Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

Sozialrechtliche Abteilungen U 65/2001
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U 65/01 Tn

                       IIIe Chambre

MM. les juges Schön, Président, Spira et Ursprung.
Greffière : Mme von Zwehl

                 Arrêt du 7 novembre 2001

                       dans la cause

A.________, recourant, représenté par Maître Jean-Claude
Morisod, avocat, rue du Progrès 1, 1701 Fribourg,

                          contre

Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents,
Fluhmattstrasse 1, 6004 Lucerne, intimée,

                            et

Tribunal administratif du canton de Fribourg, Givisiez

     A.- A.________, manoeuvre, s'est blessé une première
fois au pouce gauche le 10 juillet 1995, en chutant sur son
lieu de travail. En sa qualité d'assureur-accidents, la
Caisse nationale suisse en cas d'accidents (CNA) a pris en
charge les suites de cet incident qui n'a nécessité qu'un
traitement conservateur et entraîné une incapacité de tra-
vail de deux semaines.

     Le 18 octobre 1996, l'assuré a été victime d'un nouvel
accident au cours duquel son pouce gauche a derechef été
touché (distorsion). Devant ses douleurs, le docteur
B.________, chirurgien orthopédiste, a pratiqué une arthro-
dèse métacarpo-phalangienne le 20 janvier 1997. En dépit
d'un séjour à la Clinique X.________, A.________ a persisté
dans ses plaintes; une incapacité de travail de 100 % a été
maintenue (rapport du 4 juillet 1997). Le 8 septembre 1997,
le docteur B.________ a procédé à l'ablation du matériel
d'ostéosynthèse ainsi qu'à une ténolyse du tendon long ex-
tenseur du pouce. Dans ses rapports successifs (des 15 jan-
vier, 27 février, 14 août et 28 octobre 1998), ce médecin a
constaté une évolution favorable de l'état du pouce sur les
plans radiologiques et neurologiques, sans s'expliquer la
relative impotence de la main gauche dont se plaignait en-
core son patient. A l'occasion d'un examen final du 15 jan-
vier 1998, le docteur C.________, médecin d'arrondissement
de la CNA, a observé une limitation fonctionnelle du pre-
mier rayon du pouce gauche ainsi qu'une diminution de la
force de la main, tout en soulignant que la coopération de
l'assuré lors des tests n'avait pas été optimale; il a
estimé l'atteinte à l'intégrité à 5 %.
     Par décision du 20 mars 1998, la CNA a mis A.________
au bénéfice d'une indemnité pour atteinte à l'intégrité
d'un taux de 5 %, mais refusé de lui allouer une rente
d'invalidité, considérant que son handicap ne réduisait
pas, de façon importante, sa capacité de gain. Saisie d'une
opposition, la CNA a requis l'avis du docteur D.________,
spécialiste FMH en chirurgie et membre de son équipe de mé-
decine des accidents, qui a confirmé l'existence chez l'as-
suré d'une pleine capacité de travail (rapport du 19 juin
1998). Se fondant sur cette appréciation, la CNA a rejeté
l'opposition par décision du 24 juin 1998. Entre-temps,
l'assuré a présenté une demande de prestations de l'assu-
rance-invalidité tendant à l'octroi d'une rente.

     B.- A.________ a recouru contre la décision sur oppo-
sition de la CNA, en contestant l'évaluation faite par
cette dernière de sa capacité de travail et en demandant au
tribunal de procéder à une expertise médicale sur ce point.
Dans sa réponse, la CNA s'est déclarée favorable à un com-
plément d'instruction en suggérant que le mandat soit con-
fié à la Clinique Y.________. L'assuré ayant agréé cette
proposition, le Tribunal administratif du canton de Fri-
bourg a suspendu la procédure dans l'attente du rapport
d'expertise.
     La doctoresse E.________, spécialiste FMH en chirurgie
de la main à la Clinique Y.________ a examiné l'assuré le
28 avril 1999. Des signes objectifs lui permettant d'affir-
mer que celui-ci n'utilisait plus son pouce gauche, elle a
conclu à une atteinte à l'intégrité de 20 %, taux corres-
pondant à une perte totale du premier rayon de la main
dominante. Quant à sa capacité de travail résiduelle, elle
l'a estimée inexistante dans son ancien métier de manoeu-
vre, à 50 % dans une activité de nettoyeur et à 100 % dans
une activité adaptée strictement mono-manuelle (rapport du
3 mai 1999).
     Après avoir donné la possibilité aux parties de se dé-
terminer, le tribunal a rejeté le recours de l'assuré, par
jugement du 11 janvier 2001.

     C.- A.________ interjette recours de droit administra-
tif contre ce jugement dont il requiert l'annulation. Il
conclut, sous suite de dépens, à ce que la cause soit ren-
voyée à la juridiction cantonale afin qu'elle condamne la
CNA à lui allouer une rente d'invalidité dès le 1er mars
1998 ainsi qu'une indemnité pour atteinte à l'intégrité
fondées sur les conclusions de la doctoresse E._______. Il
sollicite également le bénéfice de l'assistance judiciaire
gratuite.
     La CNA conclut au rejet du recours, tandis que l'Offi-
ce fédéral des assurances sociales ne s'est pas déterminé.

                  Considérant en droit :

     1.- Les premiers juges ont rejeté le recours formé par
l'assuré contre la décision sur opposition de l'intimée
sous l'angle de la causalité. En substance, ils ont retenu
que l'aggravation de l'état de santé du recourant, ainsi
que son incapacité de gain, étaient dues non pas tant à la
lésion qu'il avait subie - l'accident assuré n'ayant provo-
qué, somme toute, qu'une simple distorsion du pouce -, mais
essentiellement à un comportement inadéquat de sa part
(manque de collaboration, refus de bouger le pouce), de
sorte que la CNA n'avait pas à en répondre. En effet, les
docteurs B.________ et D.________ ont clairement mis en
évidence qu'il n'y a aucun motif objectif au fait que le
recourant exclut le pouce gauche de son schéma corporel,
tandis que les organes de l'AI ont, de leur côté, noté chez
lui un manque certain d'intérêt pour le travail. Les juges
cantonaux ont ainsi écarté les conclusions de la doctoresse
E.________ au profit de celles du docteur D.________ et
considéré que A.________ jouissait d'une capacité de tra-
vail entière dans son ancienne profession et qu'il ne pou-
vait prétendre une indemnité pour atteinte à l'intégrité du
même taux que celui alloué en cas d'amputation du pouce.
     Le recourant conteste l'interprétation des pièces mé-
dicales par les premiers juges, singulièrement les considé-
rations émises sur son comportement prétendument négatif.
Il fait valoir que la doctoresse E.________ a déclaré à son
sujet qu'«on ne (peut) plus parler de mauvaise volonté ou
de mauvaise collaboration ou d'éventuelle simulation» et
qu'elle a attesté d'une capacité de travail sensiblement
réduite. Il reproche également à la juridiction cantonale
de s'être forgé son opinion sur la base de documents de
l'AI dont il n'a pas eu connaissance, et de n'avoir pas or-
donné d'expertise psychiatrique, tout en laissant entendre
qu'il souffrirait de troubles psychiques.

     2.- En principe, le tribunal saisi d'un recours contre
une décision d'un assureur social ne peut pas déléguer à ce
dernier la tâche de procéder à des actes d'instruction tels
qu'une expertise (arrêt du 3 septembre 2001, I 421/99, des-
tiné à la publication, consid. 2b/aa et les références).
     Quoi qu'il en soit, du moment où, avec l'accord des
parties, la juridiction cantonale a chargé la CNA de sou-
mettre le recourant à une expertise, le rapport de la doc-
toresse E.________ a la même valeur probante qu'une exper-
tise judiciaire et le juge ne saurait s'en écarter sans de
solides raisons (ATF 125 V 352 consid. 3b/aa et les réfé-
rences). Or, en l'espèce, la manière dont les premiers
juges ont écarté les conclusions de l'expert concernant
tant la capacité de travail du recourant que le degré de
l'atteinte à son intégrité, pour leur préférer celles des
médecins de l'intimée, n'est pas conforme à ces principes.
En effet, les éléments dont ils font état au sujet du com-
portement du recourant étaient connus de la doctoresse
E.________ (voir p. 2 de son rapport d'expertise) et l'on
ne saurait affirmer, au vu des considérations de celle-ci,
que ce comportement est à lui seul la cause de l'incapacité
de travail du recourant (comme en cas de simulation ou
d'artefact). Si le tribunal entendait s'écarter à ce point
des conclusions de l'expert relatives à la capacité de tra-
vail du recourant, il devait auparavant lui donner à la
possibilité de s'exprimer en lui posant, avec le concours
des parties, des questions complémentaires. Il en va de
même en ce qui concerne l'estimation du degré de l'atteinte
à l'intégrité. Dans cette mesure, les griefs du recourant
afférents au déroulement de la procédure probatoire et à
l'appréciation des preuves sont fondés. On ajoutera que la
façon dont les juges cantonaux ont pris à leur compte
certaines observations contenues dans le dossier de
l'AI - qui, pour une grande part, n'ont, semble-t-il, ja-
mais été soumises au recourant - n'est pas non plus compa-

tible avec les règles présidant à l'administration des
preuves (art. 108 al. 1 let. c LAA; ATF 120 V 360).
     Il convient dès lors d'annuler le jugement attaqué et
de renvoyer la cause au tribunal administratif du canton de
Fribourg afin qu'il en complète l'instruction, en procédant
notamment à l'audition de la doctoresse E.________ et en
donnant aux parties l'occasion de se prononcer sur tous les
éléments de preuve qu'il entend prendre en considération
dans son jugement. En outre, s'il devait apparaître, à dire
d'expert, que le comportement du recourant pourrait résul-
ter d'une affection psychique, il y aurait alors lieu de
soumettre celui-ci à une expertise psychiatrique, puis d'en
tirer les conclusions qui s'imposent au regard des princi-
pes applicables à la causalité.

     3.- Le recourant, qui obtient gain de cause, a droit à
une indemnité de dépens à charge de l'intimée (art. 159
al. 1 OJ). Dans cette mesure, sa requête d'assistance judi-
ciaire est sans objet.

    Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances

                     p r o n o n c e :

  I. Le recours est admis et le jugement du Tribunal admi-
     nistratif du canton de Fribourg du 11 janvier 2001 est
     annulé, la cause étant renvoyée à cette autorité pour
     instruction complémentaire au sens des motifs.

 II. Il n'est pas perçu de frais de justice.

III. L'intimée versera au recourant une indemnité de dépens
     de 2500 fr. pour l'instance fédérale.

 IV. Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au
     Tribunal administratif du canton de Fribourg, Cour des
     assurances sociales, et à l'Office fédéral des assu-
     rances sociales.

Lucerne, le 7 novembre 2001

                                 Au nom du
                          Tribunal fédéral des assurances
                          Le Président de la IIIe Chambre :

                               La Greffière :