Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

II. Öffentlich-rechtliche Abteilung 2A.520/2002
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2A.520/2002/sch

Arrêt du 17 juin 2003
IIe Cour de droit public

MM. les Juges Wurzburger, Président, Hungerbühler, Müller, Merkli et Seiler,
Juge suppléant.
Greffier: M. Langone.

la société Entreprises Electriques Fribourgeoises (EEF), boulevard de
Pérolles 25, 1700 Fribourg,
recourante, représentée par Maîtres Dominique Dreyer
et Markus Jungo, avocats, boulevard de Pérolles 7,
1700 Fribourg,

contre

Watt Suisse AG, 6032 Emmen, représentée par Me Marc Bernheim, avocat, Etude
Staiger, Schwald & Roesle, Genferstrasse 24, 8002 Zurich,
Fédération des Coopératives Migros,
8000 Zurich, représentée par Me Ralph Schmid, avocat, Dufourstrasse 29, Case
postale 1372, 8032 Zurich,
Commission de la concurrence,
Monbijoustrasse 43, 3003 Berne,
intimés,
Commission de recours pour les questions de concurrence, 3202 Frauenkappelen.

restrictions illicites à la concurrence,
recours de droit administratif contre la décision de la Commission de recours
pour les questions de concurrence du 17 septembre 2002.

Faits:

A.
La société Entreprises électriques fribourgeoises (ci-après: EEF) était,
selon l'art. 1er de l'ancienne loi fribourgeoise du 18 septembre 1998 sur les
Entreprises électriques fribourgeoises (LEEF ou loi de 1998 sur les EEF; en
vigueur du 1er avril 1999 au 31 janvier 2001), un établissement de droit
public distinct de l'Etat, ayant qualité de personne morale. Par la loi du 19
octobre 2000 sur le statut des Entreprises électriques fribourgeoises et de
leur Caisse de pensions (LSEEF ou loi de 2000 sur le statut des EEF; acceptée
en votation populaire le 10 juin 2001 et entrée en vigueur le 1er janvier
2002), la société EEF a été transformée en société anonyme selon les art. 620
ss CO. Elle produit de l'électricité et exploite un réseau électrique dans le
canton de Fribourg.

B.
La Fédération des Coopératives Migros (ci-après: Migros) possède des filiales
dans le canton de Fribourg, notamment Estavayer Lait SA (ci-après: ELSA) à
Estavayer-le-Lac et Micarna SA (ci-après: Micarna) à Courtepin. Ces deux
sociétés sont approvisionnées en énergie électrique par EEF. En 1999, Migros
a conclu (notamment pour ses sites de production sis dans le canton de
Fribourg) un contrat de fourniture en énergie électrique avec Watt Suisse AG
(ci-après: Watt). Les sociétés ELSA et Micarna ont résilié les contrats de
livraison d'énergie qui les liaient à la société EEF d'une part et demandé
d'autre part à cette dernière de faire transiter le courant électrique acheté
à Watt par le réseau exploité par EEF. Celle-ci a toutefois rejeté cette
dernière requête jusqu'à l'entrée en vigueur de la nouvelle loi fédérale sur
le marché de l'électricité.

Le 14 février 2000, Watt et Migros ont requis du secrétariat de la Commission
de la concurrence d'ouvrir une enquête préalable et une enquête au sens des
art. 26 et 27 de la loi fédérale du 6 octobre 1995 sur les cartels et autres
restrictions à la concurrence (loi sur les cartels; LCart; RS 251) notamment
à l'encontre de la société EEF. Migros a en outre demandé que EEF soit
obligée de mettre son réseau électrique à disposition du fournisseur
d'énergie qui entend approvisionner en électricité les sites de production de
Migros, soit ELSA, respectivement Micarna, moyennant une taxe d'utilisation
du réseau de 31 fr. 60, respectivement 32 fr. 30 par MWh. Cette requête était
motivée par le fait que EEF refusait de faire transiter sur son réseau
l'énergie fournie par Watt, ce qui constituerait une pratique illicite de la
part d'une entreprise ayant une position dominante au sens de l'art. 7 LCart.
De plus, il n'existerait pas, dans ce secteur, un régime de marché de
caractère étatique excluant, selon l'art. 3 al. 1 LCart, toute application de
la loi sur les cartels. Des requêtes analogues ont été déposées à l'encontre
d'Elektra Baselland (EBL) et du Service intercommunal de l'électricité SA
(SIE).

Le secrétariat de la Commission de la concurrence a ouvert une enquête
préliminaire (art. 26 LCart) et a donné l'occasion aux parties concernées de
se déterminer. Par courrier du 10 avril 2000, EEF a soutenu que le
législateur fribourgeois a établi un régime de marché particulier pour la
distribution de l'électricité, ce qui excluait l'application de la loi sur
les cartels, conformément à l'art. 3 al. 1 LCart. De plus, l'art. 7 LCart ne
serait pas violé.

Les conclusions du rapport ayant été rendues le 9 juin 2000 à l'issue de
l'enquête préliminaire (RPW/DPC 2000 p. 153 ss), le secrétariat de la
Commission de la concurrence a ouvert une enquête d'entente avec un membre de
la présidence de la commission (art. 27 LCart). Le 15 décembre 2000, le
secrétariat précité a envoyé un projet de décision aux participants à
l'enquête, conformément à l'art. 30 al. 2 LCart. Il était prévu de constater
que la société EEF occupait une position dominante dans sa zone de
distribution au sens de l'art. 4 al. 2 LCart et qu'elle violait l'art. 7
LCart en refusant de faire transiter l'électricité de Watt sur son réseau.

Par courrier du 22 février 2001, EEF a requis:
"- que les enquêtes à l'encontre des EEF, de EBL et de SIE soient
jointes,
- qu'une décision au sens de l'art. 9 al. 1 PA soit rendue sur la
compétence  de la Commission de la concurrence, respectivement de son
secrétariat,  pour mener l'enquête en cours selon les art. 26 ss LCart,
- que la Commission de la concurrence communique aux EEF une copie de
 l'arrêt du Tribunal fédéral du 5 février 2001 dans l'affaire ISM/SMA
 (2A.430/ 2000) dès que celui-ci aura été notifié par le TF et qu'un
délai de  10 jours soit alors imparti aux EEF pour compléter leur
argumentation sur  la question incidente de la compétence,
- que la procédure de l'enquête soit suspendue jusqu'à ce qu'une
décision  définitive et exécutoire soit rendue sur la compétence,
- qu'un nouveau délai soit imparti aux EEF pour déposer leur
détermination  sur la suite de la procédure au fond, le cas échéant, lorsque
la décision  définitive et exécutoire sur la compétence aura été rendue."
La société EEF faisait valoir que, vu la réglementation cantonale excluant le
marché en cause de la concurrence conformément à l'art. 3 al. 1 LCart, la
Commission de la concurrence ne serait pas compétente pour se prononcer. EEF
disposerait d'un monopole institué par la loi pour l'approvisionnement de
l'électricité. Le transport de l'électricité sur les réseaux serait réglé de
manière exhaustive par les art. 43 et 44 de la loi fédérale du 24 juin 1902
sur les installations électriques à faible et à fort courant (loi sur les
installations électriques, LIE; RS 734.0) ou par la loi sur le marché de
l'électricité, de sorte que la Commission de la concurrence ne serait pas
compétente. EEF a en outre requis des mesures d'instruction complémentaires
en ce qui concerne l'interprétation du droit cantonal, fédéral et européen.

C.
Par décision du 5 mars 2001 (RPW/DPA 2001 p. 255), la Commission de la
concurrence a rejeté l'ensemble des conclusions de EEF du 22 février 2001
(ch. 1) et constaté que EEF jouissait d'une position dominante au sens de
l'art. 4 al. 2 LCart sur les marchés de la distribution régionale et
supra-régionale et de la fourniture du courant électrique dans sa zone de
distribution (ch. 2). Elle a encore constaté que, en ayant refusé de faire
transiter l'électricité de Watt AG sur son réseau pour l'approvisionnement
des sites d'ELSA à Estavayer-le-Lac et de Micarna à Courtepin à partir du 1er
janvier 2000, la société EEF avait abusé et continuait d'abuser de sa
position dominante au sens de l'art. 7 LCart (ch. 3).

La Commission de la concurrence a considéré qu'une jonction des causes ne se
justifiait pas, puisque les trois entreprises EEF, EBL et SIE étaient actives
dans trois cantons différents, ainsi que sur trois marchés de référence
différents et pouvaient avoir des raisons différentes justifiant leur
comportement. Une décision incidente sur la compétence de la Commission de la
concurrence ne se justifiait plus au stade final de l'enquête, à la veille de
la décision finale. La compétence de la Commission de la concurrence pour
prendre sa décision résultait de l'art. 18 al. 3 LCart et n'était pas non
plus restreinte par les art. 43 et 44 LIE. Cette compétence ne serait
transférée à la Commission fédérale d'arbitrage prévue dans la loi sur le
marché de l'électricité du 20 décembre 2000 qu'à partir de son entrée en
vigueur. La société EEF avait une position dominante au sens de l'art. 4 al.
2 LCart. Au niveau fédéral, ni la la loi fédérale sur les installations
électriques, ni la loi fédérale du 26 juin 1998 sur l'énergie (LEne ou loi
fédérale sur l'énergie; RS 730.0) n'excluaient le marché en cause de la
concurrence au sens de l'art. 3 al. 1 LCart et la loi sur le marché de
l'électricité n'était pas encore entrée en vigueur. Au niveau cantonal, si la
loi de 1998 sur les EEF prévoyait une obligation d'approvisionnement pour
EEF, elle ne constituait cependant pas une base légale suffisante pour fonder
un monopole pour la fourniture d'électricité. Un monopole de fait ne pouvait
pas constituer une prescription réservée au sens de l'art. 3 al. 1 LCart. Il
y avait comportement illicite au sens de l'art. 7 LCart lorsqu'une entreprise
ayant une position dominante refusait, sans raisons objectives, de donner
accès, contre une rémunération adéquate, à ses réseaux ou à d'autres
infrastructures à une autre entreprise. Il n'existait pas non plus de motif
justificatif à ce refus.

D.
La société EEF a recouru le 7 mai 2001 contre cette décision auprès de la
Commission de recours pour les questions de concurrence (ci- après: la
Commission de recours), en concluant principalement à ce que la décision de
la Commission de la concurrence soit annulée et que la cause soit renvoyée à
cette autorité afin qu'elle prenne une décision incidente sur sa compétence.
Subsidiairement, EEF demandait que la décision attaquée soit annulée et qu'il
soit constaté que la Commission de la concurrence n'était pas habilitée, en
vertu de l'art. 3 LCart, à prendre une décision au sens de l'art. 30 LCart.
Plus subsidiairement, EEF concluait à l'annulation de la décision et au
renvoi de l'affaire à l'autorité inférieure afin que celle-ci lui octroie un
nouveau délai pour s'exprimer sur le fond et qu'il soit constaté que la
société EEF ne violait pas l'art. 7 LCart.

La Commission de recours a ordonné un échange d'écritures et a tenu une
audience le 3 septembre 2002. EEF a présenté une demande de suspension
motivée par l'imminence de la votation populaire fédérale du 22 septembre
2002 sur la loi sur le marché de l'électricité.

Par décision du 17 septembre 2002 (RPW/DPA 2002 p. 672 ss), la Commission de
recours a rejeté la requête de suspension et le recours.

E.
Agissant le 18 octobre 2002 par la voie du recours de droit administratif, la
société EEF demande, sous suite de frais et dépens, au Tribunal fédéral,
principalement, d'annuler la décision du 17 septembre 2002 et,
subsidiairement, d'annuler la décision attaquée et de renvoyer le dossier à
la Commission de recours pour suite de la procédure.

La Commission de recours a renoncé à déposer une réponse. La Commission de
la concurrence, Watt et  Migros ont conclu  au rejet du

recours. Dans sa réplique du 30 avril 2003, la société recourante a confirmé
ses conclusions. Il a été renoncé à demander le dépôt d'une duplique.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
1.1 Les décisions de la Commission de la concurrence prises sur la base du
chapitre 4 de la loi sur les cartels sont de nature administrative. Les
décisions prises sur recours par la Commission de recours pour les questions
de concurrence peuvent faire l'objet d'un recours de droit administratif
auprès du Tribunal fédéral (art. 97 al. 1 et 98 let. e OJ en relation avec
l'art. 5 al. 1 PA; ATF 129 II 18 consid. 1.1; 127 III 219 consid. 1a). En
tant qu'entreprise dont le comportement a été qualifié d'illicite par la
décision attaquée, EEF a qualité pour recourir (art. 103 let. a OJ). Il
convient donc d'entrer en matière sur le présent recours.

1.2 Le recours de droit administratif peut être formé pour violation du droit
fédéral, y compris l'excès et l'abus du pouvoir d'appréciation, ainsi que
pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (art. 104 OJ).
La Commission de recours pour les questions de concurrence constitue une
autorité judiciaire indépendante (art. 71c al. 1 PA; annexe 1 de l'ordonnance
du 3 février 1993 concernant l'organisation et la procédure des commissions
fédérales de recours et d'arbitrage [RS 173.31]; Paul Richli,
Kartellverwaltungsverfahren, in: Roland von Bühren/Lucas David [éd.],
Schweizerisches Immaterialgüter- und Wettbewerbsrecht, vol. V/2, Bâle 2000,
p. 417 ss, 501 s.). Le Tribunal fédéral est donc lié par les faits constatés
par la Commission de recours, sauf s'ils sont manifestement inexacts ou
incomplets, ou s'ils ont été établis au mépris de règles essentielles de la
procédure (art. 105 al. 2 OJ; ATF 129 II 18 consid. 1.2).
1.3 L'art. 7 LCart définit les pratiques illicites adoptées par les
entreprises ayant une position dominante. Selon l'art. 8 LCart, les pratiques
d'entreprises ayant une position dominante dont l'autorité compétente a
constaté le caractère illicite peuvent être autorisées par le Conseil fédéral
à la demande des entreprises concernées si, à titre exceptionnel, elles sont
nécessaires à la sauvegarde d'intérêts publics prépondérants. Il s'agit là
d'une exception de nature politique à l'idée de base de la loi fédérale sur
les cartels: l'économie doit être en principe régie par la loi du marché. Une
telle décision ne relève pas de la compétence des autorités de la concurrence
mais de celle de l'autorité politique, soit le Conseil fédéral. Il n'incombe
pas au Tribunal fédéral de tenir compte, dans le cadre de son examen de la
légalité des décisions de la Commission de la concurrence, respectivement de
la Commission de recours pour les questions de la concurrence, de tels motifs
politiques justifiant le cas échéant une dérogation au principe de la
concurrence (ATF 129 II 18 consid. 1.2).
1.4 Dans sa réplique, la recourante doute que les parties intimées aient
encore un intérêt à la procédure, étant donné que ELSA et Micarna lui
auraient demandé une offre pour un contrat de livraison d'électricité à
partir du 1er février 2003. L'on ne saurait toutefois en déduire que la
présente procédure est devenue sans objet, du moment que ELSA et Micarna
n'ont pas d'autre choix que de continuer à s'approvisionner en électricité
auprès de la recourante tant que la fourniture d'électricité par un tiers
n'est de fait pas possible.

2.
2.1 La recourante se plaint d'une violation de son droit d'être entendue (art.
29 al. 2 Cst.) et de formalisme excessif. Elle expose que, par acte du 22
février 2001 adressé à la Commission de la concurrence, elle a demandé une
décision incidente sur la compétence, ainsi qu'une suspension de la procédure
sur le fond jusqu'à droit connu sur la décision sur la compétence. Elle
ajoute qu'elle a sollicité différentes mesures d'instruction, et enfin, une
autre occasion de s'exprimer sur la cause au fond. La Commission de la
concurrence a cependant, par décision du 5 mars 2001, tranché le fond du
litige sans lui avoir offert à nouveau la possibilité de se déterminer. Selon
la recourante, c'est à tort que la Commission de recours a retenu qu'une
éventuelle violation du droit d'être entendu pouvait de toute façon être
réparée devant elle, étant donné que la Commission de recours n'aurait pas le
même pouvoir d'examen que la Commission de la concurrence.

2.2 Le droit d'être entendu, tel qu'il est garanti à l'art. 29 al. 2 Cst. et
aux art. 29 ss PA, comprend notamment le droit pour l'intéressé de s'exprimer
sur les éléments pertinents avant qu'une décision ne soit prise touchant sa
situation juridique, de produire des preuves pertinentes, d'obtenir qu'il
soit donné suite à ses offres de preuve pertinentes, de participer à
l'administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s'exprimer
sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à
rendre (ATF 127 I 54 consid. 1b; 124 I 48 consid. 3a p. 51; 122 I 53 consid.
4a p. 55 et les références citées). Le droit d'être entendu porte avant tout
sur les questions de fait. Les parties doivent éventuellement  aussi être
entendues sur les questions de droit lorsque l'autorité concernée entend se
fonder sur des normes légales dont la prise en compte ne pouvait pas être
raisonnablement prévue par les parties, lorsque la situation juridique a
changé ou lorsqu'il existe un pouvoir d'appréciation particulièrement large
(ATF 127 V 431 consid. 2b; 126 I 19 consid. 2c). En règle générale, le droit
d'être entendu ne donne en revanche pas le droit de s'exprimer sur un projet
de décision pris à l'issue d'une procédure d'instruction. L'art. 30 al. 2
LCart, prévoyant que les participants à l'enquête peuvent communiquer leur
avis par écrit sur la proposition de décision, accorde ainsi des garanties
supplémentaires par rapport au droit d'être entendu consacré par la
Constitution ou la PA (Message du 23 novembre 1994 concernant la loi fédérale
sur les cartels et autres restrictions de la concurrence, in: FF 1995 I p.
472 ss, 595; Stefan Bilger, Das Verwaltungsverfahren zur Untersuchung von
Wettbewerbsbeschränkungen, Fribourg 2002, p. 275, 277).

2.3 En l'espèce, la Commission de la concurrence a envoyé un projet de
décision à la recourante le 15 décembre 2000, conformément à l'art. 30 al. 2
LCart, et lui a donné l'occasion de se déterminer jusqu'au 22 janvier 2001.
Le 22 janvier 2001, la recourante a sollicité une prolongation du délai
jusqu'au 28 février 2001. Le 24 janvier 2001, la Commission de la concurrence
a accordé une prolongation jusqu'au 22 février 2001, en indiquant qu'une
deuxième prolongation ne pourrait être accordée que sur la base de motifs
justifiés.

Par lettre du 22 février 2001, la recourante a notamment demandé de lui
accorder un nouveau délai pour s'exprimer sur le fond. En même temps, la
recourante s'est exprimée sur la portée de l'art. 3 LCart et du droit
cantonal pertinent.

Celui qui, dans le cadre d'un délai fixé par l'autorité pour se déterminer
sur le fond, sollicite des mesures de procédure, doit envisager que cette
requête puisse être rejetée, tenir compte de cette éventualité et s'exprimer
ainsi au moins sur le fond. Si une partie décide de ne se déterminer que sur
une partie des points qui lui sont soumis dans un certain délai, cela ne lui
permet pas de bénéficier d'un délai ultérieur pour s'exprimer sur le solde
des questions posées, sans quoi il lui serait possible de retarder à loisir
le déroulement de la procédure. Un droit à un nouveau délai pourrait tout au
plus être admis si la partie pouvait, en vertu d'une pratique constante de
l'autorité ou de circonstances concrètes particulières, considérer de bonne
foi que l'autorité lui accorderait un nouveau délai pour s'exprimer sur le
fond après un éventuel rejet des mesures de procédure requises.

2.4 En l'occurrence, la Commission de la concurrence a, par acte du 24
janvier 2001, clairement exprimé sa volonté de poursuivre rapidement la
procédure en indiquant qu'une deuxième prolongation du délai n'était
envisageable que sur la base de motifs justifiés. Dans ces conditions, la
recourante ne pouvait pas partir de l'idée qu'une nouvelle prolongation de
délai lui serait sans autre accordée pour compléter ses déterminations sur le
fond. D'autant moins qu'elle avait déjà pu s'exprimer en détail sur le fond
dans le cadre de l'enquête préliminaire et de l'enquête à trois reprises (les
10 avril 2000, 31 mai 2000 et 30 octobre 2000) et que les requêtes de
procédure contenues dans l'acte du 22 février 2001 étaient manifestement
infondées ou, du moins en partie, confinaient à la témérité. En particulier,
on ne voit pas pourquoi la Commission de la concurrence aurait dû rendre une
décision incidente susceptible de recours, alors que la recourante n'avait
jamais contesté cette compétence en cours de procédure et qu'elle avait
accepté sans réserve de participer à la procédure d'instruction. Certes, une
autorité qui se tient pour compétente doit le constater dans une décision si
une partie le conteste (art. 9 al. 1 PA). Pour des raisons d'économie de
procédure, la compétence contestée est souvent constatée dans le cadre d'une
décision incidente susceptible d'être attaquée séparément (art. 45 al. 2 let.
a PA). Cela ne signifie toutefois pas que cette constatation doit
obligatoirement faire l'objet d'une décision incidente. Il serait en tout cas
contraire au principe d'économie de procédure de rendre une décision
incidente séparée lorsque la compétence n'est contestée qu'à la fin de la
procédure d'instruction et qu'un projet de décision finale a déjà été
préparé. En l'espèce de surcroît, la recourante conteste la compétence de la
Commission de la concurrence pour le seul motif que son comportement serait
licite sur la base de l'art. 3 al. 1 LCart. Or, cette disposition légale n'a
clairement pas trait à la compétence de la Commission de la concurrence, mais
au champ d'application matériel des art. 7 et 30 LCart (cf. arrêt 2A.492/2002
du 17 juin 2003, consid. 4.3). Une décision incidente ne se justifiait donc
pas.

A cela s'ajoute que la recourante s'est exprimée, en détail, dans son
écriture du 22 février 2001, bien que concernant des mesures de procédure,
sur la portée de l'art. 3 al. 1 LCart, respectivement du droit cantonal
topique. La recourante n'indique de toute façon pas devant le Tribunal
fédéral ce qu'elle aurait encore voulu dire sur le fond de l'affaire.

2.5 La Commission de la concurrence n'a ainsi pas violé le droit d'être
entendu de la recourante. Point n'est donc nécessaire d'examiner si la
prétendue violation du droit d'être entendu aurait pu être réparée devant la
Commission de recours.

3.
Il convient tout d'abord d'examiner si le droit des cartels est, sur le
principe, applicable aux entreprises d'approvisionnement en électricité et en
particulier au transport et à la distribution de l'électricité sur un réseau
tiers.

3.1 En Suisse, la production de courant électrique provenait - et provient
encore aujourd'hui dans une large mesure - de la force hydraulique, dont le
droit d'utilisation appartient aux collectivités publiques (cantons et
communes). Ce droit d'utilisation ne peut être conféré à des privés que par
le biais d'une concession (art. 76 al. 4 Cst.; art. 3 et 38 ss de la loi
fédérale du 22 décembre 1916 sur l'utilisation des forces hydrauliques [LFH;
RS 721.80]). Par ailleurs, la construction d'installations de transport et de
distribution d'énergie implique de fait un large usage particulier du domaine
public, qui ne peut également être accordé à un privé que par l'octroi d'une
concession. C'est pourquoi le secteur suisse de l'électricité s'est développé
en rapport étroit avec les pouvoirs publics. Nombre de centrales électriques
sont des exploitations ou des établissements communaux ou cantonaux. D'autres
sont des entreprises organisées selon le droit privé, mais sont aussi en
partie la propriété des pouvoirs publics. Nombre d'entreprises exploitent
aussi bien des usines de production que des installations de transport et de
distribution d'énergie, alors que d'autres entreprises n'exploitent que ces
dernières activités, mais sont alors en général sous une forme ou une autre
liées à des producteurs d'énergie (à propos de la structure du marché de
l'électricité, voir Message du 7 juin 1999 concernant la loi sur le marché de
l'électricité, in: FF 1999 p. 6646 ss, 6655 ss; Judith Bischof, Rechtsfragen
der Stromdurchleitung, Zurich 2002, p. 11 ss; Etienne Poltier, Les
entreprises d'économie mixte, Zurich 1983, p. 55 ss; Dominik Strub,
Wohlerworbene Rechte, insbesondere im Bereich des Elektrizitätsrechts,
Fribourg 2001, p. 155 ss). Le rapport étroit existant entre les pouvoirs
publics et le marché de l'électricité a conduit, en matière
d'approvisionnement, à une situation qui exclut en grande partie une
concurrence au niveau de la fourniture d'électricité aux consommateurs
finaux: les cantons et les communes ont en règle générale octroyé les
concessions pour l'utilisation de leur domaine public aux fins d'y construire
des lignes électriques à une entreprise unique. Ainsi, seule cette dernière -
ou l'entreprise propre du canton ou de la commune - peut construire et
exploiter un réseau électrique. Les entreprises électriques tierces sont
exclues de l'approvisionnement en raison de l'existence de ce monopole de
fait et aussi de contrats de zone de distribution régionale exclusive conclus
entre les différentes entreprises d'approvisionnement électrique (Bischof,
op. cit., p. 12, 40 s.; Erwin Ruck, Schweizerisches Elektrizitätsrecht,
Zurich 1964, p. 57 s.; Fritz Kilchenmann, Rechtsprobleme der
Energieversorgung, JAB/BVR Sonderheft n. 1, 1991, p. 18 ss; Peter Rüegger,
Rechtsprobleme der Verteilung elektrischer Energie durch öffentlichrechtliche
Anstalten, Zurich 1991, p. 82 s., 147; Strub, op. cit., p. 165 s.). La
jurisprudence, les législations cantonales et la doctrine considèrent
généralement l'approvisionnement en électricité comme une tâche d'intérêt
publique (cf. ATF 105 II 234 consid. 2; arrêt du Tribunal administratif du
canton de Berne, in ZBI 72/1971 p. 88 ss; Bischof, op. cit., p. 12; Imboden/
Rhinow, Schweizerische Verwaltungsrechtsprechung, 5ème éd., Bâle 1976, n.120,
vol. 1, p. 839; Kilchenmann, op. cit., p. 31 s.; Rüegger, op. cit., p. 109
s., 148; Karin Sutter-Somm, Das Monopol im schweizerischen Verwaltungs- und
Verfassungsrecht, Bâle 1989, p. 151 ss; Hans Martin Weltert, Die
Organisations- und Handlungsformen in der schweizerischen
Elektrizitätsversorgung, Zurich 1990, p. 263 ss), tâche qui pourrait aussi à
certaines conditions faire l'objet d'un monopole de droit (cf. ATF 127 I 49
consid. 3b, où le Tribunal fédéral n'avait pas besoin de se prononcer sur
l'admissibilité du monopole de droit). Même s'il n'existe aucun monopole de
droit, la collectivité publique, qui assure l'approvisionnement en
électricité sous la forme d'un service public, n'est pas tenue, d'après la
jurisprudence, d'autoriser une entreprise électrique concurrente à utiliser
son domaine public pour distribuer du courant; le monopole de fait permet
donc, en vertu de la maîtrise du domaine public, d'exclure la concurrence
(ATF 95 I 144 consid. 3 p. 148; 88 I 57 consid. 3 p. 64; 82 I 223 consid. 2
p. 228; 58 I 292 p. 298 ss; arrêt du Tribunal fédéral P.1432/1979 du 2 avril
1982, reproduit in ZBI 84/1983 p. 360, consid. 1a; voir aussi ATF 128 I 3
consid. 3b; 125 I 209 consid. 10b p. 222; Kilchenmann, op. cit., p. 19 s.;
Sutter-Somm, op. cit., p. 154 s.; Weltert, op. cit., p. 178). Sous l'empire
de l'ancienne loi du 20 décembre 1962 sur les cartels et organisations
analogues (LCart 62; RO 1964 53), le Tribunal fédéral avait refusé
d'appliquer les dispositions (civiles) du droit des cartels aux entreprises
électriques, étant donné que celles-ci exécutaient une tâche d'intérêt public
et ce, quand bien même elles revêtaient la forme d'une société anonyme de
droit privé (ATF 110 II 220 consid. 2). Le Tribunal fédéral reconnaît certes
depuis un certain temps que la liberté du commerce et de l'industrie accorde
un droit conditionnel à un usage accru du domaine public (ATF 126 I 133
consid. 4d, 250 consid. 2d/aa; 121 I 279 consid. 2a; 119 Ia 390 consid. 9 p.
404; 108 Ia 135 consid. 3; 101 Ia 473 consid. 5b). Une partie de la doctrine
a voulu y voir la possibilité de mettre en cause l'idée selon laquelle l'Etat
peut se fonder sur sa maîtrise du domaine public pour s'arroger un monopole
de fait notamment en matière d'approvisionnement en énergie électrique (cf.
Ricardo Jagmetti, Commentaire aCst, 1995, n. 32 ad art. 24quater; Charles
André Junod, Problèmes actuels de la constitution économique suisse, RDS/ ZSR
89/1970 II p. 591 s., 736 s.; Beat Krähenmann, Privatwirtschaftliche
Tätigkeit des Gemeinwesens, Bâle 1987, p. 170 s.; Claude Ruey, Monopoles
cantonaux et liberté économique, Lausanne 1988, p. 356; Sutter-Somm, op.
cit., p. 156 s.). Dans la jurisprudence, cette conception ne s'est jusqu'à
présent pas imposée (Weltert, op. cit., p. 181).

3.2
3.2.1L'approvisionnement en électricité, en tant que tâche publique, ainsi
que sa structure monopolistique, sont de plus en plus remises en cause sur
les plans politique et économique. D'ailleurs, la directive 96/92/CE du
Parlement européen et du Conseil du 19 décembre 1996 concernant des règles
communes pour le marché intérieur de l'électricité (JOCE n° L 27, du 30
janvier 1997, p. 20 s.) oblige les Etats membres à prendre les mesures
nécessaires pour garantir aux clients et aux producteurs d'électricité un
accès non discriminatoire aux réseaux de distribution (cf. à ce propos,
Bischof, op. cit., p. 7 s., 42 ss; Nicla Haefliger, Die Liberalisierung der
Elektrizitätswirtschaft in der Europäischen Gemeinschaft, Berne 1997). Afin
de procéder également en Suisse à une ouverture du marché de l'électricité
comparable, l'Assemblée fédérale a adopté, le 15 décembre 2000, la loi sur le
marché de l'électricité, soumise à référendum (LME; voir FF 2000 p. 5761).
Cette loi avait comme but de créer les conditions d'un marché de
l'électricité axé sur la concurrence (art. 1 al. 1 LME) et ainsi d'accroître
le rendement de l'approvisionnement en courant par la concurrence (Message du
7 juin 1999 concernant la loi sur le marché de l'électricité; FF 1999 p. 6646
s., 6649 s.). A cette fin, il était prévu d'obliger l'exploitant d'un réseau
à acheminer sur celui-ci, et de manière non discriminatoire, l'électricité
des autres producteurs d'électricité également (art. 5 LME). L'ouverture du
marché devait se faire par étapes (art. 27 LME). Une Commission fédérale
d'arbitrage devait être instituée pour statuer sur les litiges concernant
l'obligation d'acheminer l'électricité et la rétribution de l'acheminement
(art. 15 et 16 LME). Cette réglementation spéciale et détaillée aurait eu
pour effet, en tant que lex specialis, d'exclure l'application de la loi sur
les cartels, ainsi que la compétence de la Commission de la concurrence dans
le domaine de l'acheminement de l'électricité (FF 1999 p. 6687; Bischof, op.
cit., p. 102 s., 105 s., 141; Evelyne Clerc, in: Tercier/Bovet [éd.], Droit
de la concurrence, Bâle 2002, n. 39 ad art. 7; Yannick Felley/Gilles
Robert-Nicoud, Ouverture du marché de l'électricité, RDAF 2002 p. 65 ss, 85
s.; Jacques Fournier, Vers un nouveau droit des concessions hydroélectriques,
Fribourg 2002, p. 138 ss; Stefan Rechsteiner, Rechtsfragen des
liberalisierten Strommarktes in der Schweiz, Zurich 2001, p. 140 s., 147; Le
même, Stromdurchleitung: Zum Verhältnis von Kartellrecht und EMG - eine
Entgegnung, PJA/AJP 2000 p. 764 ss; contra Andras Palasthy, Die Verweigerung
der Durchleitung von Strom nach dem Kartellgesetz [KG], PJA/AJP 2000 p. 298
ss, 306).

3.2.2 La loi sur le marché de l'électricité a cependant été rejetée en
votation populaire du 22 septembre 2002 et n'est donc pas entrée en vigueur.
Il se pose donc la question de savoir si, dans ces circonstances, la loi sur
les cartels est applicable au domaine de l'acheminement de l'électricité ou
si l'ouverture forcée du marché de l'électricité impliquée par la Commission
de la concurrence ne serait pas contraire à la volonté populaire exprimée le
22 septembre 2002. Selon l'art. 164 al. 1 Cst., toutes les dispositions
importantes qui fixent des règles de droit doivent être édictées sous la
forme d'une loi fédérale. On peut se demander si l'ouverture du marché de
l'électricité ne s'éloigne pas trop du système légal existant et si elle ne
constitue pas une décision si importante qu'elle ne pourrait être
démocratiquement prise que par le législateur fédéral, et non par la
Commission de la concurrence en application de la loi sur les cartels. Il a
été ainsi tenu pour incertain, à la lumière du principe de la légalité, que
l'obligation d'acheminement de l'électricité puisse être imposée sur la base
de la loi sur les cartels nonobstant le rejet de la loi sur le marché de
l'électricité (Christian Bovet, Aspects des économies de réseaux, in:
Auer/Delley/Hottelier/ Malinverni [éd.], essais en l'honneur du Professeur
Morand, Bâle 2001, p. 491 ss, 507).

3.2.3 Dans sa prise de position au sujet des discussions sur l'ouverture du
marché de l'électricité (CCSPr/VKKP 1996/2 p. 147 ss), l'ancienne Commission
des cartels avait déjà expressément omis de se prononcer sur la question de
savoir si, dans le secteur de l'électricité, il existait un régime de marché
de caractère étatique selon l'art. 44 al. 2 let. b de l'ancienne loi fédérale
du 20 décembre 1985 sur les cartels et organisations analogues (aLCart85; RO
1986 p. 874). Elle avait néanmoins proposé à la Commission de la concurrence
d'examiner si, et dans quelle mesure, la réserve concernant le régime de
marché et de prix de caractère étatique (art. 3 LCart) pouvait trouver
application et s'il existait des restrictions illicites à la concurrence sur
le marché de l'électricité selon les art. 5 ss LCart (ibidem, p. 174 s.).
Elle était donc partie de l'idée que - sous réserve des prescriptions
particulières selon l'art. 3 al. 1 LCart - la loi sur les cartels était aussi
applicable au marché de l'électricité.

3.2.4 Certains auteurs estiment qu'une libéralisation du marché de
l'électricité imposée par les autorités de la concurrence serait peu
judicieuse et praticable, étant donné que celles-ci ne pourraient intervenir
que de manière ponctuelle et n'auraient pas la possibilité de fixer les
conditions-cadre nécessaires (Bischof, op. cit., p. 166 ss; Roland von Büren,
Das schweizerische Kartellrecht zwischen gestern und morgen, RJB/ZBJV
137/2001 p. 543 ss, 556 s.; Barbara Hübscher/Pierre Rieder, Die Bedeutung der
"Essential-facilities"-Doktrin für das schweizerische Wettbewerbsrecht, sic!
5/1997 p. 439 ss, 445; Felley/Robert-Nicoud, op. cit., p. 107; Fournier, op.
cit., p. 52; Allen Fuchs, Öffnung des Strommarktes - Einige juristische
Überlegungen, SZW Sondernummer 1999, p. 52 ss, 55 s.; Egbert F. J. Wilms,
Schweizer Strommarkt im Umbruch, Kritische Betrachtungen, Coire/Zurich 2001,
p. 38). Toutefois, selon la doctrine majoritaire publiée depuis l'entrée en
vigueur de la nouvelle loi sur les cartels, le droit de la concurrence
s'applique sans restriction aussi au domaine de l'électricité et à
l'acheminement du courant électrique (Bischof, op. cit., p. 166 s.; Roberto
Dallafior, in: Homburger/Schmidhauser/Hoffet/ Ducrey, Kommentar zum
schweizerischen Kartellgesetz vom 6. Oktober 1995, 2ème livraison, Zurich
1997, n. 159 ad art. 7; Fournier, op. cit., p. 137 s.; Jagmetti, op. cit., n.
32 ad art. 24quater; Fritz Gygi/Paul Richli, Wirtschaftsverfassungsrecht,
Berne 1997, p. 149; Brigitta Kratz, Zu den Rechtsbeziehungen der
Elektrizitätsunternehmen mit den Endkunden - eine Momentaufnahme nach dem
Nein zur EMG-Vorlage, PJA/AJP 2003, p. 342 ss, 353, 356; Palasthy, op. cit.,
p. 304; Rechsteiner, op. cit., [2000], p. 765, [2001], p. 147 s.; Markus
Ruffner, Unzulässige Verhaltensweisen marktmächtiger Unternehmen, PJA/AJP
1996, p. 834 ss, p. 842; Katharina Schindler, Wettbewerb in Netzen als
Problem der kartellrechtlichen Missbrauchsaufsicht, Berne 1998, p. 173 ss;
Stefan Vogel, Der Staat als Marktteilnehmer, Zurich 2000, p. 194; Roger Zäch,
Privatisierung und Wettbewerb in Wirtschaftsbereichen mit Netzstrukturen,
Mélanges en l'honneur de Hangartner, St-Gall/Lachen 1998, p. 935 ss, 951;
contra Fuchs, op. cit., p. 55 s.).

3.2.5 Compte tenu de l'historique de son développement structurel, (voir plus
haut consid. 3.1), l'approvisionnement en énergie a été longtemps considéré
comme un domaine soustrait à la politique de la concurrence (Rolf H. Weber,
Energie und Kommunikation, in: Thürer/ Aubert/Müller [éd.], Verfassungsrecht
der Schweiz, Zurich 2001, p. 943, 948). La loi actuelle sur les cartels de
1995 tend cependant, de manière plus marquée que les lois antérieures, à ce
que les activités économiques étatiques soient aussi soumises aux règles de
la concurrence (FF 1995 I 534 s.; ATF 127 II 32 consid. 3c; Jürg Borer,
Kommentar zum schweizerischen Kartellgesetz, Zurich 1998, n. 5 ad art. 2 et
n. 2 ad art. 3; Bruno Schmidhauser, in: Homburger/Schmidhauser/Hoffet/Ducret
[éd.], op. cit., 1re livraison, Zurich 1996, n. 5 et 6 ad art. 3). Ainsi,
elle s'applique tant aux entreprises de droit privé qu'aux entreprises de
droit public (art. 2 al. 1 LCart) et donc en principe aussi aux entreprises
publiques, en tout cas lorsque celles-ci ont une personnalité juridique
propre (ATF 127 II 32 consid. 3c p. 41). La loi sur les cartels n'exclut pas
le secteur de l'électricité de son champ d'application. Les entreprises
d'approvisionnement en électricité, en particulier les opérateurs des
réseaux, sont donc aussi soumises à la loi sur les cartels (cf. ATF 128 II
247; Dallafior, op. cit., n. 159 ad art. 7; Strub, op. cit., p. 154 s.).

Selon les principes généraux sur la validité des normes de droit,
l'application de la loi sur les cartels au secteur de l'électricité ne
saurait être exclue du seul fait qu'une loi spéciale - qui aurait voulu créer
dans ce domaine un régime s'écartant de la loi sur les cartels - n'a
finalement pas été adoptée. Au contraire, cette situation doit précisément
conduire à appliquer la loi sur les cartels ainsi qu'il en va en l'absence
d'une réglementation spéciale dérogatoire. Elle s'applique donc
indépendamment de la LME. Selon ces principes, le marché de l'électricité
demeure soumis à la loi sur les cartels, dès lors que la LME n'est pas entrée
en vigueur.

3.2.6 Cette conclusion est en outre conforme à une interprétation historique.
Dans son Message concernant la loi sur le marché de l'électricité, le Conseil
fédéral a exposé que la question de savoir si et dans quelle mesure le refus
opposé par un exploitant de réseau à l'acheminement devait être considéré
comme un abus de position dominante au sens de l'art. 7 LCart, pouvant être
sanctionné par la Commission de la concurrence, n'était pas encore résolue.
L'évolution n'était pas connue et les conséquences d'une application
éventuelle n'étaient pas prévisibles. L'ouverture du marché de l'électricité
devait obéir à des règles claires. Les problèmes qu'elle poserait ne
pouvaient être résolus par des décisions isolées de la Commission de la
concurrence sur l'accès des tiers aux réseaux. Ce serait laisser sans réponse
de nombreuses questions touchant par exemple à l'acheminement, qui devaient
être réglées de manière adéquate dans la loi sur le marché de l'électricité
(FF 1999 p. 1688). Le représentant du Conseil fédéral a également attiré
l'attention du Parlement sur le fait que, sans la loi sur le marché de
l'électricité, il existait le danger que le marché de l'électricité soit
libéralisé par la loi sur les cartels, respectivement par des décisions
ponctuelles de la Commission de la concurrence (BO 2000 CE p. 670). Le
Conseil fédéral est ainsi parti de l'idée que la loi sur les cartels pourrait
conduire à l'ouverture du marché de l'électricité et qu'une législation
spéciale était nécessaire pour éviter une déréglementation incontrôlée et
politiquement indésirable.

Il résulte aussi des recommandations du Conseil fédéral pour la votation
populaire du 22 septembre 2002 qu'un "rejet de la loi ne permettrait pas de
stopper l'ouverture du marché, mais aurait pour effet de livrer
l'approvisionnement en électricité, vital pour la population et l'économie,
aux aléas du marché libre". L'électricité est "un bien trop précieux pour la
population et l'économie pour qu'on le livre à la loi du marché. Si l'Etat ne
met pas en place des gardes-fou, la population risque de faire les frais
d'une libéralisation sauvage et unilatérale" (p. 13 et 16).

Les citoyens devaient donc savoir qu'un rejet de la loi sur le marché de
l'électricité n'empêcherait pas une libéralisation de l'approvisionnement de
l'électricité, mais qu'il pourrait au contraire conduire à une libéralisation
incontrôlée. Le rejet de cette loi par le peuple est donc intervenu en toute
connaissance de cause. En l'absence d'une réglementation spéciale, ce sont
alors les règles ordinaires sur la concurrence qui s'appliquent. Le rejet de
la loi sur le marché de l'électricité ne peut pas avoir pour conséquence que
l'accès de tiers au réseau de transport et de distribution électrique d'un
concurrent ne puisse pas être imposé sur la base du droit des cartels. Que
cela puisse poser des problèmes d'ordre pratique n'est pas un motif juridique
valable pour exclure l'application de la loi sur les cartels. Pour le cas où
ces problèmes auraient pour conséquence de menacer les intérêts publics
prépondérants, entrerait alors en ligne de compte l'autorisation
exceptionnelle (prévue par l'art. 8 LCart ) qui ne pourrait pas être octroyée
par les autorités de la concurrence ni, le cas échéant, contrôlée par le
Tribunal fédéral, mais uniquement par le Conseil fédéral (voir plus haut
consid. 1.3).
3.3
3.3.1La loi sur les cartels est donc en principe applicable à l'acheminement
du courant. Demeurent cependant réservées, selon l'art. 3 al. 1 LCart, les
prescriptions qui, sur un marché, excluent de la concurrence certains biens
ou services. En adoptant cette disposition, le législateur fédéral a reconnu
que des prescriptions légales peuvent, pour des motifs politiques, exclure la
concurrence dans un secteur donné (FF 1995 I 537 s.; Borer, op. cit., n. 1 ad
art. 3; Rhinow/Schmid/ Biaggini, Öffentliches Wirtschaftsrecht, Bâle 1998, p.
449).

La loi mentionne en particulier deux sortes de réserves, à savoir les
prescriptions qui établissent un régime de marché ou de prix de caractère
étatique (art. 3 al. 1 let. a LCart) et celles qui chargent certaines
entreprises de l'exécution de tâches publiques en leur accordant des droits
spéciaux (let. b).

Les prescriptions qui établissent un régime de marché ou de prix de caractère
étatique au sens de la lettre a) sont celles qui excluent presque totalement
la concurrence dans un secteur donné; tel est le cas notamment des règles en
matière agricole (FF 1995 I 539; Benoît Carron, in: Tercier/Bovet, op. cit.,
n. 29 ss ad art. 3; Schmidhauser, op. cit., n. 8 ad art. 3; Roger Zäch,
Schweizerisches Kartellrecht, Berne 1999, p. 127 s.), mais aussi dans le
secteur de l'énergie (Rolf H. Weber, Einleitung, Geltungsbereich und
Verhältnis zu anderen Rechtsvorschriften, in: von Büren/David, op. cit., p. 1
ss, 47; Rolf H. Weber, Auf dem Weg zur Neustrukturierung der
Elektrizitätsmärkte, Mélanges en l'honneur de Hangartner, St-Gall/Lachen
1998, p. 911 ss, 916 s.).

La lettre b mentionne d'autres prescriptions qui prévoient une exception aux
règles de la concurrence. Il doit s'agir de prescriptions légales qui
confèrent à l'entreprise une position concurrentielle particulière (Rudolf
Rentsch, Deregulierung durch Wettbewerbsrecht, Bâle 2000, p. 169;
Schmidhauser, op. cit., n. 6 ad art. 3; Felix Uhlmann, Gewinnorientiertes
Staatshandeln, Bâle 1997, p. 206; Zäch, op. cit. [1999], p. 128). Par droits
spéciaux, on entend notamment des monopoles d'Etat et régales (Schmidhauser,
op. cit., n. 6 ad art. 3; Zäch, op. cit. [1999], p. 128). La concurrence peut
aussi être entravée de manière ponctuelle; cela n'implique pas que le domaine
concerné soit totalement soustrait à l'application de la loi sur les cartels.
Ainsi, dans la mesure où les entreprises concernées agissent en dehors du
domaine exclu de la concurrence, elles doivent se comporter conformément aux
principes de la concurrence (cf. FF 1995 I 540; Borer, op. cit., n. 5 ad art.
3; Rentsch, op. cit., p. 213; Uhlmann, op. cit., p. 206). Il faut donc
distinguer entre le domaine d'activité étatique à caractère d'entreprise,
soumis au droit de la concurrence, et le domaine relevant de la puissance
publique, soustrait au droit de la concurrence (cf. ATF 127 II 32 consid. 3f;
René Rhinow, Kommentar aBV, 1991, n. 206 ad art. 31bis;
Rhinow/Schmid/Biaggini, op. cit., p. 389).

3.3.2 Selon les travaux préparatoires et une partie de la doctrine, l'art. 3
al. 1 LCart n'entre en ligne de compte que lorsque l'intention du législateur
était d'exclure effectivement un secteur donné de la concurrence (FF 1995 I
539 s.; Bischof, op. cit., p. 160; Palasthy, op. cit., p. 304; Schmidhauser,
op. cit., n. 13 ad art. 3). Selon les règles générales d'interprétation, qui
sont aussi valables dans le droit de la concurrence, il ne faut pas
comprendre par là que la volonté expresse du législateur historique d'exclure
un domaine de la concurrence doit être absolument établie. On ne saurait
l'exiger, ne serait-ce que parce qu'il existe des prescriptions qui ont été
adoptées à une époque où le droit des cartels ne s'appliquait pas aux
activités étatiques, si bien que le législateur ne pouvait soustraire
délibérément un domaine à la concurrence. Il est donc suffisant - mais
nécessaire - que le secteur concerné ne soit pas soumis au droit de la
concurrence selon une interprétation ordinaire de la réglementation spéciale
en cause (Carron, op. cit., n. 32 ad art. 3). Cela peut aussi résulter
implicitement du fait que la loi contient des règles qui ne sont pas
compatibles avec la concurrence (Borer, op. cit., n. 4 ad art. 3; Rensch, op.
cit., p. 179).

3.3.3 La volonté du législateur était, en révisant la loi sur les cartels en
1995, de renforcer les critères d'appréciation notamment en ce qui concerne
les entreprises publiques par rapport à l'ancien droit et de ne laisser place
que de manière plus restrictive à la réserve de l'art. 3 al. 1 LCart (FF 1995
I 537; Borer, op. cit., n. 2 et 5 ad art. 3; Schmidhauser, op. cit., n. 3-7
ad art. 3). Il est par ailleurs conforme aux fondements constitutionnels de
l'économie (art. 94 al. 4 et 96 al. 1 Cst.) d'admettre de manière plutôt
restrictive une exclusion de la concurrence; celle-ci n'est admissible que
sur la base d'une législation claire ordonnant ou autorisant un comportement
anticoncurrentiel (Marc Amstutz, Neues Kartellgesetz und staatliche
Wettbewerbsbeschränkungen, PJA/AJP 1996, p. 883 ss, 887; Carron, op. cit., n.
35 ad art. 3; Rentsch, op. cit., p. 176 s., 209; Vogel, op. cit., p. 188). Le
simple fait d'attribuer une tâche à l'Etat ou à une entreprise étatique ne
signifie encore pas que le domaine en cause soit exclu de la concurrence (FF
1995 I 540; Schmidhauser, op. cit., n. 6 ad art. 3). Il est important de
déterminer si les prescriptions spéciales accordent un espace de liberté aux
entreprises concernées ou si elles veulent leur prescrire d'agir par voie de
décision et de manière non concurrentielle (ATF 127 II 32 consid. 3c-e;
Carron, op. cit., n. 35 ad art. 3; Clerc, op. cit., n. 99 ad art. 7).

3.3.4 Une prescription excluant un domaine de la concurrence au sens de
l'art. 3 al. 1 LCart peut émaner non seulement d'une autorité fédérale, mais
encore d'une autorité cantonale (voire communale) (FF 1995 I 539; Bischof,
op. cit., p. 160, 162; Carron, op. cit., n. 22 ad art. 3; Schmidhauser, op.
cit., n. 10 ad art. 3), encore faut-il, dans ce dernier cas, que la
réglementation en cause entre dans la sphère de compétence du canton et ne
soit pas contraire au droit supérieur; elle doit en particulier être conforme
à la liberté économique (art. 27 Cst. en relation avec l'art. 36 Cst. ainsi
que art. 94 al. 4 Cst.), ce qui ne va pas de soi s'agissant d'un monopole de
droit pour l'acheminement de l'électricité.

Il convient donc d'examiner s'il existe sur le plan fédéral (consid. 4) ou
sur le plan cantonal (consid. 5) des prescriptions qui excluent le secteur de
l'électricité de la concurrence au sens de l'art. 3 al. 1 LCart.

4.
4.1
4.1.1Selon l'art. 43 al. 2 et 44 let. b de la loi fédérale du 24 juin 1902
concernant les installations électriques à faible et à fort courant (loi sur
les installations électriques, LIE; RS 734.0) - dans leur nouvelle teneur
selon le ch. I 8 de la loi fédérale du 18 juin 1999 sur la coordination et la
simplification des procédures de décision, en vigueur depuis le 1er janvier
2000 (ci-après: loi sur la coordination; RO 1999 p. 3071, 3092, 3124) -, le
département compétent peut accorder au preneur d'énergie un droit
d'expropriation pour le transport d'énergie électrique sur les réseaux
d'approvisionnement et de distribution existants.

4.1.2 On ne peut pas déduire de cette réglementation une réserve au sens de
l'art. 3 al. 1 LCart. Le droit d'expropriation pour le transport d'énergie
électrique a été introduit dans la loi en relation avec la loi fédérale du 20
juin 1930 sur l'expropriation (LEx; RS 711) et a pour but de permettre le
transport d'énergie électrique par le biais de réseaux tiers, sans qu'il
faille construire à cette fin des réseaux électriques parallèles indésirables
pour des motifs d'ordre économique et tirés de la protection de la nature
(Heinz Hess/Heinrich Weibel, Das Enteignungsrecht des Bundes, Commentaire,
vol. II, Berne 1986, p. 218). Cette disposition n'autorise cependant pas un
accès illimité des tiers au réseau (Kilchenmann, op. cit., p. 18). Elle n'a
manifestement pas pour but d'exclure la concurrence, mais au contraire de
rendre celle-ci possible; elle poursuit donc le même but que celui visé par
la décision attaquée. Certes, il n'a pratiquement jamais été fait usage d'un
tel droit d'expropriation par le passé (FF 1999 p. 6706 s.). Mais cela ne
permet en tout cas pas d'exclure l'application de la loi sur les cartels. Il
n'est d'ailleurs pas interdit au législateur de mettre à disposition de
nouveaux instruments dans le cadre d'une nouvelle loi afin d'atteindre des
buts qu'il s'était déjà fixé par d'autres lois plus anciennes mais qu'il n'a
pas pu atteindre par les moyens qui y avaient été initialement prévus. Comme
on l'a vu plus haut, l'art. 3 al. 1 LCart ne réserve que les prescriptions
qui excluent la concurrence. Les art. 43 et 44 LIE n'appartiennent pas à ce
genre de prescriptions (voir également Bischof, op. cit., p. 161 s.; Rentsch,
op. cit., p. 201 s.).
4.1.3 Selon l'art. 46 al. 3 LIE (dans sa version originelle, RO 19 p. 252),
lorsque la cojouissance du droit d'utiliser le domaine public communal pour
la distribution de l'énergie était demandée, la commune pouvait, aux fins de
protéger ses intérêts légitimes, la refuser ou la subordonner à des
conditions restrictives. Cette disposition n'instituait pas en faveur des
communes un monopole de droit fédéral, mais leur donnait simplement le droit
de s'opposer à l'utilisation du domaine public par voie d'expropriation
(Salis/Burckhardt, Schweizerisches Bundesrecht, vol. 2, Frauenfeld 1930, n.
422 p. 83; Krähenmann, op. cit., p. 75). L'art. 46 al. 3 LIE représentait une
exception au droit d'expropriation prévu par l'art. 43 al. 2 LIE et
permettait aux communes, mais pas aux cantons, de protéger leurs réseaux
d'approvisionnement électrique contre leur utilisation par des tiers
(Hess/Weibel, op. cit., p. 221 ss; Ruck, op. cit., p. 59 s., 96). Ainsi, les
monopoles de fait communaux pour la distribution de l'électricité pouvaient
être protégés de la concurrence (Georg Müller/Peter Hösli, Einführung in das
Energierecht der Schweiz, Baden 1994, p. 33; Rüegger, op. cit., p. 146;
Weltert, op. cit., p. 177 s., 182). L'art. 46 al. 3 LIE a cependant été
abrogé par la loi sur la coordination, partant aussi l'exception qu'il
contenait.

4.2
4.2.1D'après l'art. 10 de la loi fédérale du 22 décembre 1916 sur
l'utilisation des forces hydrauliques (LFH; RS 721.80), les propriétaires des
forces hydrauliques qui vendent de l'énergie électrique sont tenus de
soumettre au département compétent, à sa demande, les conventions par
lesquelles ils s'interdisent  la vente d'énergie  dans une zone

déterminée. Le Département peut en ordonner la modification si elles sont
contraires à l'intérêt public. Cette disposition s'applique par analogie aux
intermédiaires.

4.2.2 Cette disposition légale suppose donc la présence de contrats limitant
les zones de distribution, partant en reconnaît l'existence (Krähenmann, op.
cit., p. 74; Ruck, op. cit., p. 57). Elle ne garantit cependant pas de
manière absolue l'existence de tels contrats, mais veut au contraire pouvoir
les modifier pour le cas où l'exclusion du marché irait à l'encontre de
l'intérêt public. Cette disposition n'a de plus en pratique pas d'importance
(Kilchenmann, op. cit., p. 20). L'art. 10 LFH ne peut donc pas être considéré
comme une réserve au sens de l'art. 3 al. 1 LCart.

4.3
4.3.1En vertu de l'art. 4 al. 2 de la loi fédérale du 26 juin 1998 sur
l'énergie (LEne; RS 730.0), l'approvisionnement énergétique relève des
entreprises de la branche énergétique. La Confédération et les cantons
instaurent les conditions générales permettant à ces entreprises d'assumer
leur tâche de manière optimale dans l'optique de l'intérêt général. Selon
l'art. 5 LEne, un approvisionnement sûr implique une offre d'énergie
suffisante et diversifiée ainsi qu'un système de distribution techniquement
sûr et efficace (al. 1); un approvisionnement économique repose sur les
forces du marché, la vérité des coûts et la compétitivité avec l'étranger,
ainsi que sur une politique énergétique coordonnée sur le plan international
(al. 2); un approvisionnement compatible avec les impératifs de
l'environnement implique une utilisation mesurée des ressources naturelles,
le recours aux énergies renouvelables et la prévention des effets gênants ou
nuisibles pour l'homme et l'environnement (al. 3). L'art. 7 al. 1 LEne
précise que les entreprises chargées de l'approvisionnement énergétique de la
collectivité sont tenues de reprendre les surplus d'énergie produite de
manière régulière par les producteurs indépendants sous une forme adaptée au
réseau (cf. aussi art. 20 de la loi fribourgeoise du 9 juin 2000 sur
l'énergie qui concrétise l'art. 7 LEne).

4.3.2 La loi fédérale sur l'énergie suppose donc qu'il y ait des entreprises
publiques chargées de l'approvisionnement énergétique. Elle ne prescrit
cependant pas un approvisionnement énergétique étatique qui exclurait toute
concurrence, mais au contraire, contient - vu notamment le devoir de
reprendre les surplus d'énergie prévu à l'art. 7 LEne - des prescriptions qui
visent à introduire plus de rapports et de coordination entre les divers
acteurs du marché de l'énergie et donc à limiter les monopoles (Jagmetti, op.
cit., n. 33 ad art. 24quater). La loi fédérale sur l'énergie ne contient donc
pas non plus de réserve au sens de l'art. 3 al. 1 LCart (Bischof, op. cit.,
p. 161; Rentsch, op. cit., p. 202).

4.4 D'après l'art. 19 al. 1 et 2 de la loi fédérale du 22 juin 1979 sur
l'aménagement du territoire (loi sur l'aménagement du territoire, LAT; RS
700), la collectivité doit équiper les zones à bâtir de conduites pour
l'alimentation en énergie. Par énergie, on entend surtout l'électricité
(Rüegger, op. cit., p. 94 s.; André Jomini, Commentaire LAT, Zurich 1999, n.
31 ad art. 19; voir aussi Jagmetti, op. cit., n. 31 ad art. 24quater;
Weltert, op. cit., p. 268). Le droit de l'aménagement du territoire repose
sur le fait que jusqu'à présent, l'équipement adapté pour l'alimentation en
électricité est dans une large mesure réalisé par les entreprises appartenant
aux pouvoirs publics (voir plus haut consid. 3.1; cf. ATF 127 I 49; Kratz,
op. cit., p. 344), mais n'impose pas une telle structure. En revanche, la
collectivité a bien l'obligation d'équiper une zone à bâtir. En règle
générale, elle doit veiller à l'installation d'un réseau de transport
(Weltert, op. cit., p. 271 s.). Cependant, cette obligation n'est déjà de par
la loi pas exclusivement dévolue à la collectivité publique (cf. art. 19 al.
3 LAT). Même si l'on voulait y voir un monopole pour l'équipement en
conduites de raccordement, on ne saurait en déduire une obligation incombant
à la collectivité (Weltert, op. cit., p. 272) et en tout cas pas un monopole
pour la fourniture d'électricité. La loi sur l'aménagement du territoire ne
contient ainsi pas non plus une clause d'exclusion de la concurrence au sens
de l'art. 3 al. 1 LCart.

4.5 En résumé, il ne résulte pas du droit fédéral que l'approvisionnement en
électricité constitue une tâche étatique et qu'il existe pour la collectivité
publique une obligation d'approvisionnement, étant précisé que l'art. 32 LME,
qui aurait prescrit une telle obligation d'approvisionner, n'est pas entré en
vigueur (Bischof, op. cit., p. 24 s.; Jagmetti, op. cit., n. 31 ad art.
24quater; Strub, op. cit., p. 151). Il n'y a donc aucune réglementation
fédérale qui, au sens de l'art. 3 al. 1 LCart, exclurait la concurrence dans
le domaine en question.

5.
Il convient ensuite d'examiner si le droit cantonal contient une telle clause
d'exclusion de concurrence.

5.1 Comme le relève à juste titre la recourante, la compétence attribuée à la
Confédération par l'art. 91 al. 1 Cst. pour légiférer sur le transport et la
livraison de l'électricité est une compétence législative concurrente (René
Schaffhauser, St. Galler Kommentar zur BV, 2002, n. 3 ad art. 91). La
Confédération n'ayant jusqu'à présent pas fait usage d'une telle compétence,
les cantons demeurent encore compétents pour légiférer sur la fourniture et
la distribution d'électricité.

Cela n'exclut certes pas l'application de la loi sur les cartels. Comme déjà
dit plus haut, les activités économiques réglementées sur le plan cantonal
sont également soumises à la LCart dans la mesure où il n'existe aucune
réserve au sens l'art. 3 al. 1 LCart. Il convient donc d'examiner si le droit
cantonal fribourgeois contient une telle clause d'exclusion de concurrence en
faveur de la recourante.

5.2 Selon l'art. 104 let. a OJ, le Tribunal fédéral ne peut revoir, dans le
cadre d'un recours de droit administratif, que l'application du droit fédéral
qui englobe notamment les droits constitutionnels du citoyen. Comme
l'interdiction de l'arbitraire (art. 9 Cst.) fait partie des droits
constitutionnels, le Tribunal fédéral peut aussi vérifier si le droit
cantonal a été appliqué de manière arbitraire. Dans ces conditions,
l'application du droit cantonal ne peut  être revu que sous l'angle restreint
de l'arbitraire.
Il convient cependant de tenir compte des particularités du cas d'espèce: le
champ d'application du droit fédéral est restreint par le droit cantonal qui,
au sens de l'art. 3 al. 1 LCart, exclut la concurrence. Une fausse
application du droit cantonal pertinent aurait pour effet de faire échec à
l'application du droit fédéral. Si le Tribunal fédéral se limitait à examiner
le droit cantonal sous l'angle restreint de l'arbitraire, le contrôle du
champ d'application du droit fédéral serait également limité à l'arbitraire,
ce qui serait contraire à l'art. 104 let. a OJ.

En fait, c'est essentiellement pour des raisons tenant à la structure de
l'Etat fédéral, pour autant que cela ne résulte pas déjà de la nature du
grief soulevé (interdiction de l'arbitraire), que le pouvoir d'examen du
Tribunal fédéral est limité à l'arbitraire: les cantons sont souverains en
tant que leur souveraineté n'est pas limitée par la Constitution fédérale et
exercent tous les droits qui ne sont pas délégués à la Confédération (art. 3
Cst.). Le Tribunal fédéral n'applique en principe pas le droit cantonal, mais
examine seulement si son application est compatible avec le droit supérieur
(art. 189 Cst.). Il n'y a plus de raisons de limiter le pouvoir d'examen du
Tribunal fédéral à l'arbitraire lorsque, comme en l'espèce, ce ne sont pas
les cantons eux-mêmes, mais une autorité fédérale (Commission de la
concurrence) qui doit se prononcer sur le sens et la portée du droit
cantonal. Si le Tribunal fédéral limitait ici son pouvoir d'examen à
l'arbitraire, cela aurait pour conséquence qu'une autorité fédérale pourrait
restreindre la marge de manoeuvre cantonale par une application - fausse mais
non arbitraire - du droit cantonal, sans possibilité de contrôle par le
Tribunal fédéral.

Pour ces raisons, le Tribunal fédéral doit examiner librement l'application
du droit cantonal dans le cadre de l'art. 3 al. 1 LCart.

5.3 Il se pose la question de l'application du droit dans le temps. Lorsque
la Commission de la concurrence a rendu sa décision, c'était la loi de 1998
sur les EEF qui était en vigueur, tandis que c'est la loi de 2000 sur le
statut des EEF qui était - et est toujours - en vigueur au moment du prononcé
de la décision de la Commission de recours.

5.3.1 Il ressort de la décision attaquée de la Commission de recours (consid.
6.3c/aa p. 20) que c'est le droit en vigueur au moment où la décision
attaquée a été rendue qui est en principe applicable, à moins qu'une
modification postérieure des règles de droit ne soit de nature à justifier
une révocation de l'acte attaqué. L'examen de la nouvelle législation
cantonale ne conduisait pas à la révocation de la décision de la Commission
de la concurrence, mais corroborait plutôt la thèse de cette autorité. Par la
suite, la Commission de recours n'a examiné le litige que sous l'empire de
l'ancienne législation en vigueur jusqu'à fin 2001. La recourante invoque
l'ancienne loi de 1998 sur les EEF, tandis que les parties intimées estiment
applicable la loi de 2000 sur le statut des EEF. Dans sa réplique, la
recourante fait valoir que le canton de Fribourg a l'intention d'adopter une
nouvelle loi sur l'approvisionnement en énergie électrique (LAEE); un projet
de loi a été adopté le 29 avril 2003 par le Conseil d'Etat et sera traité
probablement en été 2003 par le Grand Conseil. Cette loi prévoit d'exclure
l'accès des tiers au marché de l'électricité.

5.3.2 Selon la doctrine et la jurisprudence, en l'absence d'une disposition
légale transitoire, la légalité d'un acte administratif doit en principe être
examinée selon le droit en vigueur au moment où il a été édicté et un
changement de loi intervenu au cours d'une procédure de recours devant un
tribunal administratif n'a donc pas à être pris en considération. Un tel
principe souffre une exception lorsqu'une application immédiate du nouveau
droit s'impose pour des motifs impératifs, notamment lorsque les nouvelles
dispositions ont été adoptées pour des raisons d'ordre public ou pour la
sauvegarde d'intérêts publics prépondérants (ATF 127 II 306 consid. 7c; 126
II 522 consid. b/ aa; 120 Ib 317 consid. 2b; 119 Ib 103 consid. 5; 112 Ib 39
consid. 1c p. 42; Häfelin/Müller, Allgemeines Verwaltungsrecht, 4ème éd.,
Zurich 2002, p. 66 s), en particulier dans le domaine de la protection de
l'environnement (ATF 123 II 359 consid. 3; 115 Ib 347 consid. 2c p. 355; 112
Ib 39 consid. 1c p. 43 s.). Pour une autorisation ayant un caractère durable
ou pour l'examen d'un comportement ayant des conséquences dans le futur, les
autorités de recours peuvent appliquer le nouveau droit si la révocation de
l'autorisation octroyée est justifiée par le changement de loi
(Häfelin/Müller, op. cit., p. 67 n. 327). Il n'y a pas lieu d'annuler une
décision lorsqu'elle n'est pas conforme à l'ancien droit, mais qu'une
décision identique devrait être prise sur la base du nouveau droit (ATF 127
II 306 consid. 7c; 126 II 522 consid. 3b/aa; 120 Ib 317 consid. 2b;
Merkli/Aeschlimann/Herzog, Kommentar zum Bernischen VRPG, Berne 1997, n. 8 ad
art. 25).

5.3.3 Dans sa décision du 5 mars 2001, la Commission de la concurrence n'a ni
délivré une autorisation, ni émis des injonctions concrètes, mais a
simplement constaté que la recourante avait abusé et continuait d'abuser de
sa position dominante au sens de l'art. 7 LCart. Cette constatation se réfère
tant au passé qu'au futur. Si on examine la légalité de la décision du 5 mars
2001 uniquement à la lumière du droit en vigueur à l'époque, la Commission de
la concurrence pourrait alors immédiatement, en cas d'annulation de cette
décision, rendre une nouvelle décision sur la base du nouveau droit. Il se
justifie donc d'examiner l'application de l'art. 3 al. 1 LCart, aussi bien à
la lumière de l'ancien que du nouveau droit.

Contrairement à l'opinion de la recourante, les éventuelles futures
modifications législatives n'ont pas à être prises en considération. En
effet, un effet anticipé du droit futur est en principe exclu. A cela
s'ajoute qu'en l'espèce, le projet d'une nouvelle loi cantonale sur
l'approvisionnement en énergie électrique (LAEE) n'a pas encore été examiné
par le Grand Conseil. Il est donc incertain si, quand et sous quelle forme,
cette loi entrera en vigueur.

5.4 Il convient d'examiner tout d'abord la situation juridique sur la base de
la loi de 1998 sur les EEF.

5.4.1 La loi de 1998 sur les EEF avait abrogé la loi du 9 mai 1950 sur les
Entreprises électriques fribourgeoises, laquelle avait remplacé une loi de
1915. Selon cette loi de 1950, EEF était un établissement de droit public
ayant pour but principal la production et la distribution de l'énergie
électrique. Pour atteindre ce but, EEF avait le droit de disposer de la force
des eaux courantes appartenant au canton (art. 2 al. 1 de la loi de 1950).
EEF assurait l'approvisionnement dans la plus grande partie du canton de
Fribourg ainsi que dans quelques régions limitrophes; les relations entre EEF
et les autres cantons ou les autres entreprises électriques cantonales
étaient régies par des conventions (Nicole Zimmermann, Les EEF et le
Développement économique, un siècle de collaboration, Fribourg 1990, p. 48
ss).

Lors de la révision totale de 1998, le législateur cantonal voulait prévoir
une étape intermédiaire pour affronter, à moyen terme, les défis à venir dans
la perspective de la prochaine ouverture du marché de l'électricité. Les
modifications concrètes se limitaient à des nouveautés sur le plan de
l'organisation, de manière à laisser la plus grande souplesse possible aux
organes de la société EEF pour son organisation interne (Message du 18 août
1998 in: Bulletin officiel des séances du Grand Conseil du canton de
Fribourg, septembre 1998, p. 765 et 768; ci-après: BO/FR). Le commissaire du gouvernement prévoyait une révision encore plus fondamentale de cette loi
dans un délai d'un à deux ans par une refonte totale de la loi de 1950 sur
les EEF mais une fois connu le contenu définitif du projet de la loi fédérale
sur le marché de l'électricité (BO/FR, 1998, p. 888, intervention du
rapporteur et du commissaire).
Il n'était pas dans l'intention du législateur de 1998 de modifier
fondamentalement la structure et les tâches confiées à EEF. Il a simplement
été relevé qu'il fallait séparer très clairement le secteur production et
distribution d'électricité d'un côté et le secteur installations d'un autre
côté afin que les installateurs privés ne soient pas pénalisés (BO/FR, 1998,
p. 890 s., interventions Haymoz, rapporteur et commissaire).

5.4.2 Conformément à l'art. 1er LEEF, EEF est un établissement de droit
public distinct de l'Etat, ayant qualité de personne morale. Elle a pour but
principal la production, la commercialisation et la distribution de l'énergie
électrique (art. 2 al. 1 LEEF). Elle assure l'approvisionnement en énergie
électrique du territoire desservi (art. 2 al. 2 LEEF). Pour atteindre ses
buts, EEF dispose des forces hydrauliques du canton conformément à la
législation spéciale (art. 3 al. 1 LEEF). L'utilisation du domaine public
cantonal par EEF est réglé par la loi sur le domaine public (art. 9 LEEF). Le
Grand Conseil a la haute surveillance de EEF (art. 10 al. 1 LEEF). Il
approuve le bilan et le rapport de gestion (art. 10 al. 2 LEEF). Le Conseil
d'Etat approuve le règlement général, les conventions relatives à la
délimitation des zones de distribution d'électricité et les statuts de la
Caisse de pensions (art. 11 al. 2 LEEF). EEF est dirigée par un conseil
d'administration, qui est composé de onze membres, dont quatre sont nommés
par le Grand Conseil et doivent être députés; quatre sont nommés par le
Conseil d'Etat, un par le personnel de EEF et deux par cooptation (art. 17
al. 1 LEEF). Le conseil d'administration arrête notamment la politique
tarifaire, en particulier les tarifs généraux de fourniture d'électricité sur
le territoire desservi (art. 21 al. 3 let. h LEEF).

L'utilisation du domaine public est réglée dans la loi fribourgeoise du 4
février 1972 sur le domaine public (LDP/FR). Le chapitre 4 de cette loi
s'intitule «Utilisation du domaine public»; sa section A (art. 18-26 LDP/ FR)
traite des «Dispositions générales et administratives», dont l'art. 20
prévoit que l'usage privatif d'une chose du domaine public consiste en son
utilisation exclusive et durable, qui est soumis à concession. La section C
«Dispositions relatives aux eaux publiques» (art. 40-57) contient des
dispositions relatives aux eaux publiques. Dans leur version initiale en
vigueur jusqu'à fin 2001, les art. 55 et 56 LDP/FR, sous la note marginale
«Utilisation de la force hydraulique» avaient la teneur suivante:
"Art. 55
Le droit d'utiliser l'eau pour la production d'énergie est soumis à
concession.
Art. 56
1 Sont réservées les prescriptions de la loi fédérale sur l'utilisation des
forces   hydrauliques et le droit de monopole des Entreprises électriques
fribourgeoises.
2 En particulier, la concession peut être refusée si les Entreprises
électriques fribourgeoises sont à même de fournir l'énergie que le requérant
projette de produire."
5.4.3La Commission de recours a exposé que la LEEF réglait seulement les
relations entre le canton et la recourante, mais pas les relations entre
celle-ci et les consommateurs ou les tiers. Les tarifs édictés par la
recourante réglaient uniquement le prix de l'énergie fournie par la
recourante; mais cela ne constituait pas une réglementation sur les prix de
caractère étatique, d'autant que ce tarif n'était approuvé par aucune
autorité cantonale. L'obligation d'approvisionnement n'était régie par aucune
réglementation réservée au sens de l'art. 3, étant donné qu'elle ne fondait
aucun droit d'exclusivité. Un monopole de fait ne suffisait pas pour exclure
la concurrence.

La recourante fait au contraire valoir qu'elle dispose d'une concession pour
l'utilisation exclusive des forces hydrauliques dans le canton de Fribourg.
En contrepartie, elle a une obligation d'approvisionnement et utilise son
réseau de distribution à cette fin. Les conventions relatives à la
répartition des réseaux de distribution sont soumises à l'approbation du
Conseil d'Etat. Il ne lui appartient donc pas d'accorder aux parties intimées
le droit de faire transiter leur énergie sur ledit réseau.

5.4.4 Contrairement à l'avis de la Commission de recours, le fait que la LEEF
règle avant tout les relations entre le canton et la recourante (mais pas
expressément les relations avec des tiers) n'exclut pas d'emblée que la
concurrence puisse être écartée au sens de l'art. 3 al. 1 LCart. Une réserve
au sens de cette disposition peut aussi résulter du fait que l'Etat accorde à
une entreprise une position juridique particulière, par exemple une position
monopolistique (cf. aussi ATF 127 II 32 consid. 3c). Cela a donc pour effet
indirect que les tiers ne peuvent pas jouir de ces mêmes droits et donc ne
peuvent pas exercer de concurrence. La question est toutefois de savoir si le
droit cantonal fribourgeois reconnaît à la recourante une telle position
juridique.

5.4.5 Les tarifs d'électricité fixés par l'Etat peuvent en principe
constituer un régime de prix de caractère étatique au sens de l'art. 3 al. 1
let. a LCart (Weber, op. cit., p. 916). Tel n'est cependant pas le cas en
l'espèce. Même si l'on partait de l'idée que les tarifs de EEF sont des
tarifs de caractère étatique au motif que le conseil d'administration de EEF
est composé d'une majorité de membres nommés par les autorités cantonales, de
tels tarifs ne seraient cependant valables que pour l'énergie fournie par la
recourante, mais pas pour l'énergie qui serait éventuellement livrée par des
tiers. La recourante relève qu'il n'y a précisément aucune autre entreprise
qui fournit l'électricité dans son secteur de distribution. Mais cela ne
permettrait de parler de réglementation exhaustive de prix à caractère
étatique pour l'ensemble des prix de l'électricité que si la recourante
disposait, à la lumière de l'art. 3 al. 1 LCart, d'un monopole pour la
fourniture de l'électricité. Il convient donc de résoudre cette question.

5.4.6 Selon l'art. 3 al. 1 LEEF, la recourante dispose des forces
hydrauliques du canton de Fribourg, conformément à la législation spéciale.
La loi de 1998 sur les EEF se réfère ainsi à la loi sur le domaine public.
L'ancien art. 56 al. 1 LDP ne conférait pas en lui-même un monopole à la
recourante, mais le présupposait, sans que la base légale n'en soit établie.
L'ancien art. 56 al. 2 LDP prévoyait un droit préférentiel en faveur de la
recourante, mais n'excluait pas que des concessions pour l'utilisation des
forces hydrauliques puissent être octroyées à des tiers. Même si l'on voulait
voir dans cette disposition un monopole de droit en faveur de la recourante,
celui-ci ne pourrait porter que sur l'utilisation des forces hydrauliques du
canton de Fribourg. Or cela ne saurait créer un monopole de droit pour la
livraison de l'électricité aux consommateurs finaux, l'électricité livrée
dans le canton de Fribourg pouvant aussi provenir d'autres sources que des
forces hydrauliques fribourgeoises.

Il n'existe pas non plus un monopole de droit en faveur de la recourante pour
l'utilisation du domaine public. L'art. 9 LEEF se réfère de nouveau à la loi
sur le domaine public en ce qui concerne l'utilisation du domaine public
cantonal par la recourante. Cette loi prévoit à son art. 20 que l'usage
privatif d'une chose du domaine public est soumise à concession, mais ne
contient aucune disposition selon laquelle la concession pour la construction
d'un réseau électrique peut être accordée uniquement à la recourante.

En résumé, il n'existe en tout cas aucun monopole de droit expressément prévu
en faveur de la recourante pour la livraison d'énergie électrique.

5.4.7 Il n'est cependant pas contesté que la recourante dispose dans le
domaine de l'approvisionnement d'un monopole de fait en matière de transport
et de distribution d'énergie électrique (décision de la Commission de la
concurrence du 5 mars 2001, ch. 115-117). Se pose la question de savoir si
cela suffit à exclure le secteur en question de la concurrence selon l'art. 3
al. 1 LCart.

La doctrine en la matière est d'avis qu'un simple monopole de fait est
insuffisant et qu'un monopole de droit est exigé (Bischof, op. cit., p. 162
s.; Clerc, op. cit., n. 104 ad art. 7; Fournier, op. cit., p. 130 s.;
Palasthy, p. 304).

Certes, le monopole de fait de la collectivité publique pour l'utilisation du
domaine public repose aussi sur une base juridique en tant que l'art. 664 CC
prévoit expressément que le domaine public est soumis à la haute police de
l'Etat. Ce monopole de fait ne nécessite pas une base légale supplémentaire
(ATF 125 I 209 consid. 10b, c et d; Pierre Moor, Droit administratif, vol.
III, Berne 1992, p. 393 ss; Ruey, op. cit., p. 363 s.; Strub, op. cit., p.
228; Weltert, op. cit., p. 178) et permet également de restreindre l'activité
économique des privés sur le domaine public (ATF 125 I 209 consid. 10c et d).
Nonobstant l'art. 664 CC, la liberté économique confère un droit conditionnel
à l'usage accru du domaine public (ATF 127 I 84 consid. 4b; 126 I 133 consid.
4d; 121 I 279 consid. 2a), droit que les collectivités publiques doivent
accorder en respectant le principe de l'égalité et de manière à ce que les
effets soient les plus neutres possible du point de vue de la concurrence
(ATF 121 I 279 consid. 4a; 108 Ia 135 consid. 3 p. 137; cf. aussi ATF 128 I
136 consid. 4). On ne saurait déduire de la haute police de l'Etat sur le
domaine public une clause dérogatoire à la concurrence au sens de l'art. 3
al. 1 LCart. (cf. aussi ATF 126 I 250 consid. 2d/cc).

Il pourrait en aller autrement si l'utilisation du domaine public avait été
concédée de manière exclusive à une entreprise particulière dans un but
déterminé. En pareil cas, la position monopolistique résultant d'une décision
quant à l'utilisation du domaine public ne serait pas de pur fait, car la
concession d'utilisation privative du domaine public est un acte juridique et
ne fonde pas seulement une position de fait mais aussi un statut juridique
(Kilchenmann, op. cit., p. 15; Ruck, op. cit., p. 57 s.; Strub, op. cit., p.
230 ss; 284 s.). Se pose ainsi la question de savoir si, par "prescription"
au sens de l'art. 3 al. 1 LCart, il faut entendre une norme générale et
abstraite ou s'il peut s'agir aussi d'un acte administratif notamment d'une
concession.

La doctrine semble plutôt exiger un acte législatif général et abstrait
(Carron, op. cit., n. 20 ad art. 3; Rentsch, op. cit., p. 171 ss, 209) et est
d'avis qu'une concession pour une utilisation privative du domaine public ne
confère pas une situation de monopole au sens de l'art. 3 al. 1 LCart
(Bischof, op. cit., p. 164; Rentsch, op. cit., p. 202 s.). Le secrétariat de
la Commission à la concurrence a néanmoins qualifié de prescription au sens
de l'art. 3 al. 1 LCart un contrat de droit administratif conclu entre une
ville et une association de médecins relative à la mise sur pied d'un service
d'urgences assuré par les médecins (DPA/RPW 1998 p. 198 ch. 18; contra
Rentsch, op. cit., p. 172, 192 s.).

Il faut encore préciser ceci. Un acte administratif (décision, contrat, y
compris en particulier une concession) doit se fonder sur une base légale qui
peut être conçue de manière large et conférer à l'autorité un large pouvoir
d'appréciation. Dans la mesure où cette base légale exige ou autorise de
manière claire une exclusion de la concurrence, un acte administratif qui
concrétise cette loi peut suffire à exclure le secteur y relatif de la
concurrence (Carron, op. cit., n. 33 ad art. 3; voir aussi DPA/RPW 1998 p.
198 ch. 18, selon lequel le contrat en question sert à l'exécution d'une
tâche légale attribuée à la ville). Une concession pour l'utilisation
privative du domaine public n'implique pas nécessairement dans tous les cas
un monopole de fait implicite au regard de l'art. 3 al. 1 LCart. Au
contraire, une réglementation spécifique peut accorder de manière explicite
un droit d'utilisation exclusif à une entreprise déterminée dans le but
d'exclure la concurrence. Il convient donc de toujours examiner l'ensemble de
la législation en la matière pour pouvoir déterminer si un monopole de fait
est basé sur une intervention étatique qui a pour objet d'exclure la
concurrence (Rentsch, op. cit., p. 214).
Encore faudrait-il que l'octroi d'un monopole d'usage privé en faveur d'une
seule entreprise pour la construction de lignes électriques sur le domaine
public soit compatible avec le droit fédéral, ce qui ne va pas de soi.

5.4.8 Même si l'on estimait que la recourante dispose d'un monopole pour
l'utilisation privative du domaine public et que ce monopole soit déterminant
au sens de l'art. 3 al. 1 LCart, on ne saurait admettre sans autre que les
règles légales en cause tendent à exclure de la concurrence le domaine de la
livraison de courant électrique. Le monopole existe en effet uniquement pour
l'usage du domaine public en vue de la construction et de l'exploitation du
réseau électrique, mais pas forcément pour l'utilisation dudit réseau de
distribution. Ainsi, par exemple, le monopole d'affichage résultant de la
haute police de la collectivité publique sur son domaine public (ATF 125 I
209 consid. 10c et d) ne signifie nullement que seule la collectivité
publique puisse faire de la publicité sur les emplacements qu'elle gère; au
contraire, des supports doivent être mis à disposition pour la publicité
privée (cf. ATF 127 I 84 consid. 4b). De la même manière, la construction et
l'exploitation de lignes électriques d'une part et la livraison de courant et
l'utilisation de ce réseau pour l'acheminement de l'énergie électrique
d'autre part, peuvent aussi être considérées comme deux choses distinctes.
Certes, il existait jusqu'à maintenant un monopole de fait pour
l'approvisionnement en faveur de la recourante. Ce monopole ne résulte
toutefois ni de la loi, ni du droit d'utilisation (privative) du domaine
public. Ce droit ne supprime donc pas la possibilité que les réseaux
construits par la recourante puissent être utilisés par des tiers privés pour
la livraison d'énergie.

5.4.9 Se pose en outre la question de savoir si la tâche d'approvisionnement
en électricité dévolue par la loi à la recourante exclut la concurrence.
Selon la doctrine, l'attribution par un canton ou une commune d'une tâche
d'approvisionnement, par exemple en eau, gaz ou électricité, est parfois
considérée comme un cas d'application de l'art. 3 al. 1 LCart (Roland von
Büren/Eugen Marbach, Immaterialgüter- und Wettbewerbsrecht, 2ème éd., Berne
2002, p. 243; Schmidhauser, op. cit., n. 10 ad art. 3; Weber, op. cit., p.
47; Zäch, op. cit. [1999], p. 128). Un tel mandat légal ne conduit toutefois
pas automatiquement à une exclusion de la concurrence (Bischof, op. cit., p.
162 s.; Fournier, op. cit., p. 137 s.; Rentsch, op. cit., p. 202; voir aussi
dans un autre contexte Hans Rudolf Trüeb, Der so genannte service public, ZBI
103/2002 p. 225 ss., 237). Dans ce contexte, les autorités inférieures ont
mentionné le domaine des télécommunications, où la concession pour le service
universel liée à l'obligation de fournir des prestations correspondantes à
l'ensemble de la population (art. 14 ss de la loi fédérale du 30 avril 1997
sur les télécommunications, LTC; RS 784.10) n'exclut pas la concurrence en
dehors de cette concession (art. 4 ss LTC; ATF 125 II 293 consid. 4f). La
Poste également a une obligation légale de fournir, dans le domaine du
service universel, des prestations en dehors des services réservés, mais ne
dispose pas pour autant d'un monopole (art. 2-4 de la loi fédérale du 30
avril 1997 sur la poste, LPO; RS 783.0).

Le simple fait de charger une entreprise d'une tâche d'intérêt public ne
justifie une dérogation légale à la concurrence que si ce mandat légal est
lié à un monopole, comme par exemple dans le cas de la Société suisse de
radiodiffusion et télévision (art. 26 ss de la loi fédérale du 21 juin 1991
sur la radio et la télévision, LRTV; RS 784.40; Rentsch, op. cit., p. 212;
Zäch, op. cit. [1999], p. 129) ou s'il doit raisonnablement être interprété
comme un monopole. Le Tribunal fédéral a ainsi considéré comme un monopole
l'obligation pour la collectivité publique d'éliminer les déchets urbains
selon l'art. 31b al. 1 de la loi fédérale du 7 octobre 1983 sur la protection
de l'environnement (LPE; RS 814.01) (ATF 126 II 26 consid. 3a p. 30; 125 II
508 consid. 5b). Une clause d'exclusion de la concurrence peut aussi résulter
d'un mandat légal lorsqu'il n'existe aucun monopole. Ainsi, le domaine de
l'enseignement public n'est pas soumis aux règles de la concurrence: les
établissements scolaires pourraient certes être entièrement exploités comme
des entreprises au sens de l'art. 2 al. 1 LCart; l'Etat ne dispose en effet
d'aucun monopole pour l'exploitation des établissements scolaires. Il est
toutefois admissible que les établissements scolaires publics soient financés
au moyen des impôts et par là que les offreurs privés soient lésés. Cela ne
vaut pas seulement pour l'enseignement de base qui doit être gratuit selon
l'art. 19 Cst., ce qui nécessite l'engagement de fonds publics, mais aussi
pour la formation supérieure. Dès lors, il peut résulter de la législation
topique que l'Etat offre un enseignement à un prix qui ne couvre pas ses
charges, c'est-à-dire à un prix qui ne correspond pas au prix du marché libre
(ATF 123 I 254 consid. 2b/bb). Ce but légal ne pourrait pas être atteint si
les établissements d'enseignement public étaient soumis à la loi sur les
cartels. Il en va de même dans le domaine de la santé où les hôpitaux publics
sont financés partiellement par des fonds publics, ce qui entrave l'accès des
hôpitaux privés à la concurrence ou son exercice, mais cela a été voulu par
le législateur, si bien que les art. 5 et 7 LCart ne sont pas applicables
(DPC/RPW 1998. p. 562 ch. 12 ss; DPC/RPW 1999 p. 184 consid. 6 p. 197;
RAMA/RKUV 4/1997 p. 257 consid. 11.2 p. 268; Clerc, op. cit., n. 102 ad art.
7; Margareta Lauterburg, Gesundheits- und Versicherungsmärkte -
kartellrechtliche Fragen in der Praxis der Wettbewerbsbehörde, in
Hürlimann/Poledna/Rübel [éd.], Privatisierung und Wettbewerb im
Gesundheitsrecht, Zurich 2000, p. 101 ss, 111 s.).

En l'absence de règles claires, le critère essentiel doit être celui de
savoir si la soumission d'un secteur donné à la loi sur les cartels ferait
obstacle à l'accomplissement de la tâche d'intérêt public impartie par la loi
à une entreprise (DPC/RPW 1998 p. 198 ch. 18-20; Clerc, op. cit., n. 103 ad
art. 7).

5.4.10 Selon l'art. 2 LEEF, la recourante s'est vu confier le mandat légal
d'assurer l'approvisionnement en énergie électrique du territoire desservi.
Avec la recourante, on peut admettre qu'il s'agit là d'une tâche d'intérêt
général. La manière dont la recourante doit mener à bien sa mission n'est
cependant pas réglée par la loi. Il résulte cependant de la loi de 1998 sur
les EEF que la recourante doit au moins veiller à ce qu'il existe des réseaux
de transport et de distribution d'énergie dans le territoire desservi et que
les consommateurs soient approvisionnés en courant électrique. Cela ne
signifie cependant pas forcément que seule la recourante peut fournir de
l'électricité au moyen du réseau installé et exploité par elle. Elle admet
elle-même qu'elle ne produit qu'environ la moitié de l'énergie électrique
qu'elle livre. Elle doit s'approvisionner en courant électrique auprès de
tiers et le revendre à ses clients. Il serait ainsi tout aussi bien possible
que les producteurs tiers vendent directement leur énergie aux clients et
qu'ils utilisent à cet effet les installations de la recourante.

La recourante n'explique pas pourquoi cela ne serait pas possible. Elle fait
simplement valoir qu'elle doit conclure avec ses fournisseurs des contrats de
longue durée afin de pouvoir garantir l'approvisionnement. Elle s'est donc
engagée à acheter de l'électricité pour une longue période, si bien qu'elle
ne pourrait revendre qu'avec peine cette électricité si des tiers pouvaient
fournir directement les consommateurs. La vente au détail ne serait donc pas
compatible avec la tâche d'intérêt public qui lui a été conférée. Un
approvisionnement général et direct des clients par des tiers mettrait en
péril cette tâche.

Cette argumentation n'est cependant pas convaincante. Contrairement aux
exemples précités concernant la formation et la santé, l'obligation
d'approvisionnement en électricité impartie par la loi n'est pas liée à une
réduction de prix étatique motivée par des motifs d'ordre de politique
sociale, diminution qui en soi n'est pas un instrument du marché. Les
consommateurs paient en principe pour l'électricité un prix qui couvre les
charges. On ne voit donc pas pourquoi ce prix ne serait pas formé selon les
lois du marché libre, ce qui suppose que les autres producteurs de courant
électrique aient la possibilité de livrer du courant.

Certes, si les tiers ont accès au marché, cela pourra conduire les clients de
la recourante à s'adresser à d'autres producteurs, partant entraîner une
diminution de la quantité d'électricité vendue par la recourante. Mais chaque
vendeur est confronté à ce genre de problème. Cela n'est en tout cas pas une
raison suffisante pour exclure la concurrence.

Il est notoire que les entreprises d'approvisionnement en électricité ont
conclu avec les producteurs d'électricité des conventions de longue durée, en
particulier pour disposer d'une réserve d'énergie suffisante. La loi n'impose
cependant pas cela à la recourante, mais cela résulte de sa propre estimation
de l'état d'approvisionnement. L'approvisionnement sûr en électricité dans
l'intérêt général peut cependant aussi être garanti par le fait que
différents producteurs puissent livrer leur énergie électrique par le biais
du réseau exploité par la recourante. La loi sur les cartels postule que
l'approvisionnement de la population n'est pas assuré au mieux par la
conclusion de contrats de longue durée avec un établissement se trouvant en
situation de monopole, mais par la concurrence entre plusieurs offreurs (cf.
aussi art. 5 al. 2 LEne; voir plus haut consid. 4.3.1). Dans le domaine de
l'approvisionnement en électricité peuvent éventuellement exister des
circonstances particulières qui sont de nature à conduire à une autre
conclusion (nécessité d'investissements de départ importants pour la
construction des installations de production et du réseau de distribution,
nécessité d'avoir une capacité de réserve suffisante eu égard à la
possibilité de stockage limité avec de grandes variations de la demande et
effets importants dus au goulot d'étranglement en matière
d'approvisionnement; cf. FF 1999 p. 6675 ss). Il n'est pas totalement exclu
que, dans certaines conditions du marché particulières, aucun fournisseur ne
soit prêt ou en mesure de livrer de l'électricité. En pareilles
circonstances, il pourrait exister un besoin d'approvisionnement en
électricité qui ne serait pas assuré par les lois du marché. De telles
considérations d'ordre politique pourraient éventuellement justifier
l'exclusion de la concurrence. Mais, selon la conception qui est à la base de
la loi sur les cartels, elles ne seraient déterminantes que si elles avaient
été concrétisées dans des prescriptions adoptées par les pouvoirs publics en
vertu de l'art. 3 al. 1 LCart. Or, comme on l'a  vu plus haut, il n'existe
pas de telles prescriptions dans la loi de 1998 sur les EEF.

La recourante se réfère à l'arrêt de la Cour de justice des communautés
européennes, du 25 octobre 2001, dans la cause Ambulanz Glöckner (C-475/99,
Rec. 2001 p. I-8089). Dans cet arrêt (point 61), la Cour a justifié
l'extension d'un monopole pour le secteur du transport urgent de malades à
celui du transport non urgent de malades (rentable) par le fait que cela
permettait à l'entreprise d'assurer sa mission d'intérêt général, touchant au
transport urgent de malades, dans des conditions d'équilibre économique. La
possibilité qu'auraient les concurrents de se concentrer, dans les services
de transports non urgents, sur des trajets plus lucratifs, pourrait porter
atteinte à la viabilité économique du service du transport urgent (non
rentable) et par conséquent mettre en cause la qualité et la fiabilité dudit
service.

Il est vrai que la recourante emploie les bénéfices provenant de la vente
d'énergie pour financer la construction et l'entretien de son réseau
électrique. Cela est d'ailleurs habituel compte tenu de la structure
historique du réseau d'électricité qui a existé jusqu'à présent. Avec l'accès
des tiers au réseau, le subventionnement ("Quersubventionierung") du secteur
de la production par le secteur de la distribution d'énergie (ou vice versa)
serait pratiquement impossible, ce qui peut avoir des effets sur le calcul du
prix de l'électricité par les entreprises d'électricité (Strub, op. cit., p.
274 ss).

Cela n'exclut cependant pas l'accès de tiers au réseau. Il n'est pas contesté
que la partie intimée (Watt Suisse AG) doit payer une redevance pour
l'utilisation du réseau. Elle s'est expressément déclarée prête à le faire.
Si cette rétribution est fixée de manière à couvrir les frais, l'accès des
tiers au réseau n'aura pas de répercussions financières pour le propriétaire
du réseau (Strub, op. cit., p. 287 s.). Il ne s'agit donc pas d'une question
de principe quant à l'accès au réseau, mais du montant de la redevance à
payer pour que les frais du réseau électrique puissent être couverts (voir
ci-dessous consid. 6.5.9). Il n'est pas établi que la tâche
d'approvisionnement confiée par la loi ne pourrait plus être remplie si les
tiers avaient accès au réseau de la recourante.

Dans ces circonstances, le mandat légal d'approvisionnement contenu dans la
la loi de 1998 sur les EEF n'implique pas un droit exclusif en faveur de la
recourante à fournir de l'énergie électrique aux consommateurs finaux.

Pour le cas où l'intérêt public à un approvisionnement sûr en électricité
serait effectivement compromis par l'accès au réseau de tiers, le Conseil
fédéral pourrait toujours intervenir en autorisant une dérogation au principe
de la concurrence au sens de l'art. 8 LCart. Le Tribunal fédéral n'a
toutefois pas à se prononcer là-dessus (consid. 1.3).
5.4.11 Contrairement à l'avis de la recourante, on ne peut pas voir une
exclusion de la concurrence au sens de l'art. 3 al. 1 LCart dans le fait que
les conventions relatives à la délimitation des zones de distribution
d'électricité sont soumises pour approbation au Conseil d'Etat (art. 11 al. 2
let. b et 21 al. 3 let. i LEEF). De telles conventions délimitent les zones
d'approvisionnement, ainsi que le territoire du réseau et du mandat
d'approvisionnement de la recourante, mais cela n'exclut pas les tiers de
l'acheminement de l'électricité. On ne voit pas dans quelle mesure la
recourante aurait besoin de l'approbation du Conseil d'Etat pour cela.

5.5 La loi de 2000 sur le statut des EEF entrée en vigueur le 1er janvier
2002 contient encore moins une clause d'exclusion de la concurrence que la
loi de 1998 sur les EEF.

5.5.1 En adoptant la loi de 2000 sur le statut des EEF, le législateur
cantonal fribourgeois voulait, comme déjà prévu dans le cadre des travaux
préparatoires de la loi de 1998, assurer à EEF une meilleure position
concurrentielle dans la perspective de la prochaine ouverture du marché de
l'électricité (Message du 5 juin 2000, BO/FR 2000 p. 971; Séance du Grand
Conseil, BO/FR 2000 p. 1238 ss, intervention du rapporteur et du
commissaire). Dans ce but, EEF a été transformée en une société anonyme de
droit privé (art. 1 LSEEF). L'Etat reste néanmoins l'actionnaire majoritaire
(art. 2 al. 2 LSEEF).

Les buts de la nouvelle société anonyme correspondent pour l'essentiel à ceux
énumérés à l'art. 2 LEEF (BO/FR 2000 p. 972; art. 2 des Statuts EEF). La
tâche publique d'approvisionnement n'est cependant plus mentionnée dans la
loi. La volonté expresse du législateur était de supprimer le monopole de EEF
dans la perspective de la libéralisation du marché de l'électricité (BO/FR
2000 p. 974). En séance du Grand Conseil, la transformation en société
anonyme de droit privé a été refusée par une minorité, sans que celle-ci ne
cherche toutefois à recréer une situation de monopole (BO/FR 2000 p. 1242,
intervention Moret). Ainsi, même si l'on voulait voir l'existence d'un
monopole de EEF selon l'ancienne loi de 1998 sur les EEF du point de vue du
droit des cartels, cela a été expressément supprimé par la loi de 2000 sur le
statut des EEF.

5.5.2 La loi sur le domaine public a été modifiée en même temps que la loi de
2000 sur les EEF (art. 8 LSEEF). Selon l'art. 55 al. 2 LDP/FR:
"Les Entreprises électriques fribourgeoises disposent, contre paiement d'une
redevance, d'une concession réglée par convention pour l'utilisation des
forces hydrauliques du canton pour la production d'énergie."
L'art. 56 LDP/FR (voir plus haut consid. 5.4.2) a été abrogé.

Si la concession en faveur de EEF est maintenue dans la loi, tel n'est plus
le cas pour le monopole (BO/FR 2000 p. 973 s.). En outre, la concession se
réfère exclusivement à l'utilisation des forces hydrauliques et non à
l'utilisation du réseau électrique ou du domaine public. Et il est encore
moins question d'un monopole de droit en rapport avec la livraison et la
distribution d'énergie.

5.5.3 Il ressort des travaux préparatoires que le législateur fribourgeois
voulait s'adapter notamment à la loi fédérale sur le marché de l'électricité
par la création d'une nouvelle structure de EEF. Cependant, l'entrée en
vigueur d'une nouvelle loi cantonale n'a nullement été subordonnée à l'entrée
en vigueur de la loi sur le marché de l'électricité; la révision de la loi
n'a pas été motivée uniquement par la  loi sur le marché de l'électricité
mais par la libéralisation générale du marché. Il a été fait en particulier
référence à la situation juridique dans l'Union européenne en mentionnant le
mot "eurocompatibilité" (BO 2000 p. 974), bien que le législateur
fribourgeois ne fût pas obligé de s'aligner sur la réglementation de l'Union
européenne en matière de marché de l'électricité. Ce n'est donc pas seulement
en rapport avec la  loi sur le marché de l'électricité mais de sa propre
initiative que le canton de Fribourg a supprimé le monopole de EEF, si tant
est qu'un tel monopole ait existé selon la loi de 1998 sur les EEF. Dans ces
conditions, il n'y a aucune raison de déduire une clause d'exclusion de
concurrence selon le droit des cartels du rejet de la loi sur le marché de
l'électricité par le peuple.

5.6 En résumé, il n'existe, dans la législation cantonale actuelle aucune
prescription au sens de l'art. 3 al. 1 LCart excluant l'application de la loi
sur les cartels.

5.7 Comme déjà mentionné plus haut (consid. 5.3.3), le projet de la nouvelle
loi sur l'approvisionnement en énergie électrique (LAEE) préparé par le
Conseil d'Etat n'est pas applicable en l'espèce. Si cette loi devait
expressément instaurer - ce qui est visiblement prévu - un monopole de droit
en faveur de la recourante, il va de soi qu'un changement de situation
juridique ne pourra se produire qu'au moment de l'entrée en vigueur de la
nouvelle loi et qu'il y aura donc lieu d'apprécier à nouveau cette situation
à la lumière de l'art. 3 al. 1 LCart.

Pour le surplus, on peut se demander sérieusement si et dans quelle mesure le
canton de Fribourg a la possibilité d'instituer un monopole de droit en
faveur de la recourante pour la livraison d'électricité. Il se pose en effet
la question de savoir si un tel monopole serait justifié par un intérêt
public et proportionné au but visé (art. 27 Cst. en relation avec l'art. 36
Cst.). Point n'est cependant besoin ici de trancher cette délicate question.

6.
Il convient ensuite de déterminer si les instances inférieures ont admis avec
raison que le comportement de la recourante violait l'art. 7 LCart.

6.1 Selon l'art. 7 al. 1 LCart, les pratiques d'entreprises ayant une
position dominante sont réputées illicites lorsque celles-ci abusent de leur
position et entravent ainsi l'accès d'autres entreprises à la concurrence ou
son exercice, ou désavantagent les partenaires commerciaux. Conformément à
l'art. 7 al. 2 let. a LCart, est en particulier réputé illicite le refus
d'entretenir des relations commerciales (p. ex. refus de livrer ou d'acheter
des marchandises).
Les conditions d'application de l'art. 7 LCart sont: qu'il existe une
entreprise au sens de l'art. 2 al. 1 LCart (consid. 6.2), qu'il s'agisse
d'une entreprise dominant le marché au sens de l'art. 4 al. 2 LCart (consid.
6.3), qu'elle entrave l'accès aux autres entreprises à la concurrence ou son
exercice ou encore désavantage les partenaires commerciaux (consid. 6.4) et
enfin, que cela résulte d'un abus de sa position dominante (consid. 6.5).
6.2 Il est manifeste et incontesté que la recourante constitue, en tant que
société juridiquement et économiquement indépendante, une entreprise au sens
de l'art. 2 al. 1 LCart (cf. ATF 127 II 32 consid. 3d p. 43).

6.3
6.3.1Par entreprise dominant le marché, on entend une entreprise qui est à
même, en matière d'offre ou de demande, de se comporter de manière
essentiellement indépendante par rapport aux autres participants au marché
(art. 4 al. 2 LCart), notamment lorsque ceux-ci n'ont raisonnablement aucune
autre alternative que d'avoir des relations commerciale avec cette entreprise
(von Büren/Marbach, op. cit., p. 274 s.; Roger Zäch, Verhaltensweisen
marktbeherrschender Unternehmen, in: von Büren/David, op. cit. [2000], p. 137
ss, 172). Le point de savoir si une entreprise domine ou non le marché doit
toujours être apprécié en rapport avec un marché matériellement et
géographiquement déterminant.

6.3.2 L'autorité intimée a admis que la recourante avait une position
dominante sur le marché déterminant de la distribution supra-régionale et
régionale de l'électricité dans sa zone de distribution régionale au sens de
l'art. 4 al. 2 LCart, parce que EEF est pratiquement seule sur le marché et a
la maîtrise de fait sur les infrastructures de transport du courant
électrique nécessaires à l'approvisionnement des consommateurs.

6.3.3 La recourante fait valoir qu'elle ne peut pas avoir une position
dominante, étant donné qu'il n'existe aucun marché de la distribution
d'électricité puisque chaque zone est desservie par un seul opérateur. Ce
n'est que par une législation fédérale telle que la loi sur le marché de
l'électricité que l'on pourrait en fait créer un tel marché. L'accès des
tiers au réseau devrait en outre absolument être prévu par une législation.
La recourante fait ensuite valoir que la distribution locale et la vente au
détail sont nécessaires à son activité et ne sont pas détachables de sa
mission d'intérêt public. L'usage exclusif des forces hydrauliques lui aurait
été confié afin de lui permettre d'exercer sa mission d'approvisionnement.
L'ouverture au marché de tiers devrait être accompagnée d'une obligation
d'approvisionnement réglée par le droit fédéral. Autrement, l'intervention
des autorités de la concurrence empêcherait l'accomplissement de la mission
d'intérêt public.

Ces critiques se recoupent dans une large mesure avec les griefs qui ont déjà
été traités, soit ceux en relation avec l'art. 3 al. 1 LCart (voir ci-dessus
consid. 5.4). Etant donné, comme on l'a vu, qu'une clause d'exclusion au sens
de l'art. 3 al. 1 LCart n'existe pas, l'activité en cause est soumise à la
loi sur les cartels. Lorsqu'il n'existe aucune concurrence entre les
concurrents, cela peut justement constituer une situation illicite au sens de
l'art. 7 LCart. Cela ne saurait exclure l'application de cette disposition
légale, mais justifie au contraire une intervention des autorités de la
concurrence et l'adoption de mesures appropriées afin que la concurrence soit
rétablie.

6.3.4 La recourante ne conteste en principe pas, à juste titre, que le marché
déterminant du point de vue objectif et géographique est l'acheminement de
l'énergie électrique dans la zone de distribution de l'exploitant du réseau
(cf. aussi Bischof, op. cit., p. 149 ss). La recourante ne conteste pas non
plus qu'elle est seule à livrer de l'électricité dans sa zone
d'approvisionnement.

Les autres offreurs n'ont pratiquement aucune autre alternative que
d'utiliser un réseau pour fournir du courant électrique (Hübscher/Rieder, op.
cit., p. 441) et ne peuvent pas en livrer faute de réseau propre. La
recourante peut ainsi se comporter de manière indépendante par rapport aux
autres offreurs et jouit ainsi d'une position dominante (art. 4 al. 2 LCart;
Bischof, op. cit., p. 153 s.; Kilchenmann, op. cit., p. 51).

6.4
6.4.1La recourante ne conteste pas qu'elle a refusé l'accès de son réseau à
la partie intimée Watt. Elle entrave ainsi l'accès à la concurrence et son
exercice.
Elle fait certes valoir que Watt ne serait pas entravée, parce qu'elle n'a
pas établi qu'elle était à même, par les réseaux situés en amont, d'accéder
au réseau supra-régional de EEF. Et l'accès à ces réseaux supérieurs serait
une condition indispensable pour que Watt puisse accéder aux installations de
la Migros situées à Estavayer-le-Lac et Courtepin. Le refus d'accès au réseau
de EEF pourrait donc tout au plus être considéré comme illicite si la
Commission de la concurrence avait constaté que la partie intimée Watt était
raccordée aux réseaux situés en amont. Mais tel ne serait pas le cas jusqu'à
présent. Les parties intimées n'auraient jusqu'à maintenant pas cherché à
accéder à ces réseaux. Par conséquent, même si le Tribunal fédéral rejetait
le présent recours, les parties intimées ne seraient pas en mesure d'accéder
au réseau de la recourante. La recourante ne pourrait ainsi pas se voir
reprocher d'entraver la concurrence.

Il est vrai que Watt doit aussi utiliser des réseaux situés en amont pour
approvisionner les sites de la Migros et qu'un tel accès n'existe pas encore.
Cela ne signifie cependant pas que les parties intimées ne seraient pas
entravées dans l'exercice de la concurrence par le comportement de la
recourante. Elles sont tenues de lever tous les obstacles qui les empêchent
d'accéder au réseau de la recourante. Mais un obstacle à la concurrence ne
saurait être justifié par le fait que les autres empêchements n'ont
éventuellement pas (encore) été supprimés.

Du reste, les instances inférieures ont souligné que la recourante n'avait
jamais laissé entendre qu'elle autoriserait l'accès de son réseau aussitôt
que Watt serait capable d'acheminer le courant jusqu'à la limite du réseau de
distribution de EEF. La recourante ne le conteste pas, mais s'oppose par
principe à l'accès de son réseau à des tiers. Ce procédé doit être considéré
comme abusif.

6.4.2 La recourante fait en outre valoir que Migros ne serait pas affectée
dans sa capacité de concurrence parce que EEF serait prête à lui livrer
l'énergie aux mêmes conditions que celles offertes par Watt. Ses prix ne
seraient donc pas abusifs.

Cette objection est cependant mal fondée. La liberté économique et la libre
concurrence impliquent aussi le libre choix de ses partenaires commerciaux.
Selon les circonstances, celui qui est contraint de se fournir auprès d'un
partenaire déterminé peut être entravé dans sa liberté contractuelle, même si
ce partenaire accorde les mêmes conditions que le partenaire qu'il aurait
choisi. Car il peut exister d'autres motifs pour entretenir des relations
commerciales avec un autre partenaire.

6.5
6.5.1Selon l'art. 7 al. 1 LCart, le simple fait qu'une entreprise dominant le
marché entrave l'accès d'autres entreprises à la concurrence et son exercice
n'est pas illicite. Encore faut-il que l'entreprise dominant le marché limite
de façon abusive la liberté d'action de ses concurrents (FF 1995 I 564).

Les pratiques énumérées à titre d'exemple à l'art 7 al. 2 LCart ne sont pas
automatiquement illicites; elles ne sont illicites que si elles répondent aux
critères généraux de l'abus formulé à l'art. 7 al. 1 LCart (FF 1995 I 565;
Borer, op. cit., n. 4 ad art. 7; Clerc, op. cit., n. 109 ad art. 7; Zäch, op.
cit. [1999], p. 194; Roger Zäch, Kontrolle des Verhaltens marktbeherrschender
Unternehmen, in: Christian Meier-Schatz [éd.], Das neue Kartellgesetz, Berne
1998, p. 117 ss, 137).

La pratique d'une entreprise en position dominante est en principe illicite
lorsque, sans aucune justification objective, elle entrave l'accès d'autres
entreprises à la concurrence ou l'exercice de celle-ci (FF 1995 I 564;
Bischof, op. cit., p. 155; Borer, op. cit., n. 9 ad art. 7; von
Büren/Barbach, op. cit., p. 279; Clerc, op. cit., n. 61 s. et 79 ss ad art.
7; Dallafior, op. cit., n. 36 s. ad art. 7; Zäch, op. cit. [2000], p. 188).
Une stratégie envers les autres concurrents doit se révéler inéquitable en ce
sens que, par exemple, d'après les circonstances, la volonté d'exclure un
concurrent est manifeste (FF 1995 I 564 s.); tel est également le cas lorsque
les autres concurrents sont empêchés d'accéder à un marché (Borer, op. cit.,
n. 12 ad art. 7), c'est-à-dire lorsque le comportement a un objectif qui est
contraire à la concurrence (Zäch, op. cit. [2000], p. 186 s.).

Suivant l'exemple de la théorie dite "Essential facility" élaborée aux
Etats-Unis (Bischof, op. cit., p. 131 ss; Schindler, op. cit., p. 3 ss) et
discutée aussi dans l'Union européenne (Schindler, op. cit., p. 35 ss), la
doctrine suisse qualifie un comportement d'abusif lorsqu'une entreprise en
position dominante dispose seule des équipements ou des installations
indispensables à la fourniture d'une prestation et qu'elle refuse, sans
raison objective, de les mettre à disposition aussi de ses concurrents.
Encore faut-il que les concurrents n'aient aucune solution de remplacement,
si bien que le refus incriminé est de nature à exclure toute concurrence (FF
1995 I 565 s.; Bischof, op. cit., p. 129 ss; Borer op. cit., n. 12 ad art. 7;
Clerc, op. cit., n. 124 ss ad art. 7; Dallafior, op. cit., n. 105 ss ad art.
7; Hübscher/Rieder, op. cit., p. 440 ss; Schindler, op. cit., p. 192 s., 195;
Ruffner, op. cit., p. 841; Zäch, op. cit. [1998], p. 139). D'après la
doctrine, cette théorie s'applique en particulier aux réseaux électriques,
qui se trouvent en situation de monopole de fait; il est en effet
pratiquement impossible de construire un réseau parallèle et concurrent
notamment pour des raisons financières, si bien que les concurrents sont
obligés d'utiliser les réseaux existants. Car sinon aucune concurrence ne
serait possible (Bischof, op. cit., p. 141 s., 155 s., 165 s.; Borer, op.
cit., n. 12 ad art. 7; von Büren/Marbach, op. cit., p. 280 s.; Schindler, op.
cit., p. 77, 88, 91 ss, 122; Vogel, op. cit., p. 194; Zäch, op. cit. [1999],
p. 223; Zäch, op. cit. [2000], p. 204 s.; Zäch, Netzstrukturen, p. 951).

6.5.2 La Commission de la concurrence a considéré (décision du 5 mars 2001,
ch. 175) qu'il faut partir d'un comportement illicite au sens de l'art. 7
LCart lorsqu'une entreprise en position dominante refuse, sans raisons
justificatives objectives, de donner accès, contre une rémunération adéquate,
à ses réseaux ou à d'autres infrastructures à une autre entreprise, dès lors
que, sans cet accès, celle-ci ne serait pas en mesure, pour des motifs de
fait ou de droit, d'exercer une activité sur le marché situé en aval et que
ce marché n'est pas exposé à une concurrence efficace.

La Commission de recours a retenu pour sa part que le refus opposé par la
recourante à Watt de faire transiter le courant sur son réseau empêchait
cette dernière d'exercer la concurrence sur le marché aval, ce qui
constituait un cas d'entrave illicite au sens de l'art. 7 al. 1 LCart, dans
la mesure où un tel refus n'était pas justifié par des motifs objectifs. Or,
une telle justification faisait défaut.

6.5.3 La motivation des autorités inférieures, qui est conforme à l'avis de
la doctrine, est convaincante. La recourante veut manifestement empêcher Watt
d'accéder au marché en question. Watt ne peut pas livrer de courant
électrique sans utiliser le réseau de la recourante parce que - ce qui n'est
du reste pas contesté par celle-ci - pour des raisons juridiques et
économiques, il n'est pratiquement pas possible pour Watt de construire
elle-même un réseau de transport parallèle. La recourante utilise sa position
de fait dominante, qu'elle tire de son réseau de transport, pour ne pas
devoir s'ouvrir à la concurrence. Son comportement est donc directement
dirigé contre une possible instauration de la concurrence et exclut, dans le
résultat, toute concurrence entre les fournisseurs d'énergie. Ce comportement
doit donc être qualifié d'abusif, dans la mesure où il ne peut pas être
justifié par des motifs objectifs.

6.5.4 Une entreprise peut refuser d'entretenir des relations commerciales
avec un partenaire pour des motifs objectifs d'ordre commercial (FF 1995 I
566; Dallafior, op. cit., n. 37 ad art. 7; Roger Groner, Missbrauchsaufsicht
über marktbeherrschende Unternehmen - quo vadis? in: recht 2002 p. 63 ss, 69;
Ruffner, op. cit., p. 838; Zäch, op. cit. [2000], p. 188, [1998], p. 132),
soit pour des raisons d'efficacité au niveau de l'entreprise (Schindler, op.
cit., p. 117 s.), ou encore pour obtenir une prestation ayant le meilleur
rapport qualité/prix pour le consommateur (Groner, op. cit., p. 65 s.).
S'agissant de l'utilisation du réseau, le manque de capacité disponible du
réseau constitue également une motivation objective (cf. art. 5 al. 3 LME;
Bischof, op. cit., p. 157; Schindler, op. cit., p. 115 ss). Car l'obligation
d'acheminer l'électricité d'un tiers aussi en cas de capacités insuffisantes
ou inexistantes du réseau porterait atteinte au propriétaire du réseau qui
serait empêché de l'utiliser pour desservir sa propre clientèle; cela
comporterait une restriction de la propriété, qui nécessiterait une base
légale supplémentaire (Fuchs, op. cit., p. 59; cf. aussi Jagmetti, op. cit.,
n. 34 ad art. 24quater). Mais la recourante n'a pas invoqué un manque de
capacité de son réseau ou d'autres problèmes techniques pour ne pas ouvrir
son réseau à des tiers.

6.5.5 La recourante soutient que l'accomplissement de sa mission d'intérêt
public serait mis en péril par l'accès de Watt au réseau, dans la mesure où
l'électricité qu'elle vend aux sites de la Migros dans l'aire couverte par
son réseau représenterait environ 4 % de l'énergie totale qu'elle livre, soit
une proportion considérable. Cela ne constitue toutefois pas un motif
objectif d'ordre commercial justifiant une pratique réputée illicite par
l'art. 7 LCart. Le simple fait qu'une entreprise en position dominante perde
une part de marché à la suite de l'arrivée de nouveaux concurrents ne saurait
être considéré comme une raison pour exclure la concurrence. Au contraire,
c'est précisément le but du droit des cartels que les parts de marché
relatives des différents offreurs puissent subir des modifications par le
biais de la concurrence.

6.5.6 La recourante fait ensuite valoir que Watt et la Migros auraient amené
les sociétés ELSA et Micarna à rompre les contrats d'approvisionnement que
celles-ci avaient conclu avec EFF, ce qui constituerait un acte de
concurrence déloyale au sens de l'art. 4 de la loi fédérale du 19 décembre
1986 contre la concurrence déloyale (LCD; RS 241). Il serait donc contraire
au sens et à l'esprit du droit des cartels que les autorités de la
concurrence puissent admettre, voire favoriser, un comportement déloyal.
Selon l'art. 4 let. a LCD, agit de façon déloyale celui qui incite un client
à rompre un contrat en vue d'en conclure un autre avec lui. Mais l'on ne peut
parler de rupture de contrat au sens de cette disposition que lorsqu'un
contrat est violé (ATF 122 III 469 consid. 8a; 114 II 91 consid. 4a/bb p.
99). Micarna et ELSA ont résilié leur contrat de fourniture en bonne et due
forme. La résiliation d'un contrat, qui est conforme aux clauses
contractuelles, ne constitue donc pas une violation du contrat, mais au
contraire, l'utilisation d'un droit prévu par le contrat. En l'espèce, il n'y
a pas de violation de l'art. 4 LCD.

6.5.7 La recourante critique ensuite le fait que Migros abuse de sa puissance
sur le marché.

Selon les propres indications de la recourante, la part du courant  acquis
par Migros représente environ 4 % de la totalité de ses livraisons. Compte
tenu déjà de cette faible part, on ne peut pas dire que Migros occupe une
position dominante sur ce marché (Herbert Wohlmann, Bekämpfung des
Missbrauchs von Marktmacht, RSDA/SZW, Sondernummer 1996, p. 22 ss, 24), même
si, pour juger de cette question, il y a lieu de poser des critères
différents selon que l'entreprise se trouve dans la position de l'acheteur ou
dans celle du vendeur. Du reste, on ne voit pas en quoi le comportement de
Migros serait abusif. Le simple souhait de changer de fournisseur ne saurait
être qualifié d'abusif au sens de l'art. 7 LCart. La recourante ne fait pas
valoir que Migros aurait essayé d'obtenir de EFF des prix ou des conditions
commerciales inéquitables au sens de l'art. 7 al. 2 let. c LCart. En fait,
cette disposition vise les cas d'exploitation où une entreprise impose des
prix sans rapport raisonnable avec la valeur économique de la prestation
fournie (Borer, op. cit., n. 16 ad art. 7; Dallafior, op. cit., n. 113 ss ad
art. 7; Zäch, op. cit. [2000], p. 213 s.). Le simple fait d'essayer d'obtenir
des conditions plus favorables que précédemment ne constitue pas encore un
abus.

6.5.8  Depuis le rachat de Watt par NOK autorisé par la Commission de la
concurrence (DPC/RPW 2002 p. 348 ss), NOK dispose, selon les informations
fournies par la recourante, d'une part de marché de 41 % de la totalité de
l'approvisionnement en électricité en Suisse. Même s'il fallait y voir une
position dominante, cela ne constituerait pas encore une violation de l'art.
7 LCart. Car le simple fait qu'une entreprise occupe une position dominante
n'est pas illicite aussi longtemps que cette position n'est pas utilisée de
manière abusive au sens de l'art. 7 LCart (FF 1995 I 564; Dallafior, op.
cit., n. 30 ad art. 7; Wohlmann, op. cit., p. 22). La recourante n'allègue
pas l'existence d'un abus ni en quoi il consisterait. De toute façon, à
supposer que Watt ait une position dominante (quoique sur une autre aire de
marché), cela ne constitue pas un motif objectif et suffisant qui permettrait
à la recourante d'interdire l'accès à son marché.

6.5.9 Enfin, la recourante affirme qu'en dehors de la loi sur le marché de
l'électricité qui a été rejetée, il n'existerait aucune réglementation sur la
formation des prix et sur les autres conditions pour l'utilisation du réseau.
Elle ne pourrait pas négocier les prix avec Watt, étant donné qu'elles se
trouvent toutes les deux dans un rapport de concurrence.

Les relations commerciales peuvent ne pas procéder de la libre volonté des
partenaires. C'est toujours le cas lorsque, sur la base de l'art. 7 al. 2
let. a LCart, l'obligation d'entretenir des relations commerciales est
imposée par les autorités de la concurrence à l'encontre de la volonté de
l'entreprise en position dominante. A ce défaut, cette disposition resterait
lettre morte. A vrai dire, la fixation du prix équitable pour l'utilisation
d'un réseau peut soulever de grandes difficultés (Borer, op. cit., n. 12 ad
art. 7; Hübscher/Rieder, op. cit., p. 441). Les autorités inférieures n'ont -
contrairement aux conclusions initiales de la Migros - pas fixé elles-mêmes
un prix pour l'utilisation du réseau, mais ont considéré qu'il s'agissait
d'une question de droit civil entre EEF et la Migros.

En principe, il est vrai qu'il incombe aux parties de se mettre d'accord sur
un prix équitable. Dans le cadre de la loi sur le marché de l'électricité,
ont été élaborés des principes sur le calcul de la rétribution de
l'acheminement de l'électricité (art. 6 LME; voir FF 1999 p. 6669 ss, 6708
s.). Ces critères peuvent, malgré le refus de la loi sur le marché de
l'électricité, être repris pour la détermination du prix pour l'obligation
d'acheminement reposant sur le droit des cartels. Si une entreprise en
position dominante imposait un prix inéquitable, une nouvelle procédure
pourrait être ouverte sur ce point devant les autorités de la concurrence
(art. 7 al. 2 let. c et 26 ss LCart).

7.
En conclusion, le recours est mal fondé et doit donc être rejeté. Succombant,
la recourante doit supporter les frais de procédure (art. 156 al. 1 en
relation avec les art. 153 et 153a OJ). Obtenant gain de cause, les parties
intimées, toutes représentées par un mandataire professionnel, ont droit à
des dépens (art. 159 al. 2 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours de droit administratif est rejeté.

2.
Un émolument judiciaire de 8'000 fr. est mis à la charge de la recourante.

3.
Il est mis à la charge de la recourante:
3.1une indemnité de 4'000 fr. à verser à Watt Suisse AG à titre de dépens,
3.2une indemnité de 4'000 fr. à verser à la Fédération des Coopératives
Migros à titre de dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties, à la
Commission de la concurrence et à la Commission de recours pour les questions
de concurrence.

Lausanne, le 17 juin 2003

Au nom de la IIe Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier: