Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1A.239/2002
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1A.239/2002 /col

Arrêt du 14 janvier 2003
Ire Cour de droit public

Les juges fédéraux Aemisegger, président de la Cour et président du Tribunal
fédéral,
Nay, vice-président du Tribunal fédéral, Reeb, Féraud et Catenazzi;
greffier Kurz.

X. ________,
recourant, représenté par Me René Schneuwly, avocat, boulevard de Pérolles 4,
1701 Fribourg,

contre

Office fédéral de la justice, Division des affaires internationales, Section
extraditions, Bundesrain 20,
3003 Berne.

extradition à la France

recours de droit administratif contre la décision de l'Office fédéral de la
justice du 23 octobre 2002.

Faits:

A.
Le 3 mai 2002, l'Ambassade de France en Suisse a fait parvenir à l'Office
fédéral de la justice une demande d'extradition de X.________, ressortissant
français né en 1983, pour des délits de vol en bande et vol avec violences
ayant entraîné la mort. Formée le 10 avril 2002 par le Procureur de la
République sur la base d'un mandat d'arrêt du 1er mars 2002 du Juge
d'Instruction au Tribunal de Grande Instance de Saint-Omer, la demande fait
état d'un vol commis le 31 août 2001 dans une agglomération du Nord, puis, le
2 septembre 2001, d'une agression perpétrée à Saint-Folquin (Pas-de-Calais)
sur A.________, âgée de 67 ans, afin de lui dérober son sac à main; tombée au
sol, la victime était décédée d'un traumatisme crânien le lendemain. Les deux
co-auteurs de cette agression, Y.________ et Z.________ étaient passés aux
aveux et avaient désigné X.________ comme auteur principal.

X. ________ a été arrêté le 20 juin 2002 à Fribourg et placé en détention
extraditionnelle. Il n'a pas recouru contre le mandat d'arrêt. Un avocat
d'office lui a été désigné. Entendu le 26 juin 2002, il s'est opposé à son
extradition en relevant qu'il se trouvait depuis l'âge de neuf ans en Suisse,
où il avait accompli sa scolarité et un début d'apprentissage. Il vivait avec
sa soeur chez son père. Les délits avaient été commis lors d'une fugue en
France. La Suisse pouvait assurer la poursuite pénale. Dans ses observations,
des 9 et 11 juillet 2002, X.________ a maintenu son opposition, en demandant
à être jugé en Suisse compte tenu de ses liens familiaux - ses relations avec
son père s'étaient améliorées depuis son incarcération - et sociaux avec ce
pays; sa mère, qui habitait en France, ne se souciait pas de son sort. Les
mesures prévues par les dispositions du droit pénal suisse relatives aux
mineurs, applicables jusqu'à vingt-cinq ans, étaient plus favorables au
reclassement.

B.
Le 22 juillet 2002, l'avocat de X.________ fit savoir que ce dernier faisait
l'objet d'une procédure pénale ouverte à Fribourg pour voies de fait, lésions
corporelles et infraction à la LStup. Le Président de la Chambre pénale des
mineurs était disposé à assumer la poursuite des infractions commises en
France. Interpellées, les autorités françaises ont, le 19 août 2002, décliné
l'offre de déléguer la poursuite pénale à la Suisse, et ont maintenu la
demande d'extradition. X.________ s'est encore déterminé à ce propos le 23
septembre 2002.

C.
Par décision du 23 octobre 2002, l'OFJ a accordé l'extradition. L'art. 37
EIMP, qui permet de tenir compte d'un meilleur reclassement social en Suisse,
était inapplicable à l'égard d'un Etat signataire de la CEExtr. La gravité
des faits reprochés imposait la remise de l'intéressé à la France.

D.
X.________ forme un recours de droit administratif contre cette décision. Il
conclut au refus de l'extradition et demande l'assistance judiciaire.

L'OFJ conclut au rejet du recours dans la mesure où il est recevable.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
La décision par laquelle l'OFJ accorde l'extradition (art. 55 al. 1 et 39 de
la loi fédérale sur l'entraide internationale en matière pénale - EIMP, RS
351.1) peut faire l'objet d'un recours de droit administratif (art. 25 al. 1
EIMP). La personne extradée a qualité pour recourir au sens de l'art. 103
let. a OJ (art. 21 al. 3 EIMP).

2.
L'extradition entre la France et la Suisse est régie par la Convention
européenne d'extradition (CEExtr., RS 0.353. 1) et ses deux protocoles
additionnels (RS 0.353.11 et 0.353.12). Le droit interne, soit l'EIMP et son
ordonnance d'exécution (OEIMP, RS 351.11), s'applique aux questions qui ne
sont pas réglées par le droit conventionnel, et lorsqu'il permet la
collaboration internationale à des conditions plus favorables (ATF 122 II 373
consid. 1a p. 375).

3.
Sans contester que les conditions formelles et matérielles à l'extradition
sont réunies, le recourant se prévaut de la réserve faite par la France à
propos des art. 1 et 2 CEExtr., qui permettrait à la Suisse de refuser
l'extradition pour des motifs tenant notamment à l'âge de l'intéressé, et à
la nature ou aux modalités de la peine ou de la mesure encourue. Agé de moins
de dix-huit ans au moment des faits, le recourant pourrait bénéficier en
Suisse des mesures de rééducation prévues, notamment aux art. 89 CP. Une
peine éventuelle serait fixée selon l'art. 95 CP, d'une durée d'un an au
maximum et exécutée selon des modalités particulières, une suspension de
l'exécution étant en outre envisageable (art. 96 CP). Le recourant expose
dans quel contexte familial il a décidé de prendre la fuite, et relève qu'il
est soumis à un programme d'éducation au travail depuis le 20 août 2002. En
France en revanche, le régime applicable aux mineurs prend fin à la majorité;
le recourant encourrait la perpétuité, et au moins dix ans de prison. Dès
vingt-et-un ans, il serait soumis au même régime d'exécution des peines que
les adultes, particulièrement sévère et sans espoir de réinsertion. L'OFJ ne
pouvait écarter cet argument sur la seule base de la gravité des faits
reprochés. Le principe "pacta sunt servanda" ne devrait pas s'appliquer sans
égard aux autres principes du droit, notamment celui de la proportionnalité.
En l'occurrence, ces considérations, ainsi que la nécessité de conserver un
contact avec son père et sa soeur, devraient l'emporter sur l'intérêt de
l'Etat requérant à la poursuite d'une infraction commise par négligence.

3.1 Avec raison, le recourant n'invoque plus l'art. 37 al. 1 EIMP, qui permet
à la Suisse de refuser l'extradition lorsqu'elle est en mesure d'assumer la
poursuite de l'infraction et que le reclassement social de la personne
poursuivie le justifie. Selon la jurisprudence constante en effet, cette
disposition n'est pas applicable à l'égard d'un Etat qui, comme la France,
est lié avec la Suisse par une convention d'extradition. La CEExtr. ne
contient pas de règle analogue à l'art. 37 EIMP et interdit par conséquent à
la Suisse de refuser l'extradition pour des motifs tenant au reclassement de
la personne poursuivie (ATF 122 II 485 consid. 3 p. 486-488). Supposé
applicable, l'art. 37 al. 1 EIMP ne serait d'ailleurs d'aucun secours pour le
recourant. La Suisse doit en effet, selon cette disposition, être en mesure
d'assumer la poursuite de l'infraction, ce qui suppose d'une part que le
délit relève de sa compétence et, d'autre part, que l'Etat du lieu de
commission de l'infraction demande expressément à la Suisse de procéder à sa
place (ATF 120 Ib 120 consid. 3c p. 127). Or, tel n'est pas le cas en
l'occurrence, puisque les faits poursuivis ne présentent aucun lien avec la
Suisse, et que les autorités françaises ont clairement fait savoir qu'elles
ne désiraient pas se dessaisir de la procédure ouverte contre le recourant.

3.2 Le recourant invoque la réserve faite par la France à propos des art. 1
et 2 de la Convention, dont la teneur est la suivante: "L'extradition pourra
être refusée si la remise est susceptible d'avoir des conséquences d'une
gravité exceptionnelle pour la personne réclamée, notamment en raison de son
âge ou de son état de santé". ... "S'agissant des peines plus sévères que les
peines ou mesures de sûreté privatives de liberté, l'extradition pourra être
refusée si ces peines ou mesures de sûreté ne sont pas prévues dans l'échelle
des peines applicables en France".  Des réserves similaires ont été formulées
par d'autres Etats, notamment la Hongrie, la Fédération de Russie, le
Luxembourg, les Pays-Bas, la Belgique et l'ensemble des Pays nordiques. A
priori, la Suisse ne devrait pas avoir à tenir compte d'une réserve émise par
un autre Etat contractant. Toutefois, selon l'art. 26 al. 3 CEExtr., une
partie contractante qui aura formulé une réserve au sujet d'une disposition
de la Convention ne pourra prétendre à l'application de cette disposition par
une autre partie que dans la mesure où elle l'aura elle-même acceptée. Cela
signifie que, même si la Suisse n'a pas formulé de réserve analogue, elle est
autorisée à opposer une réserve à l'Etat requérant qui l'a formulée (arrêts
non publiés du 3 septembre 1998 dans la cause S. et du 1er octobre 1986 dans
la cause R.). Contrairement à ce que soutient le recourant, si la Suisse
oppose à l'Etat requérant ses propres réserves, ce n'est pas en vertu de la
règle "pacta sunt servanda" mais en application du principe de réciprocité.

En l'occurrence, la réserve formulée par la France tend à éviter que la
remise n'ait des conséquences "d'une gravité exceptionnelle" pour la personne
extradée, notamment en raison de son âge ou de son état de santé. Elle se
limite manifestement aux cas les plus graves, dans lesquels l'extradition
représente un risque très important pour l'intégrité physique de la personne
extradée. Dans ce contexte, la référence à l'âge ne tend pas à la protection
des jeunes adultes. Si la Suisse avait voulu généralement - et pas seulement
dans des cas exceptionnels - se réserver la faculté de refuser l'extradition
en raison du jeune âge de l'intéressé et des meilleures possibilités de
reclassement, elle aurait conclu avec la France, comme elle l'a fait avec
l'Allemagne (RS 0.353.913.61), un accord complémentaire afin de permettre à
l'autorité requise d'examiner si l'extradition n'est pas de nature à
compromettre le développement de l'intéressé et sa réintégration dans la
société (art. I al. 1 de l'accord avec l'Allemagne). Faute d'un tel accord,
la CEExtr. ne permet pas de tenir compte des objections soulevées par le
recourant.

3.3 Les standards minimaux de protection des droits individuels résultant de
la CEDH ou du Pacte ONU II font partie de l'ordre public international. Parmi
ces droits figure l'interdiction de la torture, ainsi que des traitements
cruels, inhumains ou dégradants (art. 3 CEDH et 7 Pacte ONU II; cf. aussi
l'art. 3 de la Convention internationale du 10 décembre 1984 contre la
torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants - RS
0.105 -, qui interdit l'extradition lorsque la personne visée court le risque
d'être soumise à la torture, et la Convention européenne pour la prévention
de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, du 26
novembre 1987 - RS 0.106). Si la CEDH ne garantit pas, en tant que tel, le
droit de ne pas être expulsé ou extradé (ATF 123 II 279 consid. 2d p. 283,
511 consid. 6a p. 521 et les références à la jurisprudence de la Cour
européenne des droits de l'homme), il n'en demeure pas moins que lorsqu'une
décision d'extradition porte atteinte, par ses conséquences, à l'exercice
d'un droit garanti par la Convention, elle peut, s'il ne s'agit pas de
répercussions trop lointaines, faire jouer les obligations d'un Etat
contractant au titre de la disposition correspondante (idem).

3.4 En l'espèce, à supposer que le recourant soit privé d'un traitement
éventuellement plus favorable prévu par le droit pénal suisse, comme il le
prétend, et puisse ainsi voir compromise sa réinsertion, cela ne
constituerait pas pour autant un traitement prohibé par les instruments
internationaux précités. Le fait que la majorité pénale soit définie de
manière différente selon le droit de l'Etat requérant, que la peine encourue
soit plus lourde (ATF 121 II 296 consid. 4a p. 299) et que les conditions
carcérales soient plus difficiles qu'en Suisse ne suffit assurément pas pour
admettre une violation grave des droits de l'homme dans l'Etat requérant. La
CEDH ne garantit pas, en effet, le droit d'être jugé puis détenu dans le pays
offrant le système le plus clément (CommEDH, décision du 21 mai 1997, publiée
in JAAC 1998 89 907).
Le grief doit par conséquent être rejeté, et avec lui les objections tirées
du principe de la proportionnalité et de l'interdiction de l'arbitraire. Sur
ce dernier point, le recourant relève que la décision attaquée mentionne 1979
comme année de naissance, au lieu de 1983. Il s'agit toutefois d'une simple
erreur de plume sans portée sur le fond de la décision. Comme l'explique
l'OFJ, l'année de naissance du recourant a toujours été prise en compte et
mentionnée de manière exacte dans les écrits antérieurs à la décision
attaquée.

3.5 Le recourant relève que ses seules attaches familiales se trouveraient en
Suisse, où résident sa soeur et son père. En dépit de problèmes relationnels
qui ont conduit à sa fugue, ce dernier a toujours manifesté son soutien au
recourant, particulièrement depuis son incarcération. En revanche, sa mère et
le reste de sa famille en France n'auraient plus aucun lien avec le
recourant, de sorte que celui-ci se retrouverait sans aucune possibilité de
visites.

Même si le recourant ne l'invoque pas expressément, l'art. 8 CEDH peut lui
aussi faire obstacle à l'extradition lorsque cette dernière apparaît comme
une ingérence disproportionnée dans la vie familiale de l'intéressé. Le
Tribunal fédéral a ainsi été amené à refuser une extradition à l'Allemagne,
requise pour l'exécution d'un solde de peine de 473 jours d'emprisonnement
pour un délit de recel. L'intéressé était père de deux filles mineures en
Suisse et l'incarcération avait mis sa compagne, invalide à 100 % et enceinte
d'un troisième enfant, dans un état anxio-dépressif avec des idées
suicidaires. Dans ces circonstances, la Suisse pouvait se charger de
l'exécution sur son territoire du solde de peine (consid. 3e et 4 non publiés
de l'ATF 122 II 485). Le Tribunal fédéral a toutefois eu l'occasion, dans une
cause ultérieure, de préciser qu'un tel refus était tout-à-fait exceptionnel,
et n'entrait pas en ligne de compte dans d'autres circonstances (extradition
requise pour une poursuite et non une exécution de peine, co-auteurs ou
complices poursuivis à l'étranger et empêchant un jugement en Suisse,
circonstances familiales différentes; arrêt non publié du 16 février 2001
dans la cause G.).

Tel est aussi le cas pour le recourant: la poursuite pénale ouverte en
France, pour un délit aux conséquences graves, concerne deux autres prévenus
qui ont mis en cause le recourant. L'enquête nécessite manifestement une
confrontation et il serait contraire aux intérêts de la justice de juger
séparément les trois protagonistes. Il n'est pas prétendu, par ailleurs, que
l'extradition du recourant puisse avoir sur sa famille en Suisse des effets
aussi désastreux que ceux décrits dans l'arrêt précité: le recourant n'a ni
femme, ni enfants en Suisse. Par ailleurs, l'incarcération à l'étranger
compliquera certes l'exercice du droit de visite, sans pour autant le rendre
totalement impossible. Les circonstances du cas d'espèce ne font donc pas
apparaître l'extradition du recourant comme incompatible avec l'art. 8 CEDH.

4.
Sur le vu de ce qui précède, le recours de droit administratif doit être
rejeté. Le recourant a demandé l'assistance judiciaire, et les conditions en
sont réunies. Me René Schneuwly est désigné comme défenseur d'office du
recourant, et rétribué par la caisse du Tribunal fédéral. Il n'est pas perçu
d'émolument judiciaire.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
La demande d'assistance judiciaire est admise, Me Schneuwly est désigné comme
défenseur d'office et une indemnité de 2000 fr. lui est allouée à titre
d'honoraires, à verser par la caisse du Tribunal fédéral.

3.
Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie au recourant et à l'Office fédéral
de la justice (B 131 998 MBM).

Lausanne, le 14 janvier 2003

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier: