Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilabteilung 4C.148/2002
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4C.148/2002 /ech

Arrêt du 30 juillet 2002
Ire Cour civile

Les juges fédéraux Walter, président de la Cour, Corboz et Favre,
greffière de Montmollin.

X. ________ SA,
défenderesse et recourante, représentée par Me Bernard Katz, avocat, avenue
C.-F. Ramuz 60, case postale 24,
1001 Lausanne,

contre

A.________,
B.________,
C.________,
demandeurs et intimés,
tous trois représentés par Me Gilles Robert-Nicoud, avocat, place
Benjamin-Constant 2, case postale 67, 1002 Lausanne.

représentation; contrat avec soi-même

(recours en réforme contre le jugement de la Cour civile du Tribunal cantonal
du canton de Vaud du 7 septembre 2001)

Faits:

A.
Y. ________ SA, dont les actionnaires sont A.________, B.________ et
C.________, était propriétaire de la parcelle n° ... de la commune de
Z.________, supportant un bâtiment. Elle avait pour administrateur
A.________, avec signature individuelle.

La société a été dissoute le 5 décembre 1995, pour devenir Y.________ SA en
liquidation. A.________ a été inscrit au Registre du commerce comme
liquidateur, avec signature individuelle, dès le 11 décembre 1995. Le 20
décembre 1995, Y.________ SA en liquidation a transféré la propriété de son
immeuble à ses trois actionnaires, qui en sont devenus copropriétaires dans
une proportion correspondant au nombre d'actions que chacun d'eux détenait
dans la société immobilière.

En 1989, Y.________ SA avait confié la gérance de son immeuble à X.________
SA; un litige s'est développé entre les parties à propos de la restitution du
solde du compte de gérance.

B.
Le 20 septembre 1996, A.________, B.________ et C.________ ont introduit une
demande contre X.________ SA pour obtenir le paiement du  solde du compte de
gérance. Dans leur dernier état, leurs conclusions portaient sur un montant
de 9644 fr.45 avec intérêts.

Le 3 octobre 1997, A.________, agissant au nom de Y.________ SA en
liquidation, a signé un acte aux termes duquel il était confirmé que la
société cédait aux demandeurs la créance qu'elle détenait à l'encontre de la
défenderesse du chef du contrat de gérance relatif à l'immeuble déjà cédé aux
mêmes, et qui se montait à 9644 fr. 45 avec intérêts à 5 3/4 % l'an dès le
1er janvier 1996.

Par jugement du 7 septembre 2001, la Cour civile du Tribunal cantonal du
canton de Vaud a condamné la défenderesse à payer aux demandeurs la somme de
9644 fr.45 avec intérêts à 5 % l'an dès le 16 mars 1996.

C.
La défenderesse recourt en réforme au Tribunal fédéral contre le jugement du
7 septembre 2001, concluant en substance à sa libération de toute
condamnation. Elle soutient que la "cession de créance" du 3 octobre 1997 est
nulle, de sorte que les demandeurs ne seraient pas titulaires du droit qu'ils
invoquent en justice.

Les demandeurs concluent au rejet du recours dans la mesure où il est
recevable.

Le Tribunal cantonal se réfère à son jugement.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
1.1 Les demandeurs soutiennent que le recours en réforme est irrecevable. Ils
allèguent que la seule référence légale invoquée est l'art. 8 CC, alors que
la question pertinente concerne l'appréciation de la force probante d'un
titre, la cession de créance, qui ne peut être revue que par la voie du
recours de droit public.

Il est exact que lorsque le juge cantonal a été convaincu de l'existence ou
de l'inexistence d'un fait pertinent sur la base d'une appréciation des
preuves, la question de la répartition du fardeau de la preuve ou du droit à
la preuve ne se pose plus, et que le grief de violation de l'art. 8 CC
devient sans objet (ATF 122 III 219 consid. 3c p. 223). L'appréciation d'une
preuve documentaire - comme un acte de cession de créance - et généralement
de toute autre preuve selon le droit cantonal de procédure déterminant, ou
subsidiairement d'après les exigences minimales fixées par les art. 9 et 29
al. 1 Cst., ne peut être soumise au Tribunal fédéral que par le biais d'un
recours de droit public (ATF 119 III 60 consid. 2c p. 63; 117 II 387 consid.
2e). Dans ce sens, le recours en réforme est irrecevable.

La défenderesse ne se borne toutefois pas à invoquer l'art. 8 CC; elle
soutient aussi une argumentation fondée sur l'art. 33 CO et le contrat avec
soi-même, pour prétendre que la cession de créance du 3 octobre 1997 serait
nulle, ce qui impliquerait le défaut de légitimation active des demandeurs.
La défenderesse se réfère également expressément à l'art. 167 CO en faisant
valoir que la cession de créance n'aurait pas été portée à sa connaissance
par la cédante. En cela, le recours en réforme est recevable, puisqu'il
indique succinctement en quoi consiste la violation du droit fédéral, aux
yeux de la défenderesse, qui a ainsi développé des moyens de droit sur la
base des faits établis par la juridiction cantonale (Poudret, COJ II, n.
1.5.2.3 ad art. 55).

1.2 Pour le reste, le recours est déposé dans les formes et délai légaux.

2.
2.1 La cour cantonale a considéré que la cession de créance du 3 octobre 1997,
constatée par écrit selon les exigences de l'art. 165 CO, était valable en la
forme et que la correction du défaut originel de légitimation active pouvait
intervenir en cours d'instance. Le jugement n'est à juste titre pas discuté
sur ces points, et il n'y a pas lieu d'y revenir.

Relevant que la cédante avait agi par son liquidateur, qui était en même
temps l'un des cessionnaires, la cour cantonale a retenu qu'on était en
présence d'un contrat avec soi-même, en principe illicite et partant nul.
Elle a toutefois jugé que les conditions permettant d'admettre malgré tout la
validité de l'acte litigieux étaient réunies en l'espèce, dans la mesure où
la cédante devait être liquidée et où l'immeuble avait déjà été transféré
sans contrepartie aux demandeurs; la cession de créance correspondait ainsi
aux tâches du liquidateur et n'avait pas porté préjudice à la cédante. Par
ailleurs, puisque les cocontractants étaient actionnaires de la cédante,
celle-ci ne pouvait ignorer l'acte et l'avait, à tout le moins, ratifié par
actes concluants. Au surplus, la défenderesse n'avait pas la qualité pour se
plaindre de l'invalidité de la cession.

2.2 La défenderesse persiste à soutenir que le contrat avec soi-même que
constitue la cession du 3 octobre 1997 est nul. Selon elle, la cession,
opérée à titre gratuit, porte préjudice à la société immobilière et aux
créanciers de celle-ci. De plus, les demandeurs n'ont pas prouvé que la
cédante ait spécialement autorisé ou ratifié cette transaction. La
défenderesse conteste en outre ne pas disposer de la qualité pour se plaindre
du contrat avec soi-même, s'agissant d'un cas de nullité. Enfin, fait-elle
valoir, l'avis de cession émanerait des cessionnaires, sans confirmation par
la cédante, de sorte qu'elle serait en droit de refuser le paiement.

3.
3.1 Selon la jurisprudence constante et l'opinion dominante, la conclusion
d'un contrat par le représentant avec lui-même - en ce domaine, on assimile
les actes des représentants au sens des art. 32 ss CO et ceux des organes
d'une personne morale - est en principe illicite en raison des conflits
d'intérêts qu'elle génère. L'acte juridique passé de cette manière est donc
nul à moins que le risque de porter préjudice au représenté ne soit exclu par
la nature de l'affaire, que celui-ci n'ait spécialement autorisé le
représentant à conclure le contrat ou qu'il ne l'ait ratifié par la suite.
Les mêmes règles s'appliquent à la double représentation (ATF 127 III 332
consid. 2a; 126 III 361 consid. 3a; 95 II 442 consid. 5; 89 II 321 consid. 5
; Roger Zäch, Commentaire bernois, n. 80 ss ad art. 33 CO; Rolf Watter,
Commentaire bâlois, 2ème éd., n. 19 ad art. 33 CO).
Aux termes de l'art. 718 al. 1 2ème phrase CO, chaque membre du conseil
d'administration d'une société anonyme a le pouvoir de la représenter, ce qui
signifie que chacun d'eux, individuellement, peut aussi ratifier après coup
un contrat avec soi-même passé par un autre membre du conseil (ATF 127 III
332 consid. 2b/aa et les références). Lorsque le contrat avec soi-même est
passé par l'unique membre du conseil d'administration, toute ratification
relève de la compétence de l'assemblée générale, en tant qu'organe de rang
supérieur (ATF 127 III 332 consid. 2b/aa). Dans la mesure où le pouvoir de
représentation du liquidateur ne connaît aucune restriction autre que celles
impliquées par le but de la liquidation (Christoph Stäubli, Commentaire
bâlois, n. 17 ad art. 743 CO), des principes semblables peuvent lui être
appliqués.

Même si l'acte litigieux est soumis à une forme particulière, comme en
l'espèce, sa ratification (art. 38 CO) peut intervenir par actes concluants,
voire tacitement lorsque les règles de la bonne foi en veulent ainsi; la
question nécessite toujours une appréciation de l'ensemble des circonstances
(ATF 93 II 302 consid. 4; Engel, Traité des obligations en droit suisse, 2ème
éd., p. 404/405). Il a par exemple été jugé, dans une affaire présentant de
nombreuses similitudes avec la présente cause, que le contrat passé au nom
d'une société anonyme par l'administrateur qui en possédait toutes les
actions était valable, alors même que ledit administrateur n'avait pas le
droit d'engager la société par sa seule signature; on devait en effet
admettre en pareil cas qu'il y avait eu ratification tacite par la société,
dont en l'occurrence les intérêts coïncidaient avec ceux de l'unique
actionnaire faute de créancier ou d'autres actionnaires - ce d'autant plus
que l'administrateur aurait toujours eu la possibilité d'obtenir une
ratification formelle en constituant le conseil d'administration ou en
convoquant une assemblée générale au moyen d'hommes de paille ou encore de
faire conclure le contrat litigieux par des organes sociaux constitués de
cette manière (ATF 50 II 168 consid. 4 et 5).

3.2 Qu'il s'agisse d'un contrat avec soi-même ou de double représentation,
l'appréciation des possibilités de conflits d'intérêts s'examine de manière
identique; l'accent est mis sur la protection de la partie représentée. Dans
le cas particulier, le liquidateur devait accomplir les tâches prescrites à
l'art. 743 al. 1 CO (Stäubli, op. cit., n. 2 ad art. 743 CO), le but de la
société immobilière étant restreint à ces dernières depuis sa mise en
liquidation. Bien que non comprise dans l'acte de transfert du 20 décembre
1995, la créance cédée concernait la gérance de l'immeuble repris par les
actionnaires dans le cadre de la liquidation, et c'est à bon droit que la
cour cantonale a considéré que la cession entrait dans les tâches du
liquidateur et le but social ainsi limité. Certes, cette cession de créance,
opérée à titre gratuit en faveur des actionnaires, comme d'ailleurs avant
elle la cession de l'immeuble, était susceptible de représenter un risque
pour les créanciers de la société, qui se vidait de ses actifs au profit de
personnes juridiques distinctes. Même si ce critère a été mentionné dans la
jurisprudence ancienne du Tribunal fédéral (ATF 50 II 168), l'absence de
créancier n'est cependant pas déterminante (ATF 93 II 461 consid. 6a). Les
créanciers disposent si nécessaire de l'action révocatoire au sens des art.
285 ss LP (Zäch, Commentaire bernois, n. 82 ad art. 33 CO et les références),
ou s'agissant d'une société en liquidation des moyens tirés des art. 742 ss
CO, voire de l'action en responsabilité de l'art. 754 CO. Il serait contraire
au principe de la liberté contractuelle d'interdire le contrat avec soi-même
ou la double représentation chaque fois qu'un créancier de la société court
le risque de devoir subir un préjudice. Le représenté peut  autoriser le
pseudo-représentant à conclure avec lui-même ou le cas échéant en qualité de
double représentant, même en mettant en danger l'intérêt de ses créanciers ou
en prenant le risque d'une mise en faillite (ATF 126 III 361 consid. 5a).
Dans les limites que leur assignent l'ordre public, les bonnes moeurs et les
droits attachés à la personnalité, les parties n'ont pas à se soucier de
l'intérêts des tiers, notamment des créanciers. Le représenté demeure libre
d'autoriser ou de modifier un acte qui le lésera peut-être ou même sûrement
(ATF 93 II 461 consid. 6a).

Dans les circonstances d'espèce, il n'est pas douteux qu'une telle
ratification aurait eu lieu, voire que l'acte litigieux avait été autorisé
par avance. Tout d'abord, la cession intervenait, on le sait, dans le cadre
d'une liquidation; par définition, la société était vouée à la disparition à
court terme; les actifs devaient être réalisés et leur solde, après paiement
des dettes, revenir aux actionnaires, soit en l'occurrence aux cessionnaires
(art. 745 CO). L'immeuble concerné par le contrat de gérance litigieux avait
déjà été transféré sans contrepartie à ces derniers. L'état de fait liant le
Tribunal fédéral (art. 63 al. 2 OJ) n'indique au reste pas l'existence de
créances en suspens contre la société en liquidation, hormis éventuellement
celle invoquée reconventionnellement par la défenderesse pour des travaux de
"gérance extraordinaire". Ensuite et surtout, les cessionnaires constituaient
également ensemble la totalité de l'actionnariat de la cédante, donc
l'assemblée générale de celle-ci. Ils avaient par conséquent toujours la
faculté de donner une procuration ou de procéder à une ratification en se
réunissant de façon informelle comme le permet l'art. 701 CO, et il paraît
évident que leur volonté était de valider l'acte litigieux (en ce sens déjà,
cf. ATF 50 II 168 consid. 6 in fine). En n'exigeant pas, comme la
défenderesse le reproche à la cour cantonale, la preuve de la convocation et
de la tenue d'une assemblée générale ou le procès-verbal des décisions qui
s'y seraient prises - dont l'établissement n'est pas une condition de
validité des décisions concernées dans le cas présent
(Forstmoser/Meier-Hayoz/Nobel, Schweizerisches Aktienrecht, par. 23 N. 120) -
la cour cantonale n'a donc pas violé le droit fédéral, singulièrement l'art.
8 CC.

La solution n'est pas différente si l'on examine la situation de la
défenderesse sous l'angle des dispositions destinées à protéger le débiteur
cédé dans le cadre d'une cession de créance: ce dernier peut certes invoquer
le défaut de pouvoir du pseudo-représentant du cédant (Engel, op. cit., p.
884), mais les règles des art. 32 ss CO trouvent alors application (Spirig,
Commentaire zurichois, n. 25 ad art. 169 CO).

3.3 Quant à la notification de la cession à la débitrice cédée, elle est
intervenue   devant le Tribunal cantonal, la cession étant portée à la
connaissance de la défenderesse tant par la partie adverse, à savoir les
demandeurs cessionnaires, que par la cédante représentée par son liquidateur
(art. 167 CO; Gauch/Schluep/Schmid/Rey, Schweizerisches Obligationenrecht,
Allgemeiner Teil, 7ème éd., tome II, n. 3617). Ainsi, la recourante peut
valablement s'acquitter de sa dette auprès des cessionnaires.

4.
Vu l'issue du recours, la recourante, qui succombe, est condamnée au paiement
d'un émolument de 2000 fr. ainsi qu'à celui d'une indemnité de 2500 fr. à
titre de dépens en faveur des intimés, créanciers solidaires.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours en réforme est rejeté dans la mesure où il est recevable et le
jugement attaqué est confirmé.

2.
Un émolument judiciaire de 2000 fr. est mis à la charge de la recourante.

3.
La recourante versera aux intimés, créanciers solidaires, une indemnité de
2500 fr. à titre de dépens.

4. Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à
la Cour civile du Tribunal cantonal du canton de Vaud.

Lausanne, le 30 juillet 2002

Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  La greffière