Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilabteilung 4C.160/2002
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4C.160/2002

                 Ie   C O U R   C I V I L E
                ****************************

                       8 juillet 2002

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Corboz et
Favre, juges.  Greffier Carruzzo.

                        ____________

                Dans la cause civile pendante
                            entre

X.________ S.A., défenderesse et recourante, représentée par
Me Bernard Zahnd, avocat, à Lausanne,

                             et

A.________, demandeur et intimé;

(contrat de travail; interprétation d'une clause de salaire)

          Vu les pièces du dossier d'où ressortent
                les  f a i t s  suivants:

    A.- Par contrat du 6 février 1998, A.________ a été
engagé par X.________ S.A. à Lausanne, dès le 10 mars 1998,
en qualité de chef de rang.

    Les relations de travail ont pris fin le 13 décem-
bre 1998.

    B.- Le 11 août 1999, A.________ a déposé devant le
Tribunal de prud'hommes de Lausanne une demande dirigée con-
tre X.________ S.A. (ci-après: la défenderesse) aux fins
d'obtenir le paiement de 23 416 fr.35 correspondant à la
différence entre le salaire qu'il a touché et celui qu'il
estime lui être dû selon son interprétation du contrat; à
cette demande s'ajoutent 663 fr.35 à titre d'indemnité pour
les vacances et les jours fériés, 4281 fr.25 pour des heures
supplémentaires et 1200 fr. à titre de rémunération pour une
activité additionnelle. Pour que le litige reste dans les
limites de compétence de la juridiction saisie, le demandeur
a réduit ses conclusions à 19 999 fr. avec intérêts à 5% l'an
dès le 14 décembre 1998.

    Par jugement du 12 avril 2000, le Tribunal de
prud'hommes n'a accueilli la demande qu'à concurrence de
3344 fr.60 brut, avec intérêts à 5% l'an dès le 14 décembre
1998.

    Par arrêt du 5 juillet 2000, la Chambre des recours
du Tribunal cantonal vaudois a annulé ce jugement et renvoyé
la cause au Tribunal de prud'hommes pour complément d'ins-
truction.

    Statuant à nouveau le 29 mai 2001, le Tribunal de
prud'hommes de Lausanne a admis la demande en totalité, con-
damnant la défenderesse à payer au demandeur la somme de
19 999 fr. brut (à charge pour elle d'effectuer les déduc-
tions légales) avec intérêts à 5% l'an dès le 14 décembre
1998.

    Saisie d'un recours formé par la défenderesse, la
Chambre des recours, par arrêt du 28 mars 2002, l'a rejeté et
confirmé le jugement attaqué.

    Il résulte de la procédure cantonale que le montant
réclamé à titre d'indemnité pour les vacances et les jours
fériés (663 fr.35) a été d'emblée admis par la défenderesse.
L'autorité cantonale a conclu que l'employeur devait payer
les heures supplémentaires alléguées, faute d'avoir tenu le
décompte exigé par la convention collective; en revanche, el-
le a rejeté, faute de justification, la prétention à une ré-
munération pour une activité additionnelle. Ces questions ne
sont plus litigieuses. Le différend se réduit à une seule
question: l'interprétation de la clause contractuelle fixant
le salaire. Sur ce point, la cour cantonale a retenu les
faits suivants.

    Le contrat a été rédigé par l'employeur sur une
formule préimprimée. Il a indiqué le chiffre de 2500 fr. sous
la mention "salaire fixe" et il a ajouté au-dessous, sous la
mention "participation au chiffre d'affaires", le taux de
13,04%. La rubrique "salaire minimum" n'a pas été remplie. Le
contrat se référait encore à la convention collective de tra-
vail.

    Procédant à une appréciation des preuves, l'autori-
té cantonale a retenu que l'employeur voulait en réalité ré-
munérer le demandeur par une participation au chiffre d'af-
faires de 13,04% et que le chiffre de 2500 fr. constituait le
salaire minimum.

    Tenant compte de l'attitude du travailleur - qui a
protesté auprès de la direction et auprès de collègues -,
l'autorité cantonale a retenu que le demandeur pensait que le
salaire fixe et la participation au chiffre d'affaires de-
vaient être additionnés.

    Il a été admis qu'il pouvait effectivement compren-
dre de cette manière, selon le principe de la confiance, la
clause contractuelle rédigée par son employeur.

    C.- La défenderesse interjette un recours en réfor-
me au Tribunal fédéral. Elle conclut à ce qu'elle ne soit
condamnée à verser que la somme de 3344 fr.60 brut avec inté-
rêts à 5% l'an dès le 14 décembre 1998 (correspondant à l'in-
demnité pour vacances et jours fériés et au paiement des heu-
res supplémentaires selon son interprétation du contrat), la
demande devant être rejetée pour le surplus.

    Le demandeur, qui n'est pas représenté par un avo-
cat, propose le rejet du recours.

         C o n s i d é r a n t   e n   d r o i t  :

    1.- a) Interjeté par la partie qui a succombé dans
ses conclusions libératoires et dirigé contre un jugement
final rendu en dernière instance cantonale par un tribunal
supérieur (art. 48 al. 1 OJ) sur une contestation civile dont
la valeur litigieuse atteint le seuil de 8'000 fr. (art. 46
OJ), le recours en réforme est en principe recevable, puis-
qu'il a été déposé en temps utile (art. 54 al. 1 OJ) et dans
les formes requises (art. 55 OJ).

    b) Le recours en réforme est ouvert pour violation
du droit fédéral, mais non pour violation directe d'un droit

de rang constitutionnel (art. 43 al. 1 OJ) ou pour violation
du droit cantonal (ATF 127 III 248 consid. 2c; 126 III 189
consid. 2a, 370 consid. 5).

    Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral
doit conduire son raisonnement juridique sur la base des
faits contenus dans la décision attaquée, à moins que des
dispositions fédérales en matière de preuves n'aient été
violées, qu'il y ait lieu à rectification de constatations
reposant sur une inadvertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou
qu'il faille compléter les constatations de l'autorité
cantonale parce que celle-ci n'a pas tenu compte de faits
pertinents, régulièrement allégués et clairement établis
(art. 64 OJ; ATF 127 III 248 consid. 2c; 126 III 59 consid.
2a). Lorsque - comme c'est le cas en l'espèce - la cour can-
tonale adopte l'état de fait dressé par l'instance inférieu-
re, le Tribunal fédéral est également lié par celui-ci (Cor-
boz, Le recours en réforme au Tribunal fédéral, in SJ 2000 II
p. 61). Dans la mesure où une partie recourante présente un
état de fait qui s'écarte de celui contenu dans la décision
attaquée sans se prévaloir avec précision de l'une des excep-
tions qui viennent d'être rappelées, il n'est pas possible
d'en tenir compte (ATF 127 III 248 consid. 2c). Il ne peut
être présenté de griefs contre les constatations de fait, ni
de faits ou de moyens de preuve nouveaux (art. 55 al. 1 let.
c OJ). Le recours en réforme n'est pas ouvert pour se plain-
dre de l'appréciation des preuves et des constatations de
fait qui en découlent (ATF 127 III 543 consid. 2c p. 547; 126
III 189 consid. 2a; 125 III 78 consid. 3a).

    Le Tribunal fédéral ne peut aller au-delà des con-
clusions des parties, mais il n'est pas lié par les motifs
qu'elles invoquent (art. 63 al. 1 OJ), ni par l'argumentation
juridique retenue par la cour cantonale (art. 63 al. 3 OJ;
ATF 128 III 22 consid. 2e/cc; 127 III 248 consid. 2c; 126 III
59 consid. 2a).

    2.- Le litige soumis au Tribunal fédéral porte ex-
clusivement sur l'interprétation de la clause contractuelle
fixant le salaire dû au travailleur.

    a) En présence d'un litige sur l'interprétation
d'une clause contractuelle, le juge doit tout d'abord
s'efforcer de déterminer la commune et réelle intention des
parties, sans s'arrêter aux expressions ou dénominations
inexactes dont elles ont pu se servir, soit par erreur, soit
pour déguiser la nature véritable de la convention (art. 18
al. 1 CO; ATF 127 III 444 consid. 1b).

    S'il y parvient, il s'agit d'une constatation de
fait qui ne peut être remise en cause dans un recours en
réforme (ATF 126 III 25 consid. 3c, 375 consid. 2e/aa p. 379;
125 III 305 consid. 2b, 435 consid. 2a/aa).

    Déterminer ce qu'un cocontractant savait et voulait
au moment de conclure relève des constatations de fait qui
lient le Tribunal fédéral (ATF 118 II 58 consid. 3a; 113 II
25 consid. 1a p. 27).

    Si la volonté réelle des parties ne peut pas être
établie ou si elle est divergente, le juge doit interpréter
les déclarations faites selon la théorie de la confiance (cf.
ATF 127 III 444 consid. 1b). Il doit donc rechercher comment
une déclaration ou une attitude pouvait être comprise de bon-
ne foi en fonction de l'ensemble des circonstances (cf. ATF
126 III 59 consid. 5b p. 68, 375 consid. 2e/aa p. 380).

    Même si une déclaration paraît claire à première
vue, il peut résulter d'autres circonstances que son destina-
taire devait lui donner un sens différent de celui découlant
d'une interprétation littérale (ATF 127 III 444 consid. 1b).
Il n'en demeure pas moins, lorsqu'aucune circonstance parti-
culière pertinente n'est établie, qu'il faut supposer que le

destinataire d'une déclaration la comprend selon le sens or-
dinaire des mots.

    Il doit être rappelé que le principe de la confian-
ce permet d'imputer à une partie le sens objectif de sa dé-
claration ou de son comportement, même si celui-ci ne corres-
pond pas à sa volonté intime (ATF 127 III 279 consid. 2c/ee
p. 287; Wiegand, Commentaire bâlois, n. 8 ad art. 18 CO; Kra-
mer, Commentaire bernois, n. 101 s. ad art. 1er CO; Eugen Bu-
cher, Commentaire bâlois, n. 6 ad art. 1er CO; Engel, Traité
des obligations en droit suisse, p. 216 s.).

    L'application du principe de la confiance est une
question de droit que le Tribunal fédéral, saisi d'un recours
en réforme, peut examiner librement (ATF 127 III 248 consid.
3a; 126 III 25 consid. 3c, 59 consid. 5a, 375 consid. 2e/aa
p. 379; 125 III 305 consid. 2b p. 308, 435 consid. 2a/aa).
Pour trancher cette question de droit, il faut cependant se
fonder sur le contenu de la manifestation de volonté et sur
les circonstances, lesquelles relèvent du fait (ATF 126 III
375 consid. 2e/aa; 124 III 363 consid. 5a; 123 III 165 con-
sid. 3a).

    b) En signant le contrat du 6 février 1998, les
parties ont, réciproquement et d'une manière concordante, ma-
nifesté leur volonté sur tous les éléments essentiels, de
sorte que le contrat a été conclu (art. 1er al. 1 CO).

    La cour cantonale a constaté, sur la question du
salaire, que leurs volontés intimes, en réalité, ne concor-
daient pas. Dans la mesure où la recourante, en rediscutant
les indices, le conteste et tente de démontrer que l'inten-
tion réelle du travailleur correspondait à la sienne, elle
critique l'appréciation des preuves et l'établissement des
faits, ce qui n'est pas admissible dans un recours en réfor-
me. La volonté réelle de chacune des parties a été établie

sur la base d'une appréciation des preuves et il s'agit là de
constatations de fait qui lient le Tribunal fédéral (art. 63
al. 2 OJ). Comme les volontés exprimées concordent en appa-
rence (les parties ont signé le même contrat), il faut pro-
céder à une interprétation de la volonté exprimée selon la
théorie de la confiance, ce qui constitue une question de
droit. Selon les principes rappelés ci-dessus, la recourante
est liée par sa déclaration telle que le destinataire pouvait
la comprendre de bonne foi, même si cette déclaration ne cor-
respond pas à sa volonté intime.

     Selon les constatations cantonales, la recourante,
qui a rédigé l'acte, n'a pas indiqué de chiffre, sur la for-
mule préimprimée, sous la mention "salaire minimum". Elle n'a
donc pas exprimé la volonté de considérer le chiffre de
2500 fr. comme un salaire minimum. Elle a juxtaposé l'indica-
tion d'un "salaire fixe" de 2500 fr. et celle d'une "partici-
pation au chiffre d'affaires" de 13,04%. Selon le sens ordi-
naire des mots, un salaire fixe n'est pas un salaire minimum;
cette interprétation s'impose d'autant plus qu'une rubrique,
sur la formule imprimée, permettait d'indiquer un salaire mi-
nimum. La juxtaposition, sans aucune précision, de deux modes
de rémunération qui ne sont pas inconciliables permet raison-
nablement de penser que le travailleur devait recevoir à la
fois le salaire fixe et la participation au chiffre d'affai-
res. Dans la logique de la formule utilisée, qui mentionne
séparément le salaire minimum, on ne voit pas comment on
pourrait articuler d'une autre manière les deux chiffres men-
tionnés, soit 2500 fr. et 13,04%. On ne peut pas imaginer que
ces chiffres soient alternatifs, parce que cela reviendrait à
dire que l'un des cocontractants (et on ne sait lequel) pour-
rait choisir chaque mois, selon son bon plaisir, d'adopter
l'un des modes de rémunération ou l'autre. Si l'employeur -
comme il le soutient - avait voulu rémunérer l'employé par
une participation au chiffre d'affaires, il ne devait remplir
que cette rubrique; s'il voulait lui garantir un salaire mi-

nimum de 2500 fr., il devait indiquer ce chiffre sous la men-
tion "salaire minimum", et non pas "salaire fixe". La décla-
ration de volonté faite par la recourante ne se comprend rai-
sonnablement que dans le sens soutenu par l'intimé.

    Etant rappelé que l'on ne doit pas s'arrêter à une
interprétation littérale, il faut examiner s'il a été prouvé
des circonstances spéciales en fonction desquelles l'intimé
devait comprendre la manifestation de volonté dans le sens
que lui donne la recourante.

    La recourante n'a pas établi qu'elle aurait donné
des explications dans ce sens lors d'un entretien précédant
la signature du contrat. Il ne ressort pas de l'état de fait
cantonal - qui lie le Tribunal fédéral (art. 63 al. 2 OJ) -
que l'intimé aurait connu le mode de rémunération des autres
employés au moment où il a signé le contrat. La référence,
dans le contrat, à la convention collective n'est pas éclai-
rante, parce que cette convention n'impose pas le mode de ré-
munération souhaité par la recourante. Que la rémunération
fixée selon l'interprétation objective de la déclaration soit
supérieure au salaire moyen dans la branche n'est pas déter-
minant. Rien n'empêchait en effet la recourante d'offrir un
salaire supérieur à la rémunération moyenne.

    Dès lors qu'il n'a pas été établi de circonstances
particulières qui soient pertinentes pour l'interprétation,
il faut s'en tenir au sens courant et raisonnable des termes
qui ont été utilisés. En tranchant dans ce sens, la cour can-
tonale n'a pas violé les règles du droit fédéral sur l'inter-
prétation des manifestations de volonté (art. 18 al. 1 CO).

    Le recours doit donc être rejeté.

    3.- Compte tenu de la valeur litigieuse déterminée
selon la prétention du demandeur à l'ouverture de l'action

(ATF 100 II 358), la procédure est gratuite (art. 343 al. 3
CO); cette règle vaut pour tous les degrés de juridiction, y
compris la procédure devant le Tribunal fédéral (ATF 98 I a
561 consid. 6a).

    Des dépens pourraient en revanche être accordés à
la partie qui obtient gain de cause (ATF 115 II 30 consid.
5c). Il n'y a cependant pas lieu d'accorder des dépens à
l'intimé, parce qu'il n'a pas recouru aux services d'un avo-
cat et qu'il n'a pas établi avoir assumé des frais particu-
liers pour la défense de ses intérêts (cf. art. 159 al. 1
OJ).

                       Par ces motifs,

            l e  T r i b u n a l  f é d é r a l :

    1. Rejette le recours et confirme l'arrêt attaqué;

    2. Dit qu'il n'est pas perçu de frais ni alloué de
dépens;

    3 Communique le présent arrêt en copie aux parties
et à la Chambre des recours du Tribunal cantonal du canton de
Vaud.
                       ______________

Lausanne, le 8 juillet 2002
ECH

                 Au nom de la Ie Cour civile
                 du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,                                   Le Greffier,