Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilabteilung 4C.152/2002
Zurück zum Index I. Zivilabteilung 2002
Retour à l'indice I. Zivilabteilung 2002


4C.152/2002 /ech

Arrêt du 22 juillet 2002
Ire Cour civile

Les juges fédéraux Walter, président de la Cour, Corboz et Favre,
greffier Ramelet.

A. ________,
demanderesse et recourante, représentée par Me Christophe Zellweger, avocat,
rue de la Fontaine 9, 1204 Genève,

contre

B.________ SA,
défenderesse et intimée, représentée par Me Charles-André Junod, avocat, rue
Töpffer 17, 1206 Genève.

contrat de vente ou de commission; responsabilité

(recours en réforme contre l'arrêt de la Chambre civile de la Cour de justice
du canton de Genève du 22 février 2002)

Faits:

A.
La A.________ (ci-après: la banque), dont le siège est à Tunis (Tunisie), est
une banque commerciale et d'investissement fondée conjointement par deux
Etats, à savoir la Tunisie et l'Emirat du Qatar. Son but social englobait les
opérations de change pour son propre compte ou pour le compte de ses clients.
Au début de l'année 1991, la banque a engagé, à la tête de son département
des opérations bancaires internationales, X.________, qui est un spécialiste
des transactions sur devises et qui a développé très fortement les activités
de change de la banque.

Pour acheter ou vendre des devises au nom de la banque, X.________ s'est
adressé à deux sociétés spécialisées: en premier lieu une société C.________,
puis B.________ S.A. (ci-après: B.________) ayant son siège à Genève.

Le 6 mars 1991, la banque a conclu avec B.________un contrat-cadre destiné à
lui permettre de procéder à des opérations de change à crédit, garanties par
un dépôt de marge. Le contrat contenait une clause par laquelle
B.________déclinait toute responsabilité pour des avis ou des conseils en
matière de change, sollicités par sa cliente dans le cadre de leurs rapports
futurs. Il comportait également une mise en garde contre les risques
spécifiques liés aux opérations sur devises avec marge. Par ailleurs, le
contrat prévoyait l'application du droit suisse et la compétence, en cas de
litige, des tribunaux genevois.

Dans les relations qui se sont ensuite développées entre les parties, la
banque prenait généralement l'initiative de solliciter de B.________une offre
d'achat ou de vente d'une devise déterminée; B.________lui proposait un prix
en fonction duquel la banque se déterminait. Il a été retenu que l'unique
gain de B.________résultait, en l'absence de toute autre rémunération, de la
différence entre le prix convenu avec la banque et celui qu'elle pouvait
obtenir elle-même auprès d'un ou de plusieurs tiers en concluant avec eux des
opérations de couverture; il est arrivé que B.________subisse une perte à la
suite d'une transaction convenue avec la banque. Ces opérations se
déroulaient d'une manière purement comptable, mais le solde quotidien des
transactions, bénéficiaire ou non, devait en revanche faire l'objet, chaque
jour, d'un transfert de fonds effectif entre les parties. Dans le cadre de
leurs relations quotidiennes, la banque et B.________ont fréquemment échangé
leurs impressions ou pronostics sur l'évolution des cours.

A l'initiative de X.________, les montants engagés par la banque sont devenus
toujours plus importants, ce qui impliquait un risque considérable.

A la fin de la journée du 26 juin 1991, la banque a reporté au 1er juillet
1991 ses positions de change ouvertes auprès de B.________et C.________, en
convenant avec B.________d'un swap, conclu à un taux hors marché, dont les
deux volets n'ont pas été regroupés dans un seul et même document, mais ont
donné lieu à deux documents distincts. Il a été retenu que la présentation
d'un swap en deux documents distincts était peu usuelle, mais avait néanmoins
cours dans la pratique des cambistes à l'époque des faits. Un taux hors
marché, en raison de la liberté contractuelle, n'était pas exclu, bien qu'il
soit inhabituel. Il semble que ce procédé ait été utilisé par X.________ pour
dissimuler à la banque les pertes subies. Selon les experts judiciaires, la
présentation trop avantageuse du compte des résultats n'a été possible, dans
le cas concret, qu'à la faveur d'un système comptable inadéquat au sein de la
banque, sans qu'il soit établi que B.________en ait eu connaissance.

De juillet jusqu'au 22 août 1991, la banque a continué d'effectuer, à un
rythme soutenu et pour des volumes considérables, des transactions sur
devises avec B.________et C.________ en maintenant ouvertes des positions de
change en dollars contre francs suisses très importantes; le risque de change
auquel elle s'est exposée s'est concrétisé avec une chute du cours du dollars
à la mi-juillet 1991.

Le désastre financier subi par la banque a été découvert à fin août 1991. Le
total cumulé des pertes de change se serait élevé à un montant avoisinant 40
millions US$, attribuable en majeure partie aux opérations menées avec
B.________. X.________ et son département ont pu conduire la totalité de
leurs opérations de change en l'absence de tout contrôle effectif exercé par
la banque.

Une procédure pénale en Tunisie a abouti à la condamnation de plusieurs
responsables de la banque, dont X.________ et le président directeur général.

B.
Le 30 janvier 1996, la banque a déposé devant les tribunaux genevois une
demande en paiement dirigée contre B.________, réclamant à cette dernière la
somme de 29 783 679 fr. avec intérêts à 5% dès le 23 août 1991. Invoquant la
responsabilité contractuelle, la responsabilité délictuelle et la
responsabilité à raison de la confiance, la banque reproche en substance à
B.________d'avoir laissé X.________ prendre des risques disproportionnés; la
demanderesse considère que la défenderesse est partiellement responsable de
la perte qu'elle a subie.

B. ________a conclu à libération.

Par jugement du 15 décembre 2000, le Tribunal de première instance du canton
de Genève a rejeté la demande.

Saisie d'un appel formé par la banque, la Chambre civile de la Cour de
justice genevoise, par arrêt du 22 février 2002, a confirmé le jugement
attaqué. En résumé, la cour cantonale a estimé que la demande n'avait pas de
fondement juridique et que les transactions conclues entre les parties se
caractérisaient comme des contrats de vente, de sorte que B.________n'avait
pas un devoir de diligence ou de fidélité l'obligeant à veiller sur les
intérêts de la demanderesse et encore moins à surveiller les employés de
celle-ci.

C.
La banque exerce un recours en réforme au Tribunal fédéral. Invoquant une
violation du droit fédéral, elle conclut à l'annulation de l'arrêt attaqué et
reprend ses conclusions sur le fond; subsidiairement, elle demande le renvoi
de la cause à la cour cantonale.

L'intimée propose le rejet du recours et la confirmation de l'arrêt attaqué.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
1.1 Interjeté par la partie qui a succombé dans ses conclusions en paiement
et dirigé contre un jugement final rendu en dernière instance cantonale par
un tribunal supérieur (art. 48 al. 1 OJ) sur une contestation civile dont la
valeur litigieuse atteint le seuil de 8000 fr. (art. 46 OJ), le recours en
réforme est en principe recevable, puisqu'il a été formé en temps utile (art.
54 al. 1 et 34 al. 1 let. a OJ) dans les formes requises (art. 55 OJ).

1.2 Le recours en réforme est ouvert pour violation du droit fédéral (art. 43
al. 1 OJ). Il ne permet en revanche pas d'invoquer la violation directe d'un
droit de rang constitutionnel (art. 43 al. 1 2e phrase OJ) ou la violation du
droit cantonal (ATF 127 III 248 consid. 2c et les arrêts cités).

1.3 Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral doit conduire son
raisonnement sur la base des faits contenus dans la décision attaquée, à
moins que des dispositions fédérales en matière de preuve n'aient été
violées, qu'il y ait lieu à rectification de constatations reposant sur une
inadvertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou qu'il faille compléter les
constatations de l'autorité cantonale parce que celle-ci n'a pas tenu compte
de faits pertinents et régulièrement allégués (art. 64 OJ; ATF 127 III 248
ibidem). Dans la mesure où une partie recourante présente un état de fait qui
s'écarte de celui contenu dans la décision attaquée, sans se prévaloir avec
précision de l'une des exceptions qui viennent d'être rappelées, il n'est pas
possible d'en tenir compte (ATF 127 III 248 consid. 2c). Il ne peut être
présenté de griefs contre les constatations de fait, ni de faits ou de moyens
de preuve nouveaux (art. 55 al. 1 let. c OJ). Le recours n'est pas ouvert
pour se plaindre de l'appréciation des preuves et des constatations de fait
qui en découlent (ATF 127 III 543 consid. 2c; 126 III 189 consid. 2a; 125 III
78 consid. 3a).

1.3.1 En l'espèce, la recourante invoque l'inadvertance manifeste au sens de
l'art. 63 al. 2 2ème phrase OJ. La partie recourante qui se prévaut de cette
hypothèse doit démontrer l'inadvertance, c'est-à-dire normalement indiquer le
fait contesté et la pièce du dossier qui contredit la constatation cantonale
(art. 55 al. 1 let. d OJ; ATF 115 II 399 consid. 2a). Pour qu'il y ait
inadvertance manifeste, il faut que l'autorité cantonale se soit trompée sur
un fait établi sans équivoque et que cette erreur ne puisse s'expliquer que
par l'inattention, et non pas par une appréciation des preuves défectueuse
(cf. ATF 121 IV 104 consid. 2b; 109 II 159 consid. 2b; 108 II 216 consid.
1a).

En l'occurrence, la recourante n'établit l'inadvertance manifeste que sur un
point (recours p. 18 ch. 13), d'ailleurs non contesté par l'intimée. Comme ce
point ne pourrait modifier l'issue du litige, il n'y a pas lieu à
rectification (cf. ATF 95 II 503 consid. 2a in fine).

1.3.2 La recourante invoque également une violation des dispositions
fédérales en matière de preuve au sens de l'art. 63 al. 2 1ère phrase OJ.

En l'absence d'une disposition de droit fédéral instituant une présomption,
seul l'art. 8 CC entre en considération. Cette disposition, pour toutes les
prétentions fondées sur le droit fédéral (ATF 127 III 519 consid. 2a; 125 III
78 consid. 3b), répartit le fardeau de la preuve et détermine, sur cette
base, laquelle des parties doit assumer les conséquences de l'échec de la
preuve (ATF 127 III 519 consid. 2a; 126 III 189 consid. 2b). En revanche,
elle ne prescrit pas sur quelles bases et comment le juge peut forger sa
conviction (ATF 128 III 22 consid. 2d; 127 III 248 consid. 3a, 519 consid.
2a).

En l'espèce, on ne voit pas en quoi la cour cantonale aurait renversé le
fardeau de la preuve ou retenu un fait pertinent sans aucun raisonnement ni
aucun commencement de preuve. Il n'est ainsi pas question d'une violation des
règles de droit fédéral en matière de preuve.

1.3.3 La recourante demande également au Tribunal fédéral de compléter les
constatations de fait en application de l'art. 64 al. 2 OJ.

Elle se trompe cependant sur le sens et la portée de cette disposition.

L'art. 64 OJ est conçu pour l'hypothèse où, généralement en raison d'une
analyse juridique erronée, la cour cantonale n'a pas tenu compte de certains
faits parce qu'elle n'en a pas saisi la pertinence; dans ce cas, plutôt que
de renvoyer l'affaire à l'autorité cantonale (art. 64 al. 1 OJ), le Tribunal
fédéral peut lui-même compléter l'état de fait (art. 64 al. 2 OJ), pour
autant qu'il s'agisse d'ajouter des points accessoires, régulièrement
allégués et clairement établis (Poudret, COJ II, n. 3.2 ad art. 64 OJ;
Corboz, Le recours en réforme au Tribunal fédéral, in: SJ 2000 II p. 68).

Il n'y a rien de semblable en l'espèce.

1.3.4 En réalité, la recourante voudrait ajouter les éléments de preuve qui
militent en faveur de sa thèse, de manière à inviter le Tribunal fédéral à
revoir les conclusions de la cour cantonale sur la volonté réelle des parties
ou sur ce que l'une d'elles savait ou acceptait à un moment donné. Cette
démarche est étrangère au recours en réforme, qui - comme on l'a vu - n'est
pas ouvert pour se plaindre de l'appréciation des preuves et des
constatations de fait qui en découlent.

1.3.5 Partant, il convient d'écarter le long état de fait présenté par la
recourante (60 pages) et de conduire le raisonnement juridique sur la base
des constatations cantonales qui lient le Tribunal fédéral saisi d'un recours
en réforme (art. 63 al. 2 OJ).

Cela fait, il faut rappeler que la recourante ne peut fonder son
argumentation juridique sur son propre état de fait. Une telle manière de
procéder méconnaîtrait la fonction du recours en réforme. Il s'agit en effet
d'une voie de droit qui tend à faire contrôler l'application du droit fédéral
à un état de fait arrêté définitivement par l'autorité cantonale (Corboz, op.
cit., p. 2). Dès lors que le Tribunal fédéral est lié par les constatations
cantonales, toute argumentation juridique qui repose sur un autre état de
fait est d'emblée dépourvue de fondement.

1.4 Le Tribunal fédéral ne peut aller au-delà des conclusions des parties,
mais il n'est pas lié par les motifs qu'elles invoquent (art. 63 al. 1 OJ),
ni par l'argumentation juridique retenue par la cour cantonale (art. 63 al. 3
OJ; ATF 128 III 22 consid. 2e/cc p. 29; 127 III 248 consid. 2c; 126 III 59
consid. 2a).

2.
2.1 La recourante reproche à la cour cantonale d'avoir mal qualifié la
relation contractuelle entre les parties.

Selon l'art. 116 al. 1 LDIP, le contrat est régi par le droit choisi par les
parties.

Il a été retenu souverainement que les plaideurs ont choisi de soumettre
leurs relations contractuelles au droit suisse, de sorte que celui-ci est
applicable.

La recourante souligne que les parties ont conclu une relation contractuelle
complexe. Il est vrai que si la recourante a déposé des fonds auprès de
l'intimée en vue d'opérations futures, on peut discerner les caractéristiques
d'un dépôt irrégulier (art. 481 CO); si l'intimée lui a fait crédit, on peut
distinguer un prêt de consommation (art. 312 CO); il est d'autre part
vraisemblable que les parties sont convenues d'un contrat de compte courant
(sur cette figure juridique: cf. ATF 127 III 147 consid. 2a; 104 II 190
consid. 2a; 100 III 79). Ces précisions ne sont toutefois d'aucun secours
pour la recourante. En effet, le litige n'a pas trait à l'exécution de l'un
de ces rapports juridiques; par ailleurs, il s'agit de contrats
synallagmatiques qui ne comportent aucune obligation de veiller sur les
intérêts du cocontractant. Cette argumentation est donc impropre à fonder la
prétention de la recourante.

Le litige concerne exclusivement les transactions sur les devises exécutées
entre les parties.

La cour cantonale a retenu que les parties avaient conclu des contrats de
vente successifs (art. 184 CO). Sans doute pour bénéficier des règles sur le
mandat (art. 425 al. 2 CO), la recourante soutient pour sa part qu'il
s'agissait de contrats de commission (art. 425 al. 1 CO).

La qualification retenue par la cour cantonale est conforme à l'opinion de la
doctrine pour les transactions sur les devises (cf. Carlo Lombardini, Droit
bancaire suisse, Zurich 2002, p. 457; Emch/Montavon, Le monde et la pratique
bancaires suisses, tome II, n° 52.3.2 p. 126). On ne saurait cependant
exclure par principe l'existence d'un contrat de commission (cf. arrêt
C.349/1985 du 16 janvier 1986, consid. 1, in: in SJ 1986 p. 383). Pour
qualifier le contrat, il faut analyser la prestation promise par l'intimée,
ce qui conduit à interpréter la convention des parties.

En présence d'un litige sur l'interprétation d'une clause contractuelle, le
juge doit tout d'abord s'efforcer de déterminer la commune et réelle
intention des parties, sans s'arrêter aux expressions ou dénominations
inexactes dont elles ont pu se servir, soit par erreur, soit pour déguiser la
nature véritable de la convention (art. 18 al. 1 CO; ATF 127 III 444 consid.
1b). S'il y parvient, il s'agit d'une constatation de fait qui ne peut être
remise en cause dans un recours en réforme (ATF 126 III 25 consid. 3c, 375
consid. 2e/aa; 125 III 305 consid. 2b, 435 consid. 2a/aa). Il n'apparaît pas
en l'espèce que la cour cantonale ait déterminé la volonté réelle des
parties.

Si la volonté réelle des parties ne peut pas être établie ou si elle est
divergente, le juge doit interpréter les déclarations faites selon la théorie
de la confiance. Il doit donc rechercher comment une déclaration ou une
attitude pouvait être comprise de bonne foi en fonction de l'ensemble des
circonstances (cf. ATF 127 III 444 consid. 1b; 126 III 59 consid. 5b, 375
consid. 2e/aa p. 380).

L'application du principe de la confiance est une question de droit que le
Tribunal fédéral, saisi d'un recours en réforme, peut examiner librement (ATF
127 III 248 consid. 3a; 126 III 25 consid. 3c, 59 consid. 5a, 375 consid.
2e/aa p. 379; 125 III 305 consid. 2b, 435 consid. 2a/aa). Pour trancher cette
question de droit, il faut cependant se fonder sur le contenu de la
manifestation de volonté et sur les circonstances, lesquelles relèvent du
fait (ATF 126 III 375 consid. 2e/aa; 124 III 363 consid. 5a; 123 III 165
consid. 3a).
Dans le contrat de commission, le commissionnaire, moyennant une rémunération
(la provision), rend un service au commettant consistant à acheter ou vendre,
certes en son propre nom, mais pour le compte du commettant (art. 425 al. 1
CO). En l'espèce, il ne ressort pas de l'état de fait souverain que l'intimée
était chargée, moyennant rémunération, de rendre un service à la banque en
achetant ou vendant des devises en son nom mais pour le compte de la banque;
il a été au contraire constaté que l'intimée ne faisait qu'acheter et vendre
des devises entre ses clients, se livrant ainsi au commerce de ces valeurs,
son gain ou sa perte dépendant de la différence entre prix de vente et prix
d'achat. Sur la base d'un tel état de fait, la cour cantonale n'a pas violé
le droit fédéral en retenant que les parties n'ont pas manifesté de manière
concordante la volonté de conclure un contrat de commission au sens de l'art.
425 al. 1 CO. Dès lors qu'il apparaît que l'intimée faisait le commerce des
devises à son profit et à ses risques, il faut admettre que chaque
transaction a donné lieu à un contrat de vente entre les parties (art. 184
CO). L'argumentation contraire de la recourante est fondée largement sur des
faits non constatés dans l'arrêt cantonal, ce qui n'est pas admissible en
instance de réforme.

Le contrat-cadre attirait l'attention de la banque sur les risques des
opérations sur devises et précisait que l'intimée n'assumait aucune
responsabilité pour des conseils. Il résulte clairement de cette
manifestation de volonté que la banque achetait ou vendait à ses risques et
périls, sans que l'intimée ne se charge de la conseiller ou de veiller sur
ses intérêts. On ne discerne donc pas, en relation avec les transactions sur
devises, la moindre trace d'un contrat de mandat au sens des art. 394 ss CO.

2.2 Dans un contrat de vente, aucun des cocontractants n'est chargé de
veiller sur les intérêts de l'autre, puisque chacun défend des intérêts qui
s'opposent. Dès lors qu'il n'est pas contesté que les contrats de vente ont
été correctement exécutés par l'intimée, toute responsabilité contractuelle
de celle-ci est exclue.

Même si l'existence d'un contrat de commission avait été retenue, il n'est
pas certain que la solution aurait été différente. En effet, il ressort des
constatations cantonales que l'intimée n'était pas chargée de gérer les fonds
de la recourante; cette dernière décidait seule, de cas en cas, s'il y avait
lieu d'acheter ou de vendre. Il faut ici observer qu'il s'agit d'un
établissement bancaire, que les montants en jeu permettent de penser qu'elle
pouvait s'entourer de conseils appropriés et qu'il a été constaté que son
collaborateur était un spécialiste des opérations de change. La banque avait
d'ailleurs été avisée des risques liés aux opérations sur les devises et on
peut admettre, au vu de ses connaissances, qu'elle était en mesure de les
apprécier. Dans une telle situation, un commissionnaire doit seulement
exécuter avec soin les ordres qui lui ont été donnés - ce qui n'est pas
contesté en l'espèce -, mais il n'a pas à juger les choix de son client, ni à
le conseiller spontanément sur les développements probables des
investissements choisis et sur les mesures à prendre pour limiter les risques
(arrêt 4C. 97/1997 du 29 octobre 1997, consid. 6a, in: SJ 1998 p. 203; ATF
119 II 333 consid. 5 et 7). A fortiori, l'intimée n'assumait aucune
obligation contractuelle de surveiller les employés de son cocontractant et
de pallier ses insuffisances - dont elle ignorait l'existence - dans les
contrôles internes et l'organisation comptable.

Les arguments développés dans ce contexte par la recourante ne sont pas de
nature à conduire à un résultat différent.

La recourante se réfère à la loi fédérale du 24 mars 1995 sur les bourses et
le commerce des valeurs mobilières (RS 954.1); mais cette loi n'était pas en
vigueur à l'époque et n'est donc d'emblée pas applicable.

La recourante cite également le code de conduite de l'association cambiste
internationale. Qu'une association professionnelle ait jugé opportun
d'émettre des dispositions pour éviter des litiges du genre de celui-ci
n'enlève rien au fait qu'il s'agit de normes émanant d'une association
privée, qui ne lient pas les tiers, notamment l'intimée. Selon les
constatations cantonales, ce ne sont d'ailleurs que des recommandations, qui
ne sont donc pas contraignantes. On ne voit pas davantage pourquoi les
directives de la Banque d'Angleterre seraient applicables en l'espèce.
Déterminer s'il existe un usage est une question de fait qui ne peut être
remise en cause dans un recours en réforme (ATF 128 III 22 consid. 2c). Au
demeurant, il n'a pas été établi que l'intimée savait que la banque agissait
pour son propre compte, et non pas pour le compte de divers clients;
déterminer ce qu'une personne savait ou ignorait à un moment donné relève des
constatations de fait qui ne peuvent être remises en cause dans un recours en
réforme (ATF 124 III 182 consid. 3); en conséquence, la demanderesse n'ayant
pas prouvé le contraire, il faut retenir que la défenderesse était dans
l'ignorance et qu'il lui était ainsi d'autant plus difficile d'apprécier si
les commandes excédaient à l'évidence la capacité financière du client.

Les clauses contractuelles sur la limite du crédit, sur la fourniture des
marges et sur le règlement quotidien avaient manifestement pour but de
protéger l'intimée contre le risque d'une insolvabilité de la banque. Cette
dernière ne peut donc pas se plaindre si la défenderesse s'est montrée souple
et a accepté de conclure avec la banque au-delà des limites que celle-là
avait fixées dans son propre intérêt. Dans la mesure où la recourante
soutient que ces règles étaient également conçues en sa faveur, son opinion
ne trouve aucun point d'appui dans les constatations cantonales. Il
n'apparaît en effet nullement qu'elle ait manifesté la volonté de se méfier
de ses propres employés et qu'elle ait imposé dans ce but des limites à son
cocontractant.

2.3 La recourante invoque également la responsabilité fondée sur la confiance
(sur cette notion: cf. par exemple Hans Peter Walter, La responsabilité
fondée sur la confiance dans la jurisprudence du Tribunal fédéral, in: La
responsabilité fondée sur la confiance, Journée de la responsabilité civile
2000, p. 147 ss).

Il ne ressort cependant pas des constatations cantonales que l'intimée aurait
pu, par un comportement ou des déclarations déterminées, éveiller chez la
recourante l'assurance qu'elle surveillerait l'employé de celle-ci ou
refrénerait les opérations. Il résulte au contraire du mémoire de recours que
la banque avait bien compris que la défenderesse avait avantage à ce que les
volumes soient importants, de sorte que les intérêts des parties pouvaient
diverger et qu'il incombait à la recourante de veiller à la sauvegarde de ses
propres intérêts. On ne voit donc aucune circonstance particulière qui puisse
donner lieu in casu à une responsabilité fondée sur la confiance.

Il est vrai que celui qui, sans y être obligé contractuellement, donne des
renseignements inexacts peut engager sa responsabilité (cf. ATF 111 II 471
consid. 3; cf. aussi ATF 121 III 350 consid. 6c). Il n'a cependant pas été
retenu en l'espèce que l'intimée aurait donné des renseignements faux ou
inexacts, de sorte qu'il n'y a pas lieu d'approfondir la question sous cet
angle.

2.4 La recourante invoque enfin la responsabilité pour un acte illicite que
l'on suppose commis en Suisse par l'intimée (art. 133 al. 2 LDIP) puisque
l'art. 41 CO est mentionné.

Selon la jurisprudence, un acte est illicite au sens de cette disposition
s'il porte atteinte à un droit absolu, sans qu'il existe un fait
justificatif; dans le cas d'une simple atteinte aux intérêts patrimoniaux, il
n'y a acte illicite que si l'auteur a violé une norme de comportement qui a
pour but de protéger le lésé contre ce genre de dommage (ATF 123 III 306
consid. 4a; 122 III 176 consid. 7b p. 192; 119 II 127 consid. 3). Il
appartient au lésé de prouver la violation d'une norme protectrice dont le
but est de lui éviter un dommage patrimonial du genre de celui qu'il a subi
(ATF 125 III 86 consid. 3b; 119 II 127 consid. 3).

En l'espèce, la recourante n'invoque pas la violation d'un droit absolu, mais
une atteinte à ses intérêts patrimoniaux. Il lui appartenait donc d'établir
la violation d'une norme protectrice, constituant un devoir général, dont le
but était de lui éviter un dommage patrimonial du genre de celui qu'elle a
subi. Or, la demanderesse n'indique pas quelle norme protectrice aurait été
violée, de sorte que ce grief est d'emblée insuffisamment motivé (cf. art. 55
al. 1 let. c OJ).

Il semble que ce moyen se rapporte exclusivement à l'affaire du swap. A ce
sujet, il a été constaté en fait qu'un tel swap était certes inhabituel, mais
néanmoins relativement courant. La dissimulation de la perte n'a été rendue
possible qu'en raison d'une mauvaise organisation comptable de la banque,
dont il n'est pas établi que l'intimée avait connaissance. Il résulte de ces
éléments que la cour cantonale n'est pas parvenue à la conviction que
l'intimée avait compris le but poursuivi par l'employé indélicat. Il s'agit
là d'une question concernant l'appréciation des preuves et l'établissement
des faits, qui ne peut être remise en cause dans un recours en réforme. Du
moment qu'il n'est pas prouvé que l'intimée avait compris le but
dissimulateur du swap, on ne voit pas comment on pourrait retenir qu'elle a
participé à une éventuelle infraction pénale commise par l'employé à
l'encontre de son employeur. Il suit de là que l'on ne parvient pas à
discerner l'acte illicite prétendument commis par l'intimée (respectivement
ses organes ou employés). La critique est privée de tout fondement.

2.5 De manière vague et allusive, la recourante semble aussi soutenir que
l'employé aurait excédé les limites de son pouvoir de représentation. Comme
il n'est pas constaté que la recourante aurait exercé son activité en Suisse
ou à partir de la Suisse (cf. art. 159 LDIP), cette question est régie par le
droit tunisien (art. 155 let. i et art. 154 al. 1 LDIP). S'agissant d'une
contestation de nature pécuniaire, le recours en réforme ne permet pas de
soulever pour la première fois devant le Tribunal fédéral une question
relevant du droit étranger, étant donné que le recours n'est ouvert que pour
violation du droit fédéral (cf. art. 43 al. 1 et 43a al. 2 OJ a contrario).
Au demeurant, l'idée d'une révocation ou d'une limitation des pouvoirs de
représentation ne trouve aucun point d'appui dans l'état de fait déterminant.

3.
Le recours doit être entièrement rejeté, l'arrêt attaqué étant confirmé. Vu
l'issue de la querelle, les frais et dépens seront mis à la charge de la
recourante (art. 156 al. 1 et 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté et l'arrêt attaqué est confirmé.

2.
Un émolument judiciaire de 50 000 fr. est mis à la charge de la recourante.

3.
La recourante versera à l'intimée une indemnité de 60 000 fr. à titre de
dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la
Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève.

Lausanne, le 22 juillet 2002

Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier: