Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilabteilung 4C.21/2002
Zurück zum Index I. Zivilabteilung 2002
Retour à l'indice I. Zivilabteilung 2002


4C.21/2002

                 Ie   C O U R   C I V I L E
                ****************************

                        4 avril 2002

Composition de la Cour: M. Walter, président, Mme Rottenberg
Liatowitsch et M. Favre, juges. Greffière: Mme de Montmollin.

                        _____________

                Dans la cause civile pendante
                            entre

L.________, demandeur et recourant, représenté par Me Serge
Beuret, avocat à Delémont,

                             et

X.________ SA, défenderesse et intimée, représentée par Me
Alain Schweingruber, avocat à Delémont;

   (contrat de travail; résiliation; force de chose jugée)

          Vu les pièces du dossier d'où ressortent
                  les  f a i t s  suivants:

   A.- Le 18 janvier 1982, X.________ SA a engagé
L.________, qu'elle a nommé fondé de pouvoir en 1987. Elle
l'a licencié le 20 mars 2000, alors qu'il était en incapacité
de travail pour des raisons médicales depuis le 17 mars 2000.

   Le 19 avril 2000, le travailleur congédié a déposé
une action en conciliation auprès du Conseil de prud'hommes,
pour faire constater la nullité du congé et, en conséquence,
demander la condamnation de l'employeur à lui verser le sa-
laire pour la période courant du 20 mars 2000 à la fin des
rapports de travail. A l'audience de conciliation du 24 mai
2000, les parties ont passé la transaction suivante:

 "1. Les parties constatent que M. L.________ est tou-
     jours en incapacité de travail pour une durée indé-
     terminée depuis le 17 mars 2000. Elles prennent ac-
     te que le congé du 20 mars 2000 est inefficace. Le
     contrat de travail prendra fin 3 mois après la fin
     de l'incapacité de travail et à la fin d'un mois
     mais au plus tard le 31 décembre 2000 conformément
     aux 180 jours de protection de l'art. 336c let. b
     CO et des 3 mois de délai de résiliation ordinaire
     de l'art. 335c al. 1 CO.
     X.________ SA annonce l'incapacité de travail de M.
     L.________ à l'assurance perte de gain de l'entre-
     prise dès le 20 mars 2000 et s'engage à respecter
     les formalités en cas de passage à l'assurance in-
     dividuelle.
     M. L.________ remettra régulièrement les certifi-
     cats médicaux d'incapacité de travail à X.________
     SA.
  2. X.________ SA reconnaît que M. L.________ quitte
     l'entreprise au terme ordinaire du délai de rési-
     liation. Il n'y a pas de justes motifs de résilia-
     tion du contrat de travail.
     Durant la période de résiliation, M. L.________ est
     dispensé d'effectuer son travail dans l'entreprise.
     Il prend acte qu'il a déjà été payé pendant le dé-
     lai de résiliation selon décompte du 24 mars 2000,
     ce montant lui est acquis au titre du délai de
     congé. Il reste un solde de vacances par 3'000 fr.

     brut qui lui seront payés en plus. Ce montant sera
     versé dans les 10 jours.
  3. Moyennant ce qui précède, les parties n'ont plus
     aucune revendication à faire valoir l'une contre
     l'autre au titre de l'exécution du contrat de tra-
     vail.
  4. La procédure est gratuite et les dépens sont com-
     pensés.
  5. Moyennant ce qui précède, les parties se déclarent
     hors procédure devant le Conseil de prud'hommes du
     district de Delémont."

   B.- Le 30 novembre 2000, le travailleur a ouvert ac-
tion contre son ancien employeur devant le Conseil de
prud'hommes de Porrentruy. Ses dernières conclusions ten-
daient au paiement de "telle somme à dire de justice supé-
rieure à 8'000 fr." correspondant au décompte d'indemnités de
perte de gain pour les mois d'avril, mai et juin 2000, inté-
rêts en sus.

   Soulevant l'exception de chose jugée, la défende-
resse a conclu à l'irrecevabilité de la demande.

   Par jugement du 23 août 2001, le Conseil de
prud'hommes a déclaré celle-ci irrecevable, vu l'autorité de
chose jugée attachée à la transaction du 24 mai 2000.

   Statuant le 28 novembre 2001 sur appel du travail-
leur, la Cour civile du Tribunal cantonal du canton du Jura a
rejeté l'appel et confirmé le jugement entrepris. Retenant
que le litige divisant les mêmes parties portait sur les mê-
mes faits, desquels étaient déduites des prétentions identi-
ques, la cour cantonale a considéré comme bien fondée l'ex-
ception de chose jugée.

   C.- Le travailleur interjette un recours en réforme
au Tribunal fédéral contre l'arrêt du 28 novembre 2001. Il
conclut à la production, par son adverse partie, des décomp-
tes d'indemnités de perte de gain pour les mois d'avril, mai

et juin 2000, et à la condamnation de celle-ci à lui payer la
somme de 26'000 fr. avec intérêts à 5% l'an dès le 25 novem-
bre 2000, subsidiairement à l'annulation de la décision atta-
quée et au renvoi de la cause à la juridiction cantonale pour
nouvelle décision.

   L'employeur propose le déboutement du recourant, et
en conséquence la confirmation de la décision cantonale.

   La Cour civile se réfère à son arrêt. Elle conclut
au rejet du recours en réforme dans la mesure de sa receva-
bilité.

          C o n s i d é r a n t   e n   d r o i t :

   1.- Le recourant concluait, devant la Cour civile,
au paiement d'une somme à déterminer, supérieure à 8'000 fr.,
et estimée par lui-même à 25'754 fr.70, de sorte que la va-
leur litigieuse minimale permettant le recours en réforme est
atteinte (art. 46 OJ).

   Pour autant que les prétentions déduites en justice
relèvent du droit fédéral, ce qui est le cas en l'espèce
s'agissant d'un litige portant sur la résiliation d'un con-
trat de travail, au sens des art. 335c al. 1 et 336c al. 1
let. b CO, l'autorité de la chose jugée, c'est-à-dire la
question de l'identité des prétentions, appartient au domaine
du droit matériel fédéral. Cette question peut donc faire
l'objet d'un recours en réforme au Tribunal fédéral (ATF 123
III 16 consid. 2 et l'arrêt cité, p. 18).

   Interjeté pour le reste dans les formes et délai
légaux, le recours est recevable.

   2.- La transaction judiciaire est un acte consen-
suel, destiné à mettre fin à un litige moyennant des conces-
sions réciproques. Par essence, elle tend à régler le sort
d'une contestation pendante; elle a donc vocation à régir le
passé et ne se préoccupe, en principe, pas du développement
futur des relations entre les antagonistes. Le Tribunal doit,
en général, seulement prendre connaissance de la transaction
passée entre les parties et constater la fin de la procédure,
sans avoir à vérifier si les termes de la transaction sont
équitables. Le juge ne peut écarter la déclaration par la-
quelle il est mis fin au procès que si elle est manifestement
illicite, par exemple en cas de lésion d'une partie, ce qui
les oblige à poursuivre la procédure sur l'objet du litige ou
à s'arranger d'une autre manière. Le juge peut toutefois exa-
miner si la transaction est claire et complète, et contribuer
à sa correction en cas de lacunes (ATF 124 II 8 consid. 3b
p. 12 et les références).

   La forme de la transaction judiciaire est déterminée
par le droit cantonal. Ce dernier peut expressément prévoir
que la transaction équivaut à un jugement entré en force de
chose jugée, de sorte qu'elle peut être exécutée de la même
manière et représente un titre de mainlevée définitive (cf.
art. 150 al. 1 et 390 al. 3 du Code de procédure civile de la
République et Canton du Jura, du 9 novembre 1978; ATF 124 II
8 consid. 3c p. 13 et les références). En vertu de l'art. 80
al. 2 chiffre 1 LP, les transactions qui portent sur des som-
mes d'argent ou la constitution de sûretés et qui sont pas-
sées en justice sont assimilées aux jugements exécutoires.
(Gilliéron, Commentaire de la loi fédérale sur la poursuite
pour dettes et la faillite, n. 46 ad art. 80, p. 1227).

   Il ne s'agit toutefois, en l'espèce, pas de statuer
sur le point de savoir si la transaction du 24 mai 2000 est
un titre de mainlevée définitive, mais si elle est revêtue de
l'autorité de la chose jugée, ce en vertu du droit matériel

fédéral. C'est en effet ce dernier qui décide quand l'intérêt
juridique à l'introduction d'une action fait défaut, et cet
intérêt fait défaut lorsqu'il y a eu sur le même objet une
transaction (Hohl, Procédure civile, tome 1, n. 1361 p. 255
et les références).

   3.- Il y a chose jugée lorsque la prétention liti-
gieuse a déjà fait l'objet d'une décision passée en force.
C'est le cas lorsque, dans l'un et l'autre procès, les par-
ties ont soumis au juge la même prétention en se fondant sur
les mêmes faits (ATF 119 II 89 consid. 2a). En principe, seul
le jugement au fond jouit de l'autorité de la chose jugée.
Cela suppose que le premier tribunal saisi ait dit le droit
sur la base des allégations de fait des parties, c'est-à-dire
qu'il ait jugé du fondement matériel de leurs prétentions. Le
jugement au fond jouit de l'autorité de la chose jugée dans
la mesure seulement où il a statué sur la prétention déduite
en justice. Ne participent pas de l'autorité de la chose ju-
gée les constatations de fait dudit jugement ni ses considé-
rants de droit, mais uniquement son dispositif (ATF 125 III 8
consid. 3b p. 13, 241 consid. 1; 123 III 16 consid 2a; 121
III 474 consid. 4a; 115 II  187 consid. 3b), encore qu'il
faille parfois recourir aux motifs pour déterminer la portée
exacte du dispositif (ATF 123 III 16; 116 II 738 consid. 2a).
Le juge doit interpréter objectivement les conclusions prises
dans le premier procès, conformément aux principes généraux
et selon les règles de la bonne foi (ATF 105 II 149 consid.
2a). Il ne saurait y avoir identité d'objet entre deux procé-
dures et, partant, chose jugée sur ce point si, dans le pre-
mier procès, l'objet du litige n'a pas été jugé au fond, et
cela même si le premier juge en a discuté certains éléments
dans ses motifs. Pour dire s'il y a ou non chose jugée, il
faut comparer la prétention invoquée dans la seconde procé-
dure avec le contenu objectif du jugement rendu dans le pre-
mier procès (Piguet, L'exception de chose jugée spécialement
en procédure civile vaudoise, thèse Lausanne 1956, p. 62;

Domenig, Die Verhütung widersprechender Zivilurteile, insbe-
sondere durch den Gerichtsstand des Sachzusammenhangs, thèse
Zurich 1954, p. 47/48).

   4.- En l'espèce, les deux procédures successives ont
opposé les mêmes parties, concernant le même contrat de tra-
vail qui les liait. Le demandeur soutient cependant qu'il n'y
a pas identité d'objet entre ces deux procédures, parce que
les prétentions n'étaient pas identiques, s'agissant dans le
premier cas de conclusions constatatoires en nullité de la
résiliation du contrat de travail, et dans le second, d'une
action en paiement d'une somme d'argent supérieure à
8'000 fr., à déterminer par la cour cantonale. De même, les
états de fait étaient différents; dans le premier litige, la
créance de l'employé n'était pas encore exigible, de sorte
que la survenance de son exigibilité après le 24 mai 2000
constituait un fait nouveau permettant de nier l'identité
d'objets entre les deux procédures.

   Ce raisonnement ne convainc pas. En particulier, la
différence des conclusions prises successivement n'est pas
déterminante dans la mesure où, dans la transaction du 24 mai
2000, les parties ont fixé leur position non seulement sur
l'annulation du congé donné au cours de la période de protec-
tion, mais également sur les conséquences de cette situation.
Ainsi, les parties ont décidé, sous l'égide du juge, de
l'échéance du contrat de travail en application de l'art.
335c al. 1 CO, en l'absence de justes motifs de résiliation,
soit à l'issue d'un délai de trois mois pour la fin d'un
mois, et ceci après la fin de l'incapacité de travail, mais
au plus tard au 31 décembre 2000. Il était également précisé
que le travailleur avait "déjà été payé pendant le délai de
résiliation selon décompte du 24 mars 2000", sous réserve
d'un solde de vacances fixé par les parties et payable dans
les dix jours. Il en résulte que dans cette procédure, les
parties se sont prononcées sur la fin des rapports obliga-

tionnels réciproques découlant du contrat de travail, s'agis-
sant d'un congé ordinaire dont le délai de résiliation était
désormais respecté, avec toutes les conséquences pécuniaires
que cela impliquait. Elles l'ont d'ailleurs expressément men-
tionné dans la transaction judiciaire du 24 mai 2000, en sti-
pulant qu'elles n'avaient plus de revendications à faire va-
loir l'une contre l'autre au titre de l'exécution du contrat
de travail, ce qui mettait un terme à la première procédure
pendante devant le Conseil de prud'hommes du district de
Delémont. Le seul élément indéterminé - et par nature indé-
terminable - consistait dans la durée de l'incapacité de tra-
vail, et par voie de conséquence dans celle des prestations
de l'assurance perte de gains de l'entreprise, à partir du 20
mars 2000. Ainsi, en prévoyant cette dénonciation à l'assu-
rance, conformément aux termes de la transaction judiciaire
(chiffre 1, § 2), il a été fait droit à la même prétention
que celle invoquée dans la deuxième procédure, soit le paie-
ment des indemnités de perte de gain pour les mois d'avril,
mai et juin 2000.

   La survenance de l'exigibilité de la créance entre
la première et la seconde procédure ne revêt pas l'importance
que lui attribue le recourant. En effet, sa nature, son éten-
due, et la période au cours de laquelle la créance devien-
drait exigible étaient connues lors de la transaction judi-
ciaire du 24 mai 2000 et ont expressément été prises en con-
sidération dans ce document (chiffre 1, § 1). Dans ces condi-
tions, même si l'exigibilité de la créance est un fait nou-
veau (Hohl, op. cit., n. 1307 p. 246), il ne s'agit pas, dans
le cas particulier, d'une circonstance propre à remettre en
cause l'identité d'objet des deux procédures.

   5.- La Cour civile cantonale n'a ainsi pas violé le
droit fédéral en admettant que la transaction judiciaire du
24 mai 2000 était revêtue de l'autorité de la chose jugée, ce
qui entraînait l'irrecevabilité de la deuxième demande intro-

duite le 30 novembre 2000 devant le Conseil de prud'hommes du
Tribunal de première instance de Porrentruy.

   6.- La valeur litigieuse de la présente cause étant
inférieure à 30'000 fr., la procédure est gratuite en appli-
cation de l'art. 343 al. 3 CO. Cette disposition ne dispense
pas la partie qui succombe de verser à la partie adverse une
indemnité à titre de dépens (ATF 115 II 30 consid. 5c, p.
42).

                       Par ces motifs,

           l e   T r i b u n a l   f é d é r a l :

   1. Rejette le recours et confirme le jugement atta-
qué;

   2. Dit que le recourant versera à l'intimée une in-
demnité de 2'000 fr. à titre de dépens;

   3. Communique le présent arrêt en copie aux parties
et à la Cour civile du Tribunal cantonal du canton du Jura.

                       _______________

Lausanne, le 4 avril 2002
ECH

                 Au nom de la Ie Cour civile
                 du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le président,                                   La greffière,