Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilabteilung 4C.235/2002
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4C.235/2002 /ech

Arrêt du 23 septembre 2002
Ire Cour civile

Les juges fédéraux Walter, président de la Cour, Corboz et
Favre,
greffier Carruzzo.

A. ________,
défendeur et recourant, représenté par Me Jacques Philippoz, avocat, case
postale 44, 1912 Leytron,

contre

B.________,
demandeur et intimé, représenté par Me Hildebrand de Riedmatten, avocat,
avenue Ritz 33, case postale 2299, 1950 Sion 2.

billet à ordre; recours de l'aval

(recours en réforme contre le jugement de la Cour civile I du Tribunal
cantonal du canton du Valais du 5 juin 2002)

Faits:

A.
Y. ________ SA avait pour actionnaires et administrateurs jusqu'au 30 juin
1988 B.________ et A.________. A cette date, ce dernier a quitté Y.________
SA, tant en qualité d'actionnaire que d'administrateur.

Le 8 avril 1987, la banque X.________ (ci-après: X.________) a octroyé deux
crédits de 200 000 fr. chacun à Y.________ SA, le second étant qualifié
d'"avance à terme", n° ..., limitée au 31 décembre 1988, assortie de cette
mention: "à cette date le crédit sera réexaminé". Cette avance à terme était
garantie par un billet à ordre de 200 000 fr., souscrit par Y.________ SA le
6 avril 1987 à Sion en faveur de X.________, et avalisé par B.________ et
A.________. La date d'échéance n'a pas été fixée.

Le 9 juin 1989, X.________ a demandé à A.________ de verser 115 289 fr.75 sur
le compte n° ... pour couvrir sa part du solde débiteur de ce compte. De son
côté, B.________ avait déjà payé cette somme à X.________. Le 1er décembre
1993, X.________ a dénoncé le compte au remboursement, puis a poursuivi
Y.________ SA. En mai 1994, B.________ et son épouse ont versé 164 404 fr. à
X.________, qui a soldé le compte n° ..., le 25 mai 1994, et leur a remis le
billet à ordre souscrit le 6 avril 1987.

B.
Le 17 septembre 1996, B.________ a actionné A.________ en paiement de 39 836
fr.65 et de 164 404 fr., intérêts en sus, avant de réduire ses dernières
conclusions, le 12 avril 2002, à 100 000 fr. avec intérêts à 5% l'an dès le
25 mai 1994. Entre-temps, à l'occasion de la procédure, B.________ a complété
le billet à ordre, le 9 avril 2001, en fixant son échéance au 17 septembre
1996.

Par jugement du 5 juin 2002, la Cour civile I du Tribunal cantonal du canton
du Valais a condamné le défendeur à verser au demandeur 100 000 fr. avec
intérêts à 5% l'an dès le 26 septembre 1996.

C.
Le 28 juillet 1987, B.________ et A.________ se sont engagés en qualité de
cautions solidaires envers la banque Z.________ pour garantir deux crédits en
compte courant au nom de Y.________ SA. Les 11 et 12 avril 1989, les deux
intéressés ont conclu une convention tendant à la répartition par moitié des
pertes de Y.________ SA, au 30 juin 1988, s'élevant à 843 292 fr. Le 7
février 1990, B.________ a introduit une action de ce chef contre A.________,
que la Cour civile I a rejetée dans la mesure où elle était recevable, par
jugement du 9 mars 1995.

D.
Agissant par la voie du recours en réforme, le défendeur conclut à
l'annulation du jugement du 5 juin 2002 et au rejet des prétentions du
demandeur. Il conteste la légitimation active de ce dernier, qui ne pouvait
faire valoir un endossement du billet à ordre en sa faveur. X.________
n'avait jamais requis Y.________ SA d'honorer ce papier-valeur, pas davantage
que les donneurs d'aval. En application de l'art. 1044 al. 3 CO, le demandeur
ne pouvait exercer son recours qu'à concurrence de la moitié du montant versé
à X.________, soit 81 920 fr.85, et non pas 100 000 fr. B.________ était de
mauvaise foi lorsqu'il a remboursé le solde de l'avance à terme sans que
X.________ ne dénonçât le crédit, dans l'unique dessein d'invoquer des droits
découlant du billet à ordre. A cet égard, l'avance à terme de 200 000 fr.
était incluse dans le partage des pertes faisant l'objet de la première
procédure, terminée par jugement du 9 mars 1995. Cette question ne pouvait
plus être réexaminée, au bénéfice de l'autorité de chose jugée.

Le demandeur n'a pas été invité à déposer une réponse.

Par décision du 12 août 2002, la Ire Cour civile a rejeté la demande
d'assistance judiciaire présentée par le défendeur et invité ce dernier a
versé une avance de frais, ce qu'il a fait en temps utile.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Interjeté pour violation du droit fédéral (art. 1001 ss CO) contre une
décision finale prise par le Tribunal cantonal du canton du Valais, qui ne
peut pas être l'objet d'un recours ordinaire de droit cantonal (art. 48 al. 1
OJ), dans une contestation civile portant sur des droits de nature pécuniaire
dont la valeur litigieuse dépasse 8000 fr. (art. 46 OJ), le présent recours,
déposé dans le délai (art. 54 al. 1 OJ) et la forme (art. 55 OJ) prescrits,
est recevable.

2.
Le défendeur se plaint tout d'abord de ce que X.________ n'a jamais fait
valoir le billet à ordre à l'encontre de Y.________ SA, ni envers les
avaliseurs; ceci découlait notamment du fait qu'il n'avait pas mentionné sur
le papier-valeur la date d'échéance. De plus, le demandeur n'était pas au
bénéfice d'un endossement du billet à ordre en sa faveur, ce qui le privait
de toute légitimation active.

2.1 Le billet à ordre est défini comme un titre individuel constatant une
créance d'argent non garantie par un droit de gage, dont le montant est
invariable et dont les clauses sont spécifiquement précisées par la loi
(François Bohnet, La théorie générale des papiers-valeurs, Bâle 2000, p. 110,
113 et 114). Comme n'importe quelle reconnaissance de dette au sens de l'art.
17 CO, le billet à ordre incorpore avant tout un engagement inconditionnel et
irrévocable de payer au créancier une somme déterminée, sans énoncer la cause
de l'obligation. La reconnaissance de dette n'est pas abstraite dans le sens
où elle serait détachée de la relation juridique lui servant de fondement,
mais seulement d'un point de vue formel et strictement documentaire, son
caractère abstrait s'épuisant dans le renversement du fardeau de la preuve,
obligeant le débiteur à rapporter la preuve de l'inexistence de la dette
reconnue. Sous réserve d'une convention de novation, la créance d'origine,
avec ses droits accessoires, n'est pas touchée par la souscription d'un effet
de change, de sorte que l'obligation cambiaire est également soumise aux
modifications ultérieures de la créance de base (ATF 127 III 559 consid. 4a
et les références).

2.2 En sa qualité d'avaliseur faisant l'objet du recours d'un autre avaliseur
ayant  obtenu de X.________ le billet à ordre (art. 1047 al. 1 CO; art. 1098
al. 1 CO), après avoir  remboursé l'avance à terme garantie par le billet à
ordre, le défendeur reproche au demandeur d'agir contre lui sur la base d'un
billet à ordre que le porteur (CS) n'a jamais fait valoir à l'égard du
souscripteur (Y.________ SA), pas davantage que des deux avaliseurs. En
réalité, le demandeur avait remboursé l'avance à terme suite à une poursuite
ordinaire, et non pas pour effet de change.

L'art. 1098 al. 3 CO dispose que les règles relatives à l'aval sont également
applicables au billet à ordre. En vertu de l'art. 1022 al. 1 CO, le donneur
d'aval est tenu de la même manière que celui dont il s'est porté garant, en
ce sens qu'il répond comme un débiteur principal, à l'instar du souscripteur
(Meier-Hayoz/von der Crone, Wertpapierrecht, Berne 2000, p. 191 n. 4 et 206
n. 5). Comme, dans un billet à ordre, les qualités de souscripteur et de tiré
se confondent et que l'avaliseur s'engage à titre principal aux côtés du
souscripteur, il peut être contraint de s'exécuter sans que l'effet de change
ait été préalablement protesté (Meier-Hayoz/von den Crone, op. cit., p. 194
n. 13), ou ait fait l'objet d'une poursuite pour effet de change. Le porteur
peut ainsi agir à l'égard du souscripteur ou des avaliseurs sans observer un
ordre de priorité déterminé (art. 1044 al. 2 CO); de même, l'obligé de change
qui a payé le montant dû au porteur, ou bénéficiaire, a droit à la remise de
l'effet et peut exercer son recours sans endossement (Jäggi/ Druey/von
Greyerz, Wertpapierrecht, Bâle 1985, p. 210).

En l'espèce, le demandeur, qui avait la même position d'avaliseur que le
défendeur, est entré en possession du billet à ordre, de par la loi, en
raison de son remboursement au porteur, de sorte qu'il peut à son tour
exercer son recours contre l'autre avaliseur (Meier-Hayoz/von der Crone, op.
cit., p. 188 et 189), ce dernier ne pouvant lui opposer que les exceptions
tirées de l'art. 1007 CO, s'agissant d'un rapport purement cambiaire. Le
Tribunal cantonal n'a ainsi pas violé le droit fédéral, en admettant que,
fondé sur le billet à ordre, le demandeur pouvait exiger du défendeur le
paiement de la moitié du montant porté sur l'effet de change, conformément
aux arrangements internes entre les deux avaliseurs se considérant chacun
responsable pour le paiement de la moitié de la dette cambiaire, ce que le
défendeur ne conteste pas dans son recours en réforme. Le recours du
demandeur contre le défendeur, à concurrence de 100 000 fr., doit en
conséquence être admis, avec intérêts à 5% dès l'interpellation du débiteur,
consistant dans la notification du mémoire-demande du 26 septembre 1996, les
moyens tirés de l'irrégularité du complètement du billet à ordre et de sa
prescription n'étant pas repris - à juste titre - dans le recours en réforme
et s'avérant manifestement dénués de pertinence pour les motifs énoncés par
le Tribunal cantonal en p. 11 de son jugement.

3.
D'après l'art. 1007 CO, le défendeur ne peut opposer au demandeur les
exceptions fondées sur ses rapports personnels avec le souscripteur ou
l'autre avaliseur, à moins que ce dernier n'ait agi sciemment au détriment du
défendeur en acquérant le billet à ordre.

A cet égard, le défendeur soutient que le demandeur a fait en sorte que le
souscripteur Y.________ SA utilise l'avance à terme garantie par le billet à
ordre sans rembourser "le moindre centime", avant de rembourser à titre privé
la moitié de cette avance sans que le porteur ne dénonce le crédit, pour
restituer ultérieurement, toujours à titre privé, le solde de l'avance à
terme, dans l'unique but de faire valoir des droits découlant du billet à
ordre.

Cette argumentation ne convainc pas. Lors de sa sortie de Y.________ SA,
l'avance à terme en faveur de cette dernière présentait un solde passif de
215 716 fr.70, dont le défendeur devait assumer la moitié, soit 107 858
fr.35. Les motifs et les circonstances de la fin de son activité comme
actionnaire et administrateur de Y.________ SA ne ressortent pas du dossier
cantonal; en particulier, à ce stade, le défendeur n'a pas allégué un
comportement dolosif à son égard, de la part de l'autre actionnaire et
administrateur. Dès le 9 juin 1989, X.________ a interpellé le défendeur pour
exiger de lui le versement de sa part du découvert du crédit, entre-temps
portée à 115 289 fr.75, en faisant valoir l'aval donné au billet à ordre. En
désintéressant la banque en mai 1994, le demandeur est devenu porteur du
billet à ordre, ex lege (art. 1047 al. 1 CO), dont le complètement et la
non-prescription ne sont plus contestés dans le cadre du présent recours en
réforme, d'une manière répondant aux exigences de l'art. 55 al. 1 let. c OJ.
En application des art. 1022 al. 3, 1044 al. 3 et 1098 al. 1 et 3 CO, le
demandeur pouvait exercer son recours contre le défendeur à concurrence du
montant fixé dans leurs rapports internes par les deux avaliseurs, soit pour
la moitié du montant promis au paiement dans le billet à ordre, 100 000 fr.
Dans ce sens, le recours s'avère infondé.

4.
Le défendeur invoque encore l'autorité de chose jugée du jugement du 9 mars
1995.

Il y a chose jugée lorsque la prétention litigieuse a déjà fait l'objet d'une
décision passée en force. C'est le cas lorsque, dans l'un et l'autre procès,
les mêmes parties ont soumis au juge la même prétention en se fondant sur les
mêmes faits (ATF 119 II 89 consid. 2a). En principe, seul le jugement au fond
jouit de l'autorité de la chose jugée. Cela suppose que le premier tribunal
saisi ait dit le droit sur la base des allégations de fait des parties,
c'est-à-dire qu'il ait jugé du fondement matériel de leurs prétentions. Le
jugement au fond jouit de l'autorité de la chose jugée dans la mesure
seulement où il a statué sur la prétention litigieuse. Ne participent pas de
l'autorité de la chose jugée les constatations de fait dudit jugement ni ses
considérants de droit, mais uniquement son dispositif (ATF 125 III 8 consid.
3b p. 13, 241 consid. 1 p. 242; 123 III 16 consid. 2a; 121 III 474 consid.
4a; 115 II 187 consid. 3b p. 191), encore qu'il faille parfois recourir aux
motifs pour déterminer la portée exacte du dispositif (ATF 123 III 16 consid.
2a; 116 II 738 consid. 2a). Le juge doit interpréter objectivement les
conclusions prises dans le premier procès, conformément aux principes
généraux et selon les règles de la bonne foi (ATF 105 II 149 consid. 2a). Il
ne saurait y avoir identité d'objet entre deux procédures et, partant, chose
jugée sur ce point si, dans le premier procès, l'objet du litige n'a pas été
jugé au fond, et cela même si le premier juge en a discuté certains éléments
dans ses motifs (arrêt 4C.328/1994 du 4 janvier 1995, consid. 3a).

Pour dire s'il y a ou non chose jugée, il faut comparer la prétention
invoquée dans la seconde procédure avec le contenu objectif du jugement rendu
dans le premier procès (Piguet, L'exception de chose jugée spécialement en
procédure civile vaudoise, thèse Lausanne 1956, p. 62; Domenig, Die Verhütung
widersprechender Zivilurteile, insbesondere durch den Gerichtssand des
Sachzusammenhangs, thèse Zurich 1954, p. 47 s).

En l'espèce, le demandeur fait valoir, dans le deuxième procès, un recours
cambiaire fondé sur les art. 1022 al. 3 et 1044 CO contre un autre avaliseur
du billet à ordre dont il est devenu porteur, alors que le jugement du 9 mars
1995 écartait une demande en paiement relative au partage des pertes au 30
juin 1988, au motif que les critères pour établir la responsabilité des
partenaires étaient "flous et mal aisés à définir", que "l'expertise
judiciaire ne (fixait) pas précisément cette perte", et qu'aucun rapport de
causalité entre un acte de gestion et une perte déterminés n'avait été
prouvé. Le seul élément concret retenu était la volonté des intéressés "de
supporter ensemble les pertes de Y.________ SA au 30 juin 1988".

Dans ces conditions, le demandeur a manifestement soumis au juge une autre
prétention, découlant du rapport cambiaire. Même si cette prétention repose
sur des faits identiques, à savoir l'existence de pertes au 30 juin 1988,
dans lesquelles était compris le découvert de l'avance à terme garantie par
le billet à ordre souscrit par Y.________ SA et avalisé par les deux parties,
le fondement juridique différent de la seconde action en justice et le fait
que, dans le premier jugement, la juridiction cantonale ne s'est pas
prononcée expressément sur le remboursement de l'avance à terme n° ..., en
raison de l'imprécision et de l'obscurité des faits qui lui étaient présentés
ne permettent pas au défendeur d'invoquer l'autorité de la chose jugée de la
première décision. Pour ces mêmes raisons, le reproche de mauvaise foi
adressé au demandeur s'avère également dénué de toute pertinence.

Ces considérations commandent le rejet du recours en réforme et la
confirmation du jugement entrepris.

5.
Vu l'issue du litige, le défendeur, qui succombe, sera condamné au paiement
de l'émolument judiciaire (art. 156 al. 1 OJ). Comme le demandeur et intimé
n'a pas été invité à déposer une réponse, il n'a pas droit à des dépens.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté et le jugement attaqué est confirmé.

2.
Un émolument judiciaire de 3000 fr. est mis à la charge du recourant.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la
Cour civile I du Tribunal cantonal du canton du Valais.

Lausanne, le 23 septembre 2002

Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président:   Le greffier: