p. 149; 111 II 385 consid. 1 p. 386). Lorsque le
bail bénéficie de la protection contre les congés des art. 271 ss CO, il
convient, sauf exceptions, de prendre en considération la période de trois
ans prévue à l'art. 271 a al. 1 let. e CO (David Lachat, Le bail à loyer, p.
105). En l'espèce, il n'est pas sûr que cette disposition soit applicable
puisque, précisément, le caractère de «local commercial» de l'objet loué est
litigieux. Cela étant, le terme ordinaire le plus proche de la date pour
laquelle le congé a été donné, correspond au 30 novembre 2000. Or, le loyer
dû pour neuf mois, soit de mars à novembre 2000, représente un montant de
11'250 fr., supérieur au seuil de 8'000 fr. fixé à l'art. 46 OJ. Le recours
est recevable ratione valoris.

1.2 L'arrêt attaqué repose sur deux motivations indépendantes. D'une part, la
cour cantonale a estimé que le congé litigieux était intervenu pour un terme
ordinaire, dans le respect du délai de préavis contractuel; s'agissant d'un
bail qui ne bénéficie pas de la protection des art. 271 ss CO, la validité de
la résiliation doit être admise. D'autre part, la Chambre d'appel a jugé que
les conditions d'une résiliation anticipée au sens de l'art. 257 f al. 3 CO
étaient de toute manière réunies, le maintien du bail étant devenu
insupportable pour la défenderesse en raison des nuisances provoquées par
l'activité de la locataire. Conformément à la jurisprudence (ATF 115 II 300
consid. 2a p. 302; 111 II 397 consid. 2b, 398 consid. 2b; cf. également ATF
122 III 488 consid. 2 p. 489), la demanderesse s'en prend à ces deux
motivations de sorte que le recours est également recevable sous cet angle.

1.3 Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral conduit son
raisonnement juridique sur la base des faits contenus dans la décision
attaquée, à moins que des dispositions fédérales en matière de preuve n'aient
été violées, qu'il faille rectifier des constatations reposant sur une
inadvertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou compléter les constatations de
l'autorité cantonale parce que celle-ci n'a pas tenu compte de faits
pertinents, régulièrement allégués et clairement établis (art. 64 OJ; ATF 127
III 248 consid. 2c; 126 III 59 consid. 2a).

Dans la mesure où la partie recourante présente un état de fait qui s'écarte
de celui contenu dans la décision attaquée, sans se prévaloir avec précision
de l'une des exceptions qui viennent d'être rappelées, il n'est pas possible
d'en tenir compte (ATF 127 III 248 consid. 2c). Il ne peut être présenté de
griefs contre les constatations de fait, ni de faits ou de moyens de preuve
nouveaux (art. 55 al. 1 let. c OJ). Le recours en réforme n'est donc pas
ouvert pour remettre en cause l'appréciation des preuves et les constatations
de fait qui en découlent (ATF 128 III 271 consid. 2b/aa p. 277; 127 III 247
consid. 2c p. 252; 126 III 189 consid. 2a; 125 III 78 consid. 3a).

Au surplus, la juridiction de réforme ne peut aller au-delà des conclusions
des parties; en revanche, elle n'est liée ni par les motifs développés par
les parties (art. 63 al. 1 OJ; ATF 128 III 411 consid. 3.2.2 p. 415), ni par
l'argumentation juridique retenue par la cour cantonale (art. 63 al. 3 OJ;
ATF 128 III 22 consid. 2e/cc; 127 III 248 consid. 2c; 126 III 59 consid. 2a).

2.
2.1 La demanderesse reproche tout d'abord à la cour cantonale d'avoir violé
les art. 253 a et 253 b CO en niant que le bail du 4 novembre 1998 portait
sur un local commercial.

2.2 Pour les baux d'habitations et de locaux commerciaux, les art. 271 ss CO,
figurant au chapitre III du titre relatif au bail à loyer, instituent une
protection spéciale contre les congés. D'une part, le congé est annulable
lorsqu'il contrevient aux règles de la bonne foi (art. 271-271 a CO). D'autre
part, le bail peut être prolongé à certaines conditions (art. 272 ss CO).

En l'espèce, la demanderesse n'a jamais conclu à l'annulation de la
résiliation du 26 novembre 1999, ce qui aurait été possible même si les
conditions d'un congé anticipé au sens de l'art. 257 f al. 3 CO étaient
réalisées (cf. Peter Higi, Zürcher Kommentar, n. 52 ad art. 257 f CO; Lachat,
op. cit., p. 431/432 et p. 434). En revanche, la locataire a demandé,
subsidiairement, la prolongation du bail dans ses conclusions en première
instance et devant la Chambre d'appel. Dans son recours, elle ne reprend pas
cette conclusion telle quelle, mais demande que l'inefficacité du congé soit
constatée, subsidiairement que la cause soit renvoyée à la cour cantonale.
Comme la juridiction de réforme ne serait, le cas échéant, pas en mesure de
se prononcer sur une prolongation du bail, il faut admettre que la conclusion
en renvoi est en principe suffisante pour examiner si le bail porte sur un
local commercial ou non.

Cependant, la question de la qualification de local commercial ne se pose que
si le congé a été donné valablement pour son terme ordinaire et qu'une
prolongation est ainsi envisageable. Il n'y a donc pas lieu, à ce stade,
d'examiner le grief tiré de la violation des art. 253 a et 253 b CO.

3.
3.1 Selon la demanderesse, la cour cantonale a admis à tort que le congé donné
le 26 novembre 1999 pour le 29 février 2000 était intervenu pour une échéance
contractuelle.

3.2 Le moyen est fondé. D'après les constatations de la cour cantonale, le
bail a été conclu pour une année à partir du 1er décembre 1998; il était
«ensuite tacitement renouvelable pour une première durée d'une année, puis de
trois mois en trois mois sauf résiliation donnée avec un préavis de trois
mois». C'est dire que, le 26 novembre 1999, la bailleresse pouvait résilier
le contrat au plus tôt pour le 30 novembre 2000. Par conséquent, le congé
signifié pour le 29 février 2000 est anticipé.

Au surplus, il n'y a pas lieu d'envisager en l'espèce l'application de l'art.
266 a al. 2 CO, qui reporte au prochain terme pertinent les effets d'une
résiliation ne respectant pas une échéance légale ou contractuelle. En effet,
la bailleresse n'a pas commis d'erreur au sujet du terme contractuel, mais a
motivé la résiliation anticipée par le manque d'égards de la locataire envers
les voisins (cf. SVIT-Kommentar, n. 53 ad art. 257 f CO, p. 196; Lachat, op.
cit. p. 426; Higi, op. cit., n. 72 et 86 ad art. 257 f CO).

4.
4.1 En ce qui concerne la motivation subsidiaire de l'arrêt attaqué, la
demanderesse ne se plaint pas directement d'une violation de l'art. 257 f al.
3 CO. Elle soutient en revanche que la cour cantonale a méconnu l'art. 274 d
al. 3 CO en admettant la réalité des nuisances sur la base du témoignage d'un
employé du Service cantonal d'écotoxicologie, recueilli dans une autre
procédure et contesté par la locataire.

4.2 L'art. 274 d CO a trait à la procédure relative aux baux d'habitations et
de locaux commerciaux; l'al. 3 de cette disposition prévoit notamment que le
juge établit d'office les faits et apprécie librement les preuves, les
parties devant néanmoins présenter toutes les pièces nécessaires à cet égard.

L'application de l'art. 274 d al. 3 CO en l'occurrence suppose que le bail
liant les parties porte sur un local commercial. Or, un enclos, qui par
définition ne comporte pas de toit, n'est pas un local, soit un espace
délimité de manière horizontale et verticale, rattaché au sol de manière
durable (cf. ATF 124 III 108 consid. 2b p. 110). Certes, le Tribunal fédéral
n'exclut pas qu'un bâtiment plus ou moins fermé puisse répondre à la
définition du local. Il a ainsi qualifié de local commercial une station de
lavage de véhicules en libre service comprenant des boxes, ouverts sur
l'avant. En effet, il n'y avait pas lieu de refuser l'application des normes
protectrices du droit du bail à un contrat qui porte sur des installations
tridimensionnelles ne correspondant pas aux conditions habituelles de
fermeture, lorsque des personnes exercent dans ces lieux l'activité
professionnelle déployée par la locataire; dans le cas de la station de
lavage, les clients et le personnel pouvaient se tenir dans les volumes
délimités pour laver les voitures ou entretenir les installations (ATF 124
III 108 consid. 2b et c p. 110/111). La situation est différente en l'espèce
puisque l'enclos ne sert qu'à entreposer des déchets de bois avant leur
manutention sur les wagons de marchandises. Par ailleurs, l'objet de la
location selon le bail liant les parties est un terrain nu, l'enclos ayant
été édifié par la locataire; le loyer convenu, qui n'a pas été modifié par la
suite, correspond à cette contre-prestation. A cet égard, l'autorisation de
la bailleresse de construire l'enclos n'emporte pas une modification du bail
et, du reste, rien n'indique que la locataire ne devait pas enlever
l'installation à l'issue du contrat (cf. arrêt 4C.145/1990 du 25 juillet
1990, consid. 3; cf. également ATF 98 II 199 consid. 4b p. 204/205). Pour
cette raison également, le bail dont la résiliation est litigieuse ne saurait
être considéré comme relatif à un local commercial.

Au demeurant, le grief formulé par la demanderesse en rapport avec l'art. 274
d al. 3 CO concerne en réalité l'appréciation des preuves, voire le droit
d'être entendu; il aurait dû être soulevé dans le cadre d'un recours de droit
public. En effet, ni le principe de la libre appréciation des preuves, ni la
maxime inquisitoire sociale consacrés à l'art. 274 d al. 3 CO ne prescrivent
au juge comment apprécier les moyens de preuve qui lui sont soumis. Ainsi, le
grief est de toute façon irrecevable.

4.3 Dans son recours, la demanderesse ne conteste pas explicitement que les
conditions d'une résiliation anticipée au sens de l'art. 257 f al. 3 CO
soient réunies. Sur le plan formel, la protestation écrite exigée par cette
disposition est intervenue le 10 juin 1999. Le délai assez long de cinq mois
entre ce courrier et le congé litigieux s'explique par la première
résiliation, datée du 26 août 1999. Celle-ci avait déjà été signifiée en
raison des nuisances générées par la locataire et, d'après ce qui était
ressorti de la séance de conciliation du 17 novembre 1999, n'était pas
valable faute d'avoir été formulée sur avis officiel; le congé du 26 août
1999 rappelait en outre la permanence des nuisances et soulignait
l'inefficacité des mesures prises par la locataire.

Par ailleurs, les nuisances importantes provoquées par le dépôt et la
manutention des déchets de bois sont établies. Il convient de noter au
passage que la gêne causée par l'émission de poussière est attestée non
seulement par le témoignage de l'employé du Service cantonal
d'écotoxicologie, comme la demanderesse tente de le faire croire, mais
également par les plaintes constantes des voisins. Le maintien du bail
apparaît dès lors insupportable pour la bailleresse, confrontée du reste à
une procédure en dommages-intérêts introduite par un autre locataire en
raison des nuisances engendrées par les activités de la demanderesse. Certes,
la défenderesse n'a pas résilié le bail avec effet immédiat ni pour la fin du
mois suivant (cf. art. 257 f al. 3 CO), mais elle a mis un terme au contrat
moyennant un délai de congé de trois mois. Aucun élément ressortant de l'état
de fait cantonal ne permet toutefois de conclure qu'en agissant ainsi, la
bailleresse aurait manifesté que le maintien du bail ne lui était pas
insupportable; la demanderesse ne le prétend d'ailleurs pas. Les conditions
posées par l'art. 257 f al. 3 CO étant réalisées, le droit de la bailleresse
à mettre un terme anticipé au contrat doit être reconnu.

Sur le vu de ce qui précède, la cour cantonale a admis à juste titre la
validité du congé signifié pour le 29 février 2000. Le recours ne peut être
que rejeté.

5.
Vu le sort réservé au recours, il se justifie de mettre les frais judiciaires
à la charge de la demanderesse (art. 156 al. 1 OJ). Par ailleurs, celle-ci
versera à la défenderesse une indemnité à titre de dépens (art. 159 al. 1
OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Un émolument judiciaire de 2'000 fr. est mis à la charge de la demanderesse.

3.
La demanderesse versera à la défenderesse une indemnité de 2'500 fr. à titre
de dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la
Chambre d'appel en matière de baux et loyers du canton de Genève.

Lausanne, le 25 août 2003

Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le Président:  La Greffière: