Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilabteilung 4C.194/2002
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4C.194/2002 /ech

Arrêt du 19 décembre 2002
Ire Cour civile

Les juges fédéraux Walter, président de la Cour, Corboz, Klett, Rottenberg
Liatowitsch et Favre,
greffier Carruzzo.

Société d'assurances X.________,
défenderesse et recourante, représentée par Me Christian Grosjean, avocat,
rue Etienne-Dumont 1, case postale 3487, 1211 Genève 3,
B.________,
défendeur,

contre

A.________, demandeur, intimé et recourant par voie de jonction, représenté
par Me Christel Gobeli-Döll, avocate, chemin des Verjus 89, 1212 Grand-Lancy,

responsabilité civile du détenteur de véhicule automobile; calcul du dommage

(recours en réforme contre l'arrêt de la Chambre civile de la Cour de justice
du canton de Genève du 19 avril 2002)

Faits:

A.
A.a A.________ est né au Vietnam en 1957. Il est arrivé en Suisse en 1979 et
a obtenu l'asile politique. Ne disposant d'aucune formation particulière, il
a suivi des cours de français, langue dans laquelle il peut s'exprimer
oralement, mais qu'il ne peut ni lire ni écrire. Il a épousé une compatriote
en 1985 à Genève; une fille est née de cette union, le 22 janvier 1989.

En 1981 ou 1982, A.________ a été engagé par l'entreprise Y.________ SA où il
a reçu une formation de monteur en transformateurs électriques. Son travail,
organisé en deux équipes, consistait à installer manuellement de lourds
composants en fer dans de grands transformateurs. En 1989, le salaire mensuel
brut moyen versé à cet employé était de 4546 fr., compte tenu des allocations
familiales, des indemnités pour travail en équipe et de la rémunération
d'heures de travail supplémentaires.

A. ________, dont l'épouse travaillait à temps complet, participait
activement aux tâches du ménage (nettoyage, cuisine, lessive, courses et
garde de l'enfant) en fonction de ses disponibilités découlant de son horaire
de travail variable.

A.b Le 14 octobre 1989, un grave accident de la circulation s'est produit sur
la route d'Aïre, à Genève, dans lequel ont été impliqués le véhicule conduit
par A.________ et une automobile conduite par B.________, assurée en
responsabilité civile auprès de la société d'assurances X.________ (ci-après:
X.________). La responsabilité de cet accident incombe exclusivement à
B.________.

A. ________ a subi diverses lésions importantes, en particulier un
polytraumatisme avec traumatisme crânio-cérébral, une commotion cérébrale,
une contusion hépatique et de multiples fractures dont le tiers moyen de
l'humérus gauche, l'anneau pelvien, le fémur gauche et la tête du péroné
gauche. Ces lésions ont nécessité de nombreuses interventions chirurgicales
et le patient n'a pu rentrer chez lui que le 24 novembre 1989.

A la date du jugement de première instance, soit onze ans après la survenance
de l'accident, A.________ présentait un raccourcissement du fémur gauche de 1
à 1,5 cm, dont la fracture avait consolidé avec un cal vicieux en rotation
externe de 30 à 35°, entraînant une nette claudication sur le côté gauche.
Par ailleurs, un mauvais fonctionnement de l'articulation de l'épaule gauche
subsiste, qui entraîne une limitation modérée des mouvements de cette
dernière. Les blessures et les nombreuses interventions chirurgicales subies
ont laissé des séquelles cutanées, soit de nombreuses et peu esthétiques
cicatrices. Sur le plan neurologique, le traumatisme crânio-cérébral a eu des
incidences sur les fonctions cognitives, l'humeur, la capacité de
concentration et la résistance à la fatigue de A.________ qui est devenu
constamment triste, voire irritable, et a perdu toute joie de vivre depuis
son accident.

A. ________ arrive à marcher, en boitant, entre une heure et une heure
trente, à l'aide d'une canne qu'il tient dans sa main droite. Il éprouve des
douleurs permanentes à l'épaule gauche, ainsi que des douleurs au niveau de
la fesse gauche, essentiellement lorsqu'il se tient debout et qu'il marche.
Par ailleurs, le port de charges d'une certaine importance lui est impossible
en raison notamment des lésions subies à l'épaule gauche.

Ces lésions, troubles et handicaps trouvent tous leur origine dans l'accident
du 14 octobre 1989.

Les experts judiciaires C.________ et D.________ ont évalué à 62,7%
l'invalidité médico-théorique globale et définitive résultant de ces
différentes atteintes à la santé. Pour sa part, le médecin traitant de
A.________ a estimé ce taux à 80%.

A.c Une tentative de reprise du travail auprès de Y.________ SA, de même
qu'un essai de reconversion dans le secteur de l'horlogerie se sont soldés
par un échec, nonobstant la bonne volonté de A.________ et son désir de
travailler.

Les experts C.________ et D.________ ont estimé à 50% la capacité résiduelle
de gain de l'intéressé dans une profession ne nécessitant pas le port de
charges ni l'exécution de travaux lourds. En revanche, le médecin traitant,
de même que le Dr E.________, commis en tant qu'expert dans un litige
opposant A.________ à Z.________, ont conclu à une incapacité de travail
totale, quelle que soit la profession envisagée.

Après son accident, A.________ a cessé d'assurer sa part des tâches
ménagères, lesquelles ont été accomplies intégralement, depuis lors, par son
épouse qui a cessé son activité professionnelle à cette fin. Les experts
médicaux ont estimé à 30% le degré d'invalidité médico-théorique de
A.________ relativement à ces tâches, tandis que, dans un rapport du 28
janvier 2000, le Centre d'ergothérapie fonctionnelle, mis en oeuvre par le
médecin traitant du lésé, a évalué à 88% le degré d'inaptitude de ce dernier
à accomplir des tâches ménagères.

A.d Depuis son accident survenu en octobre 1989, jusqu'à l'expiration de son
contrat de travail en février 1992, A.________ a reçu de son employeur - par
le biais des versements de la CNA, de l'AI et de la Caisse maladie de
Y.________ SA - un salaire; il a ainsi touché quelque 128 228 fr. durant
cette période.

Dès l'expiration du contrat de travail, Y.________ SA a cessé de verser un
salaire à cet employé. Depuis lors, celui-ci a perçu des rentes de la Caisse
nationale suisse d'assurance en cas d'accidents (CNA), de
l'assurance-invalidité (AI) et de la Caisse de pension de Y.________ SA.

Les montants versés à A.________ depuis la survenance de l'accident dont il a
été victime jusqu'à la date retenue pour le calcul du dommage (15 mars 2002)
représentent un total de 787 448 fr. S'y ajoute la somme de 40 800 fr. versée
par la CNA à titre d'indemnité pour atteinte à l'intégrité corporelle.

Enfin, X.________ a versé en date du 14 septembre 1992 la somme de 25 000 fr.
à A.________ à titre d'acompte.

A.e Depuis l'expiration du contrat de travail qui les liait, Y.________ SA a
cessé de payer un salaire à A.________ et, par conséquent, de verser la part
"employeur" des cotisations à la Caisse de pension de Y.________ SA,
destinées à assurer la retraite du travailleur. Le montant total des
cotisations perdues par ce dernier, entre mars 1992 et mars 2002, calculé en
fonction d'un taux moyen de 11,15% du salaire brut, s'élève à environ 86 534
fr.

A.f Pour l'assister dans ses démarches envers son employeur, les assurances
sociales et X.________, A.________ a eu recours, dès le mois de mai 1992, aux
services d'un avocat. Il en est résulté des frais se montant à 34 785 fr.
pour l'activité déployée par ce dernier jusqu'au début de l'année 1995.

B.
B.aPar demande du 13 juin 1996, A.________ a assigné X.________ et
B.________, recherchés solidairement, en paiement d'un montant de 1 222 566
fr.74 avec intérêts à 5% dès le 14 octobre 1989. Ce montant était réclamé à
différents titres (gain manqué, atteinte à l'avenir économique, tort moral et
frais d'avocat hors procès). En cours de procès, le demandeur a augmenté ses
conclusions et réclamé le paiement de 3 038 635 fr.21, plus 148 000 fr. à
titre d'indemnité de procédure pour ses frais de conseil. Son avocat a
sollicité la distraction à son profit, non seulement des dépens de la
procédure, mais également de l'indemnité réclamée au titre des frais d'avocat
avant procès.

La défenderesse a conclu au rejet intégral de la demande. De son côté, le
défendeur s'est borné à contester sa responsabilité dans l'accident du 14
octobre 1989, sans prendre de conclusions.

B.b Par jugement du 14 septembre 2000, le Tribunal de première instance du
canton de Genève a condamné solidairement les défendeurs à payer au demandeur
724 953 fr. d'indemnités diverses ainsi qu'une indemnité de procédure de 35
000 fr. dont il a ordonné la distraction en faveur de Me Christel
Gobeli-Döll.

B.c Statuant le 19 avril 2002, sur appel de la défenderesse et appel incident
du demandeur, la Chambre civile de la Cour de justice, après avoir annulé le
jugement de première instance, a rendu un arrêt dont le dispositif énonce ce
qui suit:

La Cour
"1. Condamne X.________ et B.________ à payer à A.________, à titre
solidaire, les sommes de:

a) 34'785 fr. avec intérêts à 5% dès le 13 juin 1996;
b) 99'309 fr. avec intérêts à 5% dès le 31 décembre 1995;
c) 342'337 fr. avec intérêts à 5% au 15 mars 2002;
d) 86'534 fr. avec intérêts à 5% dès le 31 décembre 1995;
e) 172'936 fr. avec intérêts à 5% au 15 mars 2002;
f) 131'628 fr. avec intérêts à 5% dès le 31 décembre 1995;
g) 157'860 fr. avec intérêts à 5% au 15 mars 2002;
h) 29'200 fr. avec intérêts à 5% au 15 mars 2002

2. Condamne X.________ et B.________, à titre solidaire, en tous les dépens
de première instance et d'appel, lesquels comprendront une indemnité de
procédure de 50 000 fr. à titre de participation aux honoraires de conseil du
demandeur.
En ordonne la distraction en faveur de Me Christel Gobeli-Döll qui affirme
qu'ils lui sont dus.

3.  Condamne l'appelante au paiement d'un émolument complémentaire de 15'000
fr.

4.  Déboute les parties de toutes autres conclusions".

L'arrêt attaqué repose, en substance, sur les motifs suivants:
B.c.aLes conditions fixées par le droit de procédure genevois pour une
amplification de la demande n'étant pas réalisées en l'espèce, il convient,
en accord avec le premier juge, de limiter l'examen du cas aux conclusions
figurant dans l'assignation, soit 1 152 566 fr.75 de dommages-intérêts et 70
000 fr. de réparation morale.

B.c .bLa responsabilité dans la survenance de l'accident du 14 octobre 1989
incombant exclusivement au défendeur, le demandeur est fondé à réclamer à ce
dernier ainsi qu'à la défenderesse, en sa qualité d'assureur en
responsabilité civile du véhicule conduit par le défendeur, la réparation du
dommage subi, en application des art. 46 et 47 CO auxquels renvoie l'art. 62
al. 1 LCR.

B.c .cS'agissant des frais d'avocat, la jurisprudence admet que les dépenses
relatives à l'intervention nécessaire d'un homme de loi avant l'ouverture du
procès, lorsqu'elles ne sont pas comprises dans les dépens de la procédure
cantonale, comme c'est le cas à Genève, constituent un élément du dommage. En
l'occurrence, vu la complexité du cas et le fait que le demandeur, pour
diverses raisons, ne pouvait effectuer aucune démarche lui-même, le nombre
d'heures portées en compte par son avocate, qui correspond à moins d'une
semaine de travail par an, semble à tout le moins admissible. La part du
dommage constitué par les frais d'avocat pour l'activité déployée entre mai
1992 et la fin de l'année 1994 sera donc arrêtée à 34 785 fr., montant qui
portera intérêts à 5% à compter du dépôt de la demande. En revanche, les
interventions ultérieures ont été pour la majeure partie déployées en vue du
dépôt de l'assignation; elles sont donc comprises dans les dépens et n'ont
pas à être indemnisées séparément.

B.c .dLe préjudice économique résultant d'une diminution de la capacité de
gain constitue un élément du dommage. Pour déterminer le dommage consécutif à
une invalidité, le juge part du taux d'invalidité médico-théorique abstrait,
basé sur la nature et la gravité des atteintes à l'intégrité corporelle. Puis
il apprécie l'incidence de cette invalidité sur la diminution concrète de
l'aptitude du lésé à exercer une activité lucrative et à réaliser un gain. In
casu, le Tribunal de première instance n'a pas méconnu ces principes en
jugeant totale et permanente l'incapacité du demandeur à réaliser un gain, et
cela du jour de l'accident.

Jusqu'au jour du jugement, la perte de salaire résultant de l'incapacité de
gain doit être établie, autant que possible, de manière concrète. Avec le
premier juge, on doit tenir pour établi que, sans son accident, le demandeur
aurait continué à exercer son activité professionnelle de monteur en
transformateurs auprès de Y.________SA, qu'il aurait très vraisemblablement
été appelé à continuer à fournir des heures supplémentaires, à tout le moins
dans la même mesure que pendant les deux années précédant son accident, et
que son salaire aurait connu une augmentation moyenne annuelle de 4%. La
perte de salaire brut du demandeur pour la période comprise entre l'accident
et le jour du présent jugement s'élève ainsi à 911 757 fr. Il y a lieu
d'imputer sur ce montant les prestations versées par les assurances sociales
et par la Caisse de pension de Y.________ SA, soit un total de 787 448 fr.,
de même que l'acompte de 25 000 fr. versé par la défenderesse. Ainsi, le
demandeur a droit à un montant de 99 309 fr., avec intérêts à 5% dès la date
moyenne du 31 décembre 1995, au titre de la perte de salaire actuelle.

En ce qui concerne la perte de salaire future, il faut partir du salaire brut
que le lésé aurait obtenu, sans atteinte à l'intégrité corporelle, à la date
du jugement. Le manque à gagner doit être calculé à l'aide des tables de
capitalisation de Stauffer et Schätzle; comme celles-ci prennent en compte, à
tout le moins partiellement, une adaptation au renchérissement de 3,5% du
revenu futur hypothétique, les éventuelles augmentations de salaire découlant
de l'indexation ne doivent pas être prises en considération. En l'espèce, le
demandeur, s'il en avait eu la possibilité, aurait continué à travailler
comme salarié jusqu'à l'âge de la retraite. Il sera donc fait application de
la table de capitalisation no 18 de Stauffer et Schätzle, ce qui donne, pour
un revenu annuel brut de 94 296 fr. (année 2002) et un taux d'incapacité de
gain de 100%, une perte de salaire future capitalisée de 1 255 080 fr. Il
convient de retrancher de ce montant la valeur capitalisée des rentes de l'AI
(378 693 fr.), de la CNA (419 371 fr.) et de la Caisse de pension de
Y.________ SA (114 679 fr.) que le demandeur percevra jusqu'à ce qu'il
atteigne l'âge de la retraite (65 ans), soit un total de 912 743 fr. Par
conséquent, le demandeur a droit, au titre de la perte de gain future, à un
montant de 342 337 fr., lequel portera intérêts à 5 % dès le 15 mars 2002.

B.c .eS'agissant de la prévoyance professionnelle, force est d'admettre que
la perte des cotisations versées à ce titre par l'employeur à une institution
ad hoc constitue un élément du préjudice subi par le demandeur. En l'espèce,
contrairement à ce qui a été retenu par le premier juge, le versement de la
part patronale de ces cotisations n'a pas cessé le jour de l'accident, mais
s'est poursuivi jusqu'à l'expiration du contrat de travail, à fin février
1992. La défenderesse invoque en vain une disposition spécifique du règlement
de la Caisse de pension de Y.________ SA pour soutenir que l'avoir de
vieillesse du demandeur sera alimenté jusqu'à l'âge-terme, nonobstant
l'extinction des rapports de travail. La disposition invoquée est, en effet,
incompatible avec l'art. 10 al. 2 LPP qui prévoit la cessation de
l'obligation d'assurance à la dissolution des rapports de travail. In casu,
l'obligation de cotiser des parties a donc cessé à fin février 1992. S'il
n'avait pas été accidenté, le demandeur aurait travaillé jusqu'à l'âge de la
retraite et bénéficié des cotisations paritaires de son employeur. Il subit
dès lors une perte du fait que les rentes d'invalidité que lui sert la Caisse
de pension sont basées sur un avoir constitué pendant une plus courte durée.
En revanche, le demandeur a tort lorsqu'il soutient qu'il faut également
tenir compte de la part employé des cotisations à la Caisse de pension pour
calculer le montant de cette perte. Il oublie, ce faisant, que la somme
allouée à titre de perte de gain est calculée sur la base du salaire brut,
lequel inclut les cotisations au deuxième pilier incombant au travailleur.

Cela étant, le demandeur a droit, à titre de perte de prévoyance actuelle, à
la somme de 86 534 fr., qui correspond à 11,15% du salaire brut qu'il aurait
réalisé entre mars 1992 et mars 2002, cette somme portant intérêts au taux de
5% dès la date moyenne du 31 décembre 1995.

Pour calculer la perte de prévoyance future, il sied de prendre en
considération le fait que la part patronale des cotisations durant la période
allant du 45ème anniversaire du demandeur jusqu'à l'âge de sa retraite,
passera de 11,15% à un taux moyen de 13,78%. Eu égard à ce pourcentage et au
salaire annuel brut déterminant pour l'année 2002 (94 926 fr.), l'employeur
du demandeur aurait versé chaque année 12 993 fr. à la Caisse de pension au
profit de son employé si les rapports de travail ne s'étaient pas éteints.
Capitalisé jusqu'à l'âge de la retraite du demandeur au moyen de la table 18
de Stauffer et Schaetzle, ce montant donne un total de 172 936 fr. Le
demandeur se verra allouer cette somme et les intérêts y afférents au taux de
5% courant dès la date du jugement.

B.c .fLa perte de la valeur économique des travaux ménagers accomplis par le
lésé dans le cadre de son foyer constitue un élément du préjudice
indemnisable. Jusqu'à la stabilisation médicale de son cas, survenue à la fin
de l'année 1991, le demandeur a été totalement incapable d'effectuer des
travaux ménagers, alors qu'il y consacrait quelque 60 heures par mois avant
son accident, à l'instar de son épouse avec laquelle il partageait l'ensemble
des travaux domestiques en vertu de la répartition égalitaire des tâches au
sein de ce couple. Depuis lors, il est à nouveau à même d'effectuer des
travaux domestiques dans une certaine mesure. Pour fixer celle-ci, on
admettra que l'invalidité médico-théorique de 62,7%, retenue par les experts
judiciaires, a diminué de 50% l'aptitude du demandeur à effectuer des travaux
domestiques, cette valeur se situant entre les 30% auxquels parviennent les
experts, sur la base toutefois d'une analyse lacunaire de la question, et les
88% retenus par le Centre d'ergothérapie fonctionnelle. Quant à la valeur
économique de l'activité ménagère, elle peut être actuellement estimée à 25
fr. par heure de travail.

Pour la période durant laquelle il a été totalement incapable d'accomplir une
quelconque activité ménagère, soit du 14 octobre 1989 au 31 décembre 1991, le
demandeur a ainsi subi un préjudice de 39 750 fr. (60 heures x 25 fr. x 26,5
mois x 100%); son préjudice peut être fixé à 91 875 fr. pour la période du
1er janvier 1992 au 15 mars 2002 (60 heures x 25 fr. x 122,5 mois x 50%). Le
demandeur a droit, partant, en réparation de son dommage ménager actuel, à la
somme de 131 628 fr. à laquelle s'ajouteront les intérêts à 5% dès la date
moyenne du 31 décembre 1995.

Calculé sur les mêmes bases à l'aide de la table 20a de Stauffer et Schaetzle
(moyenne activité/mortalité), le dommage ménager futur se monte à 157 860
fr., somme qui sera allouée au demandeur avec les intérêts à 5% dès la date
de l'arrêt.

B.c .gEu égard à la gravité des lésions subies par le demandeur, à leurs
séquelles physiques et psychiques permanentes (auparavant actif, volontaire
au travail et soucieux d'améliorer les conditions de sa famille, le demandeur
est désormais incapable d'assumer le moindre effort physique et il devra
mener à l'avenir une vie d'assisté; irritable, il a perdu toute joie de vivre
et l'accident l'a rendu stérile, de sorte que le couple n'aura jamais le
second enfant prévu), ainsi qu'à l'absence de toute faute du lésé, il y a
lieu d'allouer à celui-ci une indemnité de 70 000 fr. à titre de réparation
morale, sous déduction des 40 800 fr. que la CNA lui a versés au même titre.
Le solde de la réparation morale due au demandeur s'élève ainsi à 29 200 fr.
S'y ajoutent les intérêts au taux de 5% à compter du 15 mars 2002.

B.c .hLe demandeur a droit à des dépens. Il réclame un montant global de 183
000 fr. de ce chef. Sur le principe, l'obligation pour les défendeurs
d'indemniser le demandeur n'est pas contestable. Le montant des dépens doit
être fixé en fonction, notamment, de l'importance des sommes en jeu, de la
durée de l'instance et de la complexité de la matière. Il faut également
tenir compte, en l'occurrence, de la qualité très relative des écritures
déposées et des correspondances adressées avant le début du litige, certains
passages des écritures du demandeur étant à peine intelligibles. Tout bien
considéré, l'indemnité de procédure sera fixée à 50 000 fr.

C.
La défenderesse interjette un recours en réforme. Elle y invite le Tribunal
fédéral à annuler les chiffres 1b, 1c, 1d, 1e, 2, 3 et 4 du dispositif de
l'arrêt cantonal, à confirmer celui-ci pour le surplus, puis, statuant à
nouveau, à annuler le jugement du Tribunal de première instance, à débouter
le demandeur de toutes ses conclusions, à le condamner aux frais et dépens et
à renvoyer le dossier à la Cour de justice pour qu'elle se prononce sur les
frais et dépens de la procédure cantonale.

Le demandeur conclut au rejet du recours avec suite de frais et dépens.
Agissant par la voie du recours joint, il prie le Tribunal fédéral d'annuler
les chiffres 1f, 1g, et 2 de l'arrêt attaqué, de condamner solidairement les
défendeurs à lui payer 239 040 fr. avec intérêts à 5% dès le 31 décembre 1995
au titre du dommage ménager actuel et 323 297 fr. avec intérêts à 5% dès le
15 mars 2002 en réparation de son dommage ménager futur, de réserver les
frais médicaux futurs en relation avec l'accident qui ne seraient pas pris en
charge par une assurance et de condamner solidairement les défendeurs à les
lui payer, de mettre également à la charge solidaire de ceux-ci les dépens de
la procédure cantonale, y compris les frais et honoraires d'avocat à
concurrence de 148 000 fr. pour la procédure de première instance et de 35
000 fr. pour la procédure d'appel, d'ordonner la distraction de l'intégralité
des frais et dépens en faveur de Me Christel Gobeli-Döll, de confirmer pour
le surplus l'arrêt attaqué (ch. 1a - 1e, 1h et 3 du dispositif de celui-ci),
enfin de mettre tous les frais et dépens de la procédure fédérale à la charge
de la défenderesse.

Les arguments développés dans le recours principal et dans le recours joint
seront mentionnés, dans la mesure nécessaire, lors de l'examen de chacun des
différents griefs formulés par la défenderesse et par le demandeur.

Le codéfendeur n'a pas déposé de réponse au recours principal dans le délai
qui lui a été accordé pour ce faire.

Par décision du 8 octobre 2002, la Ire Cour civile a rejeté la requête
d'assistance judiciaire présentée par le demandeur et fixé au requérant un
délai pour verser une avance de frais. Le demandeur s'est exécuté en temps
utile.

La défenderesse a alors été invitée à déposer sa réponse au recours joint.
Elle l'a fait le 28 novembre 2002, en proposant le rejet de toutes les
conclusions du demandeur.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
1.1 Interjeté par la partie qui a été condamnée à verser des
dommages-intérêts à la partie adverse et dirigé contre un arrêt final rendu
en dernière instance cantonale par un tribunal supérieur (art. 48 al. 1 OJ)
sur une contestation civile dont la valeur litigieuse atteint le seuil de
8000 fr. (art. 46 OJ), le recours exercé par la défenderesse est en principe
recevable, puisqu'il a été déposé en temps utile (art. 54 OJ) dans les formes
requises (art. 55 OJ).

1.2 Il en va de même du recours joint (art. 59 al. 2 et 3 OJ), déposé dans le
délai de réponse (art. 59 al. 1 OJ) par la partie qui n'a pas obtenu
l'intégralité des conclusions condamnatoires qu'elle avait prises à
l'encontre des deux autres parties. Deux remarques liminaires s'imposent
toutefois en ce qui concerne la recevabilité des conclusions prises dans
ledit recours.

Premièrement, il appert de la comparaison entre les conclusions formelles
figurant en tête dudit recours et les chiffres résultant des calculs opérés
dans le corps de celui-ci que les montants qui y sont indiqués ne coïncident
pas. Ainsi, pour ce qui est du dommage ménager actuel, les calculs effectués
par le demandeur sous ch. 84 de son mémoire de recours aboutissent à un total
de 295 683 fr.60 alors que la conclusion ad hoc ne porte que sur 239 040 fr.
(B.1.f); de même, le résultat du calcul du dommage ménager futur, opéré sous
ch. 85 du mémoire de recours (366 200 fr.12), ne correspond pas à la somme de
323 297 fr. mentionnée dans la conclusion y relative (B.1.g). Toutefois, il
serait par trop formaliste de s'en tenir aux seules conclusions prises par le
demandeur en tête de son recours joint, alors que les explications et calculs
détaillés figurant dans le corps de cette écriture aboutissent à des chiffres
différents et plus élevés, lesquels correspondent de toute évidence aux
sommes que l'intéressé entend se voir allouer de ce chef.

Secondement, il ressort de l'arrêt attaqué que la cour cantonale, confirmant
le refus du premier juge d'admettre l'amplification de la demande intervenue
en cours de procès, a limité son examen aux conclusions initiales, lesquelles
portaient sur 1 152 566 fr.75 de dommages-intérêts et 70 000 fr. de
réparation morale, soit un total de 1 222 566 fr.75, la demande étant jugée
irrecevable au surplus pour un motif tiré du droit de procédure cantonal qui
échappe à l'examen de la juridiction fédérale de réforme. A teneur de l'art.
55 al. 1 let. b in fine OJ, il ne peut être présenté de conclusions
nouvelles. Ce qualificatif vise notamment les conclusions augmentées qui
sont, partant, irrecevables (Poudret, COJ, n. 1.4.3 ad art. 55, p. 427). Or,
en l'espèce, le demandeur conclut à l'allocation d'un montant total de 1 426
984 fr.72 (i.e. 34 785 fr. + 99 309 fr. + 342 337 fr. + 86 534 fr. + 172 936
fr. + 295 683 fr.60 + 366 200 fr.12 + 29 200 fr.), dépens non compris. Ce
montant dépasse de 204 418 fr. celui du plafond fixé par la cour cantonale
pour les conclusions admissibles de la demande. Dans cette mesure, le recours
joint du demandeur est, en conséquence, irrecevable.

1.3 Le Tribunal fédéral n'examine que les moyens soulevés par le recourant et
dûment motivés (art. 55 al. 1 let. c OJ). L'arrêté déféré n'est pas critiqué
en tant qu'il admet le principe de la responsabilité du défendeur, reconnaît
au demandeur le droit d'agir directement contre la défenderesse et fixe à 29
200 fr. la réparation morale à laquelle peut prétendre le demandeur (ch. 1h
du dispositif). Ces différents points ne seront donc pas inclus dans
l'analyse juridique du cas. Force est de relever, en outre, que, lorsque
plusieurs personnes sont recherchées solidairement et reconnues codébitrices
solidaires, il n'existe point entre elles de rapport de consorité nécessaire,
leur cause étant divisible. L'arrêt attaqué est donc entré en force, en tant
qu'il condamne le défendeur (art. 54 OJ; cf. arrêt C.42/1983 du 13 avril
1983, consid. 1, publié in SJ 1983 p. 259; voir aussi: Poudret, op. cit., n.
2.2 ad art. 54, p. 409). Aussi ce dernier a-t-il été mis en cause indûment
par le demandeur dans son recours joint. De fait, dès lors que le défendeur
n'a pas interjeté de recours contre l'arrêt cantonal, il ne saurait ni
profiter de l'éventuelle admission du recours principal interjeté par la
codébitrice, ni pâtir d'une condamnation pécuniaire plus lourde de celle-ci
ensuite de l'admission éventuelle du recours joint. Ce n'est, en effet, qu'en
interjetant lui-même un recours principal que le demandeur aurait pu obtenir
une aggravation de la condamnation prononcée contre le défendeur, en
l'absence de recours exercé par celui-ci.

1.4
1.4.1Le recours en réforme est ouvert pour violation du droit fédéral, mais
non pour violation directe d'un droit de rang constitutionnel (art. 43 al. 1
OJ) ni pour violation du droit cantonal (ATF 127 III 248 consid. 2c; 126 III
189 consid. 2a, 370 consid. 5).

Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral doit conduire son
raisonnement juridique sur la base des faits contenus dans la décision
attaquée, à moins que des dispositions fédérales en matière de preuve n'aient
été violées, qu'il y ait lieu à rectification de constatations reposant sur
une inadvertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou qu'il faille compléter les
constatations de l'autorité cantonale parce que celle-ci n'a pas tenu compte
de faits pertinents, régulièrement allégués et clairement établis (art. 64
OJ; ATF 127 III 248 consid. 2c; 126 III 59 consid. 2a). Dans la mesure où une
partie recourante présente un état de fait qui s'écarte de celui contenu dans
la décision attaquée sans se prévaloir avec précision de l'une des exceptions
qui viennent d'être rappelées, il n'est pas possible d'en tenir compte (ATF
127 III 248 consid. 2c). Il ne peut être présenté de griefs contre les
constatations de fait, ni de faits ou de moyens de preuve nouveaux (art. 55
al. 1 let. c OJ). Le recours en réforme n'est pas ouvert pour remettre en
cause l'appréciation des preuves et les constatations de fait qui en
découlent (ATF 127 III 547 consid. 2c; 126 III 189 consid. 2a; 125 III 78
consid. 3a).

Le Tribunal fédéral ne peut aller au-delà des conclusions des parties, mais
il n'est pas lié par les motifs qu'elles invoquent (art. 63 al. 1 OJ), ni par
l'argumentation juridique retenue par la cour cantonale (art. 63 al. 3 OJ;
ATF 128 III 22 consid. 2e/cc p. 29; 127 III 248 consid. 2c; 126 III 59
consid. 2a). Le Tribunal fédéral peut donc admettre un recours pour d'autres
motifs que ceux invoqués par le recourant; il peut aussi rejeter un recours
en opérant une substitution de motifs, c'est-à-dire en adoptant une autre
argumentation juridique que celle retenue par la cour cantonale (ATF 127 III
248 consid. 2c).

1.4.2 En l'occurrence, tant le recours principal que le recours joint ne
satisfont qu'en partie à ces exigences. Ils contiennent l'un et l'autre la
copie intégrale, respectivement la photocopie, de l'état de fait figurant
dans l'arrêt attaqué, ce qui est parfaitement superflu et ne correspond à
aucune exigence de la loi d'organisation judiciaire fédérale (cp l'art. 55
al. 1 let. c OJ avec l'art. 90 al. 1 let. b OJ). Au demeurant, comme on le
précisera lors de l'examen des différents griefs, leur motivation revêt
souvent un caractère appellatoire, en ce sens qu'elle prend appui, à maintes
reprises, sur des faits qui n'ont pas été constatés par la cour cantonale.

Ces remarques préalables étant faites, il y a lieu de passer à l'examen des
griefs articulés dans le recours principal et le recours joint. Il y sera
procédé dans un ordre logique, lequel ne correspondra pas nécessairement à
celui qui a été adopté par les recourants.

2.
2.1 Le principal grief formulé dans le recours principal a trait au dommage de
perte de gain, plus précisément aux modalités de son calcul. La défenderesse
soutient que, pour évaluer la perte de gain actuelle et future du demandeur
du fait de l'accident provoqué par son assuré, il convient de prendre en
considération, non pas le salaire brut, mais le salaire net que le lésé
aurait touché s'il avait continué à travailler jusqu'à l'âge de la retraite.
Sur ce point, la jurisprudence du Tribunal fédéral, qui se fonde sur le
revenu brut, devrait être modifiée à son avis. Par ailleurs et en toute
hypothèse, la défenderesse fait grief à la cour cantonale de ne pas avoir
tenu compte de la surassurance appliquée par la Caisse de pension de
Y.________ SA et qui justifierait, selon elle, de limiter les prétentions du
demandeur à 10% au maximum du salaire brut qu'il aurait perçu sans
l'accident.

Le demandeur préconise, pour sa part, de s'en tenir à la jurisprudence
actuelle, s'agissant du type de revenu - brut ou net - déterminant pour
calculer la perte de gain. Il considère toutefois que les juges précédents
ont évalué la perte de gain qu'il a éprouvée et qu'il subira jusqu'à ce qu'il
atteigne l'âge de la retraite de manière erronée, parce qu'ils n'ont pas ou
pas suffisamment tenu compte, par inadvertance, des augmentations de son
salaire réel dont il aurait bénéficié durant toute sa période d'activité.

2.2 En vertu de l'art. 46 al. 1 CO, applicable par renvoi de l'art. 62 al. 1
LCR, la victime de lésions corporelles a droit à la réparation du dommage qui
résulte de son incapacité de travail totale ou partielle, ainsi que de
l'atteinte portée à son avenir économique. Le préjudice s'entend au sens
économique; est déterminante la diminution de la capacité de gain. Selon la
jurisprudence, le dommage consécutif à l'invalidité doit, autant que
possible, être établi de manière concrète. Le juge partira du taux
d'invalidité médicale (ou théorique) et recherchera ses effets sur la
capacité de gain ou l'avenir économique du lésé (ATF 117 II 609 consid. 9 p.
624; 113 II 345 consid. 1a p. 347; 100 II 298 consid. 4a p. 304; 99 II 214
consid. 3a p. 216).

Pour déterminer les conséquences pécuniaires de l'incapacité de travail, il
faut estimer le gain que le lésé aurait obtenu de son activité
professionnelle s'il n'avait pas subi d'accident. Les augmentations (ATF 116
II 295 consid. 3a/aa) ou les diminutions (ATF 100 II 352 consid. 6) futures
probables du salaire du lésé durant la période considérée doivent être prises
en compte par le juge. Encore faut-il qu'il dispose pour cela d'un minimum de
données concrètes (arrêt 4C.278/1999 consid. 3c/cc). Il incombe au demandeur,
respectivement à la partie défenderesse, de rendre vraisemblables les
circonstances de fait dont le juge pourra inférer la probabilité des
augmentations ou diminutions alléguées du salaire du lésé. Savoir si le lésé
pouvait compter avec une augmentation effective de son revenu (ou s'il devait
s'attendre à une diminution de celui-ci) est un élément de la fixation du
dommage et donc une question de fait (ATF 117 II 609 consid. 12b/aa; Brehm,
La réparation du dommage corporel en responsabilité civile, Berne 2002, n.
43). Les tribunaux se montrent généralement prudents s'agissant d'admettre
l'existence de telles variations salariales. Il y a en effet trop d'inconnues
et d'impondérables pour permettre une estimation suffisante (sur cette
question, cf., parmi d'autres, Brehm, op. cit., n. 29 ss; Schaetzle/Weber,
Manuel de capitalisation, Zurich 2001, n. 3.447 ss et n. 4.4 ss). Point n'est
besoin, pour les motifs indiqués ci-après (cf. consid. 2.3.2.1), de
rechercher plus avant si une attitude prudente reste toujours de mise en ce
domaine ou s'il ne conviendrait pas d'opter plutôt pour une approche
dynamique du problème, comme le préconisent Schaetzle/Weber qui recommandent
de tabler sur une augmentation générale des salaires de 1% en moyenne par an
et de tenir compte, en sus, de l'évolution individuelle du revenu (op. cit.,
n. 3.458 à 3.465).

Dans son arrêt 4C.197/2001 du 12 février 2002, consid. 4b, le Tribunal
fédéral a modifié sa jurisprudence relative au dommage de rente
(Rentenschaden; ledit arrêt est commenté par Marc Schaetzle in HAVE [Haftung
und Versicherung]/REAS [Responsabilité et assurance] 3/2002 p. 205 ss sous le
titre "Rentenschaden-Praxisänderung"). Alors que, précédemment, il avait
posé, par mesure de simplification, que le dommage de rente devait être
calculé en capitalisant les cotisations formatrices de rentes versées par
l'employeur aux assurances sociales (ATF 113 II 345 consid. 1b/aa), avant de
relativiser sa position (arrêt 4C.343/1994 du 16 décembre 1997 consid. 9;
arrêt 4C.35/1999 du 27 mai 1999, consid. 2) et de laisser entrevoir un
prochain changement de jurisprudence (ATF 126 III 41 consid. 3), il a décidé,
dans l'arrêt susmentionné, que, désormais, pour déterminer le dommage de
rente direct, il convenait de comparer les rentes d'invalidité et de
vieillesse versées par les assurances sociales (AVS, LAA, LPP) avec les
prestations de vieillesse que le lésé aurait touchées sans l'accident, le
préjudice consécutif à la réduction d'une rente correspondant donc à la
différence entre les prestations de vieillesse hypothétiques et les
prestations d'invalidité et de vieillesse déterminantes. Dans l'arrêt en
question, le Tribunal fédéral a néanmoins calculé la perte de gain subie par
le lésé sur la base du salaire brut, conformément à une jurisprudence
constante (cf., p. ex., l'ATF 116 II 295 consid. 4a), ce qui a été critiqué
par le commentateur de cette décision (Schaetzle, op. cit., p. 206). De fait,
comme le relèvent avec pertinence Schaetzle/Weber (op. cit., n. 2.194, 2.200
et 3.440), si le dommage de rente de vieillesse doit être indemnisé
concrètement - ce qui sera le cas à l'avenir, sur le vu de la nouvelle
jurisprudence fédérale en la matière -, il y a lieu alors de prendre le
revenu net comme base de calcul pour évaluer le dommage de perte de gain
jusqu'à l'âge présumé de la retraite. Aussi bien, seule cette solution est
dans la logique du système: dès lors que le dommage direct de rente est
intégralement indemnisé, le lésé ne peut prétendre qu'à la réparation totale
de son dommage durant la phase active, c'est-à-dire du jour de son accident à
celui où il aurait cessé d'exercer une activité lucrative; or, avec la
compensation du salaire net, il obtient la réparation intégrale de son
dommage pour cette période, vu qu'il ne dispose, pour satisfaire ses besoins,
que du salaire net de toute cotisation sociale; s'il fallait tabler, comme
jusqu'à ce jour, sur le salaire brut, on aboutirait à une surindemnisation
contraire à un principe cardinal du droit de la responsabilité civile. Il
convient donc de poser que, dorénavant, le calcul de la perte de gain
s'effectuera sur la base du salaire net, toutes les cotisations aux
assurances sociales devant être déduites du salaire brut. Telle est
d'ailleurs la solution préconisée par l'OFAS, la CNA et l'ASA dans leur
"Recommandation relative au calcul du dommage de rente" reproduite in
HAVE/REAS 2/2002 p. 140 ss, 144 ch. 2 (dans le même sens, voir aussi, parmi
d'autres, Bruno Schatzmann, Die Erschwerung des wirtschaftlichen Fortkommens,
Berne 2001, p. 54 s., et le même, Rentenschaden im Invaliditätsfall: Stand
der Diskussion, in HAVE/REAS 4/2002 p. 253 ss, 260/261; apparemment d'un
autre avis, mais dans l'ignorance du changement de jurisprudence concernant
le dommage de rente intervenu depuis lors, Brehm, op. cit., n. 53).

2.3 Il faut examiner maintenant, sur la base des faits constatés dans l'arrêt
attaqué, quelle est, en l'espèce, l'incidence concrète du nouveau mode de
calcul de la perte de gain. Cependant, avant de procéder à cet examen, il y a
lieu de trancher d'abord la question de la surassurance, soulevée par la
défenderesse.

2.3.1 Selon la défenderesse, le règlement de la Caisse de pension de
Y.________ SA contiendrait une disposition topique concernant la
surassurance. La Caisse de pension aurait appliqué cette disposition pour
réduire de 1442 fr. les rentes mensuelles allouées au demandeur (1770 fr.
plus 354 fr. pour l'enfant) et les ramener à un total de 682 fr. par mois. La
défenderesse voit dans cette réduction la preuve que le demandeur était au
bénéfice de prestations sociales
supérieures au 90% de son salaire perdu présumé. Pour elle, la perte de gain
indemnisable ne saurait donc excéder en l'occurrence le 10% du revenu brut
que le demandeur aurait réalisé sans son accident.

A cet égard, force est d'observer d'emblée, avec le demandeur, que les
allégations de la défenderesse touchant le problème de la surassurance -
qu'il s'agisse des dispositions du règlement de la Caisse de pension citées à
la page 19 de l'acte de recours ou des chiffres sus-indiqués, censés
ressortir d'une pièce versée au dossier cantonal - ne correspondent à aucune
constatation de la Cour de justice. Il faut encore préciser que la
défenderesse ne reproche pas à cette autorité d'avoir omis de procéder, sur
ce point, aux constatations nécessaires à la suite d'une inadvertance et
qu'elle ne requiert pas non plus un complètement des constatations de la cour
cantonale. C'est le lieu de rappeler que, selon une jurisprudence bien
établie, le Tribunal fédéral ne revoit les moyens de droit nouveaux que s'ils
déduisent des conséquences juridiques de faits régulièrement soumis à
l'appréciation de la juridiction cantonale et constatés par elle dans la
décision attaquée (ATF 123 III 129 consid. 3b/aa p. 133 et les références).

Dans ces conditions, le moyen tiré de la surassurance est irrecevable, étant
donné qu'il repose exclusivement sur des éléments de fait nouveaux (art. 55
al. 1 let. c OJ).

2.3.2 Le calcul concret des conséquences pécuniaires de l'incapacité de
travail du jour de l'accident à celui du jugement de dernière instance
cantonale (consid. 2.3.2.2 ci-après) et l'évaluation de la perte de gain
future (consid. 2.3.2.3 ci-après) supposent que soit déterminé, au préalable,
le revenu brut que le demandeur aurait obtenu par son activité
professionnelle s'il n'avait pas été victime de l'accident l'ayant rendu
totalement et définitivement incapable de travailler (consid. 2.3.2.1
ci-après). C'est, en effet, de ce revenu-là qu'il faudra déduire les
cotisations du salarié aux assurances sociales pour fixer le montant du
salaire net présumé du lésé et calculer, sur cette base, la perte de gain
actuelle et future subie par lui.

2.3.2.1 Pour la période comprise entre la date de l'accident et celle de
l'arrêt cantonal, la Cour de justice a tenu pour établi, en substance, que le
demandeur, sans son accident, aurait continué à exercer son activité
professionnelle de monteur en transformateurs auprès de Y.________ SA, qu'il
n'aurait pas été visé par les restructurations intervenues au sein de cette
entreprise et que son salaire moyen global, y compris les allocations
familiales, les indemnités pour travail en équipe et la rémunération des
heures supplémentaires, aurait connu une augmentation moyenne annuelle de 4%,
passant de 4546 fr. par mois en 1989 à 7858 fr. en 2002, étant précisé que le
salaire mensuel brut de base d'un ouvrier qualifié chez Y.________ SA se
situait dans une fourchette de 4500 fr. à 5500 fr. en 2000. Ainsi, selon les
juges précédents, durant la période considérée, le demandeur aurait pu
percevoir une rémunération brute totale se montant à 911 757 fr.
Quant à la période subséquente, la cour cantonale a retenu que le demandeur
aurait continué à travailler comme salarié jusqu'à l'âge de la retraite, mais
pas au-delà de cette limite. Elle a jugé qu'il fallait partir du salaire que
le lésé aurait obtenu, sans atteinte à l'intégrité corporelle, à la date de
l'arrêt et qu'il n'y avait pas lieu d'envisager les possibles augmentations
relatives de salaire découlant d'une éventuelle indexation, le
renchérissement futur étant déjà compensé par le taux d'intérêt de
capitalisation de 3,5%. Ainsi, la cour cantonale a calculé la perte de gain
future subie par le demandeur en se fondant sur le revenu annuel brut que ce
dernier aurait perçu sans son accident à la date de l'arrêt, soit 94 296 fr.
(i.e. 7858 fr. x 12).

Dans son mémoire de réponse et de recours joint, le demandeur fait grief à la
cour cantonale de n'avoir pas tenu compte des augmentations réelles de son
salaire entre 1989 et 1993 et de n'avoir pas porté à son crédit
l'augmentation moyenne minimale de 4% intervenue depuis lors en raison de
l'ancienneté, du coût de la vie et du mérite. Il procède ensuite à un calcul
rectificatif dont il résulte que le total des salaires annuels bruts perdus
depuis l'accident jusqu'au jour de l'arrêt se monterait à 967 283 fr.77 avec
un salaire mensuel brut de 8326 fr.75 en 2002. Les juges précédents se voient
encore reprocher par le demandeur d'avoir oublié toutes les augmentations de
salaire dont il aurait bénéficié depuis mars 2002 jusqu'à sa retraite s'il
avait pu continuer à travailler dans l'entreprise précitée, soit 480 315 fr.,
montant qui viendrait s'ajouter aux 1 329 958 fr.23 provenant de la
capitalisation du dommage de perte de gain. Sur tous ces points, le demandeur
invoque, pêle-mêle, l'inadvertance et l'arbitraire dans la constatation des
faits, de même que la violation de l'art. 42 al. 2 CO et des principes posés
dans l'arrêt publié in SJ 2000 I 39 (= ATF 125 III 312).

L'argumentation ainsi résumée, qui n'est d'ailleurs guère compréhensible, ne
saurait être retenue. En effet, sous le couvert du grief d'inadvertance
manifeste (sur cette notion, cf. ATF 115 II 399 consid. 2a; 109 II 159
consid. 2b), le demandeur se borne en réalité à critiquer la manière dont la
cour cantonale a apprécié les preuves pertinentes - il utilise du reste le
qualificatif d'"arbitraire" à ce propos - et à soumettre au Tribunal fédéral
son propre décompte, en se référant à des pièces déterminées du dossier
cantonal ainsi qu'à son mémoire après enquêtes daté du 25 février 2000. Il
voudrait donc que la juridiction fédérale de réforme fît office de cour
d'appel, ce qui n'est évidemment pas son rôle. Comme on l'a indiqué plus
haut, dire si le lésé pouvait compter avec une augmentation effective de son
revenu est une question de fait et la réponse qui lui est apportée ne peut
pas être critiquée dans un recours en réforme, sauf exceptions non réalisées
en l'espèce. Pour le surplus, le demandeur ne démontre pas en quoi la Cour de
justice aurait violé l'art. 42 al. 2 CO et l'on ne voit pas où il veut en
venir en citant l'arrêt publié in SJ 2000 I 39. Enfin, la simple référence,
faite par lui, aux thèses de Schaetzle/Weber , quant à la nécessité de
prendre en compte l'évolution des salaires réels (op. cit., n. 3.456 ss), ne
suffit pas à établir la violation qu'il impute aux juges précédents pour
avoir fondé leurs calculs sur le revenu présumé du lésé à la date de l'arrêt.
La prudence dont ont fait preuve les juridictions genevoises, s'agissant de
supputer le salaire futur que le lésé aurait pu percevoir sans l'accident,
non seulement était conforme à la pratique généralement suivie par les
tribunaux, mais pouvait s'expliquer, de surcroît, par diverses raisons. Il
ressort, en particulier, de l'arrêt attaqué que des restructurations
internes, accompagnées de licenciements, ont été opérées au sein du personnel
de Y.________ SA depuis 1986; en outre, la défenderesse a versé au dossier
des coupures de presse de l'année 2001 faisant état de suppression massive
d'emplois au sein du groupe Y.________ et, singulièrement, de 43 postes de
travail dans l'activité transformateurs de puissance et de distribution à
Genève en raison, notamment, de surcapacités de production dans le domaine
des transformateurs (art. 64 al. 2 OJ). Il serait donc bien hasardeux
d'émettre aujourd'hui un pronostic un tant soit peu fiable quant à une
évolution favorable des salaires dans cette branche et encore plus quant à
une augmentation générale de 1% en moyenne par an des salaires réels versés
au personnel de ladite entreprise. Plus généralement, on observe que, pour
les personnes d'un certain âge, on ne doit plus s'attendre à de grandes
modifications du salaire, les bas salaires atteignant leur niveau maximum
avant l'âge de 50 ans (cf. Schaetzle/Weber, op. cit., n. 2.59, 4.39 et 4.40).
Or, il ne faut pas perdre de vue que, du fait de la durée du procès en
responsabilité, le demandeur avait déjà atteint l'âge de 45 ans au moment
retenu pour la détermination de sa perte de gain future.

Cela étant, le Tribunal fédéral fondera ses calculs sur les chiffres
mentionnés dans l'arrêt attaqué
2.3.2.2S'il n'avait pas été accidenté, le demandeur aurait touché une
rémunération brute totale de 911 757 fr. du jour de l'accident à celui de
l'arrêt attaqué. Pour savoir quelle eût été sa rémunération nette, il
convient de déduire du salaire brut global l'ensemble des contributions aux
assurances sociales - 4,2% pour l'AVS, 0,7% pour l'AI, 0,15% pour l'APG et
1,5% pour l'AC (cf. Schaetzle/Weber, op. cit., n. 3.443) -, soit le 6,55%
dudit salaire, ce qui donne un montant de 59 720 fr. La déduction doit
également porter sur les contributions du travailleur à la prévoyance
professionnelle, qui sont fixées d'après les statuts ou le règlement de la
Caisse de pension. Pour ce poste, la défenderesse propose une déduction de
11,15% en accord avec la Cour de justice. Toutefois, comme le relève à juste
titre le demandeur, l'autorité cantonale a commis une inadvertance manifeste
en constatant que les cotisations à la Caisse de pension de Y.________ SA
revêtaient un caractère paritaire. C'est précisément le contraire qui ressort
du barème standard annexé au règlement de ladite Caisse de pension (pce 128,
p. 38) et appliqué par elle. Il y a lieu de rectifier cette constatation
erronée (art. 63 al. 2 OJ) et d'admettre une déduction de 6,58% qui équivaut
à la moyenne des pourcentages de cotisations que le demandeur, né en 1957,
aurait dû verser de 1989 à fin 2001, selon le barème standard, soit dans la
tranche d'âge allant de 32 à 44 ans inclusivement. Cette déduction doit
porter, non pas sur le salaire brut, contrairement au calcul effectué par la
défenderesse, mais sur le salaire assuré au sens de l'art. 5.3 du règlement,
à savoir le salaire brut annuel après imputation de la déduction de
coordination correspondant à un tiers de ce salaire, mais au plus à la rente
de vieillesse AVS maximale (concernant les augmentations successives du
montant de coordination durant la période considérée, cf. le tableau
reproduit in HAVE/REAS 4/2002 p. 261). La déduction des primes LPP s'effectue
dès lors de la manière suivante, en fonction des salaires annuels retenus par
la cour cantonale à la page 12 de son arrêt et du taux résultant du barème
standard sus-indiqué:

1989 : salaire annuel = 54 552 fr. (4546 fr. x 12); déduction de coordination
= 18 000 fr. (1/3 de 54 552 fr. mais limitée à la rente AVS maximale de18 000
fr.);
salaire assuré = 36 552 fr.; taux de cotisation (âge de l'assuré: 32 ans) =
5,50%;
déduction (36 552 fr. x 5,50%) = 2010 fr.; déduction pour 2 mois = 335 fr.

1990: salaire annuel = 56 664 fr ; déduction de coordination = 18 888 fr.
(1/3 de 56 664 fr.) ; salaire assuré = 37 776 fr.; taux de cotisation (âge de
l'assuré: 33 ans) = 5,65%; déduction (37 776 fr. x 5,65%) = 2134 fr.

1991: salaire annuel = 61 284 fr.; déduction de coordination = 19 200 fr.
(1/3 de 61 284 fr. mais limitée à la rente AVS maximale de 19 200 fr.) ;
salaire assuré = 42 084 fr.; taux de cotisation (âge de l'assuré: 34 ans) =
5,85%; déduction (42 084 fr. x 5,85%) = 2462 fr.

1992: salaire annuel = 63 735 fr. ; déduction de coordination = 21 245 fr.
(1/3 de 63 735 fr.); salaire assuré = 42 490 fr.; taux de cotisation (âge de
l'assuré: 35 ans) = 6,05%; déduction (42 490 fr. x 6,05%) = 2570 fr.

1993: salaire annuel = 66 276 fr.; déduction de coordination = 22 092 fr.
(1/3 de 66 276 fr.); salaire assuré = 44 184 fr.; taux de cotisation (âge de
l'assuré: 36 ans) = 6,20%; déduction (44 184 fr. x 6,20%) = 2739 fr.

1994: salaire annuel = 68 928 fr.; déduction de coordination = 22 560 fr.
(1/3 de 68 928 fr. mais limitée à la rente AVS maximale de 22 560 fr.);
salaire assuré = 46 368 fr.; taux de cotisation (âge de l'assuré: 37 ans) =
6,40%; déduction (46 368 fr. x 6,40%) = 2967 fr.

1995: salaire annuel = 71 688 fr.; déduction de coordination = 23 280 fr.
(1/3 de 71 688 fr. mais limitée à la rente AVS maximale de 23 280 fr.);
salaire assuré = 48 408 fr.; taux de cotisation (âge de l'assuré: 38 ans) =
6,60%; déduction (48 408 fr. x 6,60%) = 3195 fr.

1996: salaire annuel = 74 556 fr.; déduction de coordination = 23 280 fr.
(1/3 de 74 556 fr. mais limitée à la rente AVS maximale de 23 280 fr.);
salaire assuré = 51 276 fr.; taux de cotisation (âge de l'assuré: 39 ans) =
6,75%; déduction (51 276 fr. x 6,75%) = 3461 fr.

1997: salaire annuel = 77 532 fr.; déduction de coordination = 23 880 fr.
(1/3 de 77 532 fr. mais limitée à la rente AVS maximale de 23 880 fr.);
salaire assuré = 53 652 fr.; taux de cotisation (âge de l'assuré: 40 ans) =
6,95%; déduction (53 652 fr. x 6,95%) = 3729 fr.

1998: salaire annuel = 80 633 fr.; déduction de coordination = 23 880 fr.
(1/3 de 80 633 fr. mais limitée à la rente AVS maximale de 23 880 fr.);
salaire assuré = 56 753 fr.; taux de cotisation (âge de l'assuré: 41 ans) =
7,15%; déduction (56 753 fr. x 7,15%) = 4057 fr.

1999: salaire annuel = 83 853 fr.; déduction de coordination = 24 120 fr.
(1/3 de 83 853 fr. mais limitée à la rente AVS maximale de 24 120 fr.);
salaire assuré = 59 733 fr.; taux de cotisation (âge de l'assuré: 42 ans) =
7,30%; déduction (59 733 fr. x 7,30%) = 4360 fr.

2000: salaire annuel = 87 192 fr.; déduction de coordination = 24 120 fr.
(1/3 de 87 192 fr. mais limité à la rente AVS maximale de 24 120 fr.);
salaire assuré = 63 072 fr.; taux de cotisation (âge de l'assuré: 43 ans) =
7,50%; déduction (63 072 fr. x 7,50%) = 4730 fr.

2001: salaire annuel = 90 679 fr.; déduction de coordination = 24 720 fr.
(1/3 de 90 679 fr. mais limitée à la rente AVS maximale de 24 720 fr.);
salaire assuré = 65 959 fr.; taux de cotisation (âge de l'assuré: 44 ans) =
7,70%; déduction (65 959 fr. x 7,70%) = 5079 fr.

2002 : salaire annuel = 94 926 fr. (7858 fr. x 12); déduction de coordination
= 24 720 fr. (1/3 de 94 926 fr. mais limitée à la rente AVS maximale de 24
720 fr.); salaire assuré = 69 576 fr.; taux de cotisation (âge de l'assuré:
45 ans) = 7,85%; déduction (69 576 fr. x 7,85%) = 5462 fr.; déduction pour
2,5 mois = 1138 fr.

Il faut donc déduire un montant total de 42 956 fr. du salaire brut au titre
des cotisations LPP. Il en résulte une déduction globale de 102 676 fr. (59
720 fr. + 42 956 fr.). S'il n'avait pas été accidenté, le demandeur aurait pu
percevoir, jusqu'au jour de l'arrêt cantonal, une rémunération nette totale
de 809 081 fr. (911 757 fr. - 102 676 fr.). Sur ce montant, il y a lieu
d'imputer, en vertu du principe de la subrogation, les prestations effectuées
par les assurances sociales durant la même période, à savoir 787 448 fr. en
tout. La différence de 21 633 fr. représente la perte de salaire actuelle
subie par le demandeur. De ce montant, il convient de déduire encore
l'acompte de 25 000 fr. versé par la défenderesse avant l'introduction de la
demande (cf. art. 87 al. 1 CO). Il en résulte un solde négatif (- 3367 fr.)
qui sera imputé sur la perte de gain future. C'est dire que le demandeur ne
peut faire valoir aucune prétention du chef de la perte de gain antérieure au
prononcé de l'arrêt cantonal. Dans la mesure où les juges précédents en ont
décidé autrement, en condamnant la défenderesse à payer la somme de 99 309
fr., leur décision ne saurait être maintenue. Partant, l'arrêt attaqué sera
réformé et la demande rejetée sur ce point.

2.3.2.3 Pour déterminer la perte de gain que le demandeur, totalement
incapable de travailler, subira jusqu'au moment où il atteindra l'âge de la
retraite (65 ans), il convient de capitaliser le salaire annuel net que le
lésé aurait touché à la date du prononcé de l'arrêt cantonal et, eu égard à
la subrogation des assureurs sociaux, de déduire du montant ainsi obtenu la
valeur capitalisée des rentes LAA, AI et LPP que l'intéressé percevait à la
même époque.

Pour les motifs susmentionnés (cf. consid. 2.3.2.1), on tablera sur le revenu
brut que le demandeur aurait pu acquérir à l'époque où l'arrêt attaqué a été
rendu, soit 94 296 fr. (i.e. 7858 fr. x 12). Sur ce montant seront imputées
les cotisations AVS, AI, APG et AC (6,55%), par 6176 fr., ainsi que les
cotisations LPP, par 6665 fr., calculées sur la base du salaire assuré (69
576 fr.; cf. consid. 2.3.2.2 in fine) et en fonction d'un pourcentage de
9,58% correspondant à la moyenne des pourcentages de cotisations prévus dans
le barème standard du règlement de la Caisse de pension pour les assurés de
la tranche d'âge comprise entre 45 et 65 ans. Il en résulte un salaire net
déterminant de 81 455 fr. Ce montant sera capitalisé à l'aide de la table 11
de Stauffer/Schaetzle (Tables de capitalisation, 5e éd.; la table 11
correspond à la table 18 de la précédente édition de cet ouvrage, utilisée
par la cour cantonale), ce qui donne - pour un homme âgé de 45 ans au jour de
la capitalisation et une durée limitée à 65 ans - un facteur de 13.50 et,
partant, une perte de gain future de 1 099 642 fr. Sur ce montant, il faut
imputer la totalité des prestations sociales couvrant la même période. Pour
ce faire, on partira des chiffres mentionnés aux pages 33 et 34 de l'arrêt
attaqué, puis on les multipliera par les facteurs de capitalisation
actualisés (table 11 [facteur 13.50] pour les rentes du lésé, table 16a
[facteur 13.37] s'agissant de la rente pour l'épouse et table 22y [facteur
6.43] en ce qui concerne la rente pour l'enfant) et non pas par les anciens
facteurs que la cour cantonale a utilisés. On obtient ainsi la somme globale
de 925 958 fr. et, après imputation, un solde de 173 684 fr. représentant la
perte de gain future subie par le demandeur, sans compter l'éventuel dommage
de rente pour la période postérieure à l'âge de la retraite.

Le recours de la défenderesse doit ainsi être partiellement admis sur ce
point, le montant retenu par la cour cantonale du chef de la perte de gain
future (342 337 fr.) étant dès lors ramené à 173 684 fr., sans changement
quant au point de départ et au taux des intérêts compensatoires. Sur ce
montant, il convient d'imputer encore les 3367 fr. précités (cf. consid.
2.3.2.2 in fine), de sorte que la somme due par la défenderesse pour ce poste
du dommage s'élève en définitive à 170 317 fr.

3.
Dans un second groupe de moyens, la défenderesse s'en prend aux modalités du
calcul du dommage de rente, tel qu'il a été effectué par la cour cantonale.
Elle conteste, avant tout, que ce type de dommage puisse consister en la
perte des cotisations aux assurances sociales versées par l'employeur. A son
avis, le dommage de rente correspond à la perte des rentes de vieillesse
provoquée par une diminution du revenu. La défenderesse soulève, en outre, le
moyen pris de la surassurance, qu'elle avait déjà fait valoir dans le cadre
de son argumentation relative à l'estimation de la perte de gain subie par le
demandeur. Enfin, elle reproche à la Cour de justice d'avoir rejeté son
argumentation fondée sur l'art. 10.4 du règlement de la Caisse de pensions de
Y.________ SA.

3.1 Le grief tiré de la surassurance a déjà été écarté par ailleurs (cf.
consid.

2.3.1 ). Point n'est donc besoin d'y revenir.

3.2 L'art. 10.4 du règlement de la Caisse de pension de Y.________ SA dispose
que pendant la durée de l'invalidité, l'avoir de vieillesse continue à être
alimenté jusqu'à l'âge-terme, sur la base du dernier salaire assuré, par des
bonifications de vieillesse selon le barème standard annexé, augmenté des
intérêts ordinaires et supplémentaires. Le calcul des prestations de
vieillesse se base sur l'avoir de vieillesse ainsi obtenu. Selon la cour
cantonale, pour être conforme à l'art. 10 al. 2 LPP, lequel prévoit que
l'obligation d'être assuré cesse, entre autres hypothèses, en cas de
dissolution des rapports de travail, la disposition réglementaire citée ne
devrait être appliquée que lorsque le contrat de travail perdure malgré
l'invalidité permanente ou temporaire de l'assuré. Ainsi, du moment que le
contrat de travail concernant le demandeur a pris fin en février 1992, il en
est allé de même de l'obligation de cotiser des parties.

A l'encontre de cette argumentation, la défenderesse objecte - à juste titre
- que l'art. 10 al. 2 LPP a trait uniquement à l'assurance obligatoire, mais
qu'il n'interdit en rien l'assurance facultative postérieurement à la
dissolution des rapports de travail (cf. art. 4 et 47 LPP). Ce n'est pas dire
qu'elle ait raison de ce seul fait. Aussi bien, à supposer que l'ex-employeur
du demandeur ait réellement continué à alimenter l'avoir de vieillesse de
l'intéressé par des bonifications de vieillesse - ce qui ne ressort pas des
constatations de la cour cantonale -, il est constant que l'assuré, étant
donné son invalidité totale, a été libéré de son obligation de cotiser (cf.
art. 22.2 du règlement de la Caisse de pension), partant que son avoir de
vieillesse, constitué notamment par les bonifications de vieillesse
(cotisations), s'en trouvera réduit d'autant. D'autre part, il est clair que
même si, en application de l'art. 10.4 du règlement de la Caisse de pension,
Y.________ SA continuait d'alimenter l'avoir de vieillesse du demandeur, elle
le ferait "sur la base du dernier salaire assuré", c'est-à-dire du salaire
que son ancien employé touchait en février 1992, à l'expiration du contrat de
travail. Or, de cette année-là jusqu'à celle où l'arrêt attaqué a été rendu
(2002), le salaire que le lésé aurait pu toucher sans l'accident a augmenté
de quelque 50%, augmentations qui ne sont pas venues grossir l'avoir de
vieillesse de l'assuré comme ç'eût été le cas en l'absence d'accident.

Au demeurant, l'argumentation développée par la défenderesse se limite à la
question du dommage de rente en rapport avec le 2ème pilier. Elle n'aborde
nullement le problème de la réduction des prestations de l'AVS entraînée par
des lacunes dans les cotisations.

Dans ces conditions, la seule référence à l'art. 10.4, précité, du règlement
de la Caisse de pension, ne permet pas d'exclure l'existence du dommage de
rente allégué par le demandeur. On ne saurait donc faire l'économie du calcul
de ce dommage.

3.3 Pour les motifs sus-indiqués, la manière dont la Cour de justice a
effectué ce calcul n'est pas conforme à la jurisprudence, récemment modifiée,
du Tribunal fédéral sur ce point (cf. consid. 2.2). Aussi convient-il de
procéder au calcul du dommage de rente en fonction de cette nouvelle
jurisprudence.

Le dommage direct de rentes de vieillesse correspond à la différence entre
les prestations de vieillesse hypothétiques et les prestations effectivement
versées par les assurances sociales. En d'autres termes, il convient de
soustraire des rentes de vieillesse probables les prestations des assurances
sociales versées durant la même période que les rentes de vieillesse
(Schaetzle/Weber, op. cit., n. 4.59).
L'expérience enseigne que les rentes de vieillesse hypothétiques atteignent,
en valeur, selon l'ampleur du revenu soumis à cotisations, un montant qui se
situe dans la fourchette de 50 à 80% de la rémunération brute déterminante.
En l'occurrence, la défenderesse propose d'appliquer un taux de 65%. Comme le
demandeur ne formule aucune critique sur ce point spécifique, il y a lieu de
s'en tenir à ce taux. Quant à la rémunération brute déterminante, elle a été
fixée plus haut à 94 296 fr. (cf. consid. 2.3.2.3). Il convient donc de
porter en compte le montant de 61 292 fr. par an (94 296 fr. x 65%).

Il faut ensuite additionner les rentes d'invalidité effectivement allouées au
demandeur du fait de son accident, respectivement les prestations futures de
l'AVS à hauteur des prestations AI, ainsi que les prestations complémentaires
de la LAA et de la LPP, dont le total doit être déduit des rentes de
vieillesse présumées. On obtient de la sorte un montant annuel de 27 365 fr.
au titre de la LAA et une rente annuelle LPP de 8616 fr. (cf. arrêt attaqué,
p. 34). Pour l'AI, la défenderesse propose de porter en compte 32 664 fr. par
an. Toutefois, ce montant inclut, à concurrence de 7680 fr., la rente
annuelle pour la fille du demandeur, née en 1989, dont le versement cessera
au plus tard en 2014, lorsque celle-ci aura atteint l'âge de 25 ans, soit
avant que son père n'atteigne l'âge de la retraite (2022). Autrement dit,
lorsqu'il aura atteint cet âge-là, le demandeur ne bénéficiera plus de la
rente pour enfant qui lui est versée actuellement. Pour cette raison, il y a
lieu de faire abstraction du montant y afférent. Le total des prestations AI
qui seront servies au demandeur durant la même période que les rentes de
vieillesse peut donc être fixé à 24 984 fr. (19 224 fr. + 5760 fr.; cf. arrêt
attaqué, p. 33). Additionné aux 27 365 fr. et 8616 fr. sus-indiqués, ce
montant donne un total de 60 965 fr. de prestations à imputer sur les 61 292
fr. de rentes de vieillesse présumées. La différence de 327 fr. équivaut au
dommage direct de rente que le demandeur éprouvera chaque année à partir de
l'âge de la retraite. Conformément à la suggestion de la défenderesse et en
accord avec Schaetzle/Weber (op. cit., exemple 5b p. 106), ce montant sera
capitalisé à l'aide de la table 1b de Stauffer/Schaetzle (rente viagère
différée dès l'âge de l'AVS) et multiplié, en conséquence, par le facteur
6.07 (âge déterminant: 45 ans; personne de sexe masculin). Il en résulte un
dommage direct de rente total de 1985 fr. Cette somme sera allouée au
demandeur avec les intérêts y afférents courant dès le 15 mars 2002. L'arrêt
attaqué sera donc réformé sur ce point également en ce sens que les montants
alloués par la cour cantonale pour ce poste du dommage (86 534 fr. et 172 936
fr.) seront ramenés à 1985 fr.

4.
A l'appui de son recours joint, le demandeur s'en prend, au premier chef, à
la manière dont la cour cantonale a estimé son préjudice ménager. Invoquant à
ce propos de multiples inadvertances manifestes et reprochant aux juges
précédents d'avoir violé les art. 8 CC, 42 al. 2 et 46 CO, il critique les
considérations de ceux-ci relatives, d'une part, au temps consacré par lui
aux activités domestiques et, d'autre part, à son taux d'invalidité en
rapport avec ces tâches. En revanche, la valeur du travail ménager, soit la
rémunération de 25 fr. par heure retenue par la cour cantonale, n'est pas
contestée par le demandeur.

4.1 Avant d'examiner les mérites des arguments développés par le demandeur,
il faut souligner, comme on l'a déjà fait plus haut à propos d'un grief
similaire formulé dans un autre contexte (cf. consid. 2.3.2.1), que les
nombreuses inadvertances manifestes alléguées par le demandeur ne répondent
en rien à la notion de l'inadvertance manifeste, au sens de l'art. 63 al. 2
OJ et de la jurisprudence précitée (ibid.).

Ainsi, lorsque le demandeur reproche à la cour cantonale de n'avoir pas tenu
compte, dans son appréciation juridique, des preuves administrées (expertises
et témoignages) ou même d'en avoir pris le contre-pied, il critique derechef
l'appréciation des preuves et soulève des moyens qui auraient leur place dans
un recours de droit public, mais en aucun cas dans un recours en réforme,
fût-il joint.

La même remarque s'applique globalement à toutes les critiques émises sous
les ch. 60 ss du recours joint. On a de nouveau affaire ici à une
argumentation appellatoire par laquelle le demandeur, sous prétexte de
rectifier des inadvertances commises par les juges cantonaux, cherche en
réalité à corriger l'état de fait de l'arrêt attaqué dans un sens qui soit
favorable aux thèses juridiques qu'il développe par ailleurs. Que la Cour de
justice ait omis de prendre en considération une pièce déterminée, versée au
dossier, ou l'ait mal lue, s'écartant par mégarde de sa teneur exacte, en
particulier de son vrai sens littéral, ne ressort aucunement des explications
fournies par le demandeur. Contrairement à ce que voudrait faire croire ce
dernier, apprécier d'une certaine façon un élément de preuve déterminé,
dénier toute force probante à un autre moyen de preuve administré ou encore
écarter telle preuve au profit de telle autre sont autant de démarches qui
s'inscrivent dans le processus d'appréciation des preuves et qui n'ont rien à
voir avec le fait, par exemple, de constater erronément qu'une pièce,
pourtant versée au dossier cantonal, n'existe pas ou encore avec l'indication
d'un autre montant que celui qui figure sur une pièce mentionnée dans la
décision entreprise.

Pour l'examen des griefs articulés par le demandeur dans ce contexte, la
juridiction fédérale de réforme s'en tiendra, dès lors, aux seules
constatations de la cour cantonale.

4.2 Le rappel préalable des principes juridiques applicables pour déterminer
le préjudice domestique s'impose avant de procéder à cet examen. Il sera
effectué à la lumière des considérations émises notamment dans l'arrêt
4C.195/2001 du 12 mars 2002 (consid. 5, avec de nombreuses références à la
jurisprudence et à la doctrine en la matière).

4.2.1 Une lésion corporelle peut porter atteinte non seulement à la capacité
de gain, mais également à la capacité de travail, particulièrement à celle
concernant les activités non rémunérées, telles que la tenue du ménage ainsi
que les soins et l'assistance fournis aux enfants. Il est alors question de
dommage domestique (Schaetzle/Weber, op. cit., n. 3.259) ou de préjudice
ménager (ATF 127 III 403, résumé français). Ce type de préjudice donne droit
à des dommages-intérêts en application de l'art. 46 al. 1 CO.

En l'occurrence, la valeur du travail ménager, soit une rémunération horaire
de 25 fr., telle qu'elle a été retenue par les juges précédents, n'est pas
remise en cause dans le recours joint. Ce point est donc acquis (art. 55 al.
1 let. c OJ). Seules restent, dès lors, à envisager la question du temps que
le demandeur consacrait aux activités ménagères et celle de la capacité
résiduelle du lésé à accomplir pareilles tâches. Il conviendra ensuite
d'évaluer le préjudice ménager actuel subi par le demandeur, puis de
capitaliser le dommage domestique futur.

C'est le lieu de rappeler, à titre de remarque liminaire d'ordre général, que
l'établissement du préjudice ménager est essentiellement une question de fait
et d'appréciation. Le Tribunal fédéral n'intervient donc que si le juge
cantonal a méconnu la notion juridique de cette catégorie de dommage ou
d'autres principes de droit qui en régissent le calcul (ATF 127 III 403
consid. 4a p. 405, 117 II 609 consid. 12a) ou si, sans disposer d'éléments
concrets, il s'est laissé guider par des considérations contraires à
l'expérience de la vie.

Pour procéder à l'évaluation du temps nécessaire aux activités ménagères, les
juges du fait peuvent soit se prononcer de façon abstraite, en se fondant
exclusivement sur des données statistiques, soit prendre en compte les
activités effectivement réalisées par le soutien dans le ménage. Dans le
premier cas, ils appliquent des critères d'expérience, de sorte que leur
estimation peut être revue dans le cadre d'un recours en réforme (ATF 118 II
365 consid. 1 p. 366 s. et les références), bien que, s'agissant
d'appréciation, le Tribunal fédéral n'intervienne qu'avec retenue. Dans la
seconde hypothèse, ils examinent la situation concrète du cas particulier,
même s'ils s'aident d'études statistiques pour déterminer dans les faits à
quelle durée correspond une activité précise réalisée dans le ménage en
cause. Il s'agit alors de constatations de fait qui ne peuvent être
critiquées en instance de réforme. Parmi les critères permettant d'établir
concrètement le temps nécessaire aux activités ménagères, la structure du
ménage, en particulier le nombre des personnes le composant, apparaît comme
essentielle. Peuvent aussi être prises en compte la grandeur du logement,
l'éventuelle activité lucrative effectuée par le lésé, la situation
professionnelle des membres du ménage ainsi que la proximité de certaines
commodités, comme des magasins (pour des exemples d'application de tels
critères, cf., parmi d'autres, Ria Wiggenhauser-Baumann, Der Haushaltschaden
im Haftpflichtfall, Die Monetäre Bewertung der Haushaltarbeit, Ossingen 2002,
p. 45 ss).

Le préjudice s'entend au sens économique; est déterminante, dans ce contexte
également, la diminution de la capacité du lésé à accomplir les tâches
ménagères. Selon la jurisprudence, le dommage consécutif à l'invalidité doit,
autant que possible, être établi de manière concrète. Le juge partira du taux
d'invalidité médicale (ou théorique) et recherchera ses effets sur la
capacité de gain ou l'avenir économique du lésé (ATF 117 II 609 consid. 9 p.
624; 113 II 345 consid. 1a p. 347; 100 II 298 consid. 4a p. 304; 99 II 214
consid. 3a p. 216). Il ne saurait en aller différemment en ce qui concerne le
dommage domestique. L'évaluation d'un tel dommage suppose que le juge du fait
examine l'incidence de l'invalidité médicale sur la capacité du lésé à
accomplir des tâches ménagères. Il est tout à fait possible que le handicap
dont souffre le lésé n'exclue pas la poursuite d'une telle activité ou ne
commande qu'une faible diminution de celle-ci; inversement, il se peut qu'une
certaine affection génère, sur le plan du dommage domestique, des effets sans
commune mesure avec le taux d'invalidité médicale qui s'y rapporte. Dire s'il
y a eu dommage et quelle en est la quotité est une question de fait qui lie
le Tribunal fédéral en instance de réforme (ATF 127 III 73 consid. 3c, 543
consid. 2b; 126 III 388 consid. 8a). Saisi d'un recours en réforme, le
Tribunal fédéral n'intervient que si l'autorité cantonale a méconnu la notion
juridique du dommage (ATF 127 III 73 consid. 3c, 543 consid. 2b; 120 II 296
consid. 3b). Le taux d'invalidité médicale (degré de l'atteinte
médico-théorique à l'intégrité corporelle) relève du fait (ATF 113 II 345
consid. 1a p. 348). En revanche, le Tribunal fédéral, statuant sur un recours
en réforme, revoit librement si l'autorité cantonale est partie de critères
justifiés pour apprécier la diminution de la capacité d'exécuter les tâches
ménagères, si elle n'a pas écarté à tort certains facteurs ou, inversement,
si elle n'a pas pris en considération des éléments dénués de pertinence.

4.2.2 Appliqués au cas particulier, ces principes appellent les observations
suivantes:
4.2.2.1S'agissant du temps consacré par le demandeur aux tâches ménagères, la
cour cantonale a retenu, dans ses constatations de fait, que le demandeur,
dont l'épouse travaillait à temps complet, participait activement aux tâches
du ménage (nettoyage, cuisine, lessive, courses et garde de l'enfant), en
fonction de ses disponibilités découlant de son horaire variable, et qu'il
assumait la moitié des travaux domestiques. Elle a cependant jugé incertain
le nombre d'heures que le demandeur consacrait à cette activité et s'est dès
lors basée sur la jurisprudence publié in SJ 1994 p. 589 ss pour fixer, en
accord avec le premier juge et en application de l'art. 42 al. 2 CO, à 30
heures le temps consacré chaque semaine par le demandeur et son épouse aux
travaux domestiques. Partant, elle a fixé à 15 heures, respectivement à 60
heures, la durée hebdomadaire et mensuelle du travail domestique accompli par
le demandeur.

A l'appui de son recours joint, le demandeur fait grief aux juges précédents
d'avoir largement sous-estimé le temps consacré par lui aux tâches ménagères
et aux soins prodigués à sa fille, qui n'avait pas encore une année lorsque
l'accident s'est produit. Il serait "notoire", à l'en croire, qu'un bébé et
un enfant en bas âge nécessitent des soins et la présence d'un adulte au
moins 15 heures par jour, y compris le samedi et le dimanche. Toujours selon
le demandeur, il serait également "notoire" qu'il devait travailler au moins
une trentaine d'heures par semaine pour le ménage et pour les soins donnés à
l'enfant du couple jusqu'à ce qu'il aille à l'école. Aussi, en réclamant de
ce chef la rémunération de 25 heures de travail par semaine ou 100 heures par
mois, le demandeur estime-il avoir fait preuve de modération et s'être
conformé aux indications statistiques ressortant des pièces versées au
dossier et de la jurisprudence invoquée par la Cour de justice. A partir du
moment où l'enfant devait aller à l'école, soit dès l'âge de six ans (1995),
le demandeur, se fondant sur l'arrêt précité, évalue à 38,4 heures le temps
consacré chaque semaine par le couple à la tenue du ménage et aux soins
prodigués à l'enfant en âge de scolarité. Il prétend dès lors à une indemnité
équivalant à 76,8 heures de travail par mois (38,4 x 4 : 2) pour la période
comprise entre le 1er septembre 1995 et le 15 mars 2002. En ce qui concerne
le dommage ménager futur, le demandeur propose de comptabiliser 48 heures par
semaine jusqu'à ce que sa fille et un enfant vietnamien actuellement en
placement dans sa famille aient quitté le foyer au terme de leurs études,
soit lorsqu'ils auront entre 25 et 30 ans. Par la suite, il prévoit, en se
fondant sur l'ATF 108 II 434, que la durée hebdomadaire que le couple
consacrera aux tâches ménagères se réduira à 25 heures. Il en déduit une
moyenne hebdomadaire de 36,5 heures (48 h. + 25 h. : 2) ou 18,25 heures par
conjoint, ce qui donne un total de 949 heures par année (18,25 h. x 52 s.).

Les juges précédents n'ont pas déterminé concrètement le temps hebdomadaire
consacré aux tâches ménagères par le demandeur - ils reconnaissent
expressément que le point est "incertain" (arrêt attaqué, p. 42) -, mais ils
se sont fondés sur des statistiques tirées de l'arrêt 4C.101/1993 du 23
février 1994, consid. 4a, publié in SJ 1994 p. 589 ss. Reposant sur
l'expérience générale de la vie, cette appréciation peut être revue par la
juridiction fédérale de réforme.

Force est de noter d'emblée, à cet égard, l'absence quasi totale de
motivation, dans l'arrêt déféré, en ce qui concerne la durée mensuelle du
travail retenue pour le demandeur (60 h.). De fait, la Cour de justice
n'explique pas en quoi le recours aux quelques statistiques citées dans un
arrêt rendu près de 8 ans avant le sien se justifierait en l'occurrence. Elle
n'indique pas davantage quelles seraient les similitudes supposées entre les
circonstances de fait à la base des statistiques mentionnées dans l'arrêt
fédéral et celles du cas examiné par elle, pas plus qu'elle n'expose les
raisons qui l'ont conduite à admettre que le temps consacré par le demandeur
aux tâches ménagères n'eût pas varié de la date de l'accident à celle de la
cessation de toute activité domestique. Cette manière de procéder ne peut pas
être approuvée. Même si la détermination concrète des travaux effectivement
réalisés par le lésé dans le ménage avant son accident, en fonction des
différents critères préconisés par la jurisprudence et la doctrine, ne peut
pas être imposée au juge cantonal, le choix de la méthode "abstraite", fondée
exclusivement sur des données statistiques, suppose à tout le moins que le
juge du fait explique en quoi telle donnée statistique correspond peu ou prou
à la situation de fait du cas particulier. A ce défaut, la juridiction
fédérale de réforme n'est pas en mesure de vérifier si les règles
d'expérience que constituent les statistiques ont été appliquées à bon
escient par l'autorité cantonale. De même, il convient de ne pas ignorer le
caractère doublement évolutif du travail domestique, tant en ce qui concerne
la répartition traditionnelle des tâches ménagères entre l'homme et la femme,
qui n'est pas immuable, qu'au regard de la structure du ménage et des
modifications prévisibles qu'elle connaîtra, en particulier lors du départ du
ou des enfants du foyer familial. Ce dernier aspect du problème a aussi été
ignoré par la cour cantonale. Il va sans dire, enfin, que les données
statistiques, quelles qu'elles soient, seront d'autant plus fiables qu'elles
seront récentes.

L'enquête suisse sur la population active (ESPA; en allemand: SAKE),
effectuée périodiquement par l'Office fédéral de la statistique, offre une
base idoine pour la détermination du temps effectif moyen consacré par la
population suisse aux activités ménagères et pour la fixation du temps
consacré dans chaque cas individuel, compte tenu de la dynamique temporelle
du travail ménager (cf. au sujet de cette enquête, des critiques qu'elle a
suscitées et de leur réfutation, l'article convaincant de Volker Pribnow/Rolf
Widmer/Alfonso Sousa-Poza/Thomas Geiser, intitulé "Die Bestimmung des
Haushaltsschadens auf der Basis der SAKE, Von der einsamen Palme zum
Palmenheim", in HAVE/REAS 1/2002 p. 24 ss; voir aussi: Brehm, op. cit., n.
563 p. 254). Il ressort des tableaux dressés sur cette base par les auteurs
précités que, dans un ménage comprenant deux adultes et un enfant de moins de
six ans, l'homme, qui travaille par ailleurs à plein temps, consacre en
moyenne 108 heures par mois aux tâches ménagères (55 h.) ainsi qu'à
l'entretien de l'enfant (53 h.), cette durée se réduisant à 91 heures (51 h.
et 40 h.) avec un enfant âgé de six ans et plus. En l'absence d'enfant et
dans les mêmes conditions, le temps consacré par l'homme aux travaux
domestiques ne sera plus que de 66 heures (cf. les tableaux 2, 5 et 6
reproduits in HAVE/REAS 1/2002 p. 37 s.). Ces valeurs, qui dépassent même
celles indiquées dans le recours joint, démontrent clairement que la cour
cantonale a sous-estimé le temps que le demandeur consacrait avant son
accident et aurait pu consacrer depuis lors aux activités ménagères. Elles
seront retenues pour le calcul du dommage domestique actuel et futur effectué
plus loin (cf. consid. 4.2.2.3), étant précisé que le Tribunal fédéral pourra
en tenir compte pour effectuer ce calcul, sans égard au fait qu'elles sont
supérieures aux chiffres avancés par le demandeur, dès lors qu'il ne s'agit
pas ici de constater des faits, mais d'appliquer une règle d'expérience ou,
en d'autres termes, de dire le droit. Il conviendra, en outre, de procéder,
dans le sens préconisé par le demandeur, à une ventilation de ces valeurs en
fonction de l'évolution de la structure du ménage, conditionnée par l'entrée
de la fille du couple à l'école et son départ ultérieur du foyer familial au
terme prévisible de ses études.

4.2.2.2 Il est constant, et d'ailleurs incontesté, que, jusqu'à la
stabilisation médicale de son état de santé, intervenue à fin 1991, le
demandeur a été totalement incapable d'effectuer des travaux ménagers. Le
problème est de savoir dans quelle mesure l'intéressé est capable, depuis
lors, d'assumer une telle charge et de pourvoir à l'entretien de sa fille
conjointement avec son épouse.
La cour cantonale retient, en fait, que le demandeur arrive à marcher en
boitant, entre une heure et une heure trente, en s'appuyant sur une canne
qu'il tient dans sa main droite; qu'il éprouve en outre des douleurs
permanentes à l'épaule gauche, ainsi qu'au niveau de la fesse gauche,
essentiellement lorsqu'il se tient debout et qu'il marche; qu'en plus, de
fréquentes céphalées affectent la moitié gauche de sa tête, dont le
tremblement intermittent et d'intensité variable s'intensifie sous le coup
des émotions et peut interférer avec l'activité menée; enfin, que le port de
charges d'une certaine importance lui est impossible en raison notamment des
lésions subies à l'épaule gauche. Les juges précédents expliquent, par
ailleurs, que le demandeur souffre de troubles de mémoire et concentration et
qu'il est incapable d'accomplir le moindre effort physique. Ils vont même
jusqu'à considérer que "sa situation n'est donc pas fort éloignée à (sic)
celle d'une personne tétraplégique" (arrêt attaqué, p. 47). D'autre part, la
Cour de justice, au motif que la profession manuelle qu'exerçait le demandeur
avant son accident serait en maints points comparable à l'accomplissement des
tâches ménagères en termes de sollicitations physiques - ce qui paraît à tout
le moins discutable -, en tire la conclusion qu'il convient de se baser sur
le taux d'invalidité médico-théorique retenu dans l'expertise quant à la
profession du demandeur (62,7%) pour en apprécier les conséquences sur
l'aptitude de ce dernier à effectuer des travaux ménagers. Toutefois, quand
bien même elle relève les lacunes de l'expertise sur ce point et souligne à
l'inverse le caractère exhaustif du rapport du centre d'ergothérapie
fonctionnelle du 28 janvier 2000 sur l'ensemble des activités ménagères
(nettoyage de l'appartement, vaisselle, lessive, repassage, démarches
administratives, entretien et éducation de l'enfant), la cour cantonale,
curieusement, n'en tient pas moins compte de l'expertise pour déterminer le
taux d'incapacité du demandeur à accomplir le travail domestique et, coupant
en quelque sorte la poire en deux, décide d'appliquer un taux de 50% dès la
fin de 1991, lequel se situe entre le taux retenu par les experts médicaux
(30% d'incapacité) et celui qui a été admis par le Centre d'ergothérapie
fonctionnelle (88% d'incapacité).

Le demandeur conteste avec raison cette manière de procéder qui n'est guère
conséquente. Il est effectivement pour le moins contradictoire, après avoir
assimilé le travail domestique à la profession manuelle exercée par le lésé,
de n'admettre qu'un taux d'incapacité de 50% en ce qui concerne la première
activité alors que l'on a conclu à l'incapacité totale d'accomplir la
seconde. Il y a également contradiction irréductible à comparer la situation
du demandeur à celle d'une personne tétraplégique, tout en concluant à une
capacité résiduelle de 50% relativement aux tâches ménagères. Au demeurant,
on voit mal pour quelle raison les juges précédents se sont fondés sur
l'expertise judiciaire, s'agissant de déterminer cette capacité résiduelle,
puisqu'ils soulignent eux-mêmes que le rapport d'expertise ne dit rien à ce
sujet. Ce faisant, ils ont méconnu la notion juridique du dommage domestique.

Comme on l'a déjà indiqué, l'évaluation du dommage domestique suppose que le
juge du fait examine l'incidence de l'invalidité médicale sur la capacité du
lésé à accomplir des tâches ménagères. Il faut donc qu'il puisse se baser sur
des observations fiables et objectives, qui se rapportent à ces tâches-là et
qui soient suffisamment différenciées pour permettre de tirer des conclusions
ayant une certaine force probante (cf. Pribnow/Widmer/Sousa-Poza/Geiser, op.
cit., p. 33, dernier §). Or, la cour cantonale disposait en l'occurrence d'un
document qui remplissait toutes ces conditions. Il s'agit du rapport établi
par le Centre d'ergothérapie fonctionnelle, suite aux constatations faites au
domicile du demandeur par l'une de ses employées. Les activités ménagères y
sont ventilées en 7 postes représentant chacun un pourcentage déterminé de
l'activité domestique globale (organisation du ménage, alimentation,
entretien du logement, emplettes et courses diverses, lessive et entretien
des vêtements, soins aux enfants, divers) et le taux d'inaptitude du
demandeur a été évalué séparément pour chacune d'entre elles, avec motifs à
l'appui. Il en est résulté un taux d'incapacité total de 88% du demandeur à
accomplir les activités ménagères. La cour cantonale ne formule aucune
critique au sujet du rapport du Centre d'ergothérapie fonctionnelle et, même
si elle relève que ce rapport a été établi à la demande du médecin traitant
du lésé, elle n'en tire aucune conclusion quant à la force probante de cette
pièce.

Cela étant, il y a lieu de fixer à 88% le taux d'incapacité du demandeur en
ce qui concerne le travail domestique pour la période postérieure au 31
décembre 1991.

4.2.2.3 Il ne reste plus qu'à calculer, sur ces nouvelles bases, le dommage
ménager actuel et futur dont le demandeur peut réclamer réparation à la
défenderesse.

Le dommage ménager concernant la période du 14 octobre 1989 au 31 décembre
1991, durant laquelle le demandeur a été totalement incapable d'effectuer des
travaux domestiques, se calcule comme il suit: 108 heures par mois x 25 fr.
par heure x 26,5 mois x 100% d'incapacité = 71 550 fr. Pour la période du 1er
janvier 1992 au 30 août 1995, date à laquelle la fille du demandeur est
entrée à l'école obligatoire, il convient de porter en compte la somme de 104
544 fr. (108 heures par mois x 25 fr. par heure x 44 mois x 88%
d'incapacité). Enfin pour la période du 1er septembre 1995 au 15 mars 2002,
date (fictive) de l'arrêt cantonal, il y a lieu de rajouter la somme de 157
157 fr. (91 heures par mois x 25 fr. par heure x 78,5 mois x 88%
d'incapacité). On obtient dès lors un montant total de 333 251 fr. Ce montant
sera alloué au demandeur avec les intérêts y afférents, calculés selon les
modalités fixées par la cour cantonale.

Pour calculer le dommage ménager futur, le Tribunal fédéral ne tiendra pas
compte de l'allégation, nouvelle, concernant le placement d'un garçon
vietnamien dans la famille du demandeur (art. 55 al. 1 let. c OJ). Pour le
surplus, il partira de l'hypothèse selon laquelle la fille du demandeur
quittera le foyer familial au plus tard à 25 ans, âge coïncidant avec celui
qui marque la fin du versement de la rente pour enfants ou orphelins dans les
assurances sociales (cf. art. 35 LAI, 25 LAVS et 30 LAA). Enfin, au lieu de
procéder, comme le demandeur, à un calcul fondé sur la moyenne du temps que
celui-ci aurait consacré aux travaux domestiques pendant les deux périodes,
de durée inégale, prises en considération - soit avant et après 2014, année
où la fille du demandeur atteindra l'âge de 25 ans -, on effectuera les
calculs nécessaires conformément aux suggestions de Schaetzle/Weber (op.
cit., exemple 7 p. 114 s.), qui tiennent compte du caractère évolutif du
dommage ménager futur. En ce qui concerne la capitalisation, la jurisprudence
actuelle calcule le dommage domestique en prenant la moyenne arithmétique
entre activité et mortalité (ATF 113 II 345 consid. 2b). Ce faisant, elle
prolonge la capacité de travail, en y incluant l'espérance de vie (tables de
mortalité), parce qu'il est notoire qu'une ménagère travaille généralement
jusqu'à un âge plus avancé à la maison qu'une personne exerçant une activité
lucrative hors de son foyer. Selon les deux auteurs précités, cette pratique
pouvait se justifier tant que la perte de gain était calculée en capitalisant
une rente d'activité non temporaire. Elle n'est, en revanche, plus de mise
aujourd'hui, étant donné, d'une part, que le dommage de perte de gain est
calculé en capitalisant une rente temporaire jusqu'à l'âge présumé de la
retraite et, d'autre part, que la notion d'activité, dans la 5ème édition des
tables Stauffer/Schaetzle, se confond avec celle de capacité de travail, qui
prend fin lorsqu'on n'est plus en mesure physiquement de tenir son propre
ménage. Au demeurant, les tables d'activité tiennent compte de la probabilité
de décès, en plus de la probabilité d'invalidité, raison pour laquelle la
probabilité de décès ne doit pas être prise en compte une seconde fois en
tant que valeur moyenne entre activité et mortalité. Aussi convient-il de
capitaliser le dommage domestique futur à l'aide de la table d'activité non
temporaire n° 10 (Schaetzle/Weber, op. cit., n. 2.228, 2.500, 3.280 s., 3.522
et 5.60 ss; voir aussi: Brehm, op. cit., n. 571, lequel souligne en outre que
l'activité de ménagère est très largement représentée dans les statistiques à
la base des tables). La solution préconisée facilite le calcul, en
particulier lorsqu'il faut s'attendre à un changement dans l'activité
domestique (départ des enfants du foyer familial, réintégration dans la vie
professionnelle, etc.); on dispose pour ce faire des tables d'activité
temporaires et différées nos 12 à 14 (Schaetzle/Weber, op. cit., n. 3.282).
Les arguments avancés par ces auteurs paraissent convaincants. Partant, il y
a lieu de poser, en modification de la jurisprudence actuelle, que le dommage
ménager futur sera désormais capitalisé exclusivement au moyen des tables
d'activité. Rapportés à la cause en litige, ces principes permettent
d'effectuer le calcul suivant:

a) Valeur annuelle du travail domestique depuis le jour du jugement (15 mars
2002) jusqu'en 2014, moment présumé où la fille du demandeur quittera le
foyer familial, soit durant la période comprise entre la 45ème et la 57ème
années du demandeur: 24 024 fr. (91 heures par mois x 25 fr. par heure x 12
mois x 88% d'incapacité).
Durée: rente d'activité d'une durée déterminée, taux d'intérêt 3,5% (table
12x).
Table 12x, de 45 à 57 ans (12 ans) = facteur de 9.56.
Capitalisation: 9.56 x. 24 024 fr. = 229 669 fr.

b) Dommage domestique annuel dès que le demandeur aura atteint 57 ans, le
ménage ne comprenant plus alors que deux personnes (cf. tableau 2, reproduit
in HAVE/REAS 1/2002 p. 37), et jusqu'à la fin de l'activité: 17 424 fr. (66
heures par mois x 25 fr. par heure x 12 mois x 88%).
Rente d'activité différée, taux d'intérêt 3,5 % (table 14x).
Table 14x, âge 45 ans, différée de 12 ans = facteur 7.58.
Capitalisation: 7.58 x 17 424 fr. = 132 074 fr.

c) Dommage domestique futur total: 361 743 fr. (229 669 fr. + 132 074 fr.).

Ce montant sera alloué au demandeur avec les intérêts y afférents, tels
qu'ils ont été fixés par la cour cantonale.

4.3 Dans ces conditions, l'arrêt cantonal devra être réformé en tant qu'il
n'a porté en compte que 131 628 fr., respectivement 157 860 fr., au titre du
dommage domestique actuel et futur. Ces montants seront remplacés par ceux de
333 251 fr., pour le dommage actuel, et de 361 743 fr., pour le dommage
futur. Il en résulte un total de 694 994 fr, qui est certes supérieur à celui
des conclusions prises par le demandeur, dans son recours joint, pour ce
poste du dommage (661 883 fr., soit 295 683 fr. + 366 200 fr.; cf. consid.
1.2), mais qui peut néanmoins être admis dès lors que le total des montants
alloués au demandeur au titre des dommages-intérêts demeure inférieur aux
prétentions élevées par l'intéressé au même titre (cf. ATF 119 II 396 consid.
2 p. 397 et les références).

5.
Sous ch. 88 à 100, le demandeur soulève la question des frais d'avocat avant
procès.

Certes, d'après la jurisprudence, les frais liés à l'intervention d'un avocat
avant l'ouverture du procès civil constituent un dommage réparable selon le
droit de la responsabilité civile (ATF 97 II 259 consid. 5b p. 268; 117 II
101 consid. 5 p. 106, 394 consid. 3a p. 396). Cependant, lorsque le droit de
procédure civile permet de dédommager le lésé de tous les frais nécessaires
et indispensables qui lui ont été occasionnés par le procès, ce droit seul
est applicable (arrêt 4C.51/2000 du 7 août 2000, consid. 2). En l'espèce,
c'est pour cette dernière raison que la Cour de justice n'a pas alloué au
demandeur les 47 025 fr. qu'il réclamait du chef de ses frais d'avocat hors
procès. Elle a, en effet, considéré que les interventions faites par
l'avocate du demandeur depuis le début de l'année 1995 avaient été déployées,
pour la majeure partie, en vue du dépôt de la demande et qu'elles étaient en
conséquence comprises dans le montant alloué à ce titre dans les dépens.
C'est ce qui l'a conduite à exclure, dans sa quasi-totalité, la dernière
facture de 15 290 fr. produite par le demandeur. Or, ce dernier, ne s'en
prend pas à cette argumentation dans son recours joint. Il se borne bien
plutôt à expliquer, comme il le ferait devant une cour d'appel, en quoi la
facture de 15 290 fr. correspondrait à diverses démarches effectuées par son
mandataire. En cela, il se trompe de cible, de sorte que son recours ne peut
qu'être rejeté sur ce point.

6.
Le demandeur conteste aussi le montant que la cour cantonale lui a alloué à
titre de dépens (50 000 fr.) et dont elle a ordonné la distraction en faveur
de son avocate. Il soutient, à ce propos, qu'il aurait pu prétendre de ce
chef, selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, à un montant minimum de
l'ordre de 10% des sommes qui lui ont été allouées à titre de réparation du
dommage consécutif à ses lésions corporelles.

Le demandeur sollicite la jurisprudence lorsqu'il entend poser en principe
que les dépens devraient toujours équivaloir à 10% au minimum des sommes
allouées au lésé pour la réparation de son préjudice. Les arrêts qu'il cite
(ATF 117 II 101 consid. 6c; 113 II 323 consid. 7 p. 340; SJ 1989 p. 516)
n'autorisent nullement semblable extrapolation. Le pourcentage invoqué
n'apparaît du reste que dans le premier d'entre eux et le résumé qui figure
en tête de cet arrêt ne permet pas d'en généraliser la portée (ATF 117 II 101
ch. 4: "en l'espèce,...").
Quoi qu'il en soit, là n'est pas la question. En l'occurrence, la Cour de
justice a admis que tous les frais consentis par le demandeur pour la défense
de ses droits contre l'auteur de l'accident et l'assureur en responsabilité
civile étaient inclus dans les dépens. On rappellera, à cet égard, que, selon
la jurisprudence, nonobstant l'utilisation de l'expression "participation aux
honoraires d'avocat " à son art. 181 al. 1, la loi genevoise de procédure
civile permet le dédommagement de tous les frais nécessaires, y compris la
totalité des honoraires d'avocat, si bien que ceux-ci ne sauraient faire
l'objet d'une conclusion distincte dans le procès en dommages-intérêts (arrêt
4C.51/2000 du 7 août 2000, consid. 3). Le problème à résoudre se résume donc
au calcul du montant des honoraires, autrement dit à la fixation de
l'indemnité pour les dépens. Il ressortit exclusivement au droit de procédure
genevois et est soustrait, comme tel, à l'examen de la juridiction fédérale
de réforme (art. 55 al. 1 let. c OJ).

Le recours joint sera dès lors rejeté sur ce point.

7.
Dans un dernier moyen, le demandeur fait grief à la cour cantonale de n'avoir
pas réservé une révision du jugement en considération des frais médicaux
futurs, ignorant la conclusion expresse qu'il avait prise à cet effet sur la
base de l'art. 46 al. 2 CO. Il a tort. Cette disposition exceptionnelle
suppose l'existence de doutes justifiés portant sur des modifications
importantes et essentielles des suites des lésions corporelles (sur cette
question, voir, parmi d'autres, Brehm, op. cit., n. 614 ss). Il n'en va pas
ainsi, en l'espèce, puisque, aussi bien, la cour cantonale a constaté
souverainement que l'état de santé du demandeur s'était stabilisé
médicalement à fin 1991 déjà. Par conséquent, il n'y a aucune raison valable
qui puisse justifier, en l'occurrence, la réserve requise.

Cet ultime moyen se révèle donc infondé.

8.
Au terme de cet examen, il y a lieu d'admettre partiellement tant le recours
principal que le recours joint. Le ch. 1 du dispositif de l'arrêt attaqué, en
tant qu'il concerne la défenderesse, sera dès lors réformé en ce sens, d'une
part, que ses lettres b) et d) seront annulées et, d'autre part, que la
défenderesse sera condamnée à payer au demandeur: 34 785 fr. (let. a), 170
317 fr. (let. c), 1985 fr. (let. e), 333 251 fr. (let. f), 361 743 fr. (let.
g) et 29 200 fr. (let. h), chacun de ces montants portant intérêts au taux de
5% l'an à compter des dates retenues par la Cour de justice. L'issue du
litige commande de renvoyer le dossier à cette autorité pour qu'elle se
prononce à nouveau sur la question des frais et dépens de la procédure
cantonale, ce qui implique l'annulation des ch. 2 et 3 du dispositif de
l'arrêt cantonal. En revanche, le dispositif peut être maintenu pour le
surplus, c'est-à-dire dans la mesure où il déboute les parties de toutes
autres conclusions (ch. 4).

9.
Il ressort de la comparaison faite entre, d'une part, ce que réclamaient la
défenderesse et le demandeur devant le Tribunal fédéral, respectivement ce à
quoi chacun d'eux s'opposait relativement au recours adverse et, d'autre
part, ce qui a été décidé, que la défenderesse a obtenu gain de cause à
concurrence des 3/5 de ses conclusions actives et passives, le succès du
demandeur se limitant à 2/5 des mêmes conclusions. Il se justifie, partant,
de mettre les frais et dépens de la procédure fédérale à raison de 2/5 à la
charge de la défenderesse et de 3/5 à celle du demandeur (art. 156 al. 3 OJ).
Celui-ci devra en outre verser à celle-là des dépens réduits dans la même
proportion (art. 159 al. 3 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours principal et le recours joint sont partiellement admis, les
chiffres 2, en tant qu'il concerne la défenderesse, et 3 du dispositif de
l'arrêt attaqué sont annulés et le chiffre 1 du même dispositif est modifié
et complété comme il suit:

"1. Condamne X.________ à payer à A.________ les sommes de:

a) 34'785 fr. avec intérêts à 5% dès le 13 juin 1996;
b) [supprimé]
c) 170'317 fr. avec intérêts à 5% au 15 mars 2002;
d) [supprimé]
e) 1'985 fr. avec intérêts à 5% dès le 15 mars 2002;
f) 333'251 fr. avec intérêts à 5% dès le 31 décembre 1995;
g) 361'743 fr. avec intérêts à 5% au 15 mars 2002;
h) 29'200 fr. avec intérêts à 5% au 15 mars 2002.
1bis. Condamne B.________ à payer à A.________ les sommes de:

a) 34'785 fr. avec intérêts à 5% dès le 13 juin 1996;
b) 99'309 fr. avec intérêts à 5% dès le 31 décembre 1995;
c) 342'337 fr. avec intérêts à 5% au 15 mars 2002;
d) 86'534 fr. avec intérêts à 5% dès le 31 décembre 1995;
e) 172'936 fr. avec intérêts à 5% au 15 mars 2002;

f) 131'628 fr. avec intérêts à 5% dès le 31 décembre 1995;
g) 157'860 fr. avec intérêts à 5% au 15 mars 2002;
h) 29'200 fr. avec intérêts à 5% au 15 mars 2002.

1ter. Reconnaît X.________ et B.________ débiteurs solidaires de A.________ à
concurrence des montants mis à la charge de chacun d'entre eux."

L'arrêt attaqué est confirmé pour le surplus.

2.
Un émolument judiciaire de 16 000 fr. est mis à raison de 3/5 à la charge du
demandeur et de 2/5 à la charge de la défenderesse.

3.
Le demandeur versera à la défenderesse une indemnité de 3600 fr. à titre de
dépens réduits.

4.
La cause est renvoyée à la Cour de justice pour nouvelle décision sur les
frais et dépens de la procédure cantonale.

5.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux parties et à la Chambre civile
de la Cour de justice du canton de Genève.

Lausanne, le 19 décembre 2002

Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président:   Le greffier: