Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1A.82/2002
Zurück zum Index I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 2002
Retour à l'indice I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 2002


1A.82/2002/col

Arrêt du 5 août 2002
Ire Cour de droit public

Les juges fédéraux Aemisegger, président de la Cour et vice-président du
Tribunal fédéral,
Reeb, Féraud,
greffier Kurz.

F. ________,
recourant, représenté par Me Jean-Marc Carnicé, avocat, rue de Beaumont 11,
case postale 554, 1211 Genève 17,

contre

Juge d'instruction du canton de Genève, case postale 3344, 1211 Genève 3,
Chambre d'accusation du canton de Genève, place du Bourg-de-Four 1, case
postale 3108, 1211 Genève 3.

entraide judiciaire internationale en matière pénale à l'Allemagne;

recours de droit administratif contre l'ordonnance de la Chambre d'accusation
du canton de Genève du 27 février 2002.

Faits:

A.
Le 23 janvier 2001, le Procureur général de Hambourg a adressé à la Suisse
une demande d'entraide judiciaire pour les besoins d'une procédure pénale
dirigée contre F.________, soupçonné d'abus de confiance (Untreue, art. 266
du code pénal allemand) et corruption de fonctionnaire (art. 299 du même
code). Responsable des achats de sucre auprès de l'entreprise M.________,
F.________ aurait négocié des remises de prix avec W.________, fournisseur
brésilien. Ces remises de prix auraient été versées sur un compte personnel
ouvert par F.________ auprès de l'UBS, pour un total de 3,4 millions d'US$.
En tant qu'intermédiaires, W.________ et M.________ auraient perçu des
commissions d'au moins 2 US$ par tonne de sucre, et F.________ aurait
lui-même reçu un montant sur ces commissions. F.________ est aussi soupçonné
d'actes de corruption, les sommes versées par W.________ ayant pu servir à
obtenir un avantage sur la concurrence. Pour sa part, F.________ affirmait
avoir reçu les fonds à titre fiduciaire. En substance, l'autorité requérante
désire connaître les mouvements de fonds entre les comptes de F.________ et
de W.________, dès 1995.

B.
Par ordonnance du 10 avril 2001, le Juge d'instruction genevois, chargé de
l'exécution de cette demande, est entré en matière et a ordonné la saisie des
documents relatifs aux comptes détenus par W.________ et F.________ auprès de
l'UBS.

Le 17 juillet 2001, le juge d'instruction a prononcé la clôture de la
procédure d'entraide et la transmission au Parquet d'Hambourg des documents
d'ouverture, relevés et justificatifs relatifs aux comptes suivants, auprès
de l'UBS: xxx et yyy, détenus par F.________; zzz détenu par W.________. Le
Juge d'instruction a considéré que les détournements opérés par F.________ au
détriment de M.________ étaient constitutifs, en droit suisse, d'abus de
confiance.

C.
Par ordonnance du 27 février 2002, la Chambre d'accusation genevoise a rejeté
un recours formé par F.________. Les erreurs de traduction des dispositions
du code pénal allemand étaient sans influence pour l'examen de la double
incrimination. Le Procureur de Hambourg avait fourni des explications
complémentaires le 12 octobre 2001, et le droit d'être entendu n'imposait pas
la production des documents auxquels il était fait référence. Les faits
reprochés à F.________ étaient constitutifs de gestion déloyale, au préjudice
de M.________. Le principe de la proportionnalité était respecté.

D.
F.________ forme un recours de droit administratif contre cette dernière
décision. Il en demande l'annulation, le rejet de la demande d'entraide et le
refus de transmettre les documents relatifs à ses comptes bancaires,
subsidiairement le renvoi de la cause au juge d'instruction afin qu'il se
procure une nouvelle traduction de la demande. Plus subsidiairement, il
conclut à la seule transmission des avis de débit et de crédit relatifs aux
transferts de fonds avec W.________. Préalablement, le recourant désire
prendre connaissance et se déterminer sur les pièces produites en annexe à la
correspondance échangée les 11 et 12 octobre 2001 entre les autorités
requérante et requise.

La Chambre d'accusation se réfère aux considérants de son ordonnance.
L'Office fédéral de la justice conclut au rejet du recours. Le recourant a
répliqué en produisant des pièces complémentaires.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Interjeté dans le délai et les formes utiles contre une décision de clôture
partielle confirmée en dernière instance cantonale, le recours de droit
administratif est recevable (art. 80e let. a et 80f al. 1 de la loi fédérale
sur l'entraide internationale en matière pénale - EIMP, RS 351.1). Le
recourant a qualité pour s'opposer à la transmission de renseignements
relatifs à deux comptes bancaires dont il est titulaire (art. 80h let. b EIMP
et 9a let. a OEIMP).

2.
2.1 Le recourant soutient en premier lieu que la traduction de la demande
d'entraide, fournie par l'autorité requérante, comporterait des erreurs
grossières. L'art. 266 du code pénal allemand (StGb) serait présenté comme
l'infraction d'abus de confiance, alors qu'il s'agirait plutôt de gestion
déloyale. L'art. 299 StGb ("Bestechlichkeit und Bestechung im öffentlichen
Verkehr") serait traduit  par "vénalité et trafic d'influence concernant des
organes publics", alors qu'il s'agirait de corruption en matière commerciale,
non punissable en droit suisse, la corruption de fonctionnaire faisant
l'objet des art. 332 à 334 StGb. Il y aurait lieu d'exiger une nouvelle
traduction de la part de l'autorité requérante, et la Chambre d'accusation
aurait omis de se prononcer sur ce grief.

2.2 Le recourant omet d'indiquer en quoi le refus de sanctionner les vices de
traduction de la demande constituerait une violation du droit fédéral. Il
serait d'ailleurs en peine de le faire, car, conformément à la réserve de la
Suisse à propos de l'art. 16 par. 2 CEEJ, l'art. 28 al. 5 EIMP exige
simplement que les demandes d'entraide soient présentées à la Suisse dans une
des langues officielles que sont le français, l'allemand ou l'italien. Dès
lors, si l'autorité requérante a assorti sa demande d'une traduction en
français, elle l'a fait à bien plaire, dans le souci de faciliter le travail
du juge d'instruction genevois, sans  doute aussi pour accélérer le
traitement de la demande. Dès lors qu'une telle traduction n'est pas
obligatoire, on ne saurait se plaindre des inexactitudes que celle-ci peut
présenter. La traduction inexacte des dispositions du code pénal allemand est
d'ailleurs sans influence sur le traitement de la requête, puisque l'examen
de la double incrimination se fait sur la base des faits présentés, et non
sur le vu de la qualification juridique retenue dans l'Etat requérant. Telle
est d'ailleurs la réponse apportée par la Chambre d'accusation au grief du
recourant, ce qui satisfait à l'obligation de motiver. Le recourant ne
soutient pas, pour le surplus, que son avocat ne maîtrisait pas suffisamment
la langue allemande pour vérifier, le cas échéant dans l'exemplaire original
de la demande, le sens des expressions ambiguës qui figurent dans sa
traduction.

2.3 Dans la partie en fait de son recours, à l'appui de ses conclusions
préalables, le recourant reproche à la Chambre d'accusation de ne pas s'être
procuré les documents annexés au complément de l'autorité requérante du 12
octobre 2001. A l'instar des garanties générales de procédure découlant du
droit d'être entendu (art. 29 al. 2 Cst.), le droit d'accès au dossier de la
procédure d'entraide ne s'étend qu'aux pièces pertinentes pour le sort de la
cause. Tel est le sens de l'expression "si la sauvegarde de leurs intérêts
l'exige" figurant à l'art. 80b al. 1 EIMP. En l'occurrence, l'OFJ explique
dans sa réponse que le complément du 12 octobre 2001 comporte des notes de
bas de page faisant référence à des documents, mais que ces derniers n'ont
toutefois pas été produits par l'autorité requérante. Cela est confirmé par
la consultation du dossier, dont le recourant ne prétend pas avoir été
indûment privé. Les pièces en question ne font donc pas partie du dossier. Le
recourant en prend acte dans sa réplique, mais considère que des explications
devraient être exigées sur ce point de la part de l'autorité requérante. Tel
n'est pas le cas: l'admissibilité de l'entraide s'examine sur le seul vu de
la demande d'entraide et de ses compléments éventuels, sans que l'autorité
n'ait à fournir de preuves ou à produire les documents sur lesquels elle se
fonde. Les références citées dans le complément du 12 octobre 2001 sont donc
sans incidence sur l'issue de la procédure, et l'autorité requérante n'a pas
à fournir plus d'explications à ce propos.

3.
Le recourant soutient ensuite que la demande d'entraide serait entachée de
lacunes, d'imprécisions, voire d'inexactitudes qui en rendraient la
compréhension impossible. Il y aurait contradiction à affirmer d'une part que
F.________ aurait détourné les sommes remises par le fournisseur brésilien
et, d'autre part, que l'inculpé devait percevoir une "commission en retour
sur les commissions versées". La nature de ces commissions serait inconnue,
et il ne serait pas allégué que l'employeur de F.________ ait subi un
quelconque préjudice. Le complément du 12 octobre 2001, fondé sur un
témoignage d'un administrateur de M.________, n'apporterait aucun
éclaircissement sur ces points, car il n'y est pas prétendu que le sucre ait
été acheté à un prix surfait, ou que les commissions aient été surévaluées.

3.1 Selon l'art. 14 CEEJ, la demande d'entraide doit notamment indiquer son
objet et son but (ch. 1 let. b), ainsi que l'inculpation et un exposé
sommaire des faits (ch. 2). Ces indications doivent permettre à l'autorité
requise de s'assurer que l'acte pour lequel l'entraide est demandée est
punissable selon le droit des parties requérante et requise (art. 5 ch. 1
let. a CEEJ), qu'il ne constitue pas un délit politique ou fiscal (art. 2 al.
1 let. a CEEJ), que l'exécution de la demande n'est pas de nature à porter
atteinte à la souveraineté, à la sécurité, à l'ordre public ou à d'autres
intérêts essentiels du pays (art. 2 let. b CEEJ), et que le principe de la
proportionnalité est respecté (ATF 118 Ib 111 consid. 4b et les arrêts
cités). Le droit interne (art. 28 EIMP) pose des exigences équivalentes,
encore précisées par l'art. 10 al. 2 OEIMP selon lequel doivent en tout cas
figurer le lieu, la date et le mode de commission de l'infraction.

3.2 Dans sa demande du 23 janvier 2001, le Procureur de Hambourg expose que
F.________, courtier auprès de M.________, se serait fait verser sur son
compte personnel environ 3,4 millions d'US$ représentant des remises de prix
concédées par le fournisseur brésilien W.________, et dont M.________ aurait
dû bénéficier. Il est ensuite précisé que l'inculpé devait toucher en retour
une certaine somme sur les commissions convenues. Enfin, bien que les faits
ne soient pas encore établis sur ce point, les paiements de W.________
pouvaient constituer des pots-de-vin destinés à s'assurer la préférence par
rapport à ses concurrents. Dans son complément du 12 octobre 2001, le
Procureur de Hambourg fait état du témoignage d'un responsable de M.________,
au sujet des relations entre M.________ et W.________. Il en ressort
notamment que F.________ négociait la plupart des contrats avec W.________;
les sommes payées par W.________ représentaient des pots-de-vin afin que
M.________ continue de s'approvisionner auprès de cette société, même à des
conditions défavorables.

Ces indications sont suffisantes. Contrairement à ce que soutient le
recourant, elles permettent de comprendre l'objet de la demande d'entraide,
de juger de la punissabilité des faits en droit suisse (consid. 4 ci-dessous)
et de s'assurer du rapport entre l'objet de l'enquête et les investigations
requises en Suisse (consid. 5 ci-dessous). Le grief doit par conséquent être
écarté.

4.
Sous l'angle de la double incrimination, le recourant conteste que les faits
décrits dans la demande puissent être qualifiés en droit suisse d'abus de
confiance, comme l'a estimé le juge d'instruction, ou de gestion déloyale,
comme l'a retenu la Chambre d'accusation. Il ne serait pas démontré que
F.________ ait porté atteinte aux intérêts pécuniaires de M.________, ni que
cette dernière aurait finalement payé un prix surfait pour la marchandise ou
versé des commissions sans rapport avec les prestations fournies. En
réplique, le recourant prétend démontrer que les sommes qu'il a reçues
seraient sans lien avec l'exclusivité accordée à W.________.

4.1 Le recourant perd de vue que toute son argumentation à décharge n'est pas
recevable dans le cadre de la procédure d'entraide. Seul est déterminant à ce
propos l'exposé du Procureur de Hambourg qui, s'il est contesté par le
recourant, ne contient pas pour autant d'inexactitudes ou de contradictions
manifestes.

4.2 La demande initiale fait état de détournements de remises de prix
concédées par W.________, de participation aux commissions et d'actes de
corruption, sans préciser clairement s'il s'agit d'un même complexe de faits
ou d'agissements totalement distincts. Le complément du 12 octobre 2001 est
plus précis: des pots-de-vin auraient été versés par W.________, sous forme
de commissions ou de remises de prix, et le recourant, responsable des achats
de sucre, les aurait encaissés à son seul profit. Le recourant ne saurait
prétendre, dans ces circonstances, que M.________ n'aurait pas subi de
préjudice, dès lors qu'il ressort clairement de la demande que les remises
ont été délibérément détournées. Cela suffit pour admettre l'atteinte aux
intérêts pécuniaires propres à l'infraction de gestion déloyale (art. 158
CP). Cette qualification est encore renforcée par le fait qu'en contrepartie
des pots-de-vin perçus par F.________, celui-ci s'engageait à se fournir
exclusivement auprès de W.________, à des conditions défavorables (prix
surfait, quantités excessives). Le recourant prétend qu'il ne décidait pas
seul des commandes de sucre, et que le contrat d'exclusivité avec M.________
n'était que la reconduction d'un engagement antérieur, mais la demande
d'entraide, à laquelle il y a lieu de se tenir, expose le contraire en
affirmant que dans 95% des cas, les contrats étaient librement négociés par
F.________. Cela permet d'admettre l'existence d'un devoir de gestion. La
condition de la double incrimination est par conséquent réalisée.

5.
Le recourant invoque enfin le principe de la proportionnalité. Il insiste sur
le caractère selon lui exploratoire de la demande d'entraide, et relève que
l'enquête ne porte que sur ses relations avec W.________, de sorte que la
transmission devrait être limitée aux avis de crédit et de débit entre les
comptes correspondant, à l'exclusion de tous autres documents concernant les
nombreuses opérations (achats et ventes de titres, opérations de change)
effectuées sur ses comptes. L'un d'entre eux avait été ouvert en 1987, soit
huit ans avant les faits incriminés, et présentait au 31 décembre 1994 - soit
toujours avant ces faits - un solde de 2'350'000 US$.

5.1 Le principe de la proportionnalité empêche d'une part l'autorité
requérante de demander des mesures inutiles à son enquête et, d'autre part,
l'autorité d'exécution d'aller au-delà de la mission qui lui est confiée (ATF
121 II 241 consid. 3a). L'autorité suisse requise s'impose une grande retenue
lorsqu'elle examine le respect de ce principe, car elle ne dispose pas des
moyens qui lui permettraient de se prononcer sur l'opportunité de
l'administration des preuves. Saisi d'un recours contre une décision de
transmission, le juge de l'entraide doit lui aussi se borner à examiner si
les renseignements à transmettre présentent, prima facie, un rapport avec les
faits motivant la demande d'entraide. Il ne doit exclure de la transmission
que les documents n'ayant manifestement aucune utilité possible pour les
enquêteurs étrangers (examen limité à l'utilité "potentielle", ATF 122 II 367
consid. 2c p. 371). La jurisprudence admet qu'on peut interpréter une
commission rogatoire de manière extensive, s'il apparaît que cela correspond
à la volonté de son auteur et permet de prévenir une éventuelle demande
complémentaire (ATF 121 II 241 consid. 3a in fine). Il faut toutefois
qu'ainsi comprise, la mission que se reconnaît l'autorité d'exécution
satisfasse aux conditions posées à l'entraide judiciaire (même arrêt).

5.2 La demande d'entraide tend à la production de l'intégralité des documents
bancaires, y compris les documents d'ouverture, procurations, ainsi que les
relevés et justificatifs depuis le 1er janvier 1995. Les comptes visés sont
ceux de W.________ et de F.________ dont l'autorité connaît déjà l'existence,
ainsi que tous autres comptes dont ils seraient titulaires. L'autorité
requérante désire connaître tous les mouvements de fonds entre les comptes
concernés. Cela étant, on ne saurait lui reprocher de vouloir obtenir une vue
d'ensemble de la gestion de ces comptes, sans se limiter strictement aux
fonds transférés de l'un à l'autre. D'une part, il se peut que des versements
suspects aient transité par d'autres comptes et d'autre part, comme le relève
la Chambre d'accusation, il est évidemment utile à l'enquête de déterminer la
destination finale des sommes détournées par F.________, ce qui impose de
connaître l'ensemble des opérations effectuées depuis 1995, y compris le
solde disponible à partir de cette date. Les opérations antérieures ne seront
pas connues de l'autorité requérante. La mission fixée par l'autorité
requérante n'a donc rien d'excessif, et son exécution par le juge
d'instruction ne viole pas le principe de la proportionnalité.

6. Sur le vu de ce qui précède, le recours de droit administratif doit être
rejeté dans ses conclusions préalables, principales et subsidiaires.
Conformément à l'art. 156 al. 1 OJ, un émolument judiciaire est mis à la
charge du recourant, qui succombe.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Un émolument judiciaire de 5000 fr. est mis à la charge du recourant.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire du recourant, au Juge
d'instruction et à la Chambre d'accusation du canton de Genève, ainsi qu'à
l'Office fédéral de la justice (B 125 446).

Lausanne, le 5 août 2002

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier: