Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilabteilung 4C.171/2002
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4C.171/2002 /ech

Arrêt du 25 septembre 2002
Ire Cour civile

Les juges fédéraux Walter, président de la Cour,
Corboz, Klett, Rottenberg Liatowitsch et Nyffeler,
greffière de Montmollin

A.________ SA,
demanderesse et recourante, représentée par Me Bernard Lachenal, avocat,
place du Molard 3, case postale 3199,
1211 Genève 3,

contre

B.________ SA,
défenderesse et intimée, représentée par Me André de Pfyffer, avocat, rue
Bellot 6, 1206 Genève.

emprunt par obligations; responsabilité pour le prospectus; responsabilité du
représentant des obligataires

(recours en réforme contre l'arrêt de la Chambre civile de la Cour de justice
du canton de Genève du 22 mars 2002)

Faits:

A.
La société d'aviation civile C.________ Inc. (ci-après : C.________),
incorporée dans l'Etat du Delaware (USA), a émis en Suisse, à la fin de
l'année 1985, un emprunt d'un montant total de 150'000'000 fr. sous la forme
d'obligations convertibles d'une durée de dix ans portant intérêts au taux de
5,5% l'an. La libération des obligations a été fixée au 7 janvier 1986.

La banque X.________ SA, devenue B.________ SA (ci-après : la banque), était
chef de file du consortium de banques qui a souscrit l'ensemble des
obligations pour les offrir sur le marché; elle apparaissait également comme
représentante des obligataires.

Un prospectus daté du 10 décembre 1985 a été émis conjointement par
C.________ et la banque. Il présentait la compagnie et ses deux sociétés
filiales, D.________ Inc. (ci-après: D.________) et E.________. Il ne
contenait aucune information alarmante sur l'évolution récente des affaires.
Il a été retenu que la banque avait procédé aux vérifications usuelles, se
fondant notamment sur une attestation des avocats de C.________ et sur une
lettre du réviseur Z.________ & Co. Le taux d'intérêts offert était cependant
particulièrement élevé à l'époque et la presse spécialisée avait décrit
l'emprunt de C.________ comme étant destiné à des investisseurs très
spéculatifs. Le prospectus soumettait l'emprunt au droit suisse et prévoyait
la compétence des tribunaux genevois.

La société panaméenne A.________ SA, ainsi que deux autres entités
appartenant à la même famille, ont acheté des obligations émises par
C.________, en neuf tranches successives, du 17 décembre 1985 au 16 juillet
1986. Les obligations acquises par les deux autres entités ont été transmises
à A.________ SA. Dans leur ensemble, ces obligations représentent une valeur
nominale de 2'070'000 fr. et ont été acquises pour le prix de 1'670'825 fr.

B.
C. ________ a publié le 13 mars 1986 un rapport sur sa situation financière
au 31 décembre 1985, qui révélait une nette inversion de tendance au 4ème
trimestre de l'année 1985, la détérioration de la situation étant due à une
concurrence accrue. Il a été retenu qu'il n'était pas établi que la banque
ait eu connaissance de cette évolution au moment de l'émission du prospectus.

Le cours des obligations C.________ a alors baissé de manière significative,
ce qui n'a pas empêché A.________ SA - comme on l'a vu - d'en acheter encore
en juillet 1986.
Cette évolution négative a constitué une surprise pour la banque, qui a réuni
une sorte de cellule de crise au printemps 1986, consulté les autres banques
membres du consortium et engagé certaines négociations avec C.________.

Au second semestre 1986, la société américaine d'aviation F.________ a lancé
une offre publique d'achat portant sur les obligations en francs suisses de
C.________, pour un prix correspondant au 65% de leur valeur nominale. Par
circulaire du 20 décembre 1986, X.________ SA a recommandé l'acceptation de
cette offre. Ce conseil a été en définitive suivi par 96% des obligataires,
au rang desquels A.________ SA ne figure toutefois pas.

Le capital-actions de C.________ a été acheté par une société créée par
F.________, puis cédé à G.________ Inc. Diverses fusions sont intervenues en
juillet 1989, qui ont entraîné la disparition de C.________. La société
G.________ Inc. s'est engagée à reprendre tous les engagements de C.________
découlant de l'emprunt obligataire. La banque en a informé les porteurs
d'obligations. Estimant que G.________ Inc. était aussi solvable que
C.________ - ce que la procédure n'a pas infirmé - , la banque n'a pas
demandé le remboursement de l'emprunt.

En décembre 1990, G.________ Inc. est entrée en procédure de sursis
concordataire. La banque, par ses avocats américains, s'est préoccupée de
préserver les intérêts des créanciers obligataires qu'elle représentait. La
production des obligataires a été admise dans son intégralité.

A. ________ SA a échangé, en 1994, ses obligations contre des actions
G.________ Inc. , obtenant ainsi, selon ses explications, la contre-valeur de
82'800 fr., ainsi qu'une soulte.

C.
Le 20 juillet 1993 , A.________ SA a déposé devant les tribunaux genevois une
demande en paiement dirigée contre la banque, concluant à ce que cette
dernière soit condamnée à lui payer la somme de 1'966'500 fr. avec intérêts à
5,5% l'an dès le 7 juillet 1990. En substance, elle soutient que la banque,
en tant que coauteur du prospectus, aurait dû mentionner l'évolution
défavorable des affaires au 4ème trimestre 1985 et que, en tant que
représentante des obligataires, elle aurait dû, ultérieurement, dénoncer
l'emprunt au remboursement. En dernier lieu, elle a conclu à ce que sa partie
adverse soit condamnée à lui verser la somme de 2'070'000 fr. avec intérêts à
5,5% l'an dès le 7 juillet 1990, sous imputation de 82'800 fr., 27,13 US$ et
1'174 fr. 70.

Par jugement du 16 novembre 2000, le Tribunal de première instance du canton
de Genève a rejeté la demande.

Statuant sur appel de A.________ SA le 22 mars 2002, la Chambre civile de la
Cour de justice du canton de Genève a confirmé la décision précitée.

D.
A.________ SA recourt en réforme au Tribunal fédéral. Invoquant une violation
des art. 8 CC, 1156, 1158, 398 al. 1 et 2, 321e CO, elle conclut à la réforme
de l'arrêt rendu le 22 mars 2002 et reprend ses conclusions sur le fond,
sollicitant subsidiairement le renvoi de la cause à la cour cantonale.

L'intimée invite le Tribunal fédéral à rejeter le recours.

E.
Par arrêt de ce jour, le Tribunal fédéral a rejeté un recours de droit public
formé parallèlement par la demanderesse contre la décision du 22 mars 2002.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.

Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral doit conduire son
raisonnement juridique sur la base des faits contenus dans la décision
attaquée, à moins que des dispositions fédérales en matière de preuve n'aient
été violées, qu'il n'y ait lieu à rectification de constatations reposant sur
une inadvertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou qu'il ne faille compléter
les constatations de l'autorité cantonale parce que celle-ci n'a pas tenu
compte de faits pertinents, régulièrement allégués et clairement établis
(art. 64 OJ; ATF 127 III 248 consid. 2c; 126 III 59 consid. 2a). Dans la
mesure où une partie recourante présente un état de fait qui s'écarte de
celui contenu dans la décision attaquée sans se prévaloir avec précision de
l'une des exceptions qui viennent d'être rappelées, il n'est pas possible
d'en tenir compte (ATF 127 III 248 consid. 2c). Il ne peut être présenté de
griefs contre des constatations de fait, ni de faits ou de moyens de preuve
nouveaux (art. 55 al. 1 let. c OJ). Le recours en réforme n'est pas ouvert
pour se plaindre de l'appréciation des preuves et des constatations de fait
qui en découlent (ATF 127 III 543 consid. 2c in fine; 126 III 189 consid. 2a;
125 III 78 consid. 3a).

Le Tribunal fédéral ne peut aller au-delà des conclusions des parties (qui ne
peuvent en prendre de nouvelles : art. 55 al. 1 let. b OJ), mais il n'est pas
lié par les motifs qu'elles invoquent (art. 63 al. 1 OJ), ni par
l'argumentation juridique retenue par la cour cantonale (art. 63 al. 3 OJ;
ATF 128 III 22 consid. 2e/cc; 127 III 248 consid. 2c; 126 III 59 consid. 2a).
Le Tribunal fédéral peut donc admettre un recours pour d'autres motifs que
ceux invoqués par la partie recourante et il peut également le rejeter en
adoptant une autre motivation que celle retenue par la cour cantonale (ATF
127 III 248 consid. 2c).

2.
2.1 La recourante reproche à la banque de ne pas avoir indiqué, dans le
prospectus dont elle est cosignataire, l'évolution défavorable des affaires
au cours du 4ème trimestre 1985. Elle la tient pour responsable du dommage
qu'elle allègue avoir subi de ce fait et qu'elle chiffre à 790'000 fr.

2.2 Les prétentions qui dérivent de l'émission d'emprunts au moyen d'un
prospectus sont régies soit par le droit applicable à la société débitrice,
soit par le droit de l'Etat dans lequel l'émission a lieu; le choix entre ces
deux droits appartient au demandeur (art. 156 LDIP; Vischer, IPRG-Kommentar,
n° 2 ad art. 156 LDIP; Carlo Lombardini, Droit bancaire suisse, p. 415 n°
80). En l'espèce, la recourante a choisi de fonder son action sur le droit
suisse.

Les tribunaux suisses du lieu de l'émission publique sont compétents, même si
un autre tribunal est également compétent en vertu d'une prorogation de for
(art. 151 al. 3 LDIP; cf. Lombardini, op. cit., p. 415 n° 81).

2.3 Il faut ensuite déterminer quelle est, en droit interne suisse, la
disposition qui régit la responsabilité de l'auteur du prospectus.

Comme le montre son emplacement dans la loi, l'art. 752 CO concerne
l'émission d'obligations par une société anonyme au sens de l'art. 620 CO,
étant précisé que ce sont les anciennes dispositions qui sont applicables vu
la date des faits (RO 1992 p. 785). Or, il ressort des constatations
cantonales - qui lient le Tribunal fédéral saisi d'un recours en réforme
(art. 63 al. 2 OJ) - que la société qui a émis les obligations n'est pas une
société anonyme suisse au sens de l'art. 620 aCO. En conséquence, la
responsabilité de l'auteur du prospectus est régie exclusivement par l'art.
1156 al. 3 CO (dans ce sens : Watter, Commentaire bâlois, n° 23 ad art. 1156
CO; arrêt 4C.245/1995 reproduit in SJ 1997 p. 108 consid. 5b).

2.4 Lorsque des obligations ont été émises sans le prospectus requis, ou
lorsque le prospectus contient des assertions inexactes ou des indications
contraires aux exigences de la loi, les personnes qui y ont contribué sont
solidairement responsables du préjudice qu'elles ont causé intentionnellement
ou par négligence (art. 1156 al. 3 CO).

Le prospectus est inexact au sens de cette disposition lorsqu'il omet des
informations importantes pour les souscripteurs ou acquéreurs des obligations
(Watter, Prospekt(haft)pflicht heute und morgen, AJP/PJA 1/92 p. 48 ss, p.
58; Ziegler, Commentaire bernois, n° 27 ad art. 1156 CO; Lombardini, op.
cit., p. 415 n° 78). Le prospectus doit fournir des renseignements véridiques
sur la situation de l'émetteur au moment de l'émission (cf. Lombardini, op.
cit., p. 414 n° 74).
Il ressort du texte de l'art. 1156 al. 3 CO que la responsabilité de l'auteur
du prospectus n'est engagée que si son comportement procède de l'intention ou
de la négligence. Certes, l'intention n'est pas exigée et la négligence
suffit (Watter, op. cit., AJP/PJA 1/92 p. 60; Ziegler, op. cit., n° 27 ad
art. 1156 CO). Il n'en demeure pas moins qu'il s'agit d'une responsabilité
fondée sur la faute (Lombardini, op. cit., p. 416 n° 83; Ziegler, ibidem). La
notion de négligence suppose que l'auteur ait objectivement violé le devoir
de diligence qui lui incombe (cf. Watter, op. cit., AJP/PJA 1/92 p. 60;
Roberto/Wegmann, Prospekthaftung in der Schweiz, RDA 73 (2001) p. 161 ss, p.
164 et 170). Qu'un prospectus soit objectivement inexact ne suffit pas encore
pour constater l'existence d'une violation du devoir de diligence incombant à
son auteur.

Lorsqu'il y a plusieurs auteurs - comme c'est le cas en l'espèce -, il faut
établir une violation fautive du devoir incombant à la personne recherchée
(Ziegler, ibidem). Dès lors qu'il ne s'agit pas d'une responsabilité causale,
on ne saurait imputer purement et simplement à l'un des signataires le
comportement de l'autre.

La question pertinente est donc de savoir si la banque défenderesse,
cosignataire du prospectus, a manqué à son devoir de diligence.

2.5 A défaut de présomption légale, il appartient à la partie demanderesse de
prouver les faits nécessaires pour constater l'existence de son droit (art. 8
CC).

Il incombait donc bien à la recourante de prouver les faits permettant de
constater que la banque avait manqué à son devoir de diligence. La cour
cantonale n'a pas violé sur ce point l'art. 8 CC.

Il faut d'ailleurs rappeler qu'il s'agit d'une responsabilité délictuelle
pour le risque que les auteurs du prospectus font courir au public (cf.
Ziegler, op. cit., n° 24 ad art. 1156 CO; Watter, op. cit., AJP/PJA 1/92 p.
55; Roberto/Wegmann, op. cit., p. 164; Lombardini, op. cit., p. 417 n° 91),
de sorte que l'art. 97 al. 1 CO n'entre pas en considération ici. Dans la
mesure où un auteur semble soutenir le contraire quant à la répartition du
fardeau de la preuve (Watter, op. cit., AJP/PJA 1/92 p. 60), son opinion ne
peut pas être suivie.

2.6 Lorsqu'une banque rédige un prospectus d'émission, elle doit vérifier,
autant qu'on peut l'exiger d'elle, les informations qui lui sont données par
l'emprunteur (Ziegler, op. cit., n° 22 et 27 ad art. 1156 CO).

S'il est vrai qu'elle ne saurait se fier aveuglément aux affirmations du
débiteur, on ne saurait exiger d'elle, au moins en l'absence d'indices
alarmants, des investigations disproportionnées. La doctrine admet que la
banque peut en principe se fier aux indications fournies par les avocats du
débiteur et par son organe de révision (Watter, op. cit., AJP/PJA 1/92 p. 60;
cf. également : Lombardini, op. cit., p. 418 n° 92).

2.7 Or, il ressort des constatations cantonales souveraines (art. 63 al. 2
OJ) que l'intimée s'est précisément fiée aux renseignements fournis par les
avocats et l'organe de révision de la débitrice. Que les avocats aient été
mis en oeuvre par la débitrice ne suffit pas pour douter de leur crédibilité.
Selon les constatations cantonales, la recourante n'a pu citer aucun témoin
qui aurait considéré, en fonction de la pratique en la matière, que la banque
aurait dû procéder à d'autres investigations. Il faut donc admettre que
l'intimée a recueilli les informations qui étaient nécessaires pour rédiger
le prospectus.

Elle les a examinées avec l'attention requise, puisqu'il a été constaté en
fait (d'une manière qui lie le Tribunal fédéral) que les renseignements
fournis ne contenaient rien d'alarmant qui justifie une mention au
prospectus.

Il n'a pas été établi que la banque aurait disposé du moindre indice donnant
à penser que les informations étaient inexactes. La recourante se réfère à
des articles de presse concernant la filiale D.________ et parus peu avant la
sortie du prospectus; il s'agit toutefois de moyens de preuve nouveaux,
puisqu'ils n'ont pas été soumis aux juridictions cantonales, qui ne sont pas
admissibles en instance de réforme (art. 55 al. 1 let. c troisième phrase
OJ).

La recourante suggère certes que la débitrice aurait retenu des informations.
Il ressort cependant des explications fournies par l'organe de révision qu'il
n'y avait rien d'alarmant dans les procès-verbaux de l'époque et qu'il lui a
été dit qu'aucuns chiffres n'étaient disponibles; on peut penser que si la
banque avait procédé elle-même à ces recherches, elle n'aurait pas obtenu
plus d'informations. Il n'est donc pas démontré - sur la base de l'état de
fait qui lie le Tribunal fédéral - que la banque aurait pu, en déployant la
diligence commandée par les circonstances, avoir connaissance du renversement
de tendance intervenu au 4ème trimestre de 1985.

Dans de telles circonstances, la cour cantonale n'a pas violé le droit
fédéral en rejetant la demande formée par la recourante.

3.
3.1 La recourante soutient que la banque, en tant que représentante des
obligataires, aurait dû dénoncer l'emprunt au remboursement, qu'elle a violé
les devoirs découlant pour elle des art. 1158 al. 1, 398 al. 1 et 2 et 321e
CO, si bien  qu'elle doit réparer le dommage qui en résulte.

3.2 Le texte de l'art. 156 LDIP ne permet pas de déduire que cette
disposition serait applicable aux actions en responsabilité des obligataires
contre le représentant (dans ce sens : Vischer, op. cit., n° 3 ss ad art. 156
LDIP).

Il a déjà été jugé que les rapports entre le représentant et les obligataires
étaient de nature contractuelle (ATF 62 II 140 consid. 3a).

Il ressort des constatations cantonales que les parties ont fait élection de
droit en faveur du droit suisse, de sorte que celui-ci est applicable (cf.
art. 116 al. 1 LDIP).

Elles ont également fait élection de for en faveur des tribunaux genevois
(art. 5 al. 1 LDIP).

3.3 Il convient donc de déterminer quelles sont les dispositions du droit
interne suisse qui sont applicables.

Il résulte de l'art. 1157 al. 1 CO que les art. 1157 à 1186 (chapitre II) ne
s'appliquent que lorsque le débiteur de l'obligation a son domicile ou un
établissement industriel ou commercial en Suisse (Steinmann, Commentaire
bâlois, Vorbem. zu Art. 1157-1186 n° 3; Daniel Daeniker, Anlegerschutz bei
Obligationenanleihen, thèse Zurich 1992, p. 83).

Comme cette condition n'est pas remplie en l'espèce (le débiteur est une
société américaine), les art. 1157 à 1186 CO ne sont pas applicables; que les
parties aient opté, de façon générale, pour l'application du droit suisse n'a
pas pour effet de rendre applicables des dispositions que le droit interne
suisse lui-même déclare non applicables; il n'en irait différemment que si
ces dispositions avaient été clairement incorporées au contrat en qualité de
clauses contractuelles, ce qui n'est pas le cas sur la base des constatations
cantonales (dans ce sens : Daeniker, op. cit., p. 87; cf. également :
Lombardini, op. cit., p. 420 n° 97).

Il faut donc en déduire - contrairement à l'opinion de la cour cantonale -
que l'art. 1158 CO n'est pas applicable en l'espèce. Le point reste néanmoins
sans conséquence pratique, puisque la disposition ne contient pas d'éléments
décisifs pour l'issue du litige.

3.4 Considérant que le représentant des obligataires désigné dans les
conditions de l'emprunt ne pouvait pas être révoqué en tout temps, la
jurisprudence a estimé que le rapport entre le représentant et chaque
obligataire ne relevait pas du mandat, mais constituait un rapport juridique
sui generis analogue au mandat (ATF 62 II 140 consid. 3a). Plusieurs auteurs
ont cependant soutenu qu'il s'agissait d'un mandat pur et simple (Daeniker,
op. cit., p. 131 s. et les références citées; Lombardini, op. cit., p. 423 n°
105). Il n'est pas nécessaire d'approfondir cette question en l'espèce.

Une personne désignée en qualité de représentante des obligataires se voit
investie d'une mission impliquant naturellement un certain devoir de
sauvegarder les intérêts des représentés. C'est d'ailleurs bien dans ce sens
que la jurisprudence a parlé d'un contrat analogue au mandat. Le représentant
doit donc veiller aux intérêts des obligataires et exercer dans cet esprit
les pouvoirs qui lui sont conférés (dans ce sens : Daeniker, op. cit., p. 125
et 132 s.; Lombardini, op. cit., p. 423 n° 105 et p. 424 n° 109). La clause
contractuelle citée par la recourante, que la cour cantonale a omise par
inadvertance (art. 63 al. 2 troisième phrase OJ), exprime d'ailleurs ce
principe.

3.5 La recourante reproche exclusivement à la banque de ne pas avoir exigé le
remboursement des obligations. Elle admet elle-même que les clauses
contractuelles n'imposaient pas au représentant de dénoncer l'emprunt dans
les hypothèses visées, mais lui en donnaient seulement la faculté. Les
obligataires ont donc accordé à leur représentant un certain pouvoir
d'appréciation, que celui-ci devait exercer dans leur intérêt.

Que les choix du représentant ne se soient pas révélés judicieux a posteriori
ne suffit pas pour entraîner sa responsabilité; il faudrait que l'on puisse
lui reprocher, en fonction des informations disponibles à l'époque, de ne pas
avoir fait une saine appréciation de la situation.

Sur ce point également, il incombait à la recourante, en tant que
demanderesse, de prouver les faits permettant de constater une violation du
devoir de diligence et de fidélité (art. 8 CC). Le Tribunal fédéral doit
analyser la situation sur la base des constatations cantonales définitives
(art. 63 al. 2 OJ).

Si la banque avait dénoncé l'emprunt dès les premières difficultés
financières (à supposer que les clauses contractuelles le lui permettent), il
aurait existé un risque évident que les autres créanciers ne soient incités à
procéder de la même façon, que la société ne puisse plus rembourser personne
et que l'opération ne se termine par une faillite catastrophique. Or, il ne
ressort pas des constatations cantonales que la situation était
irrémédiablement compromise. Il ne paraissait pas exclu que la conjoncture
s'améliore et que la concurrence s'apaise (en raison de fusions ou de la
disparition de certaines compagnies). On ne peut donc pas retenir, sur la
base des constatations cantonales, qu'il était imprudent de choisir
d'attendre et de miser sur un rétablissement de la société.

Lors de la fusion qui a entraîné la disparition de la débitrice, les
obligations ont été reprises par une société qui, selon les constatations
cantonales, n'était pas moins solvable que la précédente et semblait en
mesure de rembourser l'ensemble des obligations. Les fusions successives
avaient précisément pour but, par la concentration, de se renforcer face à la
concurrence, et non pas d'entraîner la chute de toutes les compagnies
fusionnantes. Sur la base des constatations cantonales, on ne peut pas dire
que la décision d'attendre puisse être qualifiée de violation du devoir de
diligence.

La banque a ensuite conseillé aux obligataires d'accepter l'offre publique
d'achat; la recourante n'a pas suivi ce conseil et elle a ainsi pris une
décision dont elle supporte seule les conséquences et qu'elle ne peut pas
imputer à sa partie adverse.

En définitive, les faits constatés par la cour cantonale ne permettent pas
d'observer une violation du devoir de diligence incombant au représentant, de
sorte que le rejet de la demande ne viole pas le droit fédéral, et notamment
les art. 398 al. 1 et 2 et 321e CO applicables au moins par analogie.

4. Les frais et dépens doivent être mis à la charge de la recourante qui
succombe (art. 156 al. 1 et 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté et l'arrêt attaqué est confirmé.

2.
Un émolument judiciaire de 20'000 fr. est mis à la charge de la recourante.

3.
La recourante versera à l'intimée une indemnité de 25'000 fr. à titre de
dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la
Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève.

Lausanne, le 25 septembre 2002

Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président: La greffière: