Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilabteilung 4C.204/2002
Zurück zum Index I. Zivilabteilung 2002
Retour à l'indice I. Zivilabteilung 2002


4C.204/2002 /ech

Arrêt du 9 octobre 2003
Ire Cour civile

MM. les Juges Corboz, Président, Walter et Chaix, Juge suppléant.
Greffier: M. Ramelet.

A. ________ Ltd.,
demanderesse et recourante, représentée par
Me Dominique Henchoz, avocate, Python Schifferli
Peter & Associés, rue Massot 9, 1206 Genève,

contre

B.________ Inc.,
défenderesse et intimée, représentée par Maître Pierre-André Béguin et Maître
Silvia Tevini Du Pasquier, avocats, Budin & Associés, rue Sénebier 20,
1205 Genève.

contrat de vente,

recours en réforme contre l'arrêt de la Chambre civile de la Cour de justice
du canton de Genève du 19 avril 2002.

Faits:

A.
A.a Le 2 avril 1996, A.________ Limited (ci-après: A.________), société de
droit bermudien ayant son siège aux Bermudes, a vendu à B.________ Inc.
(ci-après: B.________), société de droit du Delaware ayant son siège au Texas
(Etats-Unis d'Amérique), 253'000 barils d'essence normale sans plomb (M2) et
84'000 barils d'essence super sans plomb (R2). Ce contrat a été conclu par
téléphone et confirmé le jour même par télécopie envoyée aux deux parties par
C.________, intervenu à titre de courtier dans la transaction.

Comme la marchandise était destinée au marché nord-américain, elle se
référait aux spécifications américaines de la D.________; l'essence vendue
devait notamment présenter une certaine teneur en octanes ainsi qu'une valeur
RVP ("Reid Vapour Pressure" ou pression vapeur Reid) inférieure à 9.0 psi
("pound per square inch", ou livre par pouce carré). Quant à la méthode de
test de RVP, elle devait également répondre à une procédure bien précise,
imposée par les spécifications de la D.________ et dénommée ASTM D5191.

La télécopie valant confirmation de contrat comportait plusieurs clauses.
Dans celle intitulée "Détermination de la qualité", il était prévu que
celle-ci serait examinée au port d'embarquement, soit à Coryton (Angleterre)
par la branche anglaise de la société internationale d'inspection E.________
. Dans la clause concernant le paiement, il était prévu que celui-ci, qui
ferait l'objet de l'ouverture d'un accréditif par l'acheteur, aurait lieu
contre présentation, entre autres documents, du rapport d'inspection des
quantités et qualités de la marchandise par la branche américaine de
E.________. La livraison, prévue pendant la période du 13 au 20 avril 1996,
était fixée à New York (Etats-Unis d'Amérique), la cargaison devant être
transportée par le navire X.________. Enfin, les Incoterms (édition 1990)
pour les contrats "Ex Ship droits acquittés" devaient s'appliquer à tout
point non spécifiquement réglé dans le contrat.

A.b Entre le 30 mars et le 2 avril 1996, E.________ a procédé à Coryton,
selon la méthode ASTM D323, aux analyses du contenu des quatre citernes du
bateau X.________ - soit trois citernes d'essence normale (M2) et une citerne
d'essence super (R2) - ainsi que d'un mélange effectué à terre représentant
un assemblage des trois citernes d'essence normale ("shore composite blend"
ou mélange à terre): les résultats relatifs au RVP ont été tous conformes, à
l'exception de la citerne "61X4", pour laquelle la société d'inspection a
indiqué que la marchandise ne remplissait pas les spécifications (certificat
du 2 avril 1996).

Dans une télécopie du 4 avril 1996, A.________ a informé B.________,
s'agissant des spécifications de l'essence normale (M2), que les valeurs
moyennes du mélange à terre présentaient un RVP de 8,22 psi. II n'a pas été
fait mention des résultats de chacune des citernes. Cette communication n'a
pas appelé de réaction de la part de B.________.

Le 11 avril 1996, la banque Y.________, Genève a ouvert, à la demande de
B.________, un crédit documentaire irrévocable en faveur de A.________ à
concurrence d'un montant maximum de 10'405'409,19 US$ correspondant au
paiement de la cargaison.

A.c Le navire X.________ est arrivé à New York le 14 avril 1996. Selon les
analyses effectuées au moyen de la méthode ASTM D5191 par E.________ USA, la
valeur RVP des trois citernes d'essence normale (M2) était comprise entre
9,11 et 9,56 psi. Des contrôles supplémentaires effectués par E.________ USA
et la société G.________ ont abouti également à des résultats supérieurs à 9
psi pour l'essence normale. En ce qui concerne l'essence super (R2), l'indice
d'octanes était trop bas.

Au vu de ces résultats, B.________ a signifié à A.________, le 16 avril 1996,
qu'elle refusait de prendre livraison de l'essence normale (M2). A.________ a
répondu à B.________ qu'il fallait s'en tenir aux analyses effectuées au port
d'embarquement de la marchandise et a informé ladite société, le 22 avril
1996, qu'elle avait donné l'ordre au capitaine du X.________ de décharger la
cargaison litigieuse, au nom de l'acheteur, au terminal de IMTT Bayonne.

A.d Le 22 avril 1996, B.________ a requis et obtenu du Tribunal de première
instance de Genève, à titre préprovisoire et avant audition des parties, le
blocage du paiement du crédit documentaire ouvert auprès de la banque
Y.________. Pour obtenir cette mesure, B.________ a été contrainte de
produire une garantie de 1'300'000 fr. délivrée par une banque genevoise; sur
le fond, elle a exposé que soit les certificats établis par E.________ UK
étaient des faux, soit ces documents avaient trait à un chargement de pétrole
différent de celui convenu avec A.________. A la suite de l'audience
contradictoire au cours de laquelle A.________ s'est opposée à la mesure
sollicitée, le Tribunal a révoqué sa précédente décision et levé la mesure de
blocage le 1er juillet 1996; en revanche, il a maintenu les sûretés à
concurrence de 1'300'000 fr. pour le cas où A.________ réclamerait réparation
de son préjudice. La banque de A.________ a été immédiatement créditée de la
somme de 9'729'925 US$ correspondant au prix de la cargaison.

B. ________ a finalement accepté la cargaison d'essence super sans plomb
(R2). Quant à l'essence normale sans plomb (M2), qui n'a jamais été acceptée,
B.________ l'a vendue au titre de "produit de mélange" pour un prix inférieur
à celui de l'essence M2, dans le but de réduire les frais d'entreposage de
cette marchandise.

B.
B.aEstimant qu'elle avait subi un dommage du fait de la mesure provisionnelle
de blocage des fonds, A.________ a saisi, le 16 septembre 1996, le Tribunal
de première instance de Genève d'une demande dirigée contre B.________ et
fondée sur la responsabilité aquilienne de cette dernière. B.________ s'est
opposée à cette demande et a conclu, à titre reconventionnel, au paiement de
dommages-intérêts découlant de l'inexécution du contrat de vente. La
compétence pour trancher cette dernière question a été admise par le Tribunal
genevois dans une décision du 5 juin 1997, non frappée d'appel. A.________ a
conclu au déboutement de B.________ de ses, conclusions reconventionnelles et
pris elle-même des conclusions "re-reconventionnelles" en paiement fondées
sur une responsabilité contractuelle de B.________.

Par jugement du 14 septembre 2000, le Tribunal de première instance a fait
partiellement droit à la demande de A.________, a débouté B.________ de ses
conclusions reconventionnelles et l'a condamnée au paiement de la somme
totale de 418'530,90 US$ représentant des frais de stockage, des frais de
douane et des surestaries consécutives au refus de l'acheteur de prendre
livraison de la marchandise.

B.b Par arrêt du 19 avril 2002, la Chambre civile de la Cour de justice de
Genève a annulé ce jugement et, statuant à nouveau, condamné A.________ à
verser à B.________ les sommes de 1'165'037,62 US$ avec intérêts à 5% dès le
15 avril 1996 et 51'036,72 US$ avec intérêts à 5% dès le 22 juillet 1996. La
cour cantonale a encore ordonné que la garantie bancaire de 1'300'000 fr.
soit restituée à B.________.

Sur le plan des faits, les juges cantonaux ont notamment retenu que la valeur
RVP de l'essence normale (M2) n'était, lors de l'embarquement déjà, pas
conforme aux spécifications américaines; que A.________ savait, au vu du
résultat de l'inspection de la citerne "61X4", qu'elle avait embarqué de
l'essence qui n'était pas conforme; qu'en matière de RVP, il fallait procéder
à une détermination de sa valeur pour chaque citerne; qu'au surplus, il
n'avait pas été prévu contractuellement que seul le "shore composite blend"
serait déterminant pour le contrôle de qualité; enfin, que A.________ n'avait
jamais produit le certificat relatif à la citerne "61X4", démontrant ainsi
qu'elle était consciente d'avoir agi de manière incorrecte.

En droit, les magistrats genevois ont estimé que B.________ - qui avait des
raisons tout à fait suffisantes d'agir comme elle l'a fait - n'a commis aucun
acte illicite en sollicitant les mesures provisionnelles du 22 avril 1996;
que la livraison d'une chose de genre différente de celle convenue entraînait
l'obligation pour A.________ de réparer le dommage, la venderesse ayant agi
fautivement; qu'enfin, le droit de procédure genevois n'autorisait pas
A.________ à faire valoir des prétentions de nature contractuelle dans le
cadre de la demande reconventionnelle formée par B.________. La cour
cantonale a admis l'existence d'un dommage subi par B.________ à raison de
1'165'037,62 US$ (différence entre le prix de l'essence M2 et le prix du
produit de mélange) et de 51'036,72 US$ (frais d'entreposage à la suite du
déchargement effectué par A.________); en revanche, elle a écarté - pour
défaut de preuve - les postes représentant le manque à gagner sur l'essence
M2 allégué par B.________, ainsi que les frais judiciaires encourus dans
d'autres pays que la Suisse.

C.
Parallèlement à un recours de droit public qui a été rejeté par arrêt de ce
jour, A.________ exerce un recours en réforme au Tribunal fédéral. Elle
demande au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt cantonal et de constater que la
défenderesse a commis un acte illicite à son encontre, de débouter la
défenderesse de sa demande reconventionnelle et de dire que la demanderesse
"pouvait prendre des conclusions pécuniaires à l'encontre de (B.________)
dans le cadre de la demande reconventionnelle"; elle conclut en conséquence
au renvoi de la cause à la cour cantonale pour qu'elle arrête les montants du
dommage que B.________ a causé à A.________.

La défenderesse conclut principalement à l'irrecevabilité du recours et,
subsidiairement, à son rejet.

Sur requête de B.________, le Tribunal fédéral, par ordonnance du 2 septembre
2002, a astreint A.________ à fournir des sûretés à hauteur de 12'000 fr. en
garantie des dépens. Les sûretés ont été déposées en temps voulu.

D.
Le 19 août 2002, alors que l'instruction du présent recours était pendante
devant le Tribunal fédéral, A.________ a saisi la Cour de justice d'une
demande de révision dirigée contre l'arrêt du 19 avril 2002. Elle y soutenait
que B.________ n'avait plus d'existence légale depuis le 1er mars 2000, date
à laquelle elle avait été radiée du registre des sociétés de I'Etat du
Delaware.

Par ordonnance du 28 novembre 2002, le Président de la Ie Cour civile,
conformément à l'art. 57 al. 1 OJ, a dit que l'instance de réforme était
suspendue ex lege jusqu'à droit connu sur la demande de révision cantonale.

Se fondant sur les dispositions légales de l'Etat du Delaware ainsi que sur
un avis de droit de l'Institut Suisse de droit comparé, la Cour de justice a
rejeté cette demande par arrêt du 13 juin 2003. Aucune des parties n'a formé
de recours contre cette décision.

A la suite du rejet de la demande de révision, le Tribunal fédéral n'a pas
autorisé d'écritures supplémentaires.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
1.1 Interjeté par la partie demanderesse qui a succombé dans ses conclusions
condamnatoires et dirigé contre un jugement final rendu en dernière instance
cantonale par un tribunal supérieur (art. 48 al. 1 OJ) sur une contestation
civile dont la valeur litigieuse atteint le seuil de 8'000 fr. (art. 46 OJ),
le recours en réforme est en principe recevable, puisqu'il a été déposé en
temps utile (art. 54 al. 1 OJ) dans les formes requises (art. 55 OJ).

Les pièces nouvelles produites sans que les parties y aient été autorisées -
comme le courrier de B.________ du 15 août 2003 - sont irrecevables.

1.2 Le recours en réforme est ouvert pour violation du droit fédéral (art. 43
al. 1 OJ), mais non pour violation directe d'un droit de rang constitutionnel
(art. 43 al. 1 2e phrase OJ) ou pour violation du droit cantonal (ATF 127 III
248 consid. 2c). L'acte de recours doit contenir les motifs à l'appui des
conclusions; ils doivent indiquer succinctement quelles sont les règles de
droit fédéral violées par la décision attaquée et en quoi consiste cette
violation (art. 55 al. 1 let. c OJ).

Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral doit conduire son
raisonnement juridique sur la base des faits contenus dans la décision
attaquée, à moins que des dispositions fédérales en matière de preuve n'aient
été violées, qu'il y ait lieu à rectification de constatations reposant sur
une inadvertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou qu'il faille compléter les
constatations de l'autorité cantonale parce que celle-ci n'a pas tenu compte
de faits pertinents et régulièrement allégués (art. 64 OJ; ATF 127 III 248
ibidem). Dans la mesure où une partie recourante présente un état de fait qui
s'écarte de celui contenu dans la décision attaquée sans se prévaloir avec
précision de l'une des exceptions qui viennent d'être rappelées, il n'est pas
possible d'en tenir compte. Le recours n'est pas ouvert pour se plaindre de
l'appréciation des preuves et des constatations de fait qui en découlent (ATF
127 III 543 consid. 2c; 126 III 189 consid. 2a; 125 III 78 consid. 3a). Il ne
peut être présenté de faits ou de moyens de preuve nouveaux (art. 55 al. 1
let. c OJ).

Le Tribunal fédéral ne peut aller au-delà des conclusions des parties, mais
il n'est pas lié par les motifs qu'elles invoquent (art. 63 al. 1 OJ), ni par
l'argumentation juridique retenue par la cour cantonale (art. 63 al. 3 OJ;
ATF 128 III 22 consid. 2e/cc in fine; 127 III 248 consid. 2c).

2.
La recourante critique la décision d'irrecevabilité de ses conclusions
re-reconventionnelles. D'après elle, une telle décision violerait l'art. 8
LDIP.

Dans le recours de droit public rejeté par arrêt de ce jour, le Tribunal
fédéral a admis que cette irrecevabilité découlait d'une interprétation non
arbitraire du droit de procédure cantonal. Or, la question ne se présente pas
différemment sous l'angle d'un recours en réforme. En effet, si l'art. 8 LDIP
règle, en matière internationale, les conditions de fond de la demande
reconventionnelle, les autres conditions posées par les codes de procédure
cantonaux à l'admission de l'action reconventionnelle restent applicables
(cf. Berti, Commentaire bâlois, n. 6 ad art. 8 LDIP). Cette application des
règles de procédure cantonale se justifie par le fait qu'il n'y a pas de
raison de traiter le défendeur, dans un procès international, d'une autre
manière que le défendeur dans un procès interne (Dutoit, Commentaire de la
loi fédérale du 18 décembre 1987, 3e éd., n. 5 ad art. 8 LDIP). On ne saurait
donc autoriser la recourante à présenter des conclusions
re-reconventionnelles dans le présent litige au motif que la dispute présente
un caractère international.

Par conséquent, le grief soulevé par la recourante se confond avec
l'argumentation qu'elle a développée en instance de recours de droit public.
S'agissant en réalité d'une critique du droit cantonal de procédure, le moyen
est irrecevable dans la présente instance.

3.
La recourante invoque une violation de l'art. 41 CO. Selon elle, l'attitude
de l'intimée, qui a requis des mesures provisionnelles tendant au blocage du
paiement du crédit documentaire, aurait été contraire au devoir du plaideur
d'agir de bonne foi et constituerait un acte illicite; la conclusion
contraire à laquelle est parvenue la cour cantonale consacrerait une
violation du droit fédéral.

3.1 L'exercice de moyens de recours et autres moyens de droit est en principe
légitime, même s'il aboutit finalement à un échec. Toute personne a le droit
de requérir la protection du juge pour les prétentions qu'elle croit avoir, à
condition d'agir de bonne foi. L'ouverture d'une action ou la façon de
conduire un procès ne peut être constitutif d'un acte illicite que si le
comportement du plaideur est abusif, dolosif ou encore trahit une mauvaise
foi manifeste (ATF 123 III 101 consid: 2a). Commet ainsi un acte illicite
celui qui requiert des mesures provisionnelles sans aucun motif réel (ATF 88
II 276 consid. 4b), par exemple lorsque la décision qui y fait droit se
révèle injustifiée au regard du droit matériel (Pelet, Mesures
provisionnelles: droit fédéral ou cantonal ?, Réglementation fédérale des
mesures provisionnelles et procédure civile cantonale contentieuse, p. 130;
pour une critique sur ce chef d'illicéité, cf. Brehm, Commentaire bernois,,
n. 48 ad art. 41 CO).
La doctrine conçoit même une illicéité quand les conditions d'une protection
provisionnelle - et elles seules - ne sont pas remplies: le droit invoqué
existe, mais pas la menace qui pèse sur lui (Pelet, op. cit., ibidem et les
références). Dans tous les cas - et c'est là l'élément essentiel -, on ne
peut retenir d'illicéité lorsque le requérant croyait objectivement à
l'utilité de la mesure et qu'il a agi avec diligence (Bertossa/Gaillard/
Guyet/Schmidt, Commentaire de la loi de procédure civile du canton de Genève
du 10 avril 1987, n. 3 ad art. 328 LPC gen.).
3.2 La cour cantonale a retenu de manière à lier le Tribunal fédéral en
instance de réforme (art. 63 al. 2 OJ) que la venderesse, informée
immédiatement du défaut de conformité du produit avec les spécifications
américaines, a refusé toute discussion et tout arrangement avec l'acheteuse.
Au vu de l'attitude affichée par la recourante, il était urgent pour
l'intimée d'empêcher le paiement du prix de vente. Le dépôt de mesures
provisionnelles apparaissait donc indispensable.

Au surplus, on ne peut reprocher à l'intimée d'avoir abusé de son droit en
requérant le blocage du paiement du crédit documentaire, puisque - comme on
le verra ci-dessous - elle était en droit de refuser la livraison de la
demanderesse.

3.3 Par conséquent, c'est sans violer le droit fédéral que la cour cantonale
a exclu toute illicéité dans le comportement procédural de l'intimée. A
défaut d'acte illicite, les autres conditions de l'art. 41 CO n'avaient pas à
être examinées.

Le moyen est dénué de tout fondement.

4.
Sous couvert d'une violation de l'art. 18 CO, la recourante entend remettre
en cause l'appréciation des preuves par l'autorité cantonale.

De toute manière, à l'instar de ce qui a été jugé dans le recours de droit
public, la question de savoir si les parties étaient également convenues d'un
contrôle de qualité au port de débarquement de la marchandise est sans
pertinence pour l'issue du litige. II a en effet été retenu, sans que cela
tombe sous le feu de la critique, que le produit vendu n'avait déjà plus les
qualités promises au port d'embarquement. Cette seule circonstance rend vaine
toute la discussion engagée par la recourante en relation avec l'art. 18 CO.

Le moyen est sans consistance.

5.
La recourante reproche enfin à la cour cantonale une violation de l'art. 97
CO. En retenant que la venderesse avait livré une autre chose que celle
prévue contractuellement, les juges cantonaux ne pouvaient appliquer
directement l'art. 97 CO pour la condamner à réparer le "dommage positif".
D'après la demanderesse, sa partie adverse aurait dû lui fixer un délai au
sens de l'art. 107 al. 1 CO avant de pouvoir demander la réparation de
l'intérêt positif au contrat. Au surplus, elle allègue qu'un investissement
de 200'000 US$ aurait "apparemment" permis de ramener le taux de RVP aux
valeurs prévues par le contrat.

5.1 La chose de genre (art. 71 CO) est celle qui a des caractéristiques
propres qui la placent dans un certain genre. La notion est relative, car
elle dépend de la description concrète qu'en ont donnée les parties (ATF 121
III 453 consid. 4a). De la précision de cette détermination dépendra la
question de savoir s'il s'agit d'une exécution défectueuse ou d'une
inexécution (sous la forme de la livraison d'un aliud). En effet, si les
parties s'entendent sur une description détaillée de l'objet du contrat,
l'absence d'un élément - au moins - du descriptif entraînera la qualification
d'aliud (Schönle, Commentaire zurichois, n. 82 ad art. 185 CO; Venturi,
Commentaire romand, n. 26 ad intro. art. 197-210 CO). La référence des
parties à une chose de genre sans spécification particulière entraînera en
revanche l'application des règles sur la garantie pour les défauts (art. 197
ss CO) si l'objet du contrat est d'une qualité inférieure à la moyenne (art.
71 al. 2 CO; Hohl, Commentaire romand, n. 6 ad art. 71 CO).

En l'espèce, les parties sont convenues que la marchandise devait être
conforme à une série de spécifications très précises, notamment en ce qui
concerne la teneur en octanes et la pression vapeur Reid. Une méthode de test
spéciale était en outre prévue pour vérifier ces valeurs. Dans de telles
conditions, la non-conformité du produit avec l'une - au moins - des
spécifications contractuelles empêchait de considérer que la marchandise
convenue avait été livrée. C'est donc à bon droit que la cour cantonale a
qualifié d'aliud la livraison litigieuse, ce que confirme d'ailleurs la vente
ultérieure de l'essence à titre de simple "produit de mélange".

5.2 Poursuivant son raisonnement juridique, la cour cantonale a assimilé
cette forme d'inexécution à une violation positive du contrat, qui ouvrirait
la voie à la réparation de la perte éprouvée aussi bien que du gain manqué.
Lorsque le vendeur livre une autre chose que celle prévue par les parties,
l'acheteur est en droit de refuser la livraison; il conserve par ailleurs sa
prétention en livraison d'une marchandise conforme au contrat, si cette
marchandise n'est pas épuisée. Ce sont donc les règles sur la demeure du
débiteur qui s'appliquent (art. 102 ss CO; Schönle, op. cit., n. 82 ad art.
185 CO; Venturi, op. cit., n. 24 ad intro. art. 197-210 CO). Dans les ventes
commerciales, les art. 190 et 191 CO prévoient un régime particulier qui
assure la sécurité et la rapidité de telles transactions. Le terme de
livraison est présumé être un terme fatal au sens de l'art. 108 al. 3 CO;
l'acheteur est réputé renoncer à la livraison et réclamer des
dommages-intérêts dont le calcul est facilité.

5.3 En l'occurrence, la défenderesse a d'abord refusé de prendre livraison de
la cargaison. Deux jours après l'échéance du terme convenu de livraison, la
recourante a fait décharger la marchandise litigieuse, au nom de l'acheteur.
La défenderesse a par la suite vendu la cargaison, subissant une perte de
1'165'037,62 US$ correspondant à la différence entre le prix payé pour de
l'essence M2 et le prix obtenu de la revente de l'essence effectivement
livrée. Elle a au surplus dû s'acquitter de frais d'entreposage, par
51'036,72 US$, résultant du déchargement de la cargaison contre son gré.

Au vu des stipulations contractuelles et du déroulement des faits retenu par
la cour cantonale, la venderesse se trouvait en demeure simple à la seule
échéance du terme convenu de livraison (art. 102 al. 2 CO in fine), soit dès
le 21 avril 1996. Il appartenait alors en principe à l'acheteuse de lui fixer
un délai de grâce pour s'exécuter (art. 107 al. 1 CO) afin, notamment, de
pouvoir réclamer ensuite des dommages-intérêts pour cause d'inexécution (art.
107 al. 2, 2ème hypothèse, CO). Toutefois, dès que la venderesse avait fait
décharger la marchandise au nom de l'acheteuse, la fixation d'un tel délai
n'était plus nécessaire, l'attitude de la recourante démontrant que cette
mesure serait sans effet (art. 108 ch. 1 CO). L'application des règles sur
les ventes commerciales confirme ce résultat (cf. art. 190 al. 1 CO).
Partant, l'intimée pouvait valablement réclamer des dommages-intérêts pour
cause d'inexécution.

Le calcul de la prétention en dommages-intérêts déduite de l'art. 107 al. 2,
2ème hypothèse, CO est identique à celui de l'indemnité due pour
impossibilité fautive (art. 97 CO; ATF 120 II 296 consid. 3b). Par
conséquent, en appliquant - même directement - l'art. 97 CO, la cour
cantonale n'a pas violé le droit fédéral, du moment que le montant des
dommages-intérêts auxquels l'intimée a droit était identique dans les deux
cas de figure. L'application de l'art. 191 al. 2 CO n'ajouterait rien à ce
raisonnement puisque, en l'occurrence, l'intimée a été contrainte de vendre
la cargaison litigieuse. De toute manière, le Tribunal fédéral n'a pas été
saisi de conclusions visant à la réparation du gain manqué.

Non critiquées en tant que telles, les conditions de la responsabilité de la
demanderesse sont ainsi bel et bien réunies.

Quant à la question de l'investissement d'une somme d'argent qui aurait
permis de ramener le taux de RVP aux valeurs prévues, il s'agit d'un fait qui
n'a pas été constaté par la cour cantonale. Du reste, la recourante n'évoque
qu'une probabilité à ce sujet, sans en préciser l'incidence quant à
l'application d'un principe de droit fédéral.

Mal fondé, le moyen doit être rejeté.

6.
A la suite du rejet de la demande en révision cantonale, le grief lié à la
prétendue inexistence de l'intimée est devenu sans objet.

7.
Compte tenu de l'issue de la cause, la recourante supportera l'émolument de
justice et versera à l'intimée une indemnité à titre de dépens (art. 156 al.
1 et 159 al. 1 OJ). Les dépens dus par la recourante seront imputés sur les
sûretés qu'elle a versées à la Caisse du Tribunal fédéral.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Un émolument judiciaire de 10 000 fr. est mis à la charge de la recourante.

3.
La recourante versera à l'intimée une indemnité de 12 000 fr. à titre de
dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la
Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève.

Lausanne, le 9 octobre 2003

Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président:   Le greffier: